Amir Lucie, Biscarrat Laetitia, Jacquelin Alice
Si le concept d’« Euronoir » connaît une certaine fortune dans le discours académique, le roman noir européen a-t-il une réalité médiatique ? Cet article examine la réception critique dans la presse nationale d’un panel de cinq auteur·trice·s européen·ne·s, George Arion, Andrea Camilleri, Pétros Márkaris, Jo Nesbø et Fred Vargas, sélectionné·e·s pour l’importance de leur circulation en Europe et à l’international. Grâce à une approche contextualiste ainsi qu’une double méthodologie en close reading et en distant reading du corpus de réception, cette étude permet de saisir la construction vue de France d’une Europe ‘territorialisée’ en différents marchés de niches et de déconstruire certaines catégories génériques comme celles de « polar méditerranéen » ou « polar de l’Est ». Ces labels sont en fait façonnés par des logiques de promotion institutionnelle et de vedettariat intermédial valorisées par les industries culturelles.
Mots-clés : réception critique, circulation, roman noir, fiction criminelle, Europe
An impossible Euronoir ? European crime novels in its French critical reception If the « Euronoir » concept is popular in the academic discourse, has the European Noir any kind of reality within print media and blogs ? This article aims to analyze the critical reception of a panel of five European crime writers – George Arion, Andrea Camilleri, Pétros Márkaris, Jo Nesbø et Fred Vargas – who were selected for the distribution of their books in Europe and worldwide. With the help of a contextual approach and a double methodology in close reading and in distant reading of the reception corpus, this study draws a ‘territorialized’ Europe shaped in several market niches and deconstructs some generic categories such as « Mediterranean Noir » or « Eastern Noir ». These labels are in fact subsumed by other logics of institutional promotion and intermedial star system, enhanced by the creative industries.
Keywords : critical reception, circulation, noir novel, crime fiction, Europe
De nombreuses études insistent sur le poids du polar dans les habitudes de consommation et de lecture des Français·e·s et rappellent que le roman policier constitue une porte d’entrée privilégiée dans les imaginaires collectifs [1]. Objets mouvants, les taxinomies littéraires se constituent progressivement dans une négociation entre les différentes instances d’un champ. Parmi celles-ci, la catégorie d’ « Euronoir », popularisée dès 2014 par l’ouvrage du journaliste littéraire britannique Barry Forshaw, Euro Noir, The Pocket Essential Guide to European Crime Fiction, Film and TV, fait circuler l’idée d’un polar « européen » dans les espaces anglophones. Depuis 2004, et depuis 2013 sur Facebook, une communauté de 1400 fans se retrouvent autour d’un site et d’un blog intitulés « Euro-crime » consacrés au polar du continent. Du côté universitaire, Kim Toft Hansen définit l’Euronoir comme un « concept critique qui désigne généralement les fictions criminelles produites dans un pays européen » [2] (Toft Hansen et al., 2018 : 6) tandis que le terme fait le titre d’un récent dossier thématique de l’European Review coordonné par Jan Baetens et Fred Truyen (2020). Jacques Migozzi (2020) interroge quant à lui la construction éditoriale de l’« Euronoir » dans ses circulations européennes, et le projet de recherche européen DETECt [3] – auquel appartiennent les trois rédactrices de cet article – organisait en 2019 un colloque international à l’Université de Aalborg (Danemark) intitulé « Euronoir : Producers, distributors and audiences, of European crime narratives ».
Cette catégorie désigne un mouvement récent d’internationalisation du champ de production des fictions criminelles, tourné tout particulièrement vers le continent européen. Si « les processus d’import/export des fictions populaires […] sont avérés a minima dans toute l’Europe occidentale depuis le milieu du XIXe siècle » (Migozzi, 2019), des analyses récentes du sous-champ français du polar ont dressé le constat d’un tournant propre aux deux dernières décennies, caractérisé par l’arrivée de nouvelles nationalités européennes dans les catalogues des collections de polar, dans la programmation des festivals et dans les prix polar (Migozzi, Levet et Amir, 2020), comme le « Prix du polar européen » organisé par l’hebdomadaire Le Point depuis 2003, ou la création de la catégorie « polar européen » dans le Prix SNCF du polar, entre 2005 et 2011. Néanmoins, cette émergence est ponctuelle, et nous invite à mesurer avec prudence le retentissement effectif d’un imaginaire de l’Euronoir dans le discours critique. La réception française du polar intègre-t-elle véritablement la question européenne ? Contribue-t-elle à la construction d’un polar européen, et si oui, de quelle manière et selon quelles modalités ?
Cette étude s’appuie sur un corpus composé de critiques extraites de la presse nationale française mais aussi de blogs amateurs de référence. L’analyse des critiques de presse devient centrale pour deux raisons. D’une part, elle permet de voir quel discours européen est porté par les médias français nationaux à partir d’un panel de cinq auteur·trice·s européen·ne·s significatif·ve·s de la production européenne du polar. D’autre part, si l’on considère, comme les études précédentes le suggèrent, que ces critiques médiatiques jouent un rôle prescripteur sur les choix et représentations des lecteur·trice·s [4], on peut supposer que la représentation paneuropéenne ou non qu’ils en proposent influence aussi l’opinion du lectorat.
