Située dans la mouvance idéologique de la ‘Nouvelle Droite’, la Lega Nord s’est inscrite durablement dans l’espace politique italien et européen depuis sa création en 1991, recueillant entre 5 et 10 % des voix suivant les périodes. Cet article s’interroge sur les références à l’histoire dans certains discours de la Lega. Il vise, d’une part, à montrer comment ces références façonnent l’identité de la Lega. Il s’agit, d’autre part, de revenir sur l’histoire longue de la construction de l’Etat et de la nation italienne pour mieux comprendre les origines et l’efficacité d’un narratif qui peut apparaître fantaisiste ou contradictoire.
Mots clés : Ligue du Nord – sociologie historique – Italie – ethno-nationalisme – euroscepticisme.
Being in the ideological movement of the ’New Right’, the Lega Nord has remained stable in the Italian and European political space since its creation in 1991, garnering between 5 and 10% of the vote according to the periods. This article examines the historical references in some of the Lega speeches. It aims both to show how these references are shaping the identity of the Lega. It is secondly to return to the long history of state construction and the Italian nation to better understand the origins and effectiveness of a narrative may appear fanciful or contradictory.
Keywords : Northern League - historical sociology - Italy - ethno-nationalism – Euroscepticism.
Située dans la mouvance idéologique de la ‘Nouvelle Droite’, la Lega Nord s’est inscrite durablement dans l’espace politique italien et européen, recueillant entre 5 et 10 % des voix suivant les périodes. Créée en 1991, sous la direction de la Lega Lombarda, la Lega Nord réunit différentes ligues autonomistes – le leghe del Veneto, del Piemonte, della Liguria, dell’Emilia Romagna e della Toscana (Biorcio, 2012). Cet article s’interroge sur la composante historique du discours de la Lega, sur les éléments qui lui donnent son identité narrative, d’une part, sur ce qu’elle doit à l’histoire ‘réelle’, d’autre part. À première vue, ou hors contexte, le narratif de la Lega repose sur des éléments qui peuvent apparaître hautement fantaisistes. Un détour par l’histoire longue de l’Etat italien permet toutefois d’éclaircir le mystère en montrant comment l’identité, l’idéologie et les stratégies discursives de la Lega se nourrissent d’une mémoire collective héritée et l’instrumentalisent.
Dès lors, notre propos se structure en deux temps. Dans une première partie à visée ‘compréhensive’, nous déployons les composantes historiques du discours de la Lega d’un point de vue interne, en tentant de cerner sa logique. Dans une seconde partie davantage ‘explicative’, nous essayons de retracer, dans l’histoire de la construction de l’Etat italien et de la société italienne, les raisons d’être de ce discours : de comprendre à quels éléments il renvoie dans l’histoire réelle.
Nous avons pris d’abord le parti de nous centrer sur les discours des deux dirigeants qui se sont succédé à la tête de la Lega : Umberto Bossi, Secrétaire Général du parti depuis sa création jusqu’en 2013, et Matteo Salvini, Secrétaire Général en fonction depuis lors. Nous nous appuyons largement sur l’ouvrage de Bossi ‘Il mio progetto. Discorsi su federalismo e Padania’ (1996) [1], sur un article du quotidien La Padania (2014), sur le programme des élections européennes de 2014 ainsi que sur le discours de Salvini à Pontida le 21 juin 2015. Ce faisant, sans méconnaître les analyses qui pointent les changements de cap liés à cette succession, et notamment la stratégie politique plus nationale de la Lega, nous plaçons la focale sur les éléments discursifs de continuité de la Lega pour diverses raisons sur lesquelles nous reviendrons.
