Cet article traite de la transmission des pratiques culturelles dites Do It Yourself (DIY, « Fais-le toi-même ») au sein de la scène punk contemporaine, mises en perspective avec la notion d’apprentissages informels au croisement de l’anthropo-didactique. La définition de carrières sociologiques spécifiques au punk suppose que la scène a pu être une matrice ontologique décisive pour tout ou partie de la vie des individus, c’est-à-dire dans la construction de leur rapport au monde et à la vie en société, ou dans leur manière de « réussir » leur vie.
Mots-clefs : Punk, DIY, Anthropo-didactique, Apprentissages informels, Carrières.
This article deals with the transmission of cultural practices known as Do It Yourself (DIY) within the contemporary punk scene, put in perspective with the notion of informal learning at the crossroads of anthropo-didactics. The definition of sociological careers specific to punk assumes that the scene could be a decisive ontological matrix for all or part of the life of individuals, that is to say in the construction of their relationship to the world and to life in society, or in their way of ’succeeding’ in their life.
Keywords : Punk, DIY, Anthropo-didactics, Informal learning, Careers.
Le punk est un genre musical, un phénomène social émergeant dans les pays occidentaux au cours de l’été 1976 qui s’est réinventé par vagues successives jusqu’à nos jours (Robène, Serre, 2016 : 13). Il se distingue initialement par une musique et des textes radicaux, des sonorités violemment électrifiées, des compositions volontairement simples, voire simplistes, une manière spécifique de chanter, rejetant une musique rock et pop devenue trop commerciale ou trop savante. Au cœur de la scène punk s’est progressivement solidifié un principe de ‘débrouille’ fortement articulé à l’esprit de liberté qui porte le punk : « fais-le toi-même » signifie en réalité libère-toi des contraintes (matérielles, artistiques, socio-politiques) qui structurent la société contemporaine. Cette antienne, devenue au fil des ans un label fort de la contre-culture punk, le fameux « DIY » (Do It Yourself, « Fais le toi-même ») [1] pose la question de l’apprentissage appréhendé dans un contexte underground, c’est-à-dire aux marges de la société et des institutions, en vertu de principes qui structurent classiquement la manière d’apprendre. Lorsque l’on demande aux punks comment s’apprennent ces pratiques DIY, la réponse est le plus souvent : « Ça ne s’apprend pas ». Pourtant, il est indéniable que des pratiques se transmettent et que des savoirs s’enseignent au cœur des différents segments de la scène : les concerts, la production d’œuvres, la communication, la micro-édition et le fanzinat, l’organisation d’événements, la programmation de tournées, etc. Ces considérations dépassent du reste le cadre strict de la création artistique pour s’étendre plus largement aux postures, aux vêtures, aux techniques et à la culture du corps. Considérons par exemple le moment crucial du concert au prisme du pogo [2]. Bien qu’il n’y ait pas d’école du pogo, les punks apprennent « sur le tas » de nouvelles manières de se mouvoir et de se représenter leur corps dans l’espace. Cette danse, qui demande la maîtrise de règles implicites, en évolution constante, garantissant le plaisir et l’émotion à condition de « savoir » respecter le niveau de violence communément toléré, permet d’observer des formes de savoirs et des manières particulières de les transmettre (Robène et al., 2019). Au-delà de la danse, cet apprentissage sauvage relève de la circulation des personnes et des biens symboliques, dépendante de l’organisation de relais, d’échanges, de connexions qui définissent l’espace plus large de cette fabrique de « la débrouille » : il existe tout un réseau indépendant et mondialisé de diffusion d’œuvres [3] qui s’est structuré en mobilisant des compétences d’auto-organisation. L’auto-formation au principe du DIY relève d’une pédagogie (Hein, 2012) grâce à laquelle les punks apprennent en coopération à produire, promouvoir et diffuser leurs œuvres, à l’écart des circuits de l’industrie culturelle. Pour autant, il n’existerait pas a priori de phénomène de formalisation de savoirs, sinon de façon parcellaire, comme dans le cas du fanzinat par exemple (Étienne, 2018).
Selon la métaphore de Tough (2002), les apprentissages formels ne représenteraient que la partie visible de l’iceberg par rapport à l’ensemble de nos connaissances. Si nous définissons les savoirs informels par opposition à ceux transmis de façon formelle par l’école (Illich, 2003), le choix du punk comme terrain situé en marge des institutions semble particulièrement pertinent. Les pratiques relevant du DIY pourraient être abordées à travers la notion d’autodidaxie (Caron, 2011 ; Roulley, 2019). Le préfixe « auto » suggérerait la recherche d’une autonomie comme alternative à un ordre éducatif institué et instituant (l’École, le Conservatoire, etc.). Par ailleurs, tout un champ de l’éducation musicale, plus précisément celui de l’enseignement des musiques actuelles, s’est construit sur cette opposition idéologique au cœur de laquelle la revendication d’une pédagogie relevant de l’autodidaxie semble néanmoins se heurter à la persistance de transmissions plus traditionnelles (Deslyper, 2013). D’autres auteurs associent le champ de l’informel à des situations d’acquisition fortuite de savoirs, ou lorsqu’il semble y avoir absence d’intentionnalité éducative (Schugurensky, 2007). Mais de tels espaces restent difficiles à identifier au plan méthodologique. Une autre perspective amène à considérer les pratiques punk comme un loisir. Les savoirs associés relèveraient alors de l’auto-formation (Dumazedier, 1989), voire de la sociodidactie (Souto Lopez, Dehantschutter, 2020). Selon la définition des apprentissages informels de Yonnet (1999 : 77), les savoirs punk rentreraient dans un découpage temporel permettant « de faire ce que l’on veut, une fois achevé ou suspendu le faire-obligé ou le faire-contraint ». Les loisirs revêtiraient une dimension éducative inscrite dans un processus global d’apprentissage tout au long de la vie (Brougère, Bézille, 2007). Mais cette analyse ne rend pas compte ni de ce que certains punks considèrent comme une « passion » par rapport à un simple passe-temps, ni de la portée idéologique (Raboud, 2016) déterminant parfois leur engagement.