George Arion (Roumanie), Andrea Camilleri (Italie), Pétros Márkaris (Grèce) et Jo Nesbø (Norvège) sont tous des auteurs à succès, traduits dans différentes langues européennes, dont le français. Quant à Fred Vargas, elle offre un double contrepoint : comme repère national, et comme autrice, permettant aussi d’analyser le biais genré de la critique littéraire. La dimension internationale est au cœur de la notion d’Euronoir telle que l’envisage Kim Toft Hansen (2018 : 6) : « L’Euronoir intègre surtout des récits qui repèrent, discutent, critiquent, fondent ou déstabilisent des réalités transcontinentales, des signifiants intra-locaux ou des géopolitiques transnationales » [5]. Ce travail étudie donc la circulation européenne des discours et des œuvres, ce qui, selon la proposition faite par Bourdon (2008 : 168) pour l’étude d’une histoire transnationale des médias implique « une description fine des processus et des circuits tout en refusant des évaluations globales ou une analyse des ‘transferts massifs’ ».
La première section de cet article établit le cadre méthodologique de l’étude. La deuxième propose une analyse des étiquettes génériques présentes dans la réception critique de notre panel. La troisième démontre comment les industries culturelles modèlent un polar européen intermédial et starifié, davantage qu’une « européenne » du polar, homogène et communautaire.
La critique littéraire est une actrice majeure de l’industrie culturelle. Elle participe activement à la production de la valeur symbolique et marchande des œuvres tout autant qu’à la régulation du flot éditorial (Naudier, 2004 : 41). Elle-même saisie par des configurations socioculturelles spécifiques liées aux supports et aux positions sociales des acteur·trices des champs littéraire et journalistique, la critique peut être qualifiée de « ‘moment constitutif’ de la production de l’œuvre » (Bertelli, 2005 : 166). Pour analyser la réception critique, Vincent Guiader (2006) propose de mettre au jour la manière dont la multipositionnalité de l’auteur, l’agenda médiatique, politique et intellectuel, ainsi que les stratégies éditoriales, organisent « l’appropriation différenciée des biens symboliques » (Guiader, 2006 : 177). À revers d’une herméneutique de la réception qui postule un sens universel, l’emploi de la notion d’appropriation s’inscrit ici davantage dans la filiation de la définition posée par Roger Chartier qui défend l’étude « des usages et des interprétations, rapportées à leurs dimensions fondamentales et inscrits dans les pratiques spécifiques qui les produisent » (Chartier, 1989 : 1511) [6]. Il s’agit dès lors d’étudier les appropriations par la critique française du polar européen en articulant l’étude du contenu des discours aux contraintes contextuelles tout autant qu’à l’agentivité des acteurs·trices du champ.
Saisir la critique littéraire dans une perspective communicationnelle ne signifie ni « procéder à la synthèse d’une revue de presse » (Walter, 98 : 71), ni « énumérer les multiples modalités de réception du roman » (Guiader, 2006 : 177). Au sein de la « communication de masse » (Rossi, 2015 : 12-13), les écrivain·e·s sont d’abord perçu·e·s à travers leur couverture médiatique. Interroger les modalités d’un polar européen – l’Euronoir – implique de déplacer le regard vers l’ « interdiscours médiatique » [7] (Letourneux, 2016) qui participe de la production du genre, au sein duquel nous avons privilégié les blogs d’amateur·trice·s éclairé·e·s et les critiques des journalistes littéraires.
À cette fin, cet article souscrit à une approche contextualiste telle que définie dans l’article programmatique de Bertelli (2005), et qui se traduit par trois orientations méthodologiques. D’abord, l’analyse de discours doit prendre acte de la polyphonie du texte journalistique. Cette préconisation se traduit ici par une approche méthodologique qui articule « close reading » et « distant reading » [8] (Moretti, 2016) sur des corpus de presse importants, grâce aux outils computationnels issus des humanités numériques. Une approche qualitative a également été appliquée.
La seconde préconisation de Bertelli concerne les effets de réseaux entre production, diffusion et consécration. La réception critique n’est pas un simple intermédiaire prescripteur entre la production et la réception par le lectorat. En conséquence, nous avons envisagé l’Euronoir comme produit intermédiatique. L’Euronoir n’est pas construit dans cette étude comme un phénomène médiatique isolé mais plutôt, à la suite d’Altman (2000), comme une double interrogation : comme identité en émergence d’une part et comme textualité intermédiatique d’autre part.
Conformément à la troisième recommandation posée par Bertelli, le corpus critique mobilisé est enfin ouvert à des modulations. Le corpus principal a été constitué pour être à la fois représentatif des voix les plus prescriptrices du journalisme français et fidèle aux modalités propres de la prescription dans le sous-champ des fictions criminelles françaises. La méthodologie de collecte de ces articles de presse combine plusieurs phases de recension numérique (via Europresse) et manuelle (via la Bibliothèque des littératures policières). Le corpus principal est composé des titres de référence de la presse nationale quotidienne [i], auxquels s’ajoutent les titres de référence de la presse culturelle nationale [i] ainsi que la presse féminine [i] souvent oubliée des études de réception [9]. Pour ne pas écarter le pouvoir structurant des initiatives et des productions amateures dans la promotion des fictions criminelles contemporaines, l’analyse mobilise trois blogs tenus par des personnalités identifiables et reconnus comme prescripteurs dans la « sphère polar » [10]. Enfin, des corpus secondaires, puisés dans la presse régionale et locale, ont été ponctuellement mobilisés [11].
Le syntagme « Euronoir » est tout à fait absent du corpus analysé. À partir de ce constat, nous avons cherché à comprendre comment se conçoit la circulation culturelle du polar européen en France, en partant, pour commencer, de l’étude de la réception de Jo Nesbø.
