Depuis environ 150 ans, des scénarios catastrophes décrivent des menaces de retours au Moyen Âge ou d’installation d’un nouveau Moyen Âge. Ce type d’annonces correspond à ce que le philosophe Gunthers Anders a défini en 1960 comme une « apocalypse sans royaume », c’est-à-dire une calamité provoquée par l’homme et ne débouchant que sur des régressions. L’article suit la variété de ces futurs négatifs désignés comme des Moyen Âge dans plusieurs configurations de pensée, dans la prospective et dans la littérature, et dans des genres variés tels que des exposés idéologiques, des commentaires et des analyses de l’actualité, des bandes dessinées d’anticipation ou des romans de science-fiction. Il aborde également les quelques rares plans qui préparent un renouveau accéléré par la préservation de trésors culturels et de techniques avant le cataclysme.
Mots-clés : nouveau Moyen Âge, guerre des races, péril jaune, Apocalypse
Since around 150 years, many disaster scenarios threaten mankind to return to Middle Age or to live a new Middle Age. Such predictions are like what Gunthers Anders designed in 1960 « apocalypse without a kingdom », that is type of calamity caused by humans and open to regressions. This article follows variety of this negative futures named Middle Age in diverse systems of ideas, in prospective and literature, and in many sorts of discourses like ideological presentations, commentaries and analysis of actuality, apocalyptic comics or science-fiction novels. It treats too the rare cases of plans which prepare an accelerated resurgence by the preservation of cultural works and technics before the cataclysm.
Keywords : new Middle Age, war of races, yellow peril, Apocalypse
La modernité, face à ses doutes, ses limites et ses échecs, a imaginé de nombreuses fins du monde. Parmi ces scénarios apocalyptiques, certains concèdent la survie, dans de très difficiles conditions, d’une humanité restreinte. Un monde a été effacé, le progrès annulé, et des êtres subsistent dans une situation qui est un dur retour de temps que l’on espérait révolus. Beaucoup de ces méditations ont développé la crainte d’un « retour au Moyen Âge » [1] ou d’un « nouveau Moyen Âge ». Elles habitent les discours depuis au moins deux siècles. Ainsi, dès 1824, Antoine Madrolle s’en prenait aux pourfendeurs de l’Église et de la monarchie en pointant leur tendance à susciter la peur par l’agitation d’un « retour au moyen âge » :
« Toutes les fois que j’ai entendu faire une terreur de l’inquisition et de ses auto-da-fés, ou de la rétroaction de l’esprit humain du dix-neuvième siècle au huitième, la pensée m’est venue que, s’il était donné aux peuples de voir clairement la vérité, ce ne seraient pas l’inquisition et le retour au moyen âge, mais ceux qui feignent de les redouter, qui seraient un véritable sujet d’épouvante ! » [2] (Madrolle, 1824 : 15).
Cet article s’intéresse aux craintes d’un avenir, vécu comme extrêmement négatif, qualifié de « Moyen Âge » ; particulièrement celles exprimées ou commentées par des locutions comme « nouveau Moyen Âge », « retour au Moyen Âge », et leurs variations et dérivées – sous des formes verbales telles que « revenir au Moyen Âge » et « renvoyer au Moyen Âge » ou d’unités lexicales apparentées comme « prochain Moyen Âge », « futur Moyen Âge ». Il laisse donc de côté une part des idées de rétroaction vers le Moyen Âge et privilégie celles qui s’incarnent dans des formules directes. De plus, l’analyse se focalise sur les plus radicales, celles qui s’alarment d’une « apocalypse sans royaume ». En 1960, Gunthers Anders désignait ainsi le risque potentiel ouvert par l’arme nucléaire. Le philosophe avançait deux changements majeurs justifiant cette coupure. D’abord, « moralement parlant (…) la catastrophe, si elle arrivait, serait l’œuvre de l’homme », « non seulement la conséquence de notre état moral mais également le résultat direct de notre action : c’est nous qui la produirions » (Anders, 2006 : 294 et 312). Ensuite, l’humanité pouvait désormais déclencher une calamité aboutissant à une « apocalypse sans royaume », c’est-à-dire une « fin du monde n’impliquant pas l’ouverture d’une nouvelle situation positive (la situation du ’royaume’) » (Anders, 2006 : 294). L’objectif est donc de se concentrer sur les appréhensions les plus absolues qui craignent une détérioration radicale, désignée comme une rétrocession vers un Moyen Âge, à la suite d’une catastrophe causée par l’activité humaine, non par un dérèglement ou un bouleversement de la nature [3], et qui entraîne une véritable fin d’un monde, pas une simple régression majeure. L’objectif sera de suivre cette angoisse sur plus d’un siècle afin d’en repérer les persistances et variations, mais aussi la plasticité et la disponibilité puisque des idéologies et des conceptions très variées ont développé ces futurs inquiétants.
En 1895, Émile Faguet publie un article de deux pages titré « Le prochain moyen-âge » (Faguet, 1895 : 1-2). Normalien et agrégé de lettres, cet intellectuel est alors professeur à Janson de Sailly. L’année suivante il entre à la Sorbonne et y devient rapidement titulaire de la chaire de poésie française. Académicien (1900), membre de la Ligue de la patrie française – ligue antidreyfusarde modérée –, ce libéral conservateur, en plus de ses ouvrages de critique littéraire, écrivit énormément d’articles très lus sur la littérature, les idées, la politique, la pédagogie, etc. Son bref papier de 1895 eut un fort impact, en particulier sur le thème du « péril jaune ».
Émile Faguet, sans employer ce terme, y décrit le processus de « mondialisation ». Il explique que « le rétrécissement de la planète », enclenché depuis trois cents ans par les progrès des communications, a rapproché « les races », qui désormais se touchent et se heurtent. La « race blanche » en a tiré beaucoup de puissance mais, à moyen terme, elle perdra face aux « races » actuellement dominées et « dites inférieures » qui s’approprient ses moyens de domination et ne tarderont pas à inverser la tendance. L’Europe répète l’erreur de l’empire romain. Ce destin est inexorable car « l’extension et l’expansion des races » est « une puissance physique » inéluctable et le vieux continent a amoindri, du fait de sa prospérité, ses ressorts défensifs. L’Europe luttera certainement vaillamment, mais ne gagnera pas face aux lois naturelles de l’histoire ; il n’y aura peut-être pas de vrais combats, mais juste un fait inarrêtable : la « “puissance imbécile du nombre” ». Faguet imagine la « fin des fins » : « la victoire finale du jaune sur le blanc, en attendant la victoire du noir sur le jaune. » Selon lui, dans quelques siècles, l’ « Europe jaune est probable ». Alors, comme les barbares d’autrefois, les jaunes recueilleront son héritage, et le réélaboreront à leur façon, créant ainsi une « troisième civilisation, différente des deux premières, peut-être supérieure. » Il leur faudra du temps. Car si « [j]aunes et noirs sont intelligents », ils auront, compte tenu de la distance « ethnologique », de la différence de « race », bien du mal à assimiler la civilisation.
L’ « Europe devenue jaune, il y aura certainement une régression ». Par conséquent :
« ce qui nous menace, en cas de victoire des races de couleur, c’est une période d’obscurcissement et de confusion ; c’est un second moyen âge. »
Selon Faguet, ce Moyen Âge futur se caractérisera par la fin d’un « héritage spirituel », fait de « tendances élevées, haute curiosité désintéressée, souci de progrès moral incessant », qui a permis une « progression continue et toujours plus accélérée ». Certaines caractéristiques, suite à l’arrivée massive des « jaunes », puis des « noirs », disparaîtront : « originalité puissante », « élévation intellectuelle et morale », « sens de l’idéal ». Apanages exclusifs des « blancs », elles ont rendu possibles les progrès techniques, matériels et moraux, ainsi que la vraie civilisation. Mais les Européens les négligent, d’où leur décadence. Son dernier paragraphe réitère la prospective : « c’est par un moyen âge qu’il faut passer, et peut être n’est-il pas loin, pas loin du tout. »
Faguet n’est finalement guère original. Il réagit d’ailleurs à un livre d’Alfred Fouillée (Fouillée, 1895) qui synthétise de nombreux penseurs et grands thèmes de l’époque : hiérarchie des races, lutte des races, décadence de la race blanche. Sa particularité est cependant de radicaliser en quelques paragraphes d’une conjecture dramatique, se soldant par la régression vers un nouveau Moyen Âge, les idées de déclin de l’Occident et de montée de « l’immense mer des hommes de couleur ».