Peu d’auteurs se sont intéressés aux modalités d’acquisition de ces pratiques DIY (Étienne, 2018 ; Hein, 2012). Parallèlement aux travaux de Schugurensky (2007) sur le champ des apprentissages informels, toute une littérature en anthropo-didactique (AD) montre l’intérêt de considérer des phénomènes d’apprentissage dans d’autres contextes que ceux ayant une vocation didactique (Chopin, 2014). Cette approche née au milieu des années 1990 de travaux sur l’enseignement des mathématiques (Sarrazy, 1996), s’est ouverte à des objets parfois éloignés du cadre scolaire. Croisée avec l’outillage de l’anthropologie nord-américaine et l’apport de la théorie des situations didactiques (Brousseau, 1998), l’AD propose de concentrer son analyse sur l’étude des « circonstances qui président à la diffusion et à l’acquisition des connaissances » et dans lesquels les acteurs sont étudiés ainsi que les relations qui « les unissent à leur milieu » (Chopin, 2016 : 48). En s’appuyant sur les concepts de milieu [4] et d’arrière-plan [5], cette démarche propose de répondre à l’absence de travaux portant sur d’autres situations d’apprentissages informels, comme dans le cercle familial (Brougère, Bézille, 2007). Il y a donc un intérêt à appréhender les phénomènes de transmission et d’éducation dans le cadre de pratiques culturelles prises dans des zones en apparence plus floues, pour lesquelles les rapports à la règle, aux formes de régulations, de pouvoirs traditionnels sont rejetés, sinon a minima fortement remis en question. Comment alors des pratiques d’auto-organisation peuvent-elles être communément partagées, sans que leurs savoirs relatifs soient au préalable formalisés ? Pour répondre à cette problématique, nous proposons dans cet article, sur la base de notre travail de recherche consacrée aux carrières [6] punk, d’interroger les limites et avantages de la notion d’informel au croisement de l’AD.
Rappelant le modèle ternaire développé par Nathalie Heinich (2018), Robène et Serre (2016) ont montré que l’identité punk est un objet de lutte qui s’opère sur trois dimensions : être punk relève premièrement de l’identité pour soi et interroge les modes de subjectivations ; des modes de classifications produits dans des espaces hétéronomes à l’entre-soi de la scène comme ceux du monde médiatique ; d’un mode de légitimation interne régie par un régime axiologique de l’authenticité. Nous concentrons notre analyse sur cette dernière dimension en considérant la scène punk comme un « champ restreint de production » (Tandt, 2012 : 6) où chacun de ses membres assure aussi bien la production des œuvres que leurs activités de soutien. L’articulation entre ces sociologies interactionniste et bourdieusienne permet de considérer les pratiques DIY comme relevant du champ artistique et donc du domaine du travail (Perrenoud, Bois, 2017). L’importance de l’organisation et l’engagement de ces acteurs culturels dans leurs activités non motivées par des rétributions matérielles sont caractéristiques des carrières militantes (Lagroye, 2012). L’éthique DIY est « une critique en acte » du modèle productif dans un monde industrialisé, tant par les pratiques de production des œuvres que leur diffusion, menant à un « affaiblissement de la spécialisation et de la division du travail » (Roulley, 2019 : 35). Les activités créatives et celles d’organisation, habituellement distinguées par la sociologie de l’art, doivent être ici davantage confondues. L’identification de modes d’acquisition informelle sera centrée sur les savoirs spécifiques associés aux pratiques d’organisation du point de vue d’un musicien-tourneur montant ses propres concerts et du musicien-programmateur permettant à d’autres punks de se produire.
Nous avons mené un travail de terrain relevant de l’observation participante auprès d’un groupe d’individus déclarant appartenir à la scène punk, nés entre 1980 et 1998. Notre propre activité en tant que guitariste-chanteur du groupe PVST nous a offert un accès privilégié à ce terrain en suivant le parcours de trente et un enquêtés dans plusieurs villes de France, réalisant auprès d’eux plusieurs entretiens entre 2016 à 2021. Les questions visaient en partie à les accompagner dans l’identification des différents espaces où ils pourraient avoir construit et mobilisé des savoirs nécessaires à leurs activités dans la scène, tout en veillant à se prémunir de toute « illusion biographique » (Bourdieu, 1986). Ces données sont complétées par des entretiens auprès de deux formateurs punk issus d’écoles de musique. Nous avons alors réalisé une « analyse thématique » (Paillé, Mucchielli, 2019 : 235-312) des données : une première phase de décontextualisation grâce à la codification des thèmes abordés, puis une seconde de recontextualisation visant à relever les co-occurrences entre des variables et leurs attributs élaborées précédemment. Nous avons ainsi cherché à saisir les « bons niveaux d’inférence » (Paillé, Mucchielli, 2019 : 251) pour dégager les parties d’entretiens permettant d’illustrer notre propos. Ces données sont complétées par un travail d’observations consignées dans un journal ethnographique.
Notre population d’enquêtés est en majorité masculine, à l’image de la scène punk (Robène et al., 2019 ; Roulley, 2016) [7]. La majorité des personnes interrogées a entre trente et trente-cinq ans au moment des entretiens.
Plus de la moitié a des revenus mensuels inférieurs à 1 000 euros, alors qu’un nombre important déclare avoir une activité professionnelle de catégorie intellectuelle supérieure. Cette catégorie comprend les régimes souvent précaires des artistes et des autoentrepreneurs. La présence d’étudiants et de personnes sans emploi explique aussi ce faible niveau de revenu.
Contrairement au « mythe du punk prolétaire » (Kergariou, 2017 : 215), notre échantillon confirme que les punks proviennent d’origines sociales diverses (Bennett, 2012). Les 3/4 des enquêtés ont obtenu un niveau de diplôme égal ou supérieur à un bac + 2, 38 % ont des parents ouvriers, employés, agriculteurs, voire sans activité professionnelle, contre 36 % de cadres et professions intellectuelles.
Près de la moitié des enquêtés déclare que la production musicale est leur principale activité et se définit comme musiciens. L’autre moitié est composée d’organisateurs de concerts, de techniciens du son et de responsables de labels indépendants. Rares sont ceux qui ne pratiquent pas d’autres activités dans la scène punk : plus des 3/4 organisent les concerts d’autres groupes de punks que les leurs, gèrent des labels et fanzines et 20 % le font simultanément.
Nous travaillons avec des outils d’analyse que nous développons dans le cadre de notre thèse de doctorat, qui définissent de manière multidimensionnelle un capital « contre-culturel » essentiel à la structuration de carrières punk. Partie intégrante du capital symbolique associé à la scène punk, ce capital se matérialise dans des pratiques, des savoir-être et savoir-faire qui apparaissent comme autant de marques de refus de trajectoires convenues (ou perçues comme telles), et plus généralement du « système », c’est-à-dire des institutions (dont l’École, représentant le pouvoir des « sachants »). Paradoxalement, ce capital contre-culturel ne peut advenir sans l’existence d’une reconnaissance produite en partie par des instances de légitimation extérieures à la scène : articles de presse relatant l’activité de ces groupes, programmation dans des salles de spectacles subventionnées et festivals sponsorisés, obtention de subventions des politiques publiques (Roux, 2020), etc. Le capital contre-culturel se réalise dans ce qui se donne à voir comme un choix d’opposition au mainstream. Il légitime une posture alternative et procède d’un capital symbolique tout en contribuant à reproduire, en l’instituant, un ordre social qui structure la scène punk sur la base de l’authenticité, à l’image de ce que pourrait être une certification du « punk véritable ». De ce point de vue, les discours de certains punks consistant à ne pas se vivre en tant qu’artiste créateur d’œuvres musicales (voir infra) n’entrent pas en contradiction avec l’observation d’un processus d’institutionnalisation du punk, puisqu’ils reproduisent également une « vision du monde » (Sapiro, 2007 : 2) de l’authenticité tout en participant eux aussi à la production et la diffusion de cette musique. Ainsi, le capital contre-culturel rendrait compte de ce jeu de funambule mobilisant l’ensemble des connaissances – ou de contenus partagés (Becker, 2013) et savoir-être, sous la forme incorporée (Bourdieu, 1979) – constitutifs de l’ethos punk, pour masquer symétriquement l’appartenance au jeu dans un marché culturel.