Nesbø bénéficie d’une couverture médiatique régulière et importante pour chacune de ses publications. Si son premier roman, L’Homme chauve-souris, publié en France en 2002, est passé inaperçu dans la presse française, son second roman, Les Cafards, est mentionné en 2003 dans le quotidien de référence Le Monde au sein d’un article sur le Nordic Noir. Nesbø atteint véritablement la reconnaissance médiatique avec ses romans Rouge-gorge et L’étoile du diable (publiés en 2004 et 2006). La volumétrie du corpus collecté (187 articles) a permis de procéder à des analyses et visualisation des données textuelles [12] qui révèlent deux éléments intéressants : la structuration d’un imaginaire français du polar scandinave et la montée du signifiant « Europe » par rapport aux signifiants nationaux ou régionaux. La requête en distant reading fait apparaître les catégorisations territoriales de Jo Nesbø (« pays », « norvégien », « Norvège », « scandinave »), ainsi que les noms de l’islandais Arnaldur Indriðason, le prénom de la suédoise Camilla Läckberg et la référence au suédois Henning Mankell (et à son personnage, Kurt Wallander). Ces occurrences assoient l’idée d’une littérature nordique unifiée vue de France, sans doute favorisée par l’existence de stratégies de valorisation des territoires d’après les succès policiers, et par le développement du tourisme littéraire dans les pays scandinaves, en Suède par exemple (Saumon, Guyot et Migozzi 2015).
Après ces considérations globales, nous pouvons affiner les résultats en proposant un découpage diachronique des mentions relevant d’une ‘identité’.
On observe que, là où les références nationales ou régionales décroissent, la référence à l’Europe est en augmentation depuis 2003. C’est particulièrement frappant pour la catégorie ‘nordique’ : bien qu’elle ait constitué l’une des expressions les plus utilisées pour faire référence aux romans de Jo Nesbø entre 2003 et 2012, elle est en chute libre dans la presse récente de 2017 à 2020. Si l’Euronoir n’existe donc pas comme étiquette générique, la présence de l’Europe semble tout de même de plus en plus signifiante dans le discours journalistique sur Jo Nesbø, même si l’imaginaire autour du polar scandinave reste prédominant dans la construction critique. Ce ‘régionalisme’ des catégories du polar, que l’on peut retrouver sous d’autres formes comme celles du polar rural (Jacquelin, 2021), du polar de l’Est ou du polar méditerranéen, implique en fait une économie territorialisée du polar européen qui, bien loin de proposer au public français l’image d’une Europe homogène, opère plutôt par différenciation en plusieurs marchés catégoriels, selon une logique de niches.
Fondée sur l’observation d’amitiés littéraires interculturelles, théorisée et commentée dès le milieu des années 2000 dans des départements d’études européennes étasuniens ou britanniques (Reynolds, 2006 ; Smyth, 2007), la catégorie de « Mediterranean Noir » pourrait être, à défaut d’un Euronoir, l’une des appropriations les plus établies des circulations transnationales des fictions criminelles sur le continent européen – et de part et d’autre de la Méditerranée [13]. Les productions rassemblées sous la bannière du polar méditerranéen interrogent des imaginaires traversés par les migrations, qui débordent les frontières des États-nations. Andrea Camilleri incarnerait d’ailleurs, dans ce biotope transculturel, l’une des voix littéraires les plus critiques de la fabrique d’une identité nationale italienne (Pezzotti, 2012).
Malgré ces précédents académiques, ce label – traduit par « polar méditerranéen » –n’est convoqué qu’une seule fois dans la presse, pour résumer les influences d’un Pétros Márkaris se revendiquant d’Izzo, de Camilleri et de Montalbán [14]. Une filiation, établie entre Márkaris et Camilleri (cité cinq fois dans des portraits de l’écrivain grec) concède l’esquisse d’une nébuleuse culturelle traversant le Sud de l’Europe. Cependant, dans les chroniques consacrées aux deux auteurs grec et italien, le discours critique fait plutôt émerger les singularités de ces deux actualisations d’un polar sud-européen, toujours soupçonné plus vite qu’ailleurs d’être un polar de la crise. Ainsi les chroniques monographiques sont-elles rares dans la couverture journalistique de l’œuvre de Camilleri, et laissent place à des portraits extrapolant sur la littérature italienne, voire sur « l’avenir de l’Italie », à partir des engagements publics de l’écrivain contre Silvio Berlusconi [15].
De même, comme en témoigne le sondage lexicométrique du corpus, c’est en tant que porte-parole international de la crise grecque que Pétros Márkaris gagne l’intérêt de la presse française [16]. Le corpus journalistique est peuplé des nombreuses interventions de l’écrivain sur le problème grec, à la marge de la chronique politique. Ces extraits d’interviews sont autant de sentences sur la société grecque, sa corruption, sa police [17]. Dans les articles racontant les émeutes de 2008, leur insertion agit parfois comme la caution indigène d’une interprétation culturaliste de la crise grecque [18]. Perçu comme l’autorité morale de la crise, le sermonneur de la Grèce, Márkaris est érigé par la presse française en diagnosticien d’une supposée culture nationale. Il est tout à la fois l’intermédiaire d’une préoccupation médiatique vis-à-vis d’une crise qui met en question le modèle européen, et l’opérateur malgré lui d’une mise à distance du peuple grec dans les représentations.
La question de la traduction est un autre baromètre de l’internationalité des productions culturelles. Alors qu’elle n’est évoquée, dans la réception de Nesbø par exemple, qu’en guise de preuve chiffrée du rayonnement planétaire de son œuvre, la langue de Camilleri est définie comme un « italien sale » (selon l’expression de l’écrivain), un « dialecte », un ensemble de « sicilianismes ». Du point de vue français, Camilleri semble incarner le paradoxe d’un dépaysement aux frontières. Le discours journalistique matérialise, par la présence de son traducteur français, Serge Quadruppani (couramment interviewé dans la presse nationale), la médiation nécessaire vers une œuvre dont la lecture est régulièrement comparée à un voyage gustatif, en écho au thème culinaire de la série Montalbano. Avec ces métaphores sensorielles – privilégiant le goût et l’odeur (de la Sicile) – la mythification du « maître du polar italien » [19], scellée par la mort de l’écrivain en juillet 2019, prend le visage de l’exotisation. Elle accentue la perception de l’altérité de la Sicile, et de l’Italie par extrapolation.