L’article de Faguet est paru le 25 juillet 1895. Dès le lendemain, son argumentation marque le jeune Romain Rolland. Dans une lettre à Malwida von Meysenburg, et alors qu’il vient de parler de tout autre chose, sans donner la source de sa réflexion, il écrit :
« Ah ! pauvres de nous, il paraît que dans soixante ans, les Chinois qui sont 400 millions, seront 800 millions. Il paraît de plus qu’une peuplade nègre double en quarante ans. De sorte que dans un ou deux siècles, l’Europe sera jaune, en attendant qu’elle soit noire. Un nouveau moyen âge commencera, plus étrange que le premier. Ce sont les savants et les philosophes qui le disent. Que deviendra notre civilisation blanche ? »
Il poursuit en expliquant qu’elle se dissoudra dans « l’Europe jaune » qui considérera ses grandes réalisations littéraires et artistiques comme « des modèles presque religieux ». Fataliste, il poursuit : « l’humanité sera autre, et elle aura grandi, d’une autre façon sans doute ; mais peut-être que de la nôtre il n’y avait plus rien à dire » (Rolland, 1948 : 145-146).
Romain Rolland n’est pas un anticolonialiste radical. Mais il déplore que les nations européennes, plutôt que d’accomplir pleinement leur mission civilisatrice, se livrent dans les colonies à la surenchère militaire et à l’avidité. Comme beaucoup de ses contemporains, le thème de la décadence de l’Occident le hante. La même année, il écrivait à sa correspondante : « L’Europe actuelle est pourrie comme le vieux monde romain » (Rolland, 1948 : 58).
Trente ans plus tard, le 7 août 1925, Romain Rolland, dans une lettre à Ernst Bloch, reprend l’expression « nouveau moyen âge » :
« Ce qu’on voit aujourd’hui, c’est l’immense fermentation du monde, le soulèvement de toutes les civilisations opprimées contre la civilisation blanche. La lutte sera longue et effroyable. Je crois bien que la civilisation blanche y succombera. Et ce sera un nouveau moyen âge, où se reformeront, dans des siècles de ténèbres illuminés d’éclairs, les futurs âges classiques de raison - et d’oppression… » (Rolland, 1984 : 153).
L’écoute attentive de grandes voix des peuples dominés – Tragore notamment –, le dégoût envers l’attitude des nations européennes – qui ont sombré dans un cataclysme guerrier et y ont entraîné les colonies – radicalisent la pensée de Rolland qui prédit une révolte généralisée des peuples soumis. Par « nouveau moyen âge », l’écrivain, qui ne donne pas de définition, l’expression semblant se suffire à elle-même, désigne la chute vers une époque moins moderne, moins brillante, moins rationnelle. La régression lui paraît non définitive, et le cycle reprendra avec des progrès qui engendreront de nouvelles sujétions.
Faguet et Rolland ne sont pas les premiers à lier « nouveau Moyen Âge », déclin de l’Europe et guerre des races. Dès 1889, le virulent anarchiste français Charles Malato énonce que l’idée républicaine, française, a marqué le XIXe siècle, que le communisme, en passe de triompher, « concorde avec l’hégémonie de l’Allemagne », et que le « siècle prochain sera le siècle de la Russie », que le dernier tsar tombera et que les Russes deviendront alors « entièrement anarchistes » [4] (Malato, 1889 : 20-21). Puis il poursuit la veine prophétique par :
« Un jour viendra où les peuples européens se trouveront face à face avec la race jaune réveillée de sa léthargie. Sans qu’il soit besoin de guerres ou de conquêtes, par le seul fait d’une expansion inévitable, cinq cents millions d’inconscients à face humaine prosternés devant leurs dragons et leurs idoles, léchant la poussière aux pieds de leurs rois, remplaçant la femme par l’homme et la philosophie par le monosyllabisme, menaceront de déborder sur l’Europe. Ce sera un choc redoutable ; si nos petits-fils n’ont pas ce levier puissant, la conscience et la liberté de l’individu, comment pourront-ils réagir contre un nouveau moyen-âge, endiguer le torrent et faire triompher la civilisation ? »
Devant ce danger « des vieilles religions qui ont momifié l’Orient », le polémiste brandit deux armes défensives : « l’impitoyable rationalisme de la science » et « l’affirmation tout anarchiste : ’Ni Dieu ni maître ! ’ ». Mais le combat lui semble presque perdu d’avance, et l’époque future, désignée comme « nouveau moyen-âge », se caractérisera par le retour de l’obscurantisme religieux et la perte de l’esprit moderne (Malato, 1889 : 32-33).
En dépit de leurs divergences politiques, Faguet, Rolland et Malato appréhendent un nouveau Moyen Âge résultant de la conjonction fatale de deux phénomènes : la décadence de l’Europe et les futures luttes des races. Cette prospective n’était nouvelle que par le rôle décisif donné aux « races » et à la masse chinoise – innovation d’autant plus surprenante que la Chine était alors dominée et faible. D’autres auparavant tremblaient déjà face à un nouveau Moyen Âge résultant du déclin de l’Occident et de la montée en puissance de peuples non désignés. Ainsi, en 1876, Théophile Funck-Brentano, professeur de droit civil à la toute jeune École libre des sciences politiques, obsédé par la dégénérescence de la France pleinement manifeste avec la défaite de 1870, écrivait :
« Mais le jour où un peuple nouveau, parvenu à développer en lui les grandes affections que nous aurons été incapables de faire renaître en nous, s’assimilerait nos progrès, leur donnerait une nouvelle et recourrait à la violence pour mettre fin par le fer et le feu à nos égarements, le nom de la France deviendrait un souvenir historique, nos monuments des ruines, et une nouvelle civilisation jaillirait d’un nouveau moyen âge. » (Funck-Brentano, 1876 : 422)
Comme chez beaucoup d’autres, l’expression dégage tant de répulsion que Funck-Brentano ne détaille pas ce qu’il entend par « nouveau moyen âge ». Dans son introduction, il avait néanmoins écrit : « retomberons-nous dans l’état de désorganisation de nos ancêtres des bas siècles » (Funck-Brentano, 1876 : 28), ce qui ne laisse aucune ambiguïté sur l’idée qu’il s’agirait d’une rétrocession négative.
Pendant la Première Guerre, de nombreuses voix la présentent comme une lutte entre des races, non entre Occidentaux et civilisations inférieures, mais entre civilisés parmi lesquels les propagandes distinguent des différences raciales. Aux lendemains du conflit, beaucoup expriment leur scepticisme à l’égard des déclarations de paix durable. Dans un article sur « Les Dangers du principe des nationalités », Albert Pauphilet, spécialiste de littérature médiévale – il achève alors une thèse sur la quête du graal –, normalien et agrégé de lettres, participe de ce pessimisme :
« Un nouveau Moyen-Age commence, où l’humanité sera aussi divisée en particularismes hostiles, aussi soumise à l’impitoyable loi du plus fort qu’aux environs de l’an mil. Nous n’aurons même plus entre nous, comme en l’an mil, le lien de la fraternité religieuse ; notre dernière croyance commune se sera écroulée dans la violence et l’incohérence. » (Pauphilet, 1919 : 279)
Il poursuit le rapprochement médiéval en mettant en garde contre un dirigeant qui, tel un « nouveau Pierre l’Ermite » – il pense probablement à Woodrow Wilson – appellerait à une croisade pour la paix – car c’est ainsi que certains ont présenté cinq ans plus tôt la guerre qui a « abouti à une faillite sanguinaire et absurde ».
Ce doute envers une paix durable est aussi celui du philosophe italien Adriano Tilgher : « L’heure semble désormais venue pour un deuxième Moyen-Âge en Europe, pour un retour de la barbarie dans le monde » (Tilgher, 1921 : 44) [5].
La rumeur d’un affrontement prochain sourd pendant les années vingt et trente, et la frayeur d’un « nouveau Moyen Âge » l’accompagne. Quand la guerre éclate, cette angoisse se poursuit. Le 18 juin 1940, Winston Churchill prononce devant la Chambre des communes le célèbre discours « Their finest hour ». Dans leurs journaux, les lecteurs français en lisent cette traduction :
« Si nous sommes capables de tenir contre Hitler, tout est sauvé. Si nous échouons, le monde entier, y compris les Etats-Unis, tombera dans un nouveau moyen-Age, plus sombre et plus cruel que l’autre ». (Churchill, 1940).