Nous axons notre analyse sur deux temps de la carrière comprenant plusieurs espaces d’apprentissage. Le premier temps est consacré à la préparation des punks à leur entrée dans la scène et aux formes d’acquisition précoce d’un capital punk dans la cellule familiale, les écoles de l’enseignement secondaire/supérieur et celles des musiques actuelles. Nous concentrons la deuxième partie de cette étude à la production et la diffusion des savoirs propres aux punks à l’intérieur de la scène. L’articulation de ces deux temps montre que les punks se dotent différemment d’un capital culturel nécessaire à la poursuite de leur carrière avant l’entrée dans la scène, dans des espaces pourtant hétéronomes à celle-ci. L’AD porte une attention particulière aux méthodes d’observation de diffusion des savoirs in situ (Chopin, 2016), méthode que nous avons seulement pu mobiliser dans l’espace de la scène. Nous interrogerons continuellement l’intérêt et les limites des concepts de formel et d’informel associés à l’étude des marges. Tout au long de ce travail, nous tentons de relever les effets produits par la proximité de l’enquêteur avec son objet d’étude. Nous avons cherché à adopter une démarche de réflexivité, limitant la portée de ce qui aurait pu constituer un obstacle épistémologique (Bachelard, 1996), afin de prévenir les biais inhérents au double positionnement du chercheur (qui cherche) et de l’acteur (qui détient une culture sur la base d’un vécu devenant l’un des socles de son questionnement) tout en réinterrogeant en permanence la validité de ses outils d’analyse (Robène, Serre, 2019).
Comprendre la construction d’une carrière punk renvoie initialement à la première appréciation de cette musique, qui passe par l’acte d’y « goûter ». Lorsque ce contact avec la musique a lieu avant l’adolescence, les punks se trouvent dans l’incapacité de se le remémorer : « Ça a toujours été là » (Valentin, 33 ans, organisateur de concerts, musicien). Cette déclaration trahit l’existence d’un processus d’incorporation de codes culturels dès le plus jeune âge, lors duquel l’environnement social joue un rôle crucial. Pour certains enquêtés [8], la disposition à aimer le punk serait le fruit d’une transmission culturelle intergénérationnelle (Attias-Donfut, Ogg, 2009) : « Ma mère nous a toujours bercés au rock. On a cette relation où l’on se fait découvrir des trucs. Je la traîne en festival. Je pense que cette sensibilité à l’énergie du rock en général, ça se danse, ça ne s’écoute pas posé dans un canapé, il y a du mouvement, c’est aussi un petit peu sale, la saturation, les chanteurs qui crient, les batteurs qui tapent fort, c’est ma culture de gosse » (Martin, 31 ans, producteur studio, musicien). L’influence de la fratrie écoutant, voire pratiquant cette musique, peut être aussi déterminante dans ce contact avec la culture punk : « Mon frère organisait des concerts, il a quatre ans de plus que moi. J’ai déjà eu cet exemple-là, des groupes qui venaient dormir à la maison parce qu’il faisait partie de l’organisation d’un festival. […] Il avait des groupes donc quand il faisait des concerts je partais souvent avec eux. […] Ça ne me paraissait pas un truc inaccessible » (Valentin) ; « Ma sœur a écouté du punk rock. Je pense qu’elle a eu une énorme influence sur la façon dont j’ai perçu la musique et ce que j’ai aimé. Je ne me rappelle pas ne pas avoir écouté du punk rock de ma vie » (Nicolas, 36 ans, gardien d’une maison de jeunes, musicien, responsable de label) ; « Un festival a été mis en place par nos grands frères. On participait avec mes amis, on se connaît depuis que l’on a deux ans, nos parents étaient bénévoles. Ça faisait vraiment les trois générations. Quand ce festival s’est arrêté, on a créé l’asso’ pour le relancer. De nos cinq ans à nos douze ans, on a grandi vraiment dans le festival. On a appris par nos parents, nos frères qui nous ont montré comment faire. Ils nous expliquaient que d’organiser en autogestion c’était plus autonome et donc finalement plus éthique et que ça correspondait mieux à ce que l’on voulait faire. On a commencé à organiser nos évènements autogérés, autofinancés à l’âge de seize ans » (Benjamin, 22 ans, chargé d’action culturelle, musicien, organisateur de concerts, responsable d’un label). Nous y trouvons un élément explicatif à cette propension construite à aimer la musique punk : par imprégnation quotidienne dans le cercle familial, un sens est donné de fait à la pratique culturelle puisqu’elle se vit dans une acceptation collective, visant l’autonomie. Un champ des possibles est par conséquent ouvert puisque la musique peut venir à soi sous la forme d’un concert, il suffit de l’organiser soi-même, à l’image de ces grands frères. La notion d’habitus permet de rendre compte de ces premiers schèmes de perception incorporés durant la socialisation primaire chez ces « natifs du punk ». Pour eux, la distance symbolique communément admise entre musicien et spectateur est presque inexistante. D’autres activités observées chez leurs parents engagés dans certaines associations auraient aussi permis à des punks d’entrevoir la possibilité de reproduire ces mêmes pratiques d’organisation en terrain musical : « J’ai toujours vu mes parents s’impliquer, prendre des responsabilités dans des trucs associatifs. Je pense qu’ils m’ont un peu transmis ce sens de prendre l’initiative et m’occuper des trucs. Dans les groupes, c’était souvent moi qui m’occupais de la plupart des choses. Et là je pense clairement que si je n’avais pas vu mes parents faire ça gamin, j’aurais eu moins de déclics » (Cédric, 38 ans, employé d’une entreprise de merchandising, musicien et responsable d’un label).