Dès lors, dans le cas de Camilleri comme de Márkaris, les échanges susceptibles de construire l’Europe du polar ne sont pas tant abordés au prisme des familiarités culturelles qui les rendent possibles qu’au prisme du dépaysement, et des processus d’adaptation que celui-ci rend nécessaire : la traduction et la contextualisation. L’un et l’autre écrivains représentent une fenêtre d’observation lettrée sur quelques dysfonctionnements localisés de l’Union Européenne. Le concept d’un polar méditerranéen n’intègre pas plus le discours journalistique que l’Euronoir ; on y décèle plutôt l’ébauche d’une Europe ’autre’, fragmentée et en crise, distincte de l’espace culturel français.
George Arion bénéficie d’une couverture critique assez maigre [20], parmi laquelle des articles de la presse quotidienne locale et régionale qui jouent un rôle significatif dans sa couverture médiatique.
George Arion fait l’objet de plusieurs mentions dans des programmes de festivals en région ainsi que d’une couverture médiatique axée sur sa présence dans des événements promotionnels locaux (festivals, médiathèques). Ici, l’Europe du polar se joue loin des capitales. Plutôt, la circulation culturelle en Europe opère à une échelle territoriale où l’internationalisation/européanisation se décline localement sur les territoires. Cette stratégie promotionnelle est progressive : à partir de 2014, Arion participe à de petits festivals locaux, avant d’être invité en tête d’affiche à Quais du Polar à Lyon en 2019 (le plus gros festival français de polar), à l’occasion duquel le magazine culturel Next mentionne que « le focus sur la Roumanie est bienvenu » [21] ». Ce focus n’est pas dû au hasard, puisqu’il s’insère dans le cadre européen de l’année France-Roumanie. Les manifestations culturelles auxquelles participent Arion sont le plus souvent chapeautées par des politiques publiques locales et des accords bilatéraux [22]. Cette promotion institutionnelle européenne opère un maillage du territoire, du niveau local de la médiathèque [23] jusqu’au niveau national du Musée National de la Littérature Roumaine [24].
Reprenant un article du magazine roumain culturel Observator Cultural, le magazine français Courrier International donne à lire la structuration du champ du polar roumain [25]. Cet article rédigé par deux éditeurs roumains des éditions Tritonic propose une vision de l’intérieur de la production de ce marché en émergence. Ses auteurs procèdent à des effets de légitimation des auteur·trice·s roumain·e·s contemporain·e·s [26] et la région roumaine est désignée par les deux éditeurs comme une « zone exotique », dans une adresse marquée au lectorat étranger. Elle est associée à son histoire sulfureuse par la périphrase « poudrière de l’Europe », dans un argumentaire sensationnaliste et dans une logique de différenciation par rapport à l’Europe de l’Ouest et du Nord. L’Europe et son histoire récente sont par ailleurs souvent mentionnées dans la réception critique d’Arion [27].
Alors que jusqu’ici les étiquettes génériques se faisaient rares dans le discours critique, voici qu’apparaissent dans le discours des deux éditeurs deux nouvelles expressions pour qualifier le polar de l’est, celles de « Romania noir » et de « BalkaNoir [28] », facilement utilisables à l’international. On pourrait ainsi avancer l’hypothèse que les marqueurs génériques ne seraient pas tant des inventions critiques que des étiquettes marketing créées par les maisons d’édition pour sectoriser des marchés de niche. L’espace du polar roumain se positionne donc à l’avant-poste du polar de l’Est, grâce à l’impulsion d’éditeurs roumains et par le biais de manifestations culturelles locales, dans une logique de promotion culturelle institutionnelle déclinée sur les territoires. Au signifiant englobant d’Euronoir, la critique journalistique préfère donc un millefeuille de régionalismes et de sous-genres au sein des littératures noires, centrées sur des figures vedettes et intermédiatiques.
On constate d’abord que la présentation des auteur·trice·s – qu’il s’agisse des biographies sur les blogs spécialisés ou des portraits dans la presse écrite – sont autant d’« images, construites de toutes pièces, [qui] fonctionnent comme une forme de mythologie au cœur de l’interdiscours » (Jacquelin, 2019 : 154). Márkaris, Nesbø, mais aussi Arion et Camilleri sont donnés à voir à travers leurs différentes occupations professionnelles et la multiplicité de leurs activités [29]. Cette multipositionnalité s’organise autour de deux pôles de valorisation de leur intégration aux milieux intellectuels, qu’il s’agisse de la sphère académique et littéraire ou des industries culturelles. Le discours médiatique fabrique ainsi de véritables « postures d’auteurs » (Meizoz, 2007) en « entrepreneurs culturels » (Collovald et Neveu, 2004 : 19). La circulation du sens opérée par la critique porte à la fois sur le produit textuel et sur les personnes, et l’entreprise de légitimation passe plus souvent qu’ailleurs par l’accent mis sur les autres activités médiatiques des auteurs.
Par ailleurs, même si les contraintes éditoriales des articles de presse conditionnent souvent la focalisation du commentaire sur un seul produit culturel, les mêmes périodiques peuvent commenter alternativement l’actualité d’un livre, de son adaptation, et de l’émission qui en fera la promotion. Quoique l’organisation des rédactions compartimente les signatures à des rubriques et domaines spécifiques, Le Monde a ainsi couvert à la fois la série des Montalbano et ses adaptations télévisuelles, tandis que l’ouvrage puis l’adaptation filmique du Bonhomme de neige de Jo Nesbø ont été recensés par le quotidien Aujourd’hui en France. Il existe donc une mise en relation de ces productions culturelles affiliées à un genre commun et cette dynamique de circulation opère par le biais de la réception critique.