Des commentateurs ont vu dans les propos du Premier ministre la trace de Gibbon et H.G. Wells, ainsi qu’un trait commun de l’intelligentsia britannique opposée au nazisme qui le jugeait porteur d’une régression terrible de la civilisation (Rose, 2014 : 319). Mais ils s’inscrivaient aussi dans le sillage de l’allocution radiodiffusée du Président du Conseil, Paul Reynaud, qui avait déclaré le 6 juin 1940 à propos du « monde entier » :
« les combats de juin 1940 vont décider de son sort, comme l’a dit Hitler, peut-être pour des centaines d’années.
Quel est le risque ? C’est de voir s’instaurer en Europe et au-delà de l’Europe, (…) le régime d’oppression où les hommes de sang non-allemand n’auront plus qu’un rôle d’esclave.
La ruse, d’abord peut-être, puis bientôt les ordres, les brimades, les coups de cravache sur la figure des ouvriers, la destruction physique et morale des élites. Voilà le monde nouveau que Hitler annonce dans sa proclamation : un moyen âge qui ne serait pas illuminé par la douceur du Christ. » (Reynaud 1951 : 712)
La formule « un moyen âge qui ne serait pas illuminé par la douceur du Christ » semble inspirée de l’historien italien Guglielmo Ferrero. En 1931, devant les tensions grandissantes, et ne voyant plus les ressorts du « christianisme et de l’humanitarisme » suffisamment forts pour pousser les peuples à résister au déchainement, cet opposant au fascisme désigne comme inéluctable une « explosion fantasmagorique de violence » et annonce :
« Nous ne trouverons le salut qu’à travers un nouveau moyen-âge, produit par le déchaînement de la force monstrueuse que nous avons créée et que nous ne savons plus diriger ; un moyen-âge — hélas ! — à la nitroglycérine, sans Giotto, sans Dante, sans Christ. » (Ferrero, 1931 : 244 [6]).
Ferrero réfléchit à l’actualité brûlante dans le cadre d’une « histoire de l’humanité » conçue comme « une suite de grandes catastrophes » car elle crée « des monstruosités qui périodiquement l’affligent » et dont elle se libère par des crises provoquées par « ces monstruosités insupportables, ou indirectement par les efforts désespérés des hommes, qui v[eul]ent s’en débarrasser » (Ferrero, 1931 : 242). Les civilisations – il désigne par là des unités comme l’Occident, mais aussi des époques qui forment un ensemble cohérent dominé par quelques grands principes – changent par le « conflit » entre des « aspirations à la liberté et au progrès » et des « freins » constitués par des « principes de discipline morale, intellectuelle, politique » (Ferrero, 1931 : 235). Longtemps, elles se sont transformées lentement, mues par des idéaux placés comme « bouées visibles » vers l’avenir (Ferrero, 1931 : 239). À divers moments, elles ont basculé vers de grands changements, inaugurant de nouvelles civilisations mais qui conservaient des précédentes des « freins ». Le XIXe siècle a été une « révolution », « la plus grande après le christianisme », car il a arraché les points fixés à l’horizon, a doté de nombreux peuples d’aspirations et de capacités à changer très rapidement et grandement, et a donc mis « l’homme en face de l’illimité » (Ferrero, 1931 : 239). Un temps, des freins hérités du passé ont tempéré, et de cet équilibre ont résulté d’immenses améliorations des libertés, des techniques, du confort, etc. ; mais ils se sont usés, et la Guerre de 14-18 les a « brisés » (Ferrero, 1931 : 237). Le progrès a ainsi créé une nouvelle « exagération morbide » : « la guerre hyperbolique ». S’en débarrasser exige « une réaction de notre sens moral et un acte de notre volonté » écrit Ferrero, qui espère un sursaut décisif aboutissant à une ère de paix d’au moins cinquante ans nécessaire à l’Occident pour créer ou réactiver des « freins » puissants face à l’enchaînement cataclysmique. Mais les événements ne semblent pas prendre cette direction. Aussi, l’humanité – car la catastrophe qui frappera l’Europe aura, de par son influence sur le reste du monde, un impact mondial – risque de revenir à un « moyen-âge », mais sans les freins qu’étaient le christianisme, et avec les moyens de destruction modernes. (Ferrero, 1931 : 244). Dans la conception de Ferrero, il s’agit, malgré la récession, d’un « salut ». En effet, le premier Moyen Âge est advenu à la suite de « l’immense crise » qui « a démoli presque toute la civilisation antique » et qui « n’a servi qu’à détruire pour toujours » la « monstruosité » qu’était l’exagération du « principe de hiérarchie » poussé « jusqu’à diviser l’humanité en dieux et brutes ». Le prochain « moyen âge », à redouter, mais certainement inévitable car correspondant au fonctionnement historique des civilisation, purgera la modernité de son terrible revers : « la guerre hyperbolique ».
En 1939, la « guerre hyperbolique » éclate. Très vite, les nazis installent en Europe continentale un nouvel ordre que de nombreux commentateurs décrivent comme un « nouveau Moyen Âge » car cette formule correspond le mieux à l’oppression, à l’exploitation, et aux persécutions qu’ils voient à l’œuvre, mais aussi parce que la propagande nazie rêve au rétablissement de prétendus héritages germaniques médiévaux.
Ainsi, le philosophe communiste Georges Politzer, résumant les convictions exposées dans un discours à Paris en novembre 1940 par le théoricien nazi Alfred Rosenberg, écrit : « Le racisme a triomphé définitivement dans le monde, l’obscurantisme règnera ; l’humanité est condamnée à un nouveau moyen âge », avant de déclarer que l’URSS, elle, est la « ″négation″ du racisme » (Politzer, 1969 : 312-313) [7].
Le 16 novembre 1941, dans un journal de Cuba, l’écrivain Alejo Carpentier, qui a vécu dans l’Hexagone entre 1928 et 1939, commente la France défaite par des mots très semblables :
« La France est tombée dans les ténèbres d’une Europe, vaincue par les lansquenets, et elle semble être retournée aux jours les plus sombres du Moyen Âge… Une Europe affamée sur laquelle se détachent toutes les nuits, sous forme d’aluminium et d’acier, les silhouettes de la Danse macabre dessinée jadis par Holbein sur les murs du cimetière de Bâle. » (Carpentier, 2003 : 126-127).
Denis Guillon, alors jeune résistant, se rappelle qu’il imaginait ce qui arriverait à celui qui deviendrait « inconditionnellement un membre esclave du Parti » : « il se pourra que le Conseil Suprême te confie un de ces districts à gérer. Là, tu seras le seigneur, dans une vraie puissance féodale retrouvée. Ce sera le nouveau MOYEN-AGE : le progrès ! (MEIN KAMPF dixit !). » (Guillon, 1988 : 82)
Un autre résistant, le sociologue Albert Bayet, le carnage juste achevé, se souvient du désarroi de beaucoup en 1940 :
« On peut croire, on croit un instant qu’avec la France trahie c’est l’humanisme qui succombe, que la barbarie a partie gagnée, que la nuit d’un nouveau moyen âge va envelopper l’Europe [8]. » (Sapiro 2011 : 179)
Compte tenu de la propension des opposants au nazisme à le décrire comme un « nouveau Moyen Âge » et des références positives de ce régime envers des éléments médiévaux, un fait pourrait surprendre. Au début de la campagne de Russie, Hitler prédit – pour motiver son entourage et comme il le fait depuis Mein Kampf – « la fin de toute civilisation humaine en cas de victoire du judéo-bolchevisme » et « prophétise une nuit de mille ans comparable à la nuit médiévale qui a frappé l’Europe après la fin du monde antique. Hitler n’a rien d’un amateur de Walter Scott : le Moyen Âge constitue à ses yeux une régression culturelle inouïe, un âge obscurantiste et oppressant après la clarté de la culture, du paganisme et de l’humanisme antique, qui ne préfigure qu’imparfaitement ce qui guette l’Europe en cas de victoire de la bestialité soviétique ». (Chapoutot, 2008 : 668-669) [9].
Lors du deuxième conflit mondial, la façon dont « nouveau Moyen Âge » et consorts, autour des conséquences redoutées de la guerre, s’activent dans des camps diamétralement opposés, manifeste la plasticité de ces expressions et leur extrême prégnance à exprimer et motiver la crainte envers un futur catastrophique.