L’apparition de cet attachement pour la musique punk a pu provoquer la mise en concurrence d’un « temps pris par l’école » (Meuret, Bonnard, 2010 : 796-797) avec celui de l’expérience de la musique. Dès lors, des stratégies pour faire l’économie du temps scolaire en faveur de celui alloué à la musique punk se développent. Par exemple, l’élève cachant ses écouteurs dans sa manche se réapproprie l’espace et le temps de classe, contournant les règles élémentaires qui définissent la posture scolaire attendue tout en évitant de possibles sanctions : « J’avais déchiffré un album entier en faisant des traits sur mon cahier de géo en cours pour essayer de comprendre comment ils composaient et m’enrichir » (Martin). Les dispositions punk ne sont pas construites ici en dehors du cadre institutionnel mais par négociation avec celui-ci. Ceci aurait constitué pour ces enquêtés (grâce également au suivi parental du travail scolaire) un cadre didactique favorable à la rationalisation des temps afin de doser ses investissements, à la fois scolaires et musicaux : « Ça a mis le cadre. Papa il a dit ‘faites de la zic mais il faut ramener des bonnes notes’ » (Bruno, 30 ans, musicien et technicien lumière) ; « Je me suis retrouvé à l’internat au lycée donc j’ai eu énormément de temps pour écouter de la musique. Parce que lorsque tu étudies dans ta chambre, tu mets les écouteurs et bam ! » (Maxime, 33 ans, organisateur de concerts). Nous voyons ici s’articuler différents espaces propices à l’expérience de la débrouille punk, à l’acquisition de dispositions à faire autrement. L’école a été aussi pour des enquêtés un lieu où s’essayer à l’organisation de concerts : « Dans mon école d’ingénieur, il y avait une asso’ qui organisait un festival tous les ans. […] J’ai organisé mes premiers trucs avec ça, après j’ai eu envie de le faire avec des gens que je connaissais en qui j’avais confiance » (Tom, 33 ans, manager-ingénieur informatique, responsable de label, organisateur de concerts et musicien) ; « On avait une école axée sur la culture, par le festival on avait des journées citoyennes où on allait aider nos grands frères » (Benjamin). Lorsque l’on interroge les modes de subjectivation des enquêtés, la grande majorité ne vit pas la pratique punk comme un acte de rébellion à l’encontre de l’autorité parentale, mais comme une passion largement acceptée par ces derniers, du moment qu’elle n’entrave pas le bon déroulement de la scolarité.
Paradoxalement, le cadre formel de l’école aura permis de développer le goût pour la musique punk et la pratique d’organisation de concerts tout en transgressant le « cadre didactique » (Brousseau, 1998 : 127) nécessaire à toute relation d’enseignement. Seulement, l’élève doit comprendre au préalable l’enjeu de ce contrat pour mieux le transgresser sans se faire prendre, se réappropriant ainsi l’espace et le temps pour un autre usage. Il y a bien un apprentissage informel : ils doivent détourner une situation didactique pour l’apprentissage de pratiques punk, dans un cas certes facilité par les conditions de l’école elle-même, mais dans l’autre, en se réappropriant un espace imposé, voire en négociant avec ses règles intégrées au préalable, tout en feignant de tenir la posture scolaire attendue.
Pour certains enquêtés, le Centre de musiques actuelles de Laval appelé Créazic a été une structure d’aide et d’accompagnement (Audubert, 2012) décisive [9]. Cette école fut créée en 1992, a permis à la scène punk locale de bénéficier de dispositifs pédagogiques grâce à la longue expérience de musicien punk de l’accompagnateur : « Je me suis rendu compte que je développais déjà une forme de pédagogie. Pas de solfège, je faisais des schémas comme quand je bossais avec mes groupes. Puis je me suis battu pour rentrer à la mairie comme animateur standard. J’incrustais mes projets là-dedans avec ma propre vision du truc, de ma propre initiative. Je n’ai pas fait plus que ça car la méthode marchait d’enfer. Je formais et accompagnais des groupes, on les faisait jouer ensemble, on les emmenait en studio. Le centre est parti de là » (Yves, 52 ans, accompagnateur de musiques actuelles). Au-delà de l’aspect strictement musical, les savoirs à enseigner visaient à favoriser l’autonomie des musiciens dans la production, la diffusion et la distribution de leurs œuvres, contribuant à l’incorporation précoce d’un capital punk : « Il n’y a pas que le fait d’apprendre, il faut après se mélanger, organiser ses trucs. Bougez-vous le cul ! N’attendez pas que ça vous tombe dans les mains. […] Je mettais tout ça par écrit, qu’ils aient toutes les billes, tout ce que j’avais bouffé et leur faire gagner du temps et être efficaces. […] Les bases de savoir se vendre, de vouloir présenter le fruit de leur travail. De faire des affiches, d’enregistrer les démos et de les envoyer » (Yves). Ces punks seraient ainsi préparés à intégrer un marché en tant que producteurs et diffuseurs de leurs œuvres.
Nous proposons des éléments d’analyse pour rendre compte de l’acquisition effective de savoirs punk dans cette école ayant pourtant une vocation didactique en cherchant à se distinguer paradoxalement des formes scolaires d’apprentissage de la musique et du modèle enseignant-élève. Cette situation pourrait rentrer dans la catégorie des apprentissages non-formels de Schugurensky (2007), car il y a absence de contrôle ou d’évaluation explicite des connaissances. À l’inverse, l’AD y voit une simple situation à vocation didactique, puisqu’il y a bien « secondarisation » (Bautier, Goigoux, 2004 : 91) du plaisir de la musique : l’autonomie visée de l’élève s’envisage par l’apprentissage de la technique instrumentale, mais surtout par la maîtrise des conditions de réalisation et de diffusion de ses œuvres. Le plaisir de composer et jouer ensemble ses propres œuvres ne peut suffire comme une activité en soi, il doit dès le départ être l’objet d’un projet éducatif. Il y aurait donc formalisation de savoirs punk décontextualisés de leurs usages dans la scène, dans la volonté de les enseigner. Le modèle de l’AD invite à interroger le sens donné aux objets didactiques par le truchement des « relations » entre ces différents individus « qui les unissent à leur milieu » (Chopin, 2016 : 48). S’il y eut transmission de savoirs dans cette école, c’est grâce à la rencontre entre un élève et un professeur qui partagent le même arrière-plan, leur permettant d’envisager l’intérêt du cadre didactique par-delà une nécessité pratique particulière. Elle n’aurait été possible sans la réactualisation des premiers schèmes de perception des punks acquis dans le cadre familial, à concevoir leur rapport au plaisir de la musique punk non pas de manière solitaire, mais par un engagement autonome et socialement pratiqué. L’adhésion des parents à ce projet éducatif dans le but de préparer leurs enfants à s’engager dans la scène incite à chercher au sein de la culture familiale la transmission de valeurs en adéquation avec celles portées par cette école.