La construction d’une nébuleuse intermédiatique, entendu que l’intermédialité désigne « le croisement des médias dans la production culturelle contemporaine » (Huz, 2018 : 23 à la suite de Ryan) est, au sein de ce cadre éditorial, le produit de deux instances énonciatives distinctes. Les journalistes peuvent être à l’origine de cette mise en relation, à l’instar d’Hubert Prolongeau qui, dans Le Magazine littéraire, associe sous l’égide du hard-boiled la série américaine True Detective (HBO, 2014-) et Harry Hole, le héros de Nesbø [30]. Dans la réception critique de Nesbø en distant reading, on relève que le terme de « série » [31], passe devant celui de « roman », insistant sur la sérialité comme signifiant de la fiction criminelle. Si la double casquette de Nesbø comme écrivain et scénariste est soulignée ici, c’est aussi l’intersection du littéraire et du visuel qui est suggérée, dans une appréhension globale et intermédiatique de ce que les journalistes français·e·s perçoivent globalement comme du « polar ». L’intermédialité peut également être revendiquée par les auteurs. Jo Nesbø explique par exemple dans une interview accordée à Libération s’être inspiré de la série américaine Mad Men (AMC, 2007-2015) [32]. L’interview en question est d’ailleurs particulièrement significative de la participation de la presse à la construction de la persona de l’auteur : en effet, les entretiens accordés en 2007 et 2013 à Libération aboutissent en 2015 à la publication, toujours sous la plume de la même journaliste, d’un portrait dans la rubrique dédiée du quotidien, rubrique de référence pour ce genre journalistique qui marque la consécration de cette vedette littéraire.
L’étude de la réception critique a montré que le polar européen est moins une catégorie générique homogène qu’une catégorie de marché produite par les industries et les institutions culturelles, comme le donnent à voir plusieurs articles du corpus consacrés au poids économique du polar en Europe. Ainsi le Figaro littéraire [33], Les Échos [34] et Le Magazine littéraire [35] soulignent le poids économique et le rayonnement du polar nordique. Enfin, la dimension « européenne » est mise à l’honneur dans les articles dédiés à la coproduction sérielle Occupied écrite par Nesbø. La participation de trois pays d’Europe (Norvège-France-Suède) est un argument promotionnel largement repris dans la couverture médiatique d’Occupied.
Cette perspective européenne est également mise en exergue par France 2 à l’occasion de la programmation d’un téléfilm adaptant le Voleur de goûter de Camilleri. La chaîne est soumise aux obligations de diffusion d’œuvres de fictions françaises et européennes et le téléfilm est présenté comme européen (et non pas italien) par le responsable d’achat des programmes [36] dans un article du Figaro. La circulation intermédiatique opérée par la critique du fait littéraire donne ainsi à lire des dynamiques qui impliquent aussi des personnes, des institutions publiques et des économies de marché. Ses modalités et enjeux constituent une nébuleuse complexe qui pourtant se veut lisible en mobilisant une figure-étendard, la vedette littéraire.
L’internationalisation des genres criminels va de pair avec la « peopolisation » des biens culturels de masse, dès lors qu’on la pense, avec Nathalie Heinich (2012) ou à sa suite Ashley Harris (2020), comme un régime moderne de la célébrité fondé sur la visibilité. Du point de vue de la littérature, les contraintes du marché du livre, combinées à la concurrence contemporaine des (nouveaux) mass-media, appellent en effet la construction d’une notoriété littéraire figurative, basée moins sur le nom (la renommée), que sur l’accumulation synchrone de visuels, intégrant pêle-mêle les images du livre, celles de ses adaptations transmédiatiques et internationales, et, par-dessus tout, les mises en scènes de l’auteur·trice circulant sur le territoire de son succès (Meizoz 2007). Dans cette logique, la réception du polar se recentre autour d’une figure auctoriale devenue support d’un vedettariat littéraire. Les corpus les plus volumineux sont ceux dont l’image d’auteur·trice fait couler de l’encre, jusqu’à constituer un angle à part entière du discours critique : Fred Vargas « la secrète » [37], Andrea Camilleri « le capo » [38], Jo Nesbø « la superstar » [39].
Le portrait de presse est crucial dans la réception de Camilleri, Nesbø, Márkaris, systématiquement accompagnés de portraits photos occupant parfois la pleine page d’un magazine, caractéristiques du « surinvestissement ontologique de l’image » propre à la photo people (Dakhlia, 2005 : 75) et plus généralement de la starisation des succès littéraires. Les portraits et les interviews accordées à la presse quotidienne nationale par Jo Nesbø sont systématiquement accompagnés de visuels [40]. Son image médiatique repose alors sur la consécration d’une performance donnant tous les gages de la masculinité hégémonique (Connell, 2014) qui combine ici performances corporelles, réussite économique [41] et masculinité réinventée. Son rapport à l’écriture, commenté sous l’angle de la sensibilité (« Je suis de type émotif » déclare-t-il à Sabrina Champenois), remplit les conditions d’une masculinité qui se distingue du virilisme. Dans ce dispositif, c’est moins l’internationalité de ses univers romanesques qui fédère le discours critique que celle d’une performance de masculinité hégémonique, dont, rappelle Connell, les dividendes bénéficient plus largement au groupe des hommes. Pierre angulaire d’un star-system international du polar, Nesbø donne alors à lire en creux les enjeux de genre façonnant cette constellation économique et médiatique de vedettes qui font concrètement l’Euronoir.