Les guerres de la première moitié du XXe siècle n’ont pas débouché sur un nouveau Moyen Âge. Mais l’appréhension d’une telle rétrocession à la suite d’un cataclysme militaire s’est poursuivie. D’ailleurs, elle existait avant la Première Guerre mondiale. En 1908, dans The War in the Air d’H.G. Wells l’Allemagne attaque les États-Unis avec une flotte aérienne sans précédent, le conflit dégénère en un affrontement planétaire opposant l’Europe à l’Asie qui déclenche une crise financière, la famine, l’anarchie et la peste. La catastrophe est rapide : « D’une unité et d’une simplicité plus larges que celles de l’Empire romain, le monde passa, d’un seul coup, à une fragmentation aussi complète que celle du moyen âge, à la période des seigneurs féodaux, brigands et pillards. Mais cette fois, au lieu d’une longue descente graduelle vers la dislocation, ce fut une chute subite, comme du haut d’une falaise. » (Wells, 1984 [1908] : 342).
Par ce récit, Wells ne s’engage pas dans la germanophobie ou la crainte exacerbée d’une guerre à venir mais fait une expérience littéraire qui pousse au bout des tendances lourdes de son temps : progrès technique, course à l’armement et réseaux complexes d’alliances entre les nations. Le danger ne vient pas, pour Wells, des ambitions françaises ou allemandes : « il est dû essentiellement au fossé qui s’élargit sans cesse entre le progrès matériel et l’évolution intellectuelle et morale de l’homme » (Vergier, 1971 : 336) qui n’a pas su s’adapter biologiquement et culturellement à l’évolution rapide qu’il a initiée. Il ne la maîtrise pas et elle lui fournit une capacité ravageuse propice à une « dissolution universelle » et au renvoi brutal vers le passé : « Comme une vessie qui éclate, le bel ordre et le bien-être se sont évanouis de ce monde. En cinq courtes années, la terre entière et toute la vie humaine ont subi un changement rétrogressif aussi profond que celui qui sépare la période des Antonins et l’Europe du IXe siècle… » (Wells, 1984 [1908] : 343).
Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, beaucoup d’œuvres de science-fiction ont imaginé un nouveau Moyen Âge survenant à la suite d’un retentissant événement guerrier, souvent sans vraiment décrire le déchaînement menant à la rétrocession. Citons en trois significatives. La bande-dessinée Les Mémoires Mortes se déroule en 2366 à New York. En 2041, la Troisième Guerre mondiale a détruit toute source d’électricité. Au sommet des gratte-ciel, des rescapés et leurs descendants vivent dans des maisons de bois à l’allure médiévale et subissent les attaques de terribles créatures. La quatrième de couverture annonce : « Un futur trop proche et déjà lointain. La civilisation de l’énergie a laissé place à un nouveau Moyen Âge » (Bajram, Chouin, 2000). Dans cette anticipation, le Moyen Âge désigne un monde régi par des technologies archaïques et diverses croyances et rites, installé dans les ruines de la modernité d’antan.
Dans Récits de Médilhault, publié en 1994 par la Québécoise Anne Legault, une Troisième Guerre mondiale opposant riches et pauvres, survenue vers le début du XXIe siècle, a laissé un monde anéanti et dirigé par une caste autoritaire qui interdit toute connaissance autre que celles permettant les activités quotidiennes. Posséder et lire des livres est défendu. L’Amérique du Nord a perdu son unité, elle est divisée en cités-États indépendantes. Des technologies avancées, notamment terminaux et écrans informatiques, subsistent. Le gouvernement ressemble fort aux régimes totalitaires du XXe siècle. Mais plusieurs traits rapprochent cette société de l’époque médiévale – par exemple un seigneur domine la ville ceinturée de murailles. En conséquence, comme la quatrième de couverture l’affirme, avec ce livre : « Nous entrons dans un nouveau Moyen Âge. » (Legault 1994)
Telluria de Vladimir Sorokine, sorti en 2014, offre un portrait en cinquante vignettes d’un monde à venir grotesque et angoissant. L’Europe a implosé sous la pression de régimes extrémistes musulmans ; des séparatistes ont démantelé la Russie en une multitude de petits royaumes et principautés ; des créatures horrifiques et des humains se disputent l’acquisition du tellure, substance métallique devenue la plus intense de toutes les drogues. Sous forme de clous plantés dans le cerveau, - quand l’opération est réussie, car les mauvaises manipulations sont fatales - elle permet de réaliser les désirs et les rêves les plus fous, de vivre des extases, en bref de s’évader d’une réalité chaotique et ravagée par la violence. Une région de l’Altaï, la Tellurie, en a le monopole et exacerbe les envies. Dans cette fable déjantée, mais très politique et dénonciatrice de tendances actuelles, Sorokine n’emploie qu’une fois le terme « Moyen Âge », lors de la description d’une séance d’implantation de clous de tellure dans les cerveaux de chevaliers combattants au Languedoc contre les Mahométans : « Aris le Perceur se penchait sur les crânes rasés des chevaliers, tel l’alchimiste du Moyen Âge sur une rangée de cornues dans lesquelles eût bouillonné un élixir merveilleux » (Sorokine, 2017 [2014] : 145). Mais, de nombreux traits de cette dystopie empruntent à cette période, et la quatrième de couverture annonce :
« Après l’implosion de l’Europe, provoquée par les wahhabites et les talibans, et le démantèlement de la Russie par les séparatistes, un Nouveau Moyen Âge s’est instauré sur un territoire immense qui va de l’Atlantique à l’Oural puis au Pacifique. (…). C’est une ère de grande confusion, le Temps des Troubles. »
En bref, ces récits de science-fiction décrivent des Moyen Âge futurs qui partagent de nombreux traits de ceux envisagés par des idéologues, des dirigeants ou des intellectuels : fragmentation des grandes constructions politiques, retour en force du religieux, dégradation des conditions de vie et des libertés…
Les nouveaux Moyen Âge catastrophiques analysés jusqu’ici les conçoivent comme résultant de la décadence ou/et de la guerre. D’autres causes ont été envisagées. Dans Demain le Moyen Age de Roberto Vacca, un effondrement technologique le provoque (Vacca, 1973 [1971]). En ce début des années 70 qui commence à interroger les méfaits et fragilités du modernisme, cet ingénieur, enseignant à Rome et à Harvard, annonce que le monde développé - qui repose sur de grands systèmes interdépendants et précaires car trop complexes : ressources et production d’énergie, transports et moyens de communication, acheminement de la nourriture, etc. - va sombrer. Une immense coupure d’électricité [10], dans des conditions climatiques difficiles, entraînera des crises en chaîne qui provoqueront une crise généralisée – « un Moyen Age » – qui éliminera la moitié des habitants des pays industrialisés. La vulnérabilité n’est pas que technologique. Elle résulte d’un aveuglement, car on juge les ordinateurs capables de résoudre tous les soucis de contrôle sans avoir solutionné les problèmes structurels de base, et d’une absence de vraie philosophie pratique du futur. Les États-Unis subiront ce bouleversement majeur vers 1985, le reste du monde développé suivra. Ironie de l’histoire, les pays du Tiers Monde, protégés par leur sous-développement si proche des conditions d’après la catastrophe, ne pâtiront pas de graves récessions. Demain le Moyen Age connut un large succès, de multiples rééditions dans sa langue initiale et des traductions. Sa prévision, qui désignait 1985 comme début de la crise globale, n’est pas advenue. L’auteur ne s’est cependant pas dédit : la version de 2000, qu’il propose sur son site en italien et en anglais [11], comporte pour chaque chapitre un ajout qui précise comment la situation a évolué depuis 30 ans.
Il est possible que Ravage de René Barjavel ait contribué à l’anticipation de Roberto Vacca [12]. En effet, le chapitre « La conjuration des systèmes urbains » du Prochain Moyen Age et ce roman déploient globalement le même enchaînement dramatique d’effacement des facilités technologiques. Le scientifique italien a d’ailleurs, peu après cet ouvrage, écrit une fiction illustrant sa thèse (Vacca, 1974). Dans Ravage, publié en 1943, une société ultramoderne, où peu de travail et de peine pourvoient à tous les besoins et désirs, s’écroule suite à la disparition de l’électricité. Le roman n’emploie pas directement le terme « Moyen Âge » pour peindre l’après catastrophe, mais le lecteur assiste au remplacement inexorable du modernisme policé par des conditions anciennes, que quelques traits de vocabulaire, de mentalités et situations incitent à assimiler à un Moyen Âge. D’ailleurs, nombre de commentateurs ont renvoyé à cette période pour présenter ce récit. La fiction de Barjavel et la prospective de Vacca dénoncent la fragilité d’une société aveuglée par une modernisation illusoire qui annihile les capacités et les valeurs de l’humanité. Dans Ravage, le personnage de François, encore proche du travail de la terre, organise la survie d’un petit groupe, puis devient le patriarche d’une communauté polygame refusant la technologie ; il meurt dans l’affrontement avec le clan voisin qui cherche le confort des machines et du progrès technique. Des critiques ont interprété ce roman comme une exaltation de la Révolution nationale ; mais d’autres ont avancé, qu’au contraire, il s’agissait d’une ironie dénonciatrice. Ce qui compte, pour notre angle d’étude, est que le nouveau Moyen Âge, chez Barjavel et Vacca, résulte d’une catastrophe technologique générale.