Le passage dans cette « école du punk » a contribué à ce que les familles prennent au sérieux et encouragent la poursuite de ces activités : « Yves a été notre papa de la musique. […] Il y avait un cadre, c’était surtout pour rassurer mon père, il savait que l’on était accompagné par quelqu’un qu’il appréciait et qui pour lui avait de l’expérience » (Martin). Le concept d’arrière-plan permet ainsi de dessiner un continuum liant les deux espaces de Créazic et le cercle familial. Observer des jeunes encouragés par leur famille à construire un mode d’existence pourtant en marge de la société constitue un des résultats importants de cette étude. Si l’on en croit la construction médiatique qui fait du punk, et des subcultures en général (Mattelart, Neveu, 2008), l’expression de subversion d’une jeunesse en manque de repères (Robène, Serre, 2016) et d’une rupture dans la reproduction de la culture familiale, nos observations entrent en dissonance. Le punk a plus de quarante ans d’histoire. D’ailleurs dès le début des années 1950 (Tandt, 2012), de nouvelles « hiérarchies culturelles » et de nouveaux « modes de légitimation » ont contribué à imposer massivement une « culture rock » (Sapiro et al., 2015 : 10) à toute une première génération d’amateurs. En France, ils ont bénéficié dans les années 1980 de politiques d’institutionnalisation et de médiatisation massive des « cultures populaires », ouvrant la voie à la création d’un marché de biens culturels rock.
Ainsi, parallèlement aux écoles de musique classique, les réseaux SMAC [10] et plus spécifiquement les « RockSchool » [11] ont contribué à promouvoir la pratique musicale d’esthétique rock. Initiées par Éric Roux, ancien punk, organisateur de concerts âgé de soixante-deux ans, aujourd’hui directeur de la SMAC Rock School Barbey, elles ont pour but la « structuration de nos histoires pour que les mecs qui écoutent, comme nous écoutions ces musiques-là, aient le droit d’avoir des lieux pour répéter, enregistrer, les diffuser et que ce soit en partie avec des financements publics. Et je trouve qu’il n’y en a pas assez. Car ce qu’on fait, c’est de la culture comme l’opéra, la musique classique, la danse contemporaine » (Éric Roux). Certes, l’aspiration des punks à créer et diffuser collectivement, et de façon autonome, leurs œuvres n’entre pas forcément en adéquation avec cet enseignement institutionnalisé de la pratique instrumentale. De plus, aucun d’eux ne témoigne de l’importance particulière de leur passage dans l’une de ces structures, préférant valoriser l’apprentissage autodidactique de la musique : « J’ai choisi Nirvana parce qu’il y avait ce côté punk, je pouvais jouer les chansons tout de suite. Je suis allé chez une prof, j’ai pris trois mois de cours de guitare et quand j’ai estimé avoir les rudiments pour jouer tout seul, j’ai arrêté. C’est là que l’on a commencé à répéter avec mes potes […] Tu as beaucoup de formations dans les SMAC pour apprendre à te placer dans ces réseaux et des groupes qui font que ça. Alors que le premier truc c’est d’apprendre à jouer dans de mauvaises conditions. Et quand tu commences à faire des trucs où personne ne fait rien pour toi, c’est là où tu apprends à te démerder seul. […] Peut-être que c’est là où l’authenticité a son sens » (Cédric) [12]. Mais l’existence de ces écoles aurait permis pour un plus large public (comportant les parents des punks) de concevoir la pratique de cette musique comme un loisir mais aussi une voie légitime vers l’épanouissement, voire de possible intégration sociale à l’image de ces professeurs du punk : « En fait mes parents m’ont dit à sept ans qu’il fallait que je fasse une activité et j’ai choisi la musique. […] Ils sont contents que je fasse ça, je pense que d’une certaine manière ils m’y ont poussé. Après ils ne m’ont pas dit ‘il faut que tu en vives’. Ils ont vu que c’était quelque chose qui me rendait heureux, et si je ne bossais pas trop mon instrument ils ne me disaient pas de le faire » (Yannis, 27 ans, assistant d’éducation, musicien, responsable de label et organisateur de concerts).
De telles transformations auraient donné l’occasion à la nouvelle génération de punks qui constituent notre population d’enquêtés de trouver directement chez leurs parents les bases culturelles fondamentales dans leur construction de carrière. L’origine sociale favorable et concomitante à la capacité des punks de contourner sans risque les règles formelles des institutions scolaires à l’usage des pratiques punk, ainsi que leur passage dans cette école du punk, sont des éléments propices à l’acquisition formelle et informelle des dispositions facilitantes l’intégration de la scène. Ces espaces de la vie quotidienne et des écoles sont pourtant extérieurs à la scène punk, ce qui invite fortement à questionner la notion de marge sociale et à chercher ailleurs des phénomènes d’acquisition de savoirs susceptibles d’être réinvestis dans la poursuite de carrière punk.
L’intégration de la scène détermine l’engagement des punks dans des activités structurant des réseaux de coopération (Becker, 2010), dont les interactions participent à produire des œuvres artistiques. L’adage punk veut qu’il ne faille pas « attendre des autres ce que l’on peut faire soi-même » (Christian, 34 ans, vidéaste eu autoentrepreneur, musicien). L’incitation généralisée au DIY nous permet d’étudier ce qui relèverait d’une disposition propre aux punks (Roulley, 2019 : 35) – bien que d’autres modes de « débrouilles » soient nécessaires à l’émergence de nouveaux courants musicaux – et d’identifier les conditions de son acquisition au sein même de la scène. Elle serait justifiée par la volonté de réduire la frontière entre musicien et public en soulignant la capacité de chacun à « faire vivre la scène ». Tandis que Roulley (2016 : 158) distingue un DIY « choisi » et « subi », nos observations montrent que cet engagement relève rarement d’un choix, mais plutôt d’une nécessité ouvrant par la suite sur une réflexion : « T’es obligé de commencer par le DIY et la question se pose quand tu commences à avoir des opportunités » (Mathis, 34 ans, tatoueur en autoentrepreneur et musicien intermittent). Le recours à une forme de théorisation a posteriori intégrant une vision du monde axée autour du principe de la débrouille permettrait de donner raison à leur implication dans un régime de pratiques DIY. Le concert est le lieu privilégié d’apprentissage de l’auto-organisation nécessaire à la diffusion d’œuvres punk. Devenir un acteur de la scène par la pratique de l’activité d’organisation de concerts constitue une épreuve à son intégration sociale. Nous comprenons alors que ceux qui sont dotés précocement d’un capital punk au sein de la famille ou dans une école du punk ont un avantage, car ils sont déjà socialisés aux règles de la scène et détiennent des dispositions mieux ajustées. Les nouveaux arrivants ont alors l’occasion de s’initier aux pratiques d’organisation tout en se constituant un réseau d’entraide. Pour les musiciens, l’organisation peut avoir cette double fonction d’accueillir des groupes de l’extérieur (localisés dans une autre ville) et de s’assurer ainsi, par effet d’échange, d’être programmés plus tard dans la ville du groupe invité. Cette vision du monde DIY servirait aussi de caution morale pour s’engager dans cette entreprise qui s’avère le plus souvent déficitaire. Elle consiste à se mettre au service des autres en mettant en jeu son propre argent pour défrayer les groupes, sans garantie de remboursement puisqu’elle dépendra du succès de la soirée. En effet, les punks s’y engagent en espérant y trouver une rétribution qui ne peut être que symbolique car elle prend la forme d’une entraide mutuelle.