Le corpus de réception sur Fred Vargas n’est composé, quant à lui, qu’à 56% de critiques de romans, dont ses premiers succès romanesques Pars vite et reviens tard (2001) et Sous les vents de Neptune (2004) ; les 44% qui restent mêlant articles sur son engagement dans la controverse Battisti (avec la publication de son pamphlet La Vérité sur Cesare Battisti en 2004), chroniques des téléfilms de Josée Dayan, et un grand nombre de portraits généraux de l’autrice. Comme le montre la courbe ci-dessous, qui permet de visualiser la répartition du discours critiques (en nombre d’articles) par roman et par titre de journal, sa couverture médiatique s’élargit en 2004 à la presse généraliste d’actualité politique. Celle-ci discute infiniment le « miracle » [42] personnel qui expliquerait le « phénomène Vargas » [43] , pérennisant ainsi, au motif de chercher à expliquer son succès, le mythe qui l’alimente.
Fred Vargas est-elle aussi, dans l’imaginaire médiatique, l’une des pièces de ce star-system européen ? L’analyse lexicale de la presse consacrée au « phénomène Vargas » fait ressortir deux récurrences thématiques : le succès commercial de son œuvre et la posture scientifique de l’écrivaine-« chercheuse » (« médiéviste », « archéologue »). Cette posture est alimentée par des métaphores qui articulent les thèmes historico-médicaux de ses romans, sa carrière d’historienne au CNRS et les effets viraux de son œuvre, qualifiée à la fois d’« épidémie », de « remède » ou de « médicament », et dont les médias se chargent de chercher « la formule magique ». Le 30 juin 2011, La Croix titre « Vargas l’ensorceleuse » [44], condensant cette posture dans la métaphore ambivalente de la sorcellerie et sanctionnant la réussite mystérieuse d’un univers littéraire à la croisée de la culture savante et de la culture populaire [45]. Cette construction médiatique s’appuie aussi sur une diffusion internationale commentée comme exceptionnelle [46], et sur les prix étrangers (Prix Princesse des Asturies). L’autrice n’en devient pas pour autant le prétexte à des discours sur la francité de son œuvre, ni une vitrine fantasmée du polar français. Comme en témoigne aussi la réception contrastée de son dernier essai L’Humanité en péril [47], une caractérisation négative se décline en sa défaveur : son succès, ses positions politiques radicales et sa condition de sachante opèrent parfois un retournement axiologique qui l’empêche d’accéder au statut d’icône du polar français ou qui nuance, en tout cas, sa consécration médiatique.
Alors que la catégorie d’Euronoir est en émergence au-delà des frontières hexagonales à la fois au sein du discours journalistique, du discours amateur et du discours universitaire, l’analyse de la réception critique du polar européen, basée sur quatre études de cas d’auteurs européens (Arion, Camilleri, Márkaris, Nesbø) et un contrepoint national (Vargas), a mis au jour l’absence d’un label Euronoir en France. Porter un regard critique sur un concept en émergence, tel est l’enjeu de cette étude qui donne à voir à la fois les grandes disparités dans la réception médiatique des cinq auteur·trice·s du panel mais aussi plusieurs caractéristiques centrales de l’interdiscours médiatique contemporain.
D’un point de vue méthodologique, il est nécessaire néanmoins d’en souligner les limites. La première concerne le recours au cadre national à la fois pour distinguer les origines de production en Europe et comme prisme de l’analyse. Jérôme Bourdon (2008 : 165) rappelle qu’il existe de solides raisons à cette persistance de « la prison mentale de la nation », parmi lesquelles les traditions nationales et la diversité linguistique en Europe. À plusieurs reprises, l’analyse en donne à voir les limites, qu’il s’agisse de la diversité dialectale ou de l’existence d’étiquettes génériques transnationales. S’agissant de phénomènes transnationaux, ce cadre national gagnerait à être dépassé, tout du moins lorsqu’il est saisi comme une unité homogène et circonscrite.
Ensuite, les critères de sélection des auteur·trice·s – basés sur la circulation des œuvres traduites en Europe, l’indice d’inscription dans l’écosystème littéraire et la recommandation de chercheurs des pays concernés – n’évacuent pas le biais d’un corpus auctorialisé qui tend à amplifier certains effets de persona des auteur·trice·s. L’usage de corpus secondaires, comme suggéré par Bertelli dans son article programmatique, a néanmoins permis de circonscrire cet effet en fournissant plusieurs angles thématiques.
Le label Euronoir est mis en concurrence avec d’autres étiquettes génériques qui donnent à voir un travail de territorialisation de la production européenne en plusieurs marchés, le marché du polar « nordique » semblant bien être le plus structuré dans les imaginaires critiques. On trouve également ces imaginaires territoriaux exotisants du côté des polars des suds, dont l’altérité constitue le principal attrait tout autant qu’elle construit les frontières de l’espace culturel français.
À ce travail définitionnel s’ajoute un second apport de l’étude. Plutôt qu’une entité homogène, le polar européen constitue une nébuleuse intermédiatique au sein de laquelle la circulation du sens opérée par les différent·e·s locuteur·trice·s convoqué·e·s concerne à la fois les acteurs·trice·s du champ et les produits culturels. Cette dynamique intermédiatique est orchestrée autour d’un vedettariat littéraire pétri de rapports de genre dont Jo Nesbø constitue l’une des figures de proue. Le polar européen est donc compréhensible à plusieurs échelles en France : l’échelle locale dans le cas de George Arion par exemple jusqu’à l’échelle internationale dans le cas de Jo Nesbø. Mais surtout, il se structure en France selon des catégories territorialisées qui reflètent les goûts du lectorat tout autant que la manière dont les industries culturelles se les représentent à elles-mêmes.
