A partir d’un exercice autoethnographique, l’auteur décrit un processus de résistance à l’oubli, déclenché après la mort de son père et, en même temps, l’oubli en train de se faire à travers la fixation des souvenirs par l’écriture. L’article fait apparaître qu’au terme du processus de détachement, l’oubli n’est pas rien mais qu’au contraire il correspond à une nouvelle forme de présence de l’absent.
Mots-clefs : Oubli – mort – deuil – écriture – détail
From autoethnographic work about his father’death, the author describes how he didn’t want to forget and, at the same time, how he forgot during the time of memories’ writing. This paper shows that at the end of mourning, forgetting isn’t nothing but means a new form of absent’s presence.
Keywords : Forgetting – death – bereavement – mourning - writing - detail
Des éthologues nous apprennent que tel chimpanzé a porté son enfant mort, qu’un autre a crié plusieurs heures autour d’un cadavre ou encore qu’un éléphant affolé par la mort d’un autre a tenté, agenouillé, de le relever… Du corps mort, le babouin s’occupe quelques heures. Puis il l’abandonne dès que surgissent les premiers signes de décomposition du cadavre. L’absent est désormais effacé.
La réalité de la mort est associée pour l’être humain à l’avènement d’une absence qui constitue souvent une épreuve émotionnelle forte. C’est le temps du deuil qui commence. D’un point de vue socio-anthropologique, il n’est pas facile de l’observer autrement que par le repérage de marques culturelles spécifiques qui nous disent finalement peu sur l’épreuve du souvenir et de l’oubli. Plutôt que le discours rétrospectif des autres, l’exercice autoethnographique peut constituer un support intellectuel pertinent pour réfléchir sur les modes de présence de l’absent et les figures de l’oubli en train de se faire. Que l’on me permette donc de présenter ici des bribes d’un témoignage personnel sur la gestion de l’absence de mon père. Le détail constitue le fil conducteur qui guide tout le processus d’oubli.
Quelques heures après la mort de mon père[c’était en 1989, il avait 64 ans et moi 29 ans], j’ai compris que je ne pourrais accepter son absence. J’ai senti poindre une forte intolérance envers l’idée de cette absence et l’oubli que celle-ci engendrerait très vite. Je devais trouver une solution. C’est ainsi qu’a surgi en moi l’idée d’une sorte de contrat très implicite entre la vie de mon père, mon expérience de sa mort et mon savoir-faire d’ethnographe consistant à observer et décrire les faits et gestes des gens. Je devais donc écrire, je voulais écrire. Mais pendant les premiers jours qui ont suivi sa mort, j’avais peur. Je résistais. J’avais peur d’écrire et aussi de ce que j’allais écrire. Peur de rentrer dans le moment même de l’écriture, peur de rencontrer les actes, les gestes et les paroles à décrire. Peur aussi que l’écriture dissolve, abîme, écorche ce vécu. Mon objectif était bien de fixer le visage, les mimiques, les comportements de mon père. Ce serait comme le photographier alors que je disposais de très peu de photos récentes et d’aucun document filmique dans lequel j’aurais pu le voir vivre et bouger. L’écriture des détails devenait un espoir, celui de capter, de garder, au-delà de la mort, le vécu et les traits de mon père. Ma seule ressource pour m’assurer une nouvelle forme de sa présence, pour ne pas oublier. Je savais aussi qu’il fallait faire vite, que cette présence serait dépendante de ma mémoire, de mes souvenirs, de ma capacité d’écrire et de trouver les mots justes.