L’amenuisement d’un temps libéré des contraintes extérieures et propice à la découverte d’un champ des possibles, conduit au moment décisif (mais non irrévocable) des choix de modes de vie punk, du choix de l’engagement. Les « revenus du punk » relèguent leur carrière au rang de simple hobby ou arrêtent toute activité dans la scène. La parentalité et les enjeux financiers marquent un tournant en impliquant un mode de vie réglé par des temps fixes partagés entre le travail et la famille, difficilement conciliables avec celui accordé à la pratique punk [13]. D’autres font le choix de la professionnalisation artistique [14] et d’un mode de vie occultant les temps sociaux en concurrence avec celui de l’activité punk. Leur position est paradoxale car elle oscille entre l’acquisition d’un capital symbolique punk dicté par l’adage « Punk is not a job » [15], garantissant l’ordre de l’authenticité, et l’obtention de rémunérations issues de leurs activités punk. Cette vision du monde s’illustre par le discrédit de ces rétributions, voire par le refus d’opportunités mais qui ne peuvent survenir sans une reconnaissance déjà acquise au sein de la scène : « Pourquoi il y en a qui se disent que c’est un métier et un gagne-pain ? […] Les gens qui saisissent les opportunités mettent leur conviction de côté dès qu’il y a de l’argent en jeu » (Nicolas) ; « On se définissait avant tout comme un groupe de punk hardcore lié à la scène DIY. Et on a dit non quand Thursday nous a proposé de partir en tournée avec eux parce qu’on n’aimait pas leur musique et puis c’était de grosses tournées avec un tourneur et nous ce n’était pas du tout ce que l’on voulait faire » (Cédric). Cette quête idéologique de l’autonomie s’accompagne de critiques de la part de certains punks envers ceux qui feraient le choix délibéré de la professionnalisation : « Les groupes qui prétendent avoir quelque chose à dire ou à porter pour soigner leur fonds de commerce, ça fait partie du package. C’est là où pour moi le punk hardcore s’est complètement cramé » (Alban, 39 ans, étudiant, musicien). La préservation de cette légitimité déterminée par les pairs repose sur la valorisation du désintérêt et le réinvestissement d’un capital contre-culturel. Ainsi, le professionnel justifie sa participation à des festivals pourtant subventionnés et sponsorisés par le fait de véhiculer des valeurs contre-culturelles, voire par le réinvestissement de ses bénéfices, les redistribuant à diverses associations, gommant alors les effets visibles de l’appartenance au jeu dans le marché culturel. La reconnaissance par les pairs est le produit d’un long apprentissage structuré par les étapes de carrières DIY, dont la capitalisation des connaissances est indispensable à l’acquisition de dispositions politiques (Bourdieu, 1981). Cette poursuite de carrière ne peut se réaliser sans l’apprentissage des règles constitutives de l’ethos punk relevant du « curriculum caché » (Perrenoud, 2018). La « mise en savoir » nécessaire pour que se partagent des pratiques DIY correspond à ce « travail de production collective » et de formes, c’est-à-dire de « manières stabilisées » de reconnaissance et de désignation de « ces pratiques sociales » (Doignon, 2019 : 33). Cette forme d’auto-organisation relève de l’autonomisation d’un groupe restreint de productions artistiques visant la maîtrise des conditions de ses productions protégées des ingérences extérieures. Ainsi, le concept de communauté de pratiques permet de comprendre que la mobilisation des connaissances et de leur apprentissage de par les interactions entretenues entre ses membres est « une expérience de construction d’identité » (Wenger, 2005 : 236). Ces connaissances sont mises en jeu pour accéder à un autre niveau de légitimation, tout en se préservant de ce qui pourrait apparaître comme une transgression des règles de l’authenticité, et qui s’acquièrent par différentes modalités d’acquisition informelle.
La transmission par l’exemple est le mode d’acquisition constitutif de l’identité punk, qui fait rentrer chaque acteur dans une situation expérientielle par un processus d’identification à la pratique d’une tierce personne ou d’un groupe : « On allait à des concerts qui étaient organisés par d’autres personnes et on se disait ‘si nous on avait organisé le concert, on l’aurait fait autrement’ » (Louise, 30 ans, employée de commerce, organisatrice de concert et tourneuse). La notion de « mimèsis » (Wulf, 2014 : 126) peut être décrite comme une réinvention du quotidien (De Certeau, 2010). Elle se compose de quatre étapes débutant par la reconstitution d’une information, l’identification à cette pratique, puis la réappropriation de ce qui est identifié comme une « manière de faire » pour finir par une mise en pratique. La passion de la scène se traduit alors par un désir de reconnaissance de la part des musiciens et ouvre la voie à une découverte du champ par approximation.
Le mode d’acquisition de connaissances par frayage est le produit d’une accumulation par tâtonnements, essais/erreurs, et de ce qui est communément nommé « à force de faire », l’« expérience » ou le « perfectionnement ». Il faut au préalable faire l’expérience de la pratique, dont le degré de complexité nécessite de toujours la réitérer. Les tournées constituent des situations propices au perfectionnement par l’observation d’une pluralité d’autres pratiques d’organisation et l’identification de ce qui est considéré comme étant les bonnes pratiques. C’est par frayage que les punks trouvent des façons plus rapides d’arriver à leur but et de ne plus avoir d’hésitations : « Quand on se crashe, on comprend pourquoi. J’ai mis trois ou quatre ans à me rendre compte que ce groupe-là ça coûte tant et en fonction si ça peut marcher. Il faut être attentif à ce qui se partage sur Facebook, aux chroniques, aux gens qui en parlent » (Thibault, 29 ans, organisateur de concerts, tourneur et musicien). L’apprentissage est favorisé par la multiplication des rôles contribuant à l’organisation de concerts. Cette mise en auto-apprentissage a lieu dans un rapport de contrainte à l’exercice d’une tâche pour trouver une manière détournée de la réaliser. C’est un apprentissage de l’« après-coup » (Delbos, Jorion, 1990 : 35) des suites d’une confrontation entre les règles implicites du champ et les aspirations d’une rétribution symbolique qui amène ces individus à remettre en question les promesses d’un idéal punk. Cette désillusion, qui se solde matériellement par des pertes financières, incite les acteurs à identifier les contradictions liées au sens donné communément à la pratique.