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[1] D’après une étude menée en 2019 par le Centre National du Livre sur « les Français et la lecture », 43% des Français·e·s qui se déclarent lecteur·trice·s (à savoir 88 % des Français·e·s) ont lu au moins un roman policier ou d’espionnage durant l’année écoulée. Alors que les polars ne représentent qu’1,5% de la production littéraire française (avec 13 000 titres parus en 2019), une étude de l’Observatoire de la librairie signale que le genre (dans toute sa diversité éditoriale) couvre 17,2 des ventes en 2019.
[2] « critical concept that for the most part refers to crime fiction that comes from a European country », pour les citations en anglais, traduction des autrices sauf mention contraire.
[3] Projet européen H2020 DETECt (Detecting Transcultural Identity in European Popular Crime Narratives) : https://www.detect-project.eu
[4] Une étude menée par le site de recommandation de lectures Babelio en 2014 sur 3714 répondant·e·s précise le poids des critiques médiatiques dans le choix des lecteur·trice·s : elles sont un facteur déterminant dans le choix d’un polar.
[5] « Euronoir may rather comprise narratives that identify, negotiate, criticise, establish or even destabilise cross-continental realities, translocal signifiers or transnational geopolitics. »
[6] En prêtant attention aux conditions socio-historiques qui délimitent les communautés interprétatives et la production de sens, Chartier (1989 : 1517) articule ainsi pratiques culturelles et exercice du pouvoir.
[7] L’interdiscours médiatique prend en compte aussi bien la parole des auteur·trice·s sur leurs propres travaux que les communiqués de presse des maisons d’édition, ou encore l’avis des libraires, les commentaires des fans sur les blogs et enfin les critiques littéraires.
[8] Chez Moretti (2013, 48-49) le « distant reading » se définit comme le lieu « où la distance […] est la condition du savoir : elle permet de se concentrer sur des unités bien plus petite ou bien plus grande que le texte lui-même : des figures, des thèmes, des tropes – ou des genres et des systèmes ».
[i] Aujourd’hui en France, La Croix, Les Échos, Le Figaro, L’Express, L’Humanité, Libération, Le Monde, et La Tribune.
[i] Les Inrocks, Lire, La Quinzaine Littéraire, Le Magazine Littéraire, Télérama et M le magazine du Monde.
[i] Marie-Claire, Elle, Marie France, Femme Actuelle et Cosmopolitan.
[9] Si la presse magazine féminine ne comporte pas toujours de rubrique culturelle, les ouvrages peuvent être conseillés au fil des dossiers thématiques, notamment dans les pages tourisme.
[10] Le blog K-libre du journaliste Julien Védrenne, le blog Actu-du-Noir de Jean-Marc Laherrère (membre actif du festival Toulouse Polars du sud), et le blog officiel de l’association 813 des amis de la littérature policière.
[11] Ouest-France, Le Télégramme.
[12] Outil d’analyse et de visualisation de données textuelles développé par Stéfan Sinclair de l’Université de McGill et Geoffrey Rockwell de l’Université d’Alberta. Site consulté le 09.04.2020 [en ligne] : https://voyant-tools.org
[13] Les études sur le « Mediterranean Noir » intègrent aussi les économies culturelles du Maghreb (Algérie), et Moyen-Orient (Turquie, Liban) (par exemple : Broe, 2014), dont le corpus à l’étude ne permet pas de restituer la résonance dans la réception française.
[14] Florence Noiville, « L’essor du roman grec », Le Monde des Livres, 18 juillet 2003.
[15] Alain Salles, « Andrea Camilleri : Je viendrai au Salon du Livre à mes frais », Le Monde des Livres, 8 février 2002.
[16] L’analyse de « spécificités » (TXM) révèle les dominantes lexicales propres à la réception de chaque auteur, comparativement au champ lexical des autres corpus : dans le cas de Markaris, le classement des mots les plus « spécifiques » à sa réception fait moins ressortir son univers littéraire, comme c’est plus le cas pour les autres corpus (« Adamsberg » (2ème position pour le corpus Vargas), « Montalbano » (2), « Hole » (4)) que la société grecque : « Athènes » (1), « Grèce » (3), « grec·que » (5 et 6), « crise » (7), « Europe » (11), « dictature », (21).
[17] « La Grèce est une démocratie qui se gouverne comme un royaume », accuse l’écrivain Pétros Márkaris », dans François d’Alançon, « Kyriakos Mitsotakis, un fils de famille à l’ombre du pouvoir », La Croix, 17 septembre 2007, ou encore : « Le terrorisme n’aurait, en réalité, jamais cessé de ‘sommeiller au fond de la casserole’ comme le dit l’écrivain Pétros Márkaris », dans Angélique Kourounis et Delphine Saubaber, « Grèce, la tentation terroriste », L’Express, 5 février 2009, p. 56.
[18] Thomas Jacobi, « La Grèce renoue avec sa tradition de violence », La Croix, 12 décembre 2008, p.6 : « Pétros Márkaris, le Simenon grec dont les polars décrivent si bien le pays, est formel : la société grecque est une société violente », introduit ainsi un journaliste de La Croix avant de citer la diatribe de l’écrivain sur « les Grecs qui s’affrontent et détruisent tout ».
[19] « Andrea Camilleri, 93 ans », Télérama, 27 juillet 2019, p. 10.
[20] Comptant treize articles indexés, dont seulement un journal national, Libération.
[21] Sabrina Champenois, « De quoi s’amarrer aux quais », Libération, 29 mars 2019.
[22] Accords bilatéraux tels que le jumelage de la petite ville de Mauves-sur-Loire (qui accueille le festival de Mauves-sur-Loire auquel a participé Arion) avec la ville de Siria en Roumanie.