Un soir, c’est parti. Pourquoi ce soir-là ? Je ne sais pas. Et presque tous les soirs, j’ai écrit dans mon bureau. Le désir avait dépassé toutes les résistances. L’écriture, en même temps qu’elle affaiblissait ma douleur, semblait arrêter la vie. A contre-courant du temps, je m’immergeais dans le passé. Un peu comme l’ethnographe qui, après une journée d’observation, tente le soir de se souvenir, de se réinvestir dans les situations rencontrées et d’écrire. Ce que je faisais dans ce moment d’écriture était moins me souvenir qu’attester que ces choses avaient été. Comme s’il s’agissait de créer, par l’écrit, l’effet de la photographie. Je voulais réaliser vite les photos que je n’avais pas. Tout au plus, le texte, une fois écrit, pourrait stimuler des souvenirs. Les notes écrites n’étaient pas dans leur intention un acte de souvenir mais plutôt un acte d’authentification des situations où mon père fut. Un certificat de présence en quelque sorte. Elles disaient pour moi que ce passé avait été. Que mon père avait été vivant. Comme la photo qui ne peut être qu’associée au réel qu’elle fixe par son mécanisme physico-chimique, je considérais mes notes comme émanant directement des situations vécues, désormais immobilisées. Elles ne mentaient pas comme la photo non truquée ne peut mentir. Ainsi, pendant plusieurs mois, presque tous les jours, j’ai écrit, j’ai pris des notes sur la vie de mon père. Et, en même temps, toujours comme l’ethnographe qui réfléchit sur ce qu’il observe, j’indiquais mes impressions, mes états d’âmes, mes réflexions sur la vie et la mort.
La réminiscence des détails que d’aucuns jugeraient insignifiants me paraît aujourd’hui étonnante. Ils ne constituent pas des signes dont le message spécifique serait en soi-même mémorable et assurerait leur chance de survie. Manifestés plusieurs semaines, plusieurs mois avant le moment d’écriture, ils ont été à peine fixés par moi, au moment de l’événement. Ils étaient alors des fragments d’une forme, des parties d’un ensemble, mon père. Ils faisaient sens, communiquant sa joie, sa tristesse, sa colère, que je percevais de manière automatique, quasi évidente, non réfléchie. Sans même savoir qu’ils étaient stockés dans ma mémoire, je découvre alors qu’ils sont la trace de mon père, l’antidote contre l’oubli. Je ne veux pas les oublier, je ne veux pas les perdre. L’écriture me permet de les fixer. Récupérer un maximum de ce qui est passé. Je sais que je dois aller vite. J’ai un planning des situations à récupérer : les vacances, les activités quotidiennes à la maison…
Au début, pendant les premiers jours, les premières semaines qui ont suivi la mort de mon père, l’écriture m’a donc semblé facile. Je me plaisais dans les détails, dans leur souvenir, dans leur transcription. C’était des détails d’amour que moi seul pouvais sans doute percevoir. Des détails qui attestaient la singularité de mon père. Très progressivement, l’acte d’écriture est devenu différent. D’une façon générale, l’écriture semblait d’abord un peu moins rapide, moins fluide que celles des premiers soirs. Même s’il y avait toujours plusieurs passages très narratifs et des lignes complètes. La description semblait venir toujours spontanément, sans hésitation et sans ratures. Mais je percevais aussi sur les feuilles écrites des lignes plus courtes, des espaces blancs dispersés et des pages moins remplies. De nombreuses lignes hétérogènes étaient visibles. C’était des demi-lignes placées à gauche, à droite ou au milieu de la page. Trois ou quatre étaient souvent placées les unes en dessous des autres. Elles correspondaient à des propositions courtes, souvent hors norme syntaxique. La forme des lettres n’avait pas la rondeur et l’ampleur des premiers jets. Sur fond de scènes générales, je focalisais, à plusieurs reprises, sur une mimique, un geste, un sourire, une parole. Mais surtout, j’hésitais de plus en plus sur de tels détails qui venaient me titiller. Il m’arrivait d’y revenir le lendemain, en début de « séance » d’écriture, sous forme de nouvelles interrogations sur les signes caractéristiques. Quel ton de voix ? Quel mouvement des lèvres ? Des doutes s’installaient. Le texte était souvent repris le lendemain
Sans le savoir, j’ai décrit plusieurs situations à deux reprises. Par exemple, des scènes de promenade décrites quelques jours après la mort de mon père ont été à nouveau décrits six mois plus tard. Il y avait certes de nombreux traits communs dans les situations, les paroles et les actions décrites. Mais le ton était différent dans le deuxième texte. La description était plus précise, en tout cas plus nuancée, en particulier sur les différents types de réponses que mon père a pu faire à ma proposition de promenade. Des détails complémentaires étaient notés. Mais des doutes étaient aussi explicités. La deuxième description n’a pas connu la même assiduité que la première. Il y a eu des soirées sans écriture, des moments de vacances, des descriptions intercalées sur d’autres thèmes, souvent en rapport avec une date célébrant un anniversaire, celui de mon père ou le mien…
Je remarque aussi des reprises détaillées le lendemain d’une situation décrite la veille. C’était des focalisations sur des détails spécifiques, déjà évoqués : type de sourire, tonalité de la voix, mouvement des bras, position du corps… Ces renvois sur des points précis étaient, après chaque soirée d’écriture, programmés pour la « séance » prochaine. Je savais que j’aurais à repenser, à revoir, redécouvrir telle ou telle scène. C’était une manière d’arrêter aujourd’hui ce qui semblait rongé par un doute infini, tout en reportant au lendemain la suite. Comme si l’exercice de fixation du passé pour lutter contre le temps se faisait plus morcelé, plus morcelant.