Le phénomène de transmission directe des connaissances est difficile à observer, puisqu’il se heurte aux enjeux de concurrences que la scène tente de cacher. Le punk est structuré par « une économie inversée » (Bourdieu, 1998 : 86-88) qui repose sur des formes de collaborations nécessaires et valorisées pour remédier au problème de financement de ses activités. Ainsi, toute attitude considérée comme de l’opportunisme est condamnée : « J’ai arrêté de taffer avec un groupe. […] Il y avait ce côté punk opportuniste avec lequel j’avais beaucoup de mal. […] J’avais l’impression d’être un marchepied » (Alexandre, 31 ans, responsable de label et musicien). Cette attitude relève d’un savoir-être valorisant l’entre-aide et l’équité. Il est mis en discours par le terme de « confiance » mais trahit l’« autocontrôle » (Boltanski, Chiapello, 2011 : 140) de ces acteurs pour dissimuler la poursuite d’intérêts personnels à l’aune de ces transactions. La complexité du montage de tournées des groupes tient à ce que les musiciens sont mis en concurrence pour trouver les rares personnes susceptibles d’organiser des concerts. Le capital social associé au champ punk, relevant de la maîtrise des réseaux DIY, joue un rôle primordial. L’expérience acquise par frayage demeure une ressource privée et partagée seulement lorsque deux personnes poursuivent les mêmes intérêts et ont à gagner à une mise en commun : « Voyant Baptiste avoir des difficultés à trouver des contacts pour notre tournée, je décide de lui transmettre des conseils donnés par le chanteur de Birds In Row quatre ans auparavant. Après avoir vu les mails qu’il envoyait aux organisateurs je lui dis :‘C’est normal que tu ne trouves pas de plans. T’es dans une scène de militantisme culturel. Il ne faut pas que tu survendes ton groupe. C’est pour ça qu’il faut tourner ton mail comme une demande d’aide et pas comme un mail type !’ » (Notes ethnographiques du 30 mars 2018 à Bordeaux avec Baptiste, 30 ans, étudiant, musicien et organisateur de concerts). Il arrive qu’un tourneur cherchant à vendre un groupe construise avec des organisateurs susceptibles d’être acheteurs, une coopération par laquelle ces derniers acceptent de prendre la responsabilité d’éventuelles pertes financières. Lorsque ce lien est maintenu malgré les contraintes, il est pérennisé par la négociation des prix, mais aussi par l’échange de connaissances entre le tourneur qui a intérêt à assurer la stabilité de liens commerciaux et l’organisateur pour qu’il puisse mieux évaluer le rapport coût/bénéfice symbolique. Ces connaissances sont autant de savoir-faire, de savoir-être, de contacts et de ressources utiles pour monter des tournées : « Le réseau ça s’entretient et ça s’alimente. Ça m’arrive avec des petites structures de juste prendre des nouvelles. Il y a vraiment une relation de confiance et pour l’avenir c’est super pratique parce que si je veux que tel groupe joue à tel endroit, j’envoie un mail pour proposer de le faire jouer en lui demandant s’il a une dispo’. Je sais très bien que le lendemain au plus tard j’aurai une réponse » (Thibault).
L’intérêt de cette étude tient selon nous en premier lieu à la valeur heuristique de l’articulation entre l’approche des apprentissages informels et celle de l’AD pour observer les phénomènes d’acquisition de savoirs essentiels à la structuration de carrières punk observés dans des espaces hétérogènes. Car si toutes deux invitent à se concentrer aussi bien sur les situations à vocation didactique que sur les situations informelles, elles sont ajustées à des strates d’analyse différentes. La plasticité du concept d’informel permet de dégager un champ plus large d’investigation à des espaces comportant a priori des situations à potentiel didactique, mais peu appréhendés par les Sciences de l’éducation (Chopin, 2016). L’observation d’une école du punk opposée au principe d’apprentissage scolaire de la musique, mais qui pourtant enseigne des manières formelles de la pratiquer, nous a permis d’en soulever les paradoxes éducatifs. La scène punk est structurée en un espace informel mais paradoxalement institue des formes de savoirs propres. Ces phénomènes montrent que la distinction que nous faisons entre des situations d’apprentissage formel et informel reste ambiguë, ce qui nécessite d’enrichir notre outillage conceptuel. Nous pourrions avoir recours à la notion de « non-formel », qui recouvre ces situations caractérisées par leur intentionnalité éducative et structurée par un faible cadre didactique. En réalité, cette notion est définie par ce qu’elle n’est pas (Schugurensky, 2007), c’est-à-dire comme des espaces d’apprentissage qui sont en marge du cadre scolaire ; elle révèle finalement son impuissance heuristique pour comprendre ces modes particuliers d’acquisition des connaissances. Bien que l’AD soit initialement ajustée aux situations scolaires, sa dimension anthropologique, qui permet de mobiliser les concepts d’arrière-plan et de milieu, offre ainsi une certaine finesse d’analyse. Elle permet de dépasser cet écueil en relevant le sens plus ou moins caché des apprentissages, c’est-à-dire de ses « implications […] dans un but de contrôle et de changements sociaux » (Schugurensky 2007 : 24). Il faut néanmoins souligner que la méthode de l’observation fine préconisée par l’AD aurait été nécessaire pour analyser véritablement les conditions favorables aux phénomènes de diffusion des savoirs à l’intérieur de ces espaces.
En second lieu, la notion d’informel nous a permis d’envisager de multiples lieux propices à la mobilisation des connaissances organisationnelles des punks pourtant extérieures à la scène. L’un des résultats importants de cette étude tient à l’observation de parents encourageant leurs enfants à poursuivre leur carrière punk, faisant du milieu familial un espace permettant l’acquisition de dispositions précoces pour apprécier et pratiquer la musique punk. De plus, la multiplication de ces espaces, qu’ils soient formels ou informels, serait favorable à un effet de cumul des apprentissages par le réinvestissement des connaissances préalablement acquises avant l’intégration de la scène. Ces dernières se reconstruisent continuellement, par le biais du bricolage, de manière fortuite ou dirigée, consciente ou non. Aussi, le concept d’arrière-plan contribue à objectiver ce phénomène que certains chercheurs nomment l’« apprentissage tout au long de la vie » (voir intra). Il aide à dessiner un continuum entre ces diverses situations, relevant des perceptions suffisamment partagées pour qu’elles n’aient nullement besoin d’être explicitées. Elles conditionnent pourtant la mise en relation entre l’apprenant et l’enseignant dans l’école du punk, nécessaire à la rencontre des élèves, avec un objet de savoir en situation didactique (Sarrazy, 2001).