[23] « Du polar à la sauce roumaine », Ouest-France, 11 juin 2019.
[24] Bogdan Hrib, Michaela Haulica, « La Roumanie, terreau fertile pour la littérature de genre », Courrier International (Observator Cultural), 23 novembre 2018.
[25] Ibid.
[26] En érigeant par exemple Rodica Ojog-Brasoveanu en « Agatha Christie roumaine » et en citant Petru Berteanu comme « lauréat du Festival du premier roman de Chambéry en 2017 ».
[27] « Un genre déconsidéré en Roumanie », Le Télégramme, 09 juin 2014. Dans cet article, la promotion du festival de Penmarch en 2014, auquel participe George Arion, insiste sur l’ouverture à « des écrivains venus d’Europe » en mentionnant que « ce continent englué dans une crise est propice à l’écriture ».
[28] Bogdan Hrib, Michaela Haulica, op.cit.
[29] George Arion est « président du Romanian Crime Writers Club. Directeur des éditions Flacăra, il est par ailleurs essayiste, librettiste et journaliste » (K-libre). Andrea Camilleri se prévaut quant à lui d’une « carrière commencée, à 16 ans, par la rédaction de poèmes, puis orientée vers la mise en scène de théâtre et de télévision » (Le Figaro Littéraire). Jo Nesbø est introduit comme « journaliste économique, musicien, auteur interprète et leader de l’un des groupes pop les plus célèbres de Norvège » sur le blog K-libre et La Croix souligne la diversité du travail de Pétros Márkaris.
[30] Hubert Prolongeau, « Avatars du hard-boiled », Le Magazine littéraire, 1er juin 2015.
[31] Au sein du corpus de réception sur Nesbø qui compte 78,053 mots, les termes les plus fréquents sont : « série » (236 occurrences), « jo » (225), « nesbo » (218), « roman » (174) et « polar » (164). La première place du terme « série » s’explique par la polysémie du terme, qui renvoie aussi bien au « tueur en série » qu’à la « série » télévisée.
[32] Sabrina Champenois, « ‘Oslo n’est pas une bombe mais une belle fille timide’. Rencontre avec l’auteur de polars Jo Nesbø », Libération, 25 avril 2013.
[33] Françoise Dargent, Mohammed Aissaoui, « Les polars venus du froid rendent fou », Le Figaro littéraire, 2 avril 2009.
[34] Nathalie Silbert, « Comment le polar nordique fait la fortune des éditeurs français », Les Échos, 18 mars 2011.
[35] Éric Eydoux, « Des États-providences pour les écrivains », Le magazine littéraire, 1er mars 2011.
[36] « Les téléspectateurs ont leur polar du vendredi soir, comme PJ et Avocats et associés, mais on essaie de les familiariser avec la fiction européenne », dans Nathalie Simon, « France 2. Un polar à la sauce tomate. Le nouveau Maigret italien », Le Figaro, 1er septembre 2000.
[37] Marianne Payot et Delphine Peras, « Fred Vargas, la secrète », L’Express, 11 mai 2011.
[38] Richard Heuzé, « En Italie : le règne sans partage de Camilleri, ‘capo’ du polar », Le Figaro, 17 juillet 2018.
[39] Sabrina Champenois, « Jo Nesbø, épris de prise », Libération, 10 décembre 2015.
[40] Quand La Croix, fait le choix d’une photo en pied et en situation, c’est-à-dire ancrant l’écrivain dans une quotidienneté, celle d’une rue norvégienne, Libération préfère des plans rapprochés dont la dimension esthétisante contribue à sa starification.
[41] Ancien footballeur, grimpeur, ex-rocker plusieurs fois associé à Bono de U2, il est aussi présenté comme un « cérébral au regard laser » qui a « le goût du contrôle », un ex-trader, un ancien journaliste et un père de famille.
[42] Philippe Lavieille, « Vargas, l’autre miracle », Aujourd’hui en France, 19 septembre 2008.
[43] Cécile Dodat, « Écrivains à succès, 5/5. Fred Vargas la polarde du polar », La Croix, 29 août 2003.
[44] Michaëlle Petit, « Fred Vargas, l’ensorceleuse », La Croix, 30 juin 2011.
[45] En France, cette fracture entre littérature « savante » et « populaire » a émergé à la fin du XIXe siècle avec la démocratisation de la lecture au sein des classes populaires et la production de feuilletons et de nouvelles dans la presse quotidienne (Mollier, Sirinelli, Vallotton, 2006). Cette littérature populaire, que le critique Charles-Augustin Sainte-Beuve appelait « la littérature industrielle » (Sainte-Beuve, 1839), est en fait à l’origine des genres populaires et « divertissants » comme le roman policier, la science-fiction, les romances ou la littérature jeunesse qu’on oppose encore aujourd’hui à la littérature dite « sérieuse », « savante » ou « érudite ».
[46] Olivier Delcroix, « Le commissaire dans le bocage », Le Figaro littéraire, 11 mai 2006, p. 4 : « quarante pays », « 320 000 exemplaires vendus, 25 langues ».
[47] Coralie Schaub, « Fred Vargas : l’humanité en péril, le lecteur en détresse », Libération, 2 mai 2019, p. 29.
Amir Lucie, Biscarrat Laetitia, Jacquelin Alice, « Impossible Euronoir ? Le polar européen dans sa réception critique française », dans revue ¿ Interrogations ?, N°32. Communautés informelles d’apprentissage, communautés de pratique – Apprendre avec, par et pour les autres, juin 2021 [en ligne], http://revue-interrogations.org/Impossible-Euronoir-Le-polar (Consulté le 21 décembre 2024).