Chez ces deux auteurs, l’humanité, en voulant échapper à la dureté de l’existence et aux contraintes de la nature, provoque, ou risque de déclencher, des déséquilibres qui entraînent une crise généralisée aboutissant au retour des conditions médiévales. C’est aussi le cas de Neige de Didier Convard et Christian Gine. Cette série de bande dessinée commence de paraître en 1986 dans le journal Tintin. Elle suit l’odyssée violente d’un jeune homme dans une Europe plongée dans la neige et la glace depuis qu’une erreur de l’ordinateur central a déréglé les grandes stations régulant la météorologie. Affligée d’ « épidémies (…) comme aux temps médiévaux », rongée par une « nouvelle peste infernale… le mal d’Orion » [13] (Convard, Gine, 2003 : 18, 33), isolée du reste de la planète par un mur électromagnétique, l’Europe, où survivent des lambeaux de la technologie d’antan, se retrouve dans une ambiance qualifiée de « nouveau Moyen Âge » par de nombreux lecteurs et critiques.
Il n’a pas fallu attendre les années 1970 pour imaginer des apocalypses technologiques. En 1928, l’architecte allemand Herman Sörgel dévoile un dessein grandiose : construire, dans le détroit de Gibraltar, un barrage de 35 kilomètres de long et de 300 mètres en son point culminant, puis y ajouter d’autres barrages dans la Méditerranée et des structures dans le Sahara. Le projet Panropa, rebaptisé ensuite Atlantropa, vise l’amélioration radicale des conditions de vie et la cohabitation des peuples. L’objectif : abaisser la Méditerranée de 200 mètres afin de gagner plus de 600 000 km² habitables, assurer l’approvisionnement énergétique de l’Europe et organiser l’irrigation massive de régions arides d’Afrique. Inquiet de la puissance des États-Unis d’Amérique, du péril jaune, de la crise, du chômage, et hanté par la théorie du déclin de l’Occident, ce spécialiste de l’hydroélectricité multiplie les conférences et les écrits. Il ne convaincra pas les nazis. Après-guerre, certains reparleront de cette entreprise, mais le potentiel du nucléaire la rangera dans les spéculations non abouties et son inspirateur – décédé à la suite d’un accident de vélo fin 1952 – parmi les rêveurs plutôt que les précurseurs. En 1932, Louis-André Fouret explique que ce plan peut entraîner une « révolution matérielle qui elle-même orienterait dans les voies nouvelles la civilisation spirituelle, morale et politique de l’Europe et la vie du monde » ; mais que les gains escomptés pourraient aussi attiser la haine et « les États égoïstes et ambitieux (…) se déchirer, chacun voulant le monopole et la propriété exclusive de la terre et de l’énergie conquises, détruisant dans une lutte que la science rendrait terrible, non seulement les nouvelles valeurs, mais aussi le patrimoine qu’ils possèdent déjà. Un pessimiste pourrait prédire l’avènement d’un nouveau moyen âge, un crépuscule de la civilisation actuelle. » (Fouret, 1932 : 699). Cet article ne met pas en cause un programme potentiellement porteur de progrès, mais avance qu’il pourrait enclencher, par la faute d’États avides et guerriers, un processus destructeur créant une époque négative : un Moyen Âge.
Les exemples cités jusqu’ici de Moyen Âge fruit d’une technologie mal maîtrisée, devenue folle ou attisant les convoitises, renvoient à des potentialités futures. Examinant l’actualité – plus précisément les catastrophes de Bhopal et Tchernobyl [14] –, le sociologue allemand Ulrich Beck a diagnostiqué la société actuelle comme une « Société du risque » car l’individu est exposé, comme à l’époque médiévale – Beck parle de « Moyen Âge moderne du danger » –, à de multiples impondérables, mais qui cette fois résultent des conséquences perverses de l’évolution scientifique. Il rapproche plusieurs fois l’époque médiévale et la modernité dangereuse, comme dans ce constat : « On entend partout les murmures des toxiques et des polluants qui grouillent comme les démons du Moyen Âge » (Beck, 2008 [1986] : 15 et 133 [15]).
Ainsi, depuis presque un siècle, de nombreux créateurs ou analystes envisagent et craignent un retournement technologique qui ramènerait au pire de l’époque médiévale ou qui engendrerait un futur négatif, toujours décrit comme un « Moyen Âge ».
L’« apocalypse sans royaume » implique une destruction gigantesque non suivie d’une situation positive. Ne succombant pas au pessimisme extrême, et certainement mus par la conviction que la grandeur de l’Occident ne peut disparaître, plusieurs futurologues de la fin du XIXe siècle imaginent qu’elle participera au germe des civilisations victorieuses. Théophile Funck-Brentano appelle ainsi à une union avec les Slaves, peuple jeune qui a besoin d’une civilisation telle que la France pour grandir. Cette alliance éviterait l’annihilation et permettrait de sortir plus rapidement du nouveau Moyen Âge. La France, en participant à l’élaboration d’une civilisation composite, régénérée par la vitalité des Slaves, ne disparaîtrait pas totalement, mais se fondrait dans une nouvelle entité à fort potentiel : « c’est à une civilisation franco-slave qu’appartient l’avenir du monde. » (Funck-Brentano, 1876 : 425).
Vingt ans plus tard, Faguet avance, pour la perpétuation de la civilisation occidentale malgré un nouveau Moyen Âge, une autre solution, qui elle sera prônée par plusieurs :
« il est entendu que nous n’admettons pas qu’elle [la civilisation occidentale] meure. Quels seront les cloîtres d’un genre nouveau, les couvents singuliers, les monastères imprévus où, un peu en cachette, peut-être, pieusement, avec des airs de mystère et de culte, on imprimera ces anciens un peu fantastiques qui s’appelleront Descartes, Leibniz, Corneille (…) ? »
Faguet propose donc que, comme l’ont fait les moines du premier Moyen Âge avec les textes de la civilisation gréco-latine, des communautés conservent la culture littéraire et philosophique européenne des temps modernes dans ce « prochain moyen âge » inéluctable. Ainsi, la civilisation blanche pourrait renaître, non incarnée dans un peuple européen, mais présente « par son esprit » dans la culture et les valeurs des nouveaux maîtres.
L’idée des cloîtres, réceptacles et gardiens des savoirs et de la technologie pour une future régénération de civilisation après la catastrophe à venir, se retrouve dans d’autres annonces de nouveau Moyen Âge. Ainsi, en 1932, l’académicien Abel Hermant l’envisage dans un dialogue misogyne entre la mondaine « Dosithée » et sa peu modeste personne (Hermant, 1932). La grande dame, angoissée par les annonces de « faillite de notre civilisation », lui demande s’il pense que « nous retomberons sous peu dans les ténèbres d’un nouveau moyen âge ». Sa réponse n’est guère tranchée … puis finalement il déclare :
« je n’en crois rien », et poursuit par : « si nous devions prochainement retourner au moyen âge, nous ne serions déjà plus en état de nous en apercevoir. » Il envisage néanmoins l’idée, mais sans s’en effrayer :
« Si d’ailleurs nous retournions au moyen âge, serait-ce un si grand mal ? Les avis sont partagés. Verlaine n’a-t-il pas souhaité que notre âme en panne naviguât “vers le moyen âge énorme et délicat” ? »
Dosithée, inquiète de devoir changer ses « petites habitudes (…) terriblement modernes », s’abandonne à des pensées plus négatives encore et envisage la fin de « notre civilisation ». L’académicien se veut rassurant :
« - Je suis plutôt porté à croire que jamais aucune civilisation n’a été anéantie, et que le destin a su toujours sauver, par des moyens de fortune, ce qui méritait d’en être conservé. Quant à notre civilisation, n’est-il pas singulier que ceux qui en annoncent et en redoutent la fin soient les mêmes qui affectent toujours de la dénigrer ? Quand même tout ce qui est en elle de matière périrait, je suis persuadé que son esprit demeurera. Les inestimables trésors dont elle a enrichi la connaissance humaine ne seront pas perdus. N’est-ce pas l’essentiel ?