Nous utilisons ensuite le modèle conceptuel de Stein Rokkan, récemment actualisé par Daniel-Louis Seiler (2014). Inscrit dans une approche de sociologie historique comparative, ce modèle vise plutôt à « rendre compte de la diversité des situations nationales à partir d’un jeu de variables dont on postule […] l’universalité. » (Déloye, 2007 : 24) Toutefois, il nous semble possible de le mobiliser dans une démarche de sociologie historique interprétative, privilégiant l’étude d’une trajectoire nationale singulière, celle de l’Italie. La démarche de Seiler et Rokkan se centre par ailleurs sur la question des « fondements culturels, sociaux et stratégiques des situations étudiées. » (Déloye, 2007 : 24) Or nous pensons qu’ « [u]n ensemble de prémisses [historiques] fondent […] la logique de base d’une culture. » (Mucchielli, 1986 : 46) C’est aussi pourquoi la mémoire constitue un instrument redoutable (Lavabre, 2011) pour créer un sentiment d’appartenance à une communauté ‘imaginée’ (Anderson, 1983 ; Kertzer, 1988). L’‘invention de la tradition’ est particulièrement de mise lorsque la société connaît des transformations rapides et que ses modèles s’estompent (Hobsbawm, 1983). Et c’est précisément dans un contexte de changement socio-économique, -culturel et -politique, que les leghe, et puis la Lega parvient à se faire le porte-voix de tous les ‘maux du Nord’ (Diamanti, 1996). Mais, dans tous les cas, il est utile de replacer l’étude des « traditions inventées » censées – à travers les symboles et la répétition des rites – assurer une continuité par rapport au passé (Hobsbawm, 1983 : 12) dans une approche historique plus globale (Dematteo, 2001 ; Avanza, 2003, Lettieri, 2011). Comprendre pourquoi et comment la Lega défend une communauté territoriale mouvante en prétendant se fonder sur l’histoire (Diamanti, 1993, Biorcio, 1999, 2010, 2012 ; Bellè, 2014) implique donc pour le chercheur de remonter dans le temps.
Si, comme le rappelle Marie-Claire Lavabre (2000), tout est mémoire – que ce soient les grands traumatismes de l’histoire, le patrimoine local ou les identités nationales et régionales – cette mémoire est transmise et instrumentalisée par des acteurs (Lavabre, 2007). Ce ‘présent du passé’, plus ou moins falsifié, alimente la construction identitaire et la vision de la société et du monde de ces acteurs. Dans cette première partie, nous examinons certains aspects de l’idéologie de la Lega et analysons la manière dont elle mobilise la mémoire collective.
À partir des années 1990, en Europe, des groupes ethniques qui affirment « avoir le droit de se gouverner eux-mêmes sur un territoire donné […] se réclament […] d’une identité nationale qui leur est propre. » (Dorais, 2004 : 9) Et ce sentiment de commune appartenance constitue un ‘réservoir’ non négligeable de solidarité et de ressources symboliques disponibles, rendant plus aisée la reconnaissance et l’agrégation (Melucci et Diani cités par Biorcio, 2010). C’est précisément la reconnaissance de leurs spécificités culturelles que les Lombards s’efforcent d’obtenir, considérant celles-ci comme « noyées dans un magma indifférencié d’italianité […]. » [2] (Bossi, 1996 : 5) Dans ce livre explicitant son projet, Bossi s’adresse aux Lombards en écrivant : « [n]otre intérêt commun fondamental réside dans la libération de la Lombardie […] dans un contexte élargi d’autonomie padane-alpine. » [3] (Bossi, 1996 : 7) Cet espace territorial dépourvu d’unification politique – où vivent des groupes ayant chacun leurs propres aspirations – est qualifié par Urwin et Rokkan d’« espace psychologique » (Bidégaray, 1997 : 14), au-delà duquel réside l’‘ennemi’. Ainsi en 1983, aux yeux du leader de la Lega, il est déjà question d’une « Nazione Lombarda » (Bossi, 1996 : 11) incorporée dans un ensemble padan. Le mouvement lombard ne parvenant pas à accéder au titre de région à statut spécial [4], le leader opte pour la voie de l’ethno-fédéralisme. Cette doctrine implique « l’union du plus grand nombre de mouvements ethno-nationalistes […] provenant de zones géographiques homogènes en raison de besoins économiques et d’affinités sociales et ethniques. » [5] (Bossi, 1996 : 21) C’est ainsi que naît en 1991 la Lega Nord.