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Peu à peu, au fil des mois, la focalisation mentale vers la même scène était répétée plusieurs soirs, n’impliquant pas chaque fois la même image et faisant modifier la description de tout petits détails. Les séances d’écriture n’arrivaient plus à se défaire de la recherche du détail « exact ». D’un soir à l’autre, il y était question d’une même caractéristique physique, souvent faciale, avec ses variantes. Et parfois, de plus en plus, il ne se passait rien d’autre au cours de mon rituel. Dans beaucoup de scènes, la description des traits de mon père était de plus en plus souvent vécue comme un exercice impossible. L’obsession du détail juste conduisait à une présentation de mon père sous le registre de l’ambivalence et de la complémentarité des signes contradictoires. C’est comme si le détail n’était plus maîtrisé et générait un étouffement. Plusieurs soirs à intervalles se passaient dans l’écriture d’une ou deux lignes pour caractériser le sourire de mon père. L’air de mon père, « son air ». C’est lui que je tentais presque en vain de décrire, en le décomposant.
L’exercice de visualisation, suivi de la description de l’image, s’est arrêté le 7 décembre 1991. Pourquoi ce soir-là ? Je ne sais pas, comme je ne savais pas pourquoi j’avais commencé tel jour du mois de novembre 1989. Il est évident que je ne me suis pas dit ce soir-là que j’arrêtais. J’avais en tête de continuer, d’écrire des choses sur les moments de disputes, de remonter plus en avant dans le passé jusqu’à mon enfance. L’énergie m’a manqué. À partir de ce moment-là, lorsque j’écrivais le soir, ce n’était plus pour décrire. C’était pour indiquer des réflexions, pointer des émotions, marquer une activité, un événement. Comme si je ne pouvais les vivre sans une référence à mon père. Toutes formes d’écriture liée à celui-ci a cessé en août 1994. Plus de sept cents pages étaient écrites.
À bien regarder, l’oubli a pris, du premier jour jusqu’à aujourd’hui, différentes formes. Bien sûr, il porte sur ce que je n’ai pas vu dans l’acte de réminiscence, sur ce que je n’ai pas noté dans l’acte d’écriture. Tel événement, tel détail, non vu, non noté pourrait-il aujourd’hui resurgir ? De ces situations, je n’ai pas eu, en tout cas, d’autres remémorations que celles qui ont été notées. Comme si l’écriture avait tout clôturé. Avec ces descriptions, j’ai certes gardé beaucoup. J’ai même l’impression en les relisant de bien me souvenir et de ne pas oublier. Pourtant la plupart des situations décrites, je ne peux les revivre dans leurs sentiments et leurs émotions. Mais ceci n’est presque rien en rapport à l’incapacité de la mémoire de se souvenir de la durée. C’est le manque même qu’instaure la mort. Celui dont je me souvenais ne vivait plus dans le temps. L’oubli, c’est la durée en train de grandir entre le moment ponctuel où je me souviens et la scène dont je me souviens, scène qui ne « dure » plus réellement. Se souvenir, c’est retourner à du passé, c’est en même temps ressentir que les choses ont changé. Et surtout que ce dont je me souviens n’a plus une place de vivant dans ce monde. L’oubli, c’est aussi la victoire des autres activités, des autres investissements. J’étais donc capable d’oublier malgré ma résistance du départ. Je suis même capable de parler presque banalement du choix des couleurs pour des fleurs artificielles à déposer sur la tombe de mon père. Aujourd’hui, j’ai conscience qu’un temps long a été vécu, que beaucoup d’événements ont eu lieu, des déménagements, des naissances, des morts, des rencontres. Les traces de ces autres passés ont réduit en moi la place qu’y avait mon père. Progressivement car je ne le voulais pas. Mais, grâce à ce travail d’écriture qui a conduit à l’oubli, mon père n’est-il pas toujours là, sous la forme d’une présence tranquille, sans l’enjeu de l’exercice de rappel et de description. Réfléchissons à cette transformation.
Percevoir la joie, la tristesse ou la colère d’une personne, c’est percevoir une forme sans que celle-ci soit réductible aux traits qui la composent comme une mélodie n’est pas réductible aux sons qui la composent. L’expérience de cette perception immédiate ne suppose pas de décomposer la forme dans ses différents traits constitutifs. Incapable de les identifier sur le champ, l’homme en a néanmoins une certaine conscience. Il les reconnaît sans les identifier comme si cela suffisait pour comprendre la signification de la forme. A trop s’attarder sur tel ou tel trait, le sens de celle-ci risque d’être perdu, comme le pianiste qui fixerait le mouvement de ses doigts s’arrêterait de jouer. La condition de la perception passe par une sorte de mise entre parenthèses de ces traits au profit de la reconnaissance d’une signification qui s’impose comme l’objet explicite de la focalisation. Les traits dont l’homme n’a qu’une conscience tacite sont des fragments implicitement pertinents en vue de la reconnaissance d’une figure de joie, de tristesse ou de colère. Dans la vie, les êtres humains accumulent les scènes de face-à-face qui supposent ce type d’opération tout à fait banale. De ces traits qui sont des fragments significatifs par rapport à une forme spécifique, l’homme ne recherche pas à s’en rappeler. Une simple conscience implicite suffit. De temps à autre seulement, une attention particulière, telle une photographie, vient se fixer sur une mimique. Lorsque la mort d’un proche survient, il est possible, comme nous l’avons vu, que l’on tente de se souvenir des traits qui composaient l’expression des sentiments du défunt, car l’absence fait grandir la distance entre les moments passés avec celui-ci et les moments présents désormais sans lui. Et face au risque de l’oubli, l’homme dispose de diverses ressources : l’écriture, mais aussi les objets du défunt, les évocations familiales à son sujet, l’entretien d’une mémoire généalogique, les photographies ou le film. Mais ce qui apparaît, c’est qu’à un certain moment, plus ou moins éloigné de la mort de l’être cher, ces supports, les objets, les pages d’écriture avec leur contenu sont devenus des détails, c’est-à-dire des choses finalement peu importantes mais qui valent par leur seule présence. Elles sont là ! Lorsqu’elles apparaissent telles, le processus du deuil est d’une certaine façon bien accompli. Oublier serait donc laisser, à l’état de détail, tel objet, tel trait de celui qui est absent.
Mais comment ces fragments, ces repères, les sourires, les gestes ou les objets qui furent des éléments significatifs sont-ils devenus détails ? Cette transformation correspond au travail du deuil et au processus de l’oubli en train de se faire, que nous avons décrit. La conservation d’objets caractéristiques du défunt ou le rappel écrit de ses mimiques ou de ses gestes sont devenus un espoir, celui de capter, de garder, au-delà de la mort, des traits caractéristiques, ceux qui pendant la vie s’accumulaient sans être l’objet d’un décryptage attentif. Ces traits allaient de soi, ils étaient des fragments implicites d’une forme, des parties d’un ensemble, ils communiquaient la joie ou la colère et ils étaient perçus, nous l’avons dit, de manière automatique, non réfléchie. Lorsque l’absence devient inacceptable, ces traits peuvent gérer le risque de l’oubli. Et l’homme découvre plus tard qu’ils étaient stockés, sans qu’il le sache, dans sa mémoire. Il veut alors récupérer un maximum de ce qui est passé. L’écriture, entre autres exercices, permet de les fixer. Elle constitue la transcription d’une opération de visualisation qui consiste à enchaîner mentalement des images de situations passées, à les décomposer en petites unités puis à les noter. Un processus analogue vaut pour les dessins ou les peintures. Ces unités, ce sont des traits minuscules qui font émerger un visage, une posture, un mouvement du bras. Ce sont ceux qui constituent une vie, une personne singulière, en s’additionnant chaque fois selon des circonstances uniques. Ils étaient les fragments à peine perceptibles d’une personne. La mémoire les fait resurgir. La description sous diverses formes les fixe pour qu’ils ne soient pas ensevelis trop rapidement par les événements qui viennent reculer le passé.
Le travail volontaire de la mémoire et l’exercice de notation, de dessin ou de peinture consiste ainsi à diviser en parties, à détailler en morceaux : le mouvement des lèvres qui faisait le sourire, la position des bras ou des mains qui accomplissait un geste. Après la perception nécessairement automatique d’une forme dans la vie en direct, l’homme se pose en ’ détaillant’ de la situation en différé.
Ce qui était fragment non réfléchi en vue de la perception courante d’une figure concrète devient fragment réfléchi, travaillé volontairement pour créer une figure mentale et la fixer par le travail de description. Ces fragments ainsi détaillés ne constituent pas alors un détail. Ils ont un vrai enjeu de sens : garder, accumuler, fixer. Le fragment à peine perceptible dans son avènement au quotidien est devenu l’objet d’un décryptage, peut-être obsessionnel. L’exercice est difficile, toujours guidé par la focalisation vers le bon trait et rongé par le doute qu’il est bien le bon. Il peut aussi devenir laborieux et le petit fragment, imperceptible au départ, réfléchi ensuite, est maintenant étouffant.
De la vie à la mort, de la perception directe au souvenir, la présence prend différentes formes : présence concrète, présence mentale, présence écrite, peinte ou dessinée. Sans doute, le travail de focalisation s’arrête quand l’homme a oublié. Le début du deuil ne laisse pas nécessairement présager de l’évolution du détachement, malgré les moyens de rattachement recherchés. L’écriture, qui n’est qu’un moyen parmi d’autres de représenter l’absent, permet surtout de bien repérer les modalités évolutives de la présence. Lorsque ce travail de mémoire est terminé, au bout du souvenir et au début de l’oubli, la présence ne présente plus d’enjeu. Ni celui de face-à-face dans une situation de la vie, ni comme objet de focalisation pour capter et garder. Elle est simplement là sous forme d’un texte, d’un portrait comme elle pourrait l’être sous forme d’un bijou ou de tout autre objet ayant appartenu à l’absent. Ils sont là. Et ce mode de présence suffit, surgissant ponctuellement à la perception ou à la pensée de l’homme. Simple objet d’allusions, rarement d’émotions. Un détail dispersé dans des mots d’écriture, un trait graphique sur une toile. Le détail de la présence tranquille, disions-nous, sans l’enjeu de l’exercice de réminiscence et d’écriture. C’est cela l’oubli. L’animal efface ou périt à son tour après la mort d’un proche. L’homme a la capacité d’oublier, c’est—à-dire de transformer l’absent en l’état de détail, sans qu’il soit effacé et aussi sans qu’il soit enjeu de sens. L’oubli, ce n’est donc pas rien.
Piette Albert, « L’oubli en train de se faire », dans revue ¿ Interrogations ?, N°3. L’oubli, décembre 2006 [en ligne], http://revue-interrogations.org/L-oubli-en-train-de-se-faire (Consulté le 31 octobre 2024).