- Oui… fit Dosithée du bout des lèvres. Mais ces trésors, qui les gardera ?
- Qui sait ? Comme au temps jadis, des moines… dans des couvents… où je ne vous promets pas toutefois qu’il y aura le chauffage central.
- Dosithée frissonna. Et nous sommes en juin ! »
Comme bien d’autres, cette conversation ne creuse pas le sens d’un « nouveau Moyen Âge ». D’ailleurs, quand Abel Hermant demande à Dosithée le sens d’ « un moyen âge » [16], son interlocutrice, « embarrassée », passe, après « un court silence », à une autre question.
Roberto Vacca a, lui aussi, mais en la décrivant précisément, avancé cette solution. Son dernier chapitre développe un « Projet de communautés monastiques destinées à conserver la culture et à rendre possible une nouvelle Renaissance » (Vacca, 1973 : 211-225). De « nouveaux moines [y] auraient pour mission de conserver des informations et d’enregistrer dans leur mémoire les procédés de fabrication de certaines choses » (Vacca, 1973 : 2014). Ainsi seraient mis « à la disposition de nos successeurs des connaissances, des théories et des procédés qui puissent être utilisés pour reconstruire des formes de civilisation et de vie collectives détruites ou dégénérées, c’est-à-dire pour commencer une Renaissance » [17] (Vacca, 1973 : 215). L’humanité doit, dès aujourd’hui, prévoir une « dotation de moyens » afin de constituer de tels « groupes de survie » et leur fournir des instruments de défense et de pouvoir pour assurer, dans le chaos et la violence qui accompagneront la crise généralisée du « prochain Moyen Âge », les privilèges et la puissance indispensables à leur charge de préservation. Cette perspective, cruciale pour le futur renouveau, a une dimension éminemment politique :
« Le problème touchant le choix du type de culture à conserver, des moyens de la conserver et des personnes chargées de la conserver, est à coup sûr insoluble sur une base démocratique et représentative. Une solution consisterait à s’en remettre à la libre compétition, en souhaitant qu’elle permette la conservation et la survie de types d’informations et de groupes possédant des caractéristique différentes et, éventuellement, opposées. » (Vacca, 1973 : 218-219).
Alors que Faguet ne concevait la civilisation qu’occidentale, et les monastères à venir que comme des instruments d’une survie spirituelle et culturelle de l’Europe moderne chez les peuples dominants du futur, Vacca pense à une civilisation mondiale et milite pour la préparation, par la préservation des fleurons littéraires, et surtout des techniques, des savoirs et savoir-faire, d’un renouveau généralisé après la rétroversion.
La science-fiction a elle aussi imaginé la sauvegarde de biens culturels et savoirs pour faciliter un nouveau départ après la catastrophe. Dans Neige, citée plus haut, une société secrète – « Les Douze » – protège les arts, et les connaissances d’autrefois, indispensables à une renaissance future. Et bien avant, plusieurs classiques de la science-fiction en avaient fait un thème central de leurs intrigues, fournissant peut-être une inspiration pour Roberto Vacca. Ainsi, dans Fondation d’Asimov [18], publiée d’abord en histoires courtes dans un magazine à partir de 1942 puis en volume en 1951, le professeur Sheldon prédit par la « psycho-histoire » le déclin et la destruction de l’Empire galactique [19], suivis de trente mille ans de barbarie avant le Renouveau. La catastrophe est inévitable ; mais une Fondation, pendant les cinq siècles qui restent jusqu’à l’effondrement, regroupera toutes les connaissances dans une Encyclopedia Galactica. Cette accumulation offrira aux générations à venir un potentiel si favorable de régénération civilisationnelle que la récession ne durera qu’un millénaire (Asimov, 1957 [1951]). Dans Un cantique pour Leibowitz de Walter M. Miller Jr., paru en 1959, au cœur du monde détruit par le feu nucléaire et survivant dans une ambiance à forte teneur médiévale, des moines ont sauvegardé des bribes du savoir technologique. Mais leur redécouverte dans un monastère de l’Utah, et les querelles qui s’ensuivent, aboutissent à un nouveau cataclysme (Miller, 2001 [1959]).
Depuis plus d’un siècle, essayistes, scientifiques, bédéistes, romanciers, ont donc imaginé de futurs « Moyen Âge » inquiétants et catastrophiques. Non advenus … pour le moment, ils apparaissent finalement optimistes par rapport à celui qu’annonce La Convergence des catastrophes paru en 2004 : à l’horizon 2025, la civilisation mondiale périra. Des « lignes dramaturgiques » – dégradation de l’écosystème mondial, accroissement incontrôlé de la pollution et bouleversements climatiques ; fragilisation d’une économie mondialisée spéculative et endettée ; retour des épidémies et efficacité décroissante des antibiotiques ; épuisement des énergies fossiles et des ressources agricoles ou halieutiques ; montée des nationalismes, des terrorismes et prolifération nucléaire ; recrudescence des intégrismes religieux, principalement l’islam, de plus en plus dangereux en particulier du fait d’un « plan de conquête de l’Europe » établi par des autorités religieuses musulmanes ; vieillissement dramatique des populations des pays riches qui entraînera une récession économique sans précédent ; risque de guerres civiles ethniques en Europe ; marasme croissant dans les pays du Sud, qui se sont industrialisés au rebours de leurs cultures traditionnelles, et finiront dans le chaos social ; cancérisation du tissu social européen, par les effets cumulés de l’immigration-invasion, de la consommation croissante de drogues, de l’implosion de l’école, de l’explosion de la famille, de l’anéantissement de la culture populaire submergée par la culture en kit portée par les médias, etc. – convergent et provoqueront l’écroulement généralisé. Dans ce « chaos » terrible, la population, qui sera la variable d’ajustement, se réduira considérablement. La conclusion, titrée « Demain, un nouveau Moyen Age », envisage plusieurs scénarios (Corvus, 2004 : 205-212) :
La quatrième de couverture annonce : « La thèse de ce livre est terrifiante : la civilisation mondiale actuelle va s’effondrer dans les vingt ans à venir ; et il est trop tard pour s’y opposer. Nous allons régresser vers un “Nouveau Moyen Age”, nous allons vivre la chute de l’Empire romain en dix fois plus fort ».
Après l’effondrement, il y aura un renouveau. En effet, l’ouvrage s’achève par une méditation sur des traditions hindoues qui auraient annoncé un « âge de fer », le Kali Yuga, placé sous les sceaux du matérialisme et de l’égoïsme et aboutissant au point de non-retour actuel. Mais du cataclysme qui surviendra, l’humanité se relèvera meilleure, aussi la « fin de ce monde est une bonne nouvelle, même s’il s’accomplira bientôt dans la détresse et la douleur. Après les ténèbres qui commencent, viendra la lumière ; l’histoire humaine est loin d’être terminée. » (Corvus, 2004 : 218)
Le dos du livre présente l’auteur comme suit :
« Guillaume Corvus, 54 ans, est docteur en Sciences politiques. Son parcours professionnel s’est déroulé dans les secteurs de l’armement, de l’automobile, de la publicité et de l’audiovisuel. Il a enseigné la sociologie à l’université. Il est actuellement journaliste et consultant international. »
L’édition en langue anglaise ne cache pas son vrai nom : Guillaume Faye [20]. Arktos, maison d’édition londonienne fondée en 2009 et éditeur principal de la « Nouvelle Droite » européenne [21], propose même un portrait biographique [22] de l’essayiste, qui avait d’ailleurs fait la promotion de son livre dans la presse d’extrême-droite, à la radio ou sur des sites internet, sans user de son pseudonyme. Théoricien de la Nouvelle Droite dans les années 1970-1980 au sein du Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (GRECE), Guillaume Faye est un militant actif des idéologies xénophobes. Exclu du GRECE en 1986, il s’éloigne de la politique pendant dix ans et devient, sous le pseudonyme de Skyman, un des animateurs vedettes de Skyrock. En 1997, il réintègre le GRECE, puis en est exclu à nouveau en 2000 pour racisme. Depuis, il n’a jamais cessé d’être le chantre, dans de multiples conférences, blogs et ouvrages, d’un racialisme virulent, et une des figures les plus radicales de la mouvance identitaire sur les questions raciales et ethniques, ainsi que sur l’islam [23].