Celle-ci va désormais ancrer, pour les légitimer, ses aspirations ethnoculturelles, socio-économiques et politiques dans une histoire padane, contestant l’histoire nationale instituée. Elle défend ainsi un nouvel espace géographique du Nord, la Padanie, unifiant politiquement l’ensemble des régions septentrionales de l’Italie (Urwin et Rokkan, cités par Bidégaray, 1997 : 15). Au sens d’Urwin et Rokkan, cet « espace géographique » du Nord, à l’intérieur duquel réside l’‘ami’ [6], mènerait à la « construction d’un centre unique et à l’émergence d’une élite qui parvient par la conquête au contrôle effectif sur un large territoire. » (Bidégaray, 1997 : 15) Dans la conception padane, les espaces psychologique et géographique fusionnent, donnant lieu à une unification ethno-nationale, territoriale et politique. En ce sens, la revendication d’un espace psycho-géographique évoque au final la réminiscence d’une centralisation nordiste, en l’occurrence lombarde, menée sous l’égide d’une élite régionaliste souhaitant imposer aux autres régions du Nord, malgré toutes les diversités qui les caractérisent, une nation padane fictive. En effet, selon Champeyrache (2010), la Lega postule une identité padane pré-unitaire et un système dialectal padan homogène rassemblant tous les dialectes du Nord. La langue italienne prend pourtant son origine dans le dialecte toscan et d’autres langues sont parlées dans certaines régions du Nord. Il n’empêche que la Lega opère une politisation des dialectes et gagne le monopole de la défense de ceux-ci par différentes initiatives au niveau local, provincial ou régional (Avanza, 2010). Toutefois, si la Lega recourt à un discours identitaire qui fait écho auprès ses membres, elle adopte également, on y reviendra, un discours socio-économique et xénophobe moins situé, afin d’élargir son électorat (Champeyrache, 2011).
Comme le souligne David Kertzer (1988), les éléments symboliques facilitent la formation d’organisations telles que la Lega, et ce à travers l’usage de traditions inventées (Hobsbawm, 1983). « [C]e sont des réponses à de nouvelles situations qui prennent la forme d’une référence à d’anciennes situations, ou qui construisent leur propre passé par une répétition quasi obligatoire. » (Hobsbawm, 1983 :12) Lorsque les mouvements léguistes fusionnent en 1991, il n’est guère aisé d’y intégrer des militants aux tendances et ambitions variées (Bossi, 1996 ; Machiavelli, 2001). Par conséquent, il est nécessaire de construire une image de la nation à laquelle chacun puisse se référer : la Padanie. Toutefois, il n’existe au sein du parti à cet égard qu’une « solidarité sans consensus » (Kertzer, 1988 : 67). Les militants ont différentes conceptions de ce même référent ‘Padanie’. Dans ce qui suit, nous nous centrons sur la conception majoritaire, celle d’une « communauté de culture » (Machiavelli, 2001 : 138). Celle-ci implique l’importance des symboles pour les membres de la communauté (Kertzer, 1988), même s’ils sont « pour la plupart historiquement nouveaux et largement inventés : drapeaux, images, cérémonies et musique. » (Hobsbawm, 1983 : 23) Ces symboles permettent en effet de donner sens aux choses dans le cadre d’un processus d’identification (Kertzer, 1988). C’est pourquoi des acteurs politiques s’en saisissent dans le but d’influer sur les allégeances politiques.
Dans la majeure partie des discours léguistes, les Padans sont définis comme celtes, ils possèdent un registre dialectal padan et pratiquent un ‘catholicisme calviniste’ (Machiavelli, 2001). L’emblème celtique du ‘soleil des Alpes’ orne le drapeau padan. Aussi, ce motif celtique décore les bâtiments publics dans les communes léguistes. La Lega opère ainsi un marquage territorial, padanisant par ailleurs le nom des rues dans ces communes (Avanza, 2010). Autre exemple, sur le logo de la Lega le chevalier en armure symbolise la victoire lors de la Bataille de Legnano en 1167, lorsque la première ligue lombarde vainc l’Empereur Barberousse. La Lega reprend également comme hymne national le Va Pensiero de Verdi, considéré comme l’hymne patriote national italien. En outre, la petite entreprise du Nord subalpin devient le ‘mémorial’ des valeurs positives padanes telles que le travail, entrepreneuriat ou encore leur capacité à relever le défi de la mondialisation (Biorcio, 1999), mais également d’une valeur négative, la protestation fiscale. Et ces valeurs sont toujours fortement défendues à l’heure actuelle par la Lega. En conséquence, à l’instar de la conception allemande de la nation (Seiler, 2014), la Padanie est cette ‘nation culturelle’ qui précède l’Etat italien, et semble vouée à se transformer en Etat sur le territoire du septentrion. Et ce que veut la Lega, c’est une autre Italie, voire ‘des Italies’ comme le proclame Salvini au rassemblement de Pontida en juin 2015 [7].
Cette reconstruction padane fait évidemment table rase de l’histoire, c’est-à-dire des nombreuses rivalités et des disparités pré-unitaires entre villes, y compris dans le Nord. Cette invention de l’identité padane sert, par ailleurs, à légitimer et à donner une visibilité politique à la représentation des « communautés locales historiquement ‘justifiées’ » (Bellè, 2015 : 91). Si ce référent padan est moins utilisé aujourd’hui dans les discours publics, il est néanmoins toujours présent dans les manifestations de la Lega à travers ses symboles.
Selon Kertzer, le rite constitue une ressource en politique, c’est un « comportement symbolique qui est socialement standardisé et répétitif. » [8] (Kertzer, 1988 : 9) Depuis 1990, le rassemblement public annuel de Pontida [9] des partisans de la Lega représente typiquement un de ces rassemblements visant à marquer le soutien populaire et permettant aux politiques de communiquer directement avec le public et même avec leurs opposants politiques (Kertzer, 1988). Ainsi, le rassemblement ritualisé de Pontida souligne l’unité régionale, renforce l’identification et la solidarité au sein du parti, et connecte le public à l’image positive des représentations léguistes de la nation (Gomez-Reino Cachafeiro, 2004). De plus, « [l]es grands rassemblements de Pontida matérialisent une nation virtuelle, la Padanie, contre une Italie impérialiste et centraliste. » (Dematteo, 2001 : 143) En effet, le Serment de Pontida est lourd de sens dans l’épopée de la Lombardorum Societas. Selon la légende, le 4 avril 1167, les défenseurs des villes lombardes ont fait le serment, dans l’abbaye bénédictine de Pontida, de protéger l’Italie septentrionale contre l’Empereur Barberousse. Selon Lynda Dematteo (2001), il naît de cette bénédiction papale la première Lega lombarda.
Cette épopée a été reprise comme symbole par Bossi : « [n]ous sommes fatigués, aujourd’hui comme il y a huit siècles, fatigués d’être une terre d’invasions, investie d’abord par le Mezzogiorno et maintenant par le Tiers Monde. » (Dematteo, 2001 : 144) Et le rituel permet à la Lega de réitérer chaque année son attachement à l’Italie septentrionale et à la nation padane. Aujourd’hui, elle ‘enjoint’ d’autres régions autonomistes italiennes. A Pontida en 2015, Salvini clôture d’ailleurs son discours par la nécessité de « libérer la Padanie, le Salento, la Sardaigne, la Sicile et l’Europe [10] » (Salvini, 2015). Aussi, à ce dernier rassemblement, les symboles padans – par exemple le motif celtique – et lombards – par exemple le chevalier de la Bataille de Legnano – servent d’ornements à la manifestation. Ce symbole chevaleresque dessiné en grand sur toutes les affiches de l’événement – à côté du slogan « Pontida, nous sommes ici pour vaincre » – siégeait derrière l’intervenant Salvini. De plus, beaucoup de drapeaux autonomistes étaient agités par la foule (le drapeau padan, le drapeau sarde, etc.). Ainsi, « le rituel lie passé, présent et futur entre eux, abrogeant l’histoire et le temps. » [11] (Myerhoff cité par Kertzer, 1988 :10) Comme dans la vision de Kertzer (1988), à travers le rite, la réalité subjective devient une réalité sociale, elle la modifie en s’appuyant sur ces ressources symboliques, ‘mythes’ et autres « gisements mémoriels » (Mink, 2007 : 22).
Dans un contexte de crise de l’Etat marqué par l’opération Mani Pulite, débute dans les années 1990 un processus de décentralisation (voir Piretti et al., 2011). Dans ce cadre, la Lega « dénonce le ‘poids’ du Sud pour les régions du Nord » (Rivière, 2008 : 3) ; celles-ci étant « ‘colonisées et opprimées’ […] par une classe politique et une ethnie étrangère. » [12] (Biorcio, 1999 : 63) Bossi (1996) revendique de donner la priorité aux Lombards en Lombardie, notamment en matière d’emploi, de logement, et l’égalité des taxes entre les régions. Dans la même veine, la Lega exacerbe les différences Nord-Sud – « les leghistes aiment à opposer la tradition communale septentrionale […] au féodalisme méridional […] » (Champeyrache, 2011 : 12) – et conteste la légitimité du Risorgimento [13].
Martina Avanza (2003) met en exergue trois types de discours anti-risorgimento. Dans une vision catholique d’abord, et alors même que la Lega est un parti laïc, l’unification italienne se serait opérée en écartant l’Eglise des affaires de l’Etat, au détriment d’un peuple très croyant. Ensuite vient la vision du légitimisme bourbon, où l’Unité est synonyme d’une expansion opérée par la maison de Savoie contre les Bourbons – et peu importe que l’unité ait surtout plongé l’industrie naissante du Sud dans la misère en la confrontant aux grandes usines du Nord. Enfin, dans le discours autