lundi 10 février 2014
Présentation du programme de l’UMR Thalim / Ecritures de la modernité, CNRS/Paris 3
Voici un programme de recherches porté par Anne Castaing dans le cadre de l’UMR Thalim/Ecritures de la Modernité, CNRS/Paris 3.
Ce programme se propose d’interroger la construction des discours, des représentations et des identités de genre dans le cadre de cultures postcoloniales, et d’examiner en parallèle les singularités culturelles et historiques du genre et de sa formulation.
A la fin des années 1980, la mise en question de l’universalisme de certains discours féministes a permis de repenser les catégorisations arbitraires établies et d’étendre la quête de la spécificité à une dimension extra-européenne. Celle-ci incite dès lors à intégrer de façon systématique les données culturelles, géographiques et historiques à toute réflexion sur les femmes, leurs représentations et le patriarcat, et plus largement, sur le genre. Chandra Talpade Mohanty (1991) appelle ainsi à une « décolonisation du genre » et une « reconnaissance des différences », Adrienne Rich (1984) à une « politique (et donc, une pensée) de la localisation », quand Gayatri Spivak (1988) dénonce la façon dont l’Occident colonise l’hétérogénéité de l’expérience de la « Femme du Tiers-Monde » et accapare son discours. De fait, si ce type de travaux ouvre le champ de la pensée postcoloniale aux questions de genre, ils permettent à la fois de repenser le féminisme comme discours racé et historicisé, de mettre en évidence la sexuation de la colonisation et du nationalisme (voir aussi Stoller 2013 ou Chatterjee 1993) et dès lors, d’offrir un espace d’expression à la différence, de « laisser parler le subalterne », comme le propose, dans le champ indien, les études subalternes. D’où l’importance, dans ce projet, d’interroger le genre au prisme de la création, du langage, mais également des pratiques sociales et culturelles (Grodzins Gold & Goodwin Raheja, 1994), où se formulent la complexité des identités et des cultures du genre. Cette perspective permettra également d’interroger l’histoire subalterne qu’est l’Histoire des Femmes, plus problématique encore qu’elle s’inscrit dans un contexte où les discours des femmes sont doublement subalternisés, doublement colonisés.
Ce programme s’inscrit ainsi dans une perspective pluridisciplinaire puisqu’il invite à une réflexion croisée sur l’histoire, le genre et la culture, réflexion essentielle dans un contexte de cristallisation des identités et d’uniformisation des cultures. En outre, la difficile émergence en France des études postcoloniales, de même que la suspicion hexagonale pour les études de genre (incarnée dans l’expression douteuse « Théorie du genre/des genres ») incitent plus encore à creuser des questions qui heurtent une histoire coloniale et intellectuelle française (voir Dorlin 2006), et à rassembler des travaux, des discours et des disciplines autour d’une question commune.
En écho aux réflexions de l’axe “Genre” du LabEx EHNE, ce programme comprend deux volets :
Le premier volet concerne le lien entre genre et colonisation et genre et nation. Il s’intéressera à la représentation de l’ « Autre » (Femme et/ou Tiers-Monde, voir Said 1978, Dorlin 2006), de même qu’aux modes d’expression et aux « histoires » subalternes. On pourra en outre s’interroger sur les modes de représentation du genre dans le cadre d’une culture de contact, pour repenser les catégories de genre dans un contexte d’identités « hybrides » (Bhabha, 1994). Parallèlement, la question de « nation genrée » permettra de se pencher sur celle de la nationalisation des corps, de même que sur la problématique des sexualités en contexte postcolonial.
Le second volet s’intéressera aux spécificités et aux performances culturelles du genre, de ses représentations et de ses discours. On pourra notamment s’interroger sur les concepts clé des discours féministes occidentaux (patriarcat, identité de genre, sexualités, transgenre, féminisme), sur la diversité des discours du féminin et sur les pratiques genrées dans des contextes comparés (le port du voile, par exemple). On pourra de même s’interroger sur la variété des identités genrées et leur formulation, ainsi que sur les performances culturelles (dans le champ des pratiques, de la langue, de la création) du genre dans différents contextes.
Prochaines manifestations scientifiques
Pour explorer ces questions, nous souhaitons former un groupe de travail autour de réunions informelles, qui permettront de mettre en place :
Contact
Anne Castaing
annecastaing@yahoo.fr
Bibliographie
Homi Bhabha, Les Lieux de la Culture. Une théorie postcoloniale, Paris, Payot, (1994) 2007. Partha Chatterjee, The Nation and its Fragments. Colonial and Postcolonial Histories, Princeton, Princeton University Press, 1993. Elsa Dorlin, La Matrice de la race. Généalogie sexuelle et coloniale de la nation française, Paris, La Découverte, 2006. Ann Grodzins Gold & Gloria Goodwin Raheja, Listen to the Heron’s words. Reimagining Gender and Kinship in North India, Berkeley, University of California Press, 1994. Chandra Talpade Mohanty “Under Western Eyes : Feminist Scholarship and Colonial Discourses”. Dans Thirld World Women and the Politics of Feminism, Chandra Talpade Mohanty, Anne Russo et Lourdes Torres (dir.). Indianapolis : Indiana University Press, 1991. Adrienne Rich, “Notes Towards a Politics of Location”, in Reina Lewis & Sara Mills (dir.), Feminist Postcolonial Theory : A Reader, New York, Routledge, (1984) 2003. Edward W. Said, L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, Paris, Seuil, (1978) 2003. Gayatri C. Spivak, “Can the Subaltern Speak ?”, in Laura Chrisman et Patrick Williams (dir.), Colonial Discourse and Post-Colonial Theory : A Reader, New York, Columbia University Press, (1988) 1994. Ann Stoler, La Chair de l’empire. Savoir intimes et pouvoirs raciaux en régime colonial, Paris, La Découverte, (2002) 2013.
Voir en ligne : Programme « Penser le genre en contexte post-colonial »