Avant d’en faire le titre de son essai de 2004, Guillaume Faye avait déjà usé de l’expression « La Convergence des catastrophes » (Faye, 1998 ; Faye, 2001 : 80). Mais « nouveau Moyen Age » n’était pas alors sous sa plume. Dans la version anglaise de La Convergence, lors de la première utilisation de cette expression, une note de l’éditeur [24] précise que le concept a été développé par Alain Minc dans Le nouveau Moyen Âge paru 1993. Guillaume Faye semble accepter cette filiation puisque cette note intègre la reprise de ces pages sur un de ses blogs [25].
Essayiste médiatique et libéral, Alain Minc est bien entendu totalement à l’opposé des conceptions racistes de Guillaume Faye. Son essai alertait contre un optimisme béat après la chute du Mur de Berlin et soutenait que, loin d’ouvrir vers une ère de félicité, le monde s’orientait vers un « nouveau Moyen Âge », déstructuré, en proie au tribalisme et aux crises, sans centre, avec des « zones grises » dominées par les mafias et la corruption, habité par de plus en plus d’exclus, où la raison reculerait au profit d’idéologies primaires, de superstitions et de peurs ancestrales, où les souverainetés s’effilocheraient et les structures s’effaceraient, où l’émiettement et le désordre gagneraient (Minc, 1993). La première page signalait que l’idée d’un « nouveau Moyen Âge » n’était « étrangement pas neuve et Berdiaev se l’était, en son temps, appropriée ». Précision pour le moins bizarre car le sens que lui donnait le philosophe, dans son célèbre essai si commenté dans l’entre-deux guerres, était très loin de celui que lui attribuait Minc (Berdiaev, 1927). En effet, Berdiaev aspirait à un « nouveau Moyen Âge » qui redonnerait à l’humanité une société capable de renouer avec le divin en rompant avec l’humanisme, la croyance en la raison, l’héritage des Lumières, l’Etat-nation, alors que Minc le redoutait car il annihilerait ces valeurs à préserver.
L’essayiste était davantage dans la mouvance de spécialistes en relations internationales, dont il reprenait, sans les citer, et en les dramatisant et radicalisant, des approches beaucoup plus prudentes défendues dès les années 1960 (Broche, 2016). L’expression avait d’ailleurs resurgi dans la presse un an plus tôt, à propos du monde après la chute du bloc de l’Est, quand le politologue Pierre Hassner avait qualifié l’après-Guerre froide de « nouveau Moyen Âge » car ouvrant vers une époque chaotique, où la scène d’un monde sans centre est partagée par de multiples acteurs (Hassner, 1992).
Des médiévistes, Jacques Le Goff [26] en tête, dénoncèrent l’expression utilisée par Minc. Ils lui reprochaient de prolonger les clichés négatifs sur le Moyen Âge sans tenir compte des travaux historique qui en avaient largement rectifié la perception et de bloquer la compréhension de l’actualité par l’usage d’un « slogan démagogique » suscitant des clichés au lieu de donner vraiment à réfléchir (Le Goff, 1993 ; Monnet, 2002 : 630). On notera enfin que cette prospective, bien qu’inquiétante, ne relève pas des « apocalypses sans royaume », car elle n’annonçait pas une « destruction absolue qu’aucun salut ne viendra racheter » (Engélibert, 2013 : 11), mais un déclin de grande ampleur.
Le parcours effectué parmi les nouveaux Moyen Âge catastrophiques témoigne de la persistance de « l’idée négative du Moyen Âge » forgée par l’ « héritage de la Renaissance, sur lequel se sont greffées la culture de la Réforme protestante puis la culture des Lumières et enfin celle marxiste » (Falconieri 2015 [2012] : 20). Sa répulsivité persiste. Et, dans la perspective des « apocalypses sans royaume », cette « idée négative », seulement explicitée par quelques auteurs car repoussante comme un anathème, convient parfaitement pour désigner l’absolue inversion provoquée par une catastrophe à venir : organisation politique stable et démocratique remplacée par l’anarchie et la fragmentation féodales ; économie et confort d’un monde d’abondance cédant la place à une société sous-développée faite d’agriculture vivrière, dominée par des corporations, secouée par des famines et des épidémies ; tolérance et diversité des opinions contre obscurantisme et domination du clergé… En bref, la dénomination « Moyen Âge » renferme ce que l’on ne veut pas et, peu importe si elle correspond à ce que fut cette période, elle rebute : « À la fin du XXe (ou au début du XXIe) siècle comme à la fin du XIXe siècle, le Moyen Âge est donc toujours ce qu’il est censé y avoir de plus étranger à notre idéal de progrès, d’équilibre et de stabilité » (Morsel 2007 : 58). De plus, redouter un « Moyen Âge » permet de se placer dans la perspective de la chute et d’avoir un modèle, sinon historique du moins référentiel, celui de l’écroulement de l’Antiquité. Enfin, cette référence ne ferme pas l’avenir, car elle laisse espérer qu’après une longue période de récession similaire aux temps médiévaux, le progrès reprendra. Ce schéma, qui n’a guère à voir avec le savoir historique actuel, les historiens, en dépit de leur intense travail pour expliquer et éclaircir le Moyen Âge, n’ont pu l’effacer des représentations, aussi il offre toujours une image facile de repoussoir.
Depuis environ deux siècles, « nouveau Moyen Âge » et expressions similaires prédisent des « apocalypses sans royaume », des fins terribles, des enfers terrestres. Or, des auteurs ont aspiré à un « retour au/du Moyen Âge ». Par une catastrophe, par une transition moins rude, ou par un passage volontaire et heureux, il y aura un « Moyen Âge », c’est-à-dire, chez la plupart de ces penseurs, une société plus chrétienne, organisée autour de valeurs traditionnelles, et cette ère sera meilleure que l’actuelle. Cette vision a connu son apogée dans les années 1920-1930, notamment, mais pas seulement, avec le célèbre nouveau Moyen Âge de Berdiaev. Certains la défendent toujours aujourd’hui, même s’il s’agit d’une position marginale (Broche, 2016). Le « nouveau Moyen Âge » peut donc aussi incarner le paradis, le « royaume ». Pour d’autres, il est un purgatoire, un passage obligé et douloureux pour que la société se régénère, s’épure et retrouve le droit chemin. Ainsi, en 1915, Georges Sorel, déplorant les impasses et la décadence engendrées par la modernité, écrit que pour en sortir et retrouver « un temps plein de valeurs quiritaires [27], il faudrait une catastrophe nous jetant dans un moyen âge » (Sorel, Prat 2004 : 197). À ceux qui jugent impossible ce que Vico nomme un « ricorso », le penseur antimoderne rappelle un texte posthume de Renan : « Le socialisme peut amener, par la complicité du catholicisme, un nouveau moyen âge, des barbares, des Églises, des éclipses de la liberté et de l’individualité, de la civilisation en un mot. » (Renan, 1893 : 420). Daté du « 24 octobre 1891 », ce passage explique que la marche de l’idée centrale du christianisme – le messianisme – sourdait discrètement, mais solidement, depuis des siècles quand elle éclata au grand jour. Renan avance le même destin pour le socialisme qui a longtemps œuvré, sans se manifester, dans les « entrailles » de l’histoire, mais qui pourrait advenir avec des conséquences funestes. Cependant, si l’historien craint ce « nouveau moyen âge », Sorel le souhaite car l’épreuve du cataclysme et de la rétroversion pourrait régénérer la société :
« Dans cette Europe renouvelée que je rêve parfois, les Intellectuels seraient assimilés à des ’jongleurs’, occupés à amuser les compagnies qui auraient assez d’argent pour payer leurs drôleries ; des myriades de travailleurs, en accomplissant avec conscience des besognes obscures, produiraient de la grandeur morale en même temps que des moyens d’existence. Il me semble que nous avons le droit d’espérer que d’une sévère pénitence médiévale pourrait sortir une civilisation riche en valeurs quiritaires. »
Assurément minoritaire en ce début du XXIe siècle, l’idée d’un futur Moyen Âge régénérateur, souhaitable en dépit d’une transition redoutable, n’a pas disparu. Par exemple, la vision raciste de Guillaume Faye le conçoit comme un douloureux mais nécessaire moment car il purgera la société de maux – cosmopolitisme, « immigration-invasion », universalisme – qui entraînent sa décadence. Il y a donc, depuis le début du XIXe siècle, continuité des expressions, mais opposition fondamentale de leur sens.
Pour introduire la dernière remarque, revenons à la traduction, dans la presse française de juin 1940, du discours « Their finest hour » de Churchill. Le dirigeant avait dit : « all that we have known and cared for, will sink into the abyss of a new Dark Age made more sinister, and perhaps more protracted, by the lights of perverted science ». Les journaux français ont traduit « new Dark Age » par « nouveau Moyen Âge ». Or, l’expression « Dark Age », dans la tradition anglo-saxonne a un sens plus large que « Moyen Âge ». En effet, si elle peut désigner cette période, elle est avant tout utilisée pour parler, de manière générale, de toute ère négative et de déclin. Fortement influencée par la grande popularité de la tournure « nouveau Moyen Âge » durant les années 30, tournure que venait d’utiliser Paul Reynaud pour parler de la situation tragique de la France, et désireux de marquer le caractère crucial des paroles du Premier Ministre anglais, la presse française l’a reprise en déformant quelque peu son propos. Aujourd’hui, les historiens français, dans leurs traductions de ce discours, abandonnent en général cette expression, lui préférant « nouvel âge des ténèbres » (Kersaudy 2002 : 382) ou « nouvel âge obscur » (Churchill 2013, Mongin 2010 : 173).
La divergence dans la traduction des propos de Churchill – et de manière plus générale l’extrême propension à recourir à « nouveau Moyen Âge » pour qualifier toute tendance négative – indique donc une dernière réflexion. Certainement, plus encore que le Moyen Âge en tant que période, c’est l’expression « nouveau Moyen Âge », et ses variations et dérivées, qui comptent dans cette longue suite. En effet, tant du côté de ceux qui y recourent que de ceux qui les entendent ou les lisent, ces vocables ne renvoient souvent que de manière floue à un temps de l’histoire. Elles sont des formules – chez beaucoup utilisées comme par réflexe –, c’est-à-dire « un ensemble de formulations qui, du fait de leurs emplois à un moment donné et dans un espace public donné, cristallisent des enjeux politiques et sociaux que ces expressions contribuent dans le même temps à construire » (Krieg-Planque 2009 : 7), dotées de puissants ressorts rhétoriques, extrêmement évocatrices et qui font fortement réagir.
Anders Günther (2006 [1981]), La menace nucléaire. Considérations radicales sur l’âge atomique, Paris, Le Serpent à plumes.
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Attali Jacques (2000), « Moyen Âge : défense d’entrer », Libération, 23 mai.
Bajram Denis, Chouin Lionel (2000), Les Mémoires Mortes, T.1., Feu destructeur, Genève, Humanoïdes Associés.
Beck Ulrich (2008 [1986]), La Société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, Paris, Flammarion.
Berdiaeff Nicolas (1927 [1924]), Un nouveau Moyen Age. Réflexions sur les destinées de la Russie et de l’Europe, Paris, Plon.
Bloch Ernst, Rolland Romain (1984), Lettres, 1911-1933, Lausanne, Payot.
Broche Laurent (2016), « Investigations sur quelques formules pour dire les maux présents, passés ou futurs : ’Nouveau Moyen Âge’ et ’retour au/du Moyen Âge’ », En Jeu. Histoire et mémoires vivantes, T. 8, décembre, pp. 21-33.
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[1] Cet article utilise la dénomination « Moyen Âge ». Les citations reprennent les choix des auteurs : « moyen âge », « moyen-âge », « Moyen-Âge », etc.
[2] Souligné par Antoine Madrolle.
[3] Comme c’est le cas dans Londres engloutie de Richard Jefferies publiée en 1885 qui envisage la capitale anglaise recouverte par les eaux, et de maigres populations organisées en une nouvelle société féodale où de petites cités médiévales subissent les attaques des « hommes des buissons » et des « Gitans ». Le « passage d’un énorme corps céleste noir » a rompu les équilibres environnementaux, ce qui a déclenché des réactions en chaîne, des « haines », et des « guerres qui ont éclaté », ont « divisé le peuple » et entraîné une régression généralisée (Jefferies, 1992 [1885] : 41-42).
[4] Propos identiques dans la version, largement augmentée, publiée quelques années plus tard (Malato, 1897 : 30-31).
[5] Cité par Gentile 2011 : 31-32.
[6] Ces pages publiées dans la revue Europe sont des extraits significatifs de Guglielmo Ferrero, La fin des aventures - Guerre et paix, Paris, Éditions Rieder, 1931 (trad. angl. Peace and War, MacMillan and Co, London, 1933).
[7] Georges Politzer, « L’obscurantisme au vingtième siècle », dans La Pensée (n°1), février 1941.
[8] Albert Bayet, Action, 11 mai 1945, (Souligné par Albert Bayet).
[9] Johann Chapoutot renvoie à des propos privés d’Hitler rapportés dans le Journal de Joseph Goebbels le 8 avril 1941.
[10] Roberto Vacca base son analyse sur de multiples signes avant-coureurs, tel que le black-out total de novembre 1965 qui toucha pendant 16 heures la côte nord-ouest des États-Unis, l’Ontario et le Québec.
[11] Voir http://www.robertovacca.com/
[12] Le roman a été traduit en italien en 1957 sous le titre Diluvio di fuoco.
[13] L’édition citée propose une version en noir et blanc des cinq premiers tomes. La saga en comporte treize. Elle a été poursuivie par deux séries dérivées, imaginées par Didier Convard et Éric Adam, mais avec divers dessinateurs : Neige. Fondation (3 tomes parus) et Neige. Origine (2 tomes parus).
[14] Anders, suite à cet événement, avait élargi sa réflexion au danger du nucléaire industriel, voir « Dix thèses pour Tchernobyl. Adresse amicale au Sixième Congrès international des médecins pour l’empêchement d’une guerre nucléaire », publié le 3 juin 1986 (Anders, 2006).
[15] voir aussi 40 et 73-75.
[16] Souligné par Abel Hermant.
[17] Roberto Vacca la définit comme « une situation où un renouveau de bien-être ou une productivité atteignant de nouveau des niveaux élevés permettant à de nombreux individus de consacrer leur temps, entièrement ou pour une bonne part, à étudier, à apprendre, à rechercher la vérité, n’étant plus obligés à une activité continuellement utilitaire visant à leur assurer subsistance, refuge et survie. » (Vacca, 1973 : 215-216).
[18] La traduction américaine de l’essai de Vacca en 1973 portait sur la couverture un jugement élogieux d’Asimov : « I have never read a book that was at the same time so covincing and so frigthening ».
[19] Asimov a confié être parti du classique d’Edward Gibbon, History of the Decline and Fall of the Roman Empire.
[20] La note de l’éditeur précise que l’adoption d’un pseudonyme est une demande de l’éditeur français : « This edition was printed under the name Guillaume Corvus at the request of the publisher », (Faye, 2012 : 7).
[21] La préface de l’édition anglaise de Faye est de Jared Taylor, intellectuel très décrié pour ses positions jugées par beaucoup racistes, pilier des suprémacistes blancs aux États-Unis et fondateur de American Renaissance. Voir par exemple son interview, à l’occasion de la parution de L’Amérique de la diversité : du mythe à la réalité…, Paris, L’Aencre, 2016 dans L’Obs (Diffalah 2016), et sa réponse (Taylor 2016).
[22] https://arktos.com/people/guillaume…
[23] Sur ce personnage et ses écrits : François, 2008 ; Lebourg, 2010 ; Wieviorka, 2005.
[24] « This is a concept developed by the French author Alain Minc, in which he predicts a coming time of chaos and hardship resembling the Middle Ages », (Faye 2012 : 13).
[25] https://guillaumefayearchive.wordpr…
[26] Le médiéviste s’opposa au même usage par Jacques Attali : Jacques Le Goff, « Les fantasmes de Jacques Attali », Libération, 15 mai 2000 (à propos de Jacques Attali, « La nouvelle économie est par nature anticapitaliste », Libération, 5 mai 2000, qui répliqua par « Moyen Âge : défense d’entrer », Libération, 23 mai 2000.
[27] Sorel nomme « valeurs quiritaires » « toutes les valeurs communément appelées germaniques qui n’ont pas une origine chrétienne », en particulier les qualités aristocratiques et militaires (Sorel, Prat 2004 : 194).
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