L’analyse que nous faisons de l’apprentissage informel dans le punk rejoint donc sensiblement celle de Schugurensky (2007), qui conçoit ces formes d’apprentissage par socialisation. L’apport du concept de milieu permet de chercher dans les effets de contextes, c’est-à-dire dans les conditions sociales qui président la production d’œuvres punk, comment les acteurs apprennent en adoptant les règles de la scène, mais agissent aussi sur elles. Nous avons distingué trois modes d’apprentissage du DIY : celui de l’exemple, du frayage et de la transmission directe. L’autonomie relative de la scène [16] reste soumise à des relations de co-dépendance et de concurrences entre les acteurs régies par des « conventions » (Becker, 2010 : 99) normalisant l’ hexis punk. Ces façons d’exercer par soi-même, en coopération avec d’autres, les activités de soutien pour maintenir le régime artistique sont certes partagées de manière (relativement) informelle, mais elles ne sont pas moins instituées. Les pratiques DIY sont constitutives de l’ensemble des dispositions acquises, ce que nous synthétisons par la notion d’« intelligence punk » (Roux et al., 2019). Celle-ci se définit par des stratégies de négociation avec un cadre formel dans une logique de réinvention des pratiques, par l’engagement autonome dans des activités multiples structurant une organisation du travail spécifique, par la capitalisation et le réinvestissement des connaissances dans et par la scène, enfin par la capacité à se positionner dans cet espace en construisant un discours guidé par une éthique punk (Roulley, 2019).
Si informel il y a dans l’instauration des savoirs punk, ce pourrait être dans le phénomène d’apprentissage non volontaire de dispositions similaires au curriculum caché qui, au-delà du prisme de l’authenticité, vise à faire accepter une organisation « alternative » du travail par le contournement d’autres règles instituées. Mais puisqu’« il n’y a pas que la dimension idéologique et les compétences sociales qui sont l’objet d’un tel apprentissage » (Brougère, Bézille, 2007 : 154), la question des savoirs informels reste par conséquent ouverte. Il pourrait être tentant d’adopter une analyse purement économique des usages de ces savoirs, mais cela reviendrait à occulter l’engagement et le plaisir des punks pour réinventer ensemble des façons de mettre en musique un certain regard porté sur le monde.
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[1] Le DIY est le « principe fondamental de la philosophie punk » (Hebdige, 1979 : 112) issu d’une « éloge de l’action » par la « participation » (Hein, 2012 : 33-38). Il prend la forme du « bricolage » et de la « débrouille » (Roux et al., 2019 : 67) structurant ce régime d’ « autonomie » (Roulley, 2019 : 35). Les pratiques DIY apparues lors de la « seconde vague punk » des années 1980 (Balanda De, 2019 : 76) concernent en grande partie les « activités de soutien » (Becker, 2013 : 100) aux pratiques musicales.
[2] Le pogo est une « danse frénétique faite de sauts, chocs, rebonds et gestes plus ou moins bien contrôlés, confrontation entre les corps spontanément organisée au son des guitares et au rythme de la batterie » (Robène et al., 2019 : 550)
[3] Le réseau DIY est composé de scènes punk qui garantissent la circulation mondiales de ses productions et dont chacune est structurée localement autour de contraintes spécifiques (O’Connor, 2002).
[4] Le milieu est un concept fondamental de l’AD, soulignant le rôle crucial des contextes sociaux d’où proviennent les individus, puisque ces premiers président les situations didactiques observées : « Le milieu, qu’il soit physique, social, culturel ou autre joue un rôle dans l’emploi et l’apprentissage des connaissances par l’enseignant et par l’élève, qu’on le sollicite ou non dans la relation didactique » puisqu’il est « une modélisation de la partie de l’univers à laquelle se réfère la connaissance en jeu et les interactions qu’elle détermine » (Brousseau, 1998 : 312-321). De ce point de vue, le milieu contiendrait des situations à potentiel didactique qu’il s’agirait d’objectiver.
[5] L’arrière-plan est « un concept rarement utilisé dans les recherches en éducation et emprunté au philosophe du langage […]. Il correspond, pour le philosophe, à ‘l’ensemble des capacités non-intentionnelles ou pré-intentionnelles qui permettent aux états intentionnels de fonctionner’ (Searle, 1998 : 169) » (Chopin, 2016 : 47).
[6] Emprunté à la sociologie de la déviance de Becker (2013), le concept de carrière est aussi utilisé en sociologie du militantisme pour comprendre « comment, à chaque étape de la biographie, les attitudes et comportements sont déterminés par les attitudes et comportements passés et conditionnent à leur tour le champ des possibles à venir » (Fillieule, 2001 : 201).
[7] Seulement trois femmes ont pu être interrogées. Le ratio hommes/femmes de cet échantillon témoigne de la surreprésentation des hommes musiciens observés sur scène.
[8] Cinq des enquêtés rapportent être ou avoir été en rupture familiale. Les autres déclarent que leurs parents ont apporté un soutien moral et matériel dans la conduite de leur carrière, mais aussi ont partagé avec eux le goût de la musique punk, ou du moins les ont soutenus dans la poursuite de leurs activités punk.
[9] Sur les huit punks interrogés vivant de leurs activités punk, quatre sont passés par l’école Créazic de Laval et sont sous le régime de l’intermittence.
[10] Créées en 1997, Les Scènes de musiques actuelles sont des salles de spectacles subventionnées ayant notamment pour mission la diffusion, l’accompagnement des musiciens en voie de professionnalisation.
[11] Le réseau Rock School dépasse les frontières françaises en s’étendant jusqu’au Québec, en Chine et en Mauritanie.
[12] Malgré ces critiques à l’égard du fonctionnement des SMAC, certains punks trouvent dans ces lieux des locaux où répéter, voire diverses aides informelles et gracieuses pour la conduite de leur projet artistique.
[13] Il est difficile de déterminer un âge moyen du vieillissement social avec un si faible échantillon car il dépend de nombreuses trajectoires et bifurcations individuelles : opportunités professionnelles, rencontre d’un.e conjoint.e, mais aussi diverses ressources et degrés de reconnaissance par les pairs contribuant au maintien du régime DIY.
[14] Lorsqu’ils sont musiciens et/ou techniciens, leurs revenus sont obtenus grâce au statut professionnel de l’intermittence.
[15] Ce slogan a été popularisé par le morceau éponyme du groupe français Guerilla Poubelle paru en 2007 dans l’album « Punk = Existentialisme ».
[16] Depuis le début de notre enquête, l’ensemble des groupes interrogés et toujours actifs ont distribué leurs œuvres sur Spotify, plateforme de streaming payante parmi les plus reconnues, ce qui devrait aller à l’encontre de l’ordre DIY.
Roux Manuel, « Entre bricolage et contournement des règles. Constructions de carrières punk en espaces (in)formels d’apprentissage », dans revue ¿ Interrogations ?, N°32. Communautés informelles d’apprentissage, communautés de pratique – Apprendre avec, par et pour les autres, juin 2021 [en ligne], http://revue-interrogations.org/Entre-bricolage-et-contournement (Consulté le 31 octobre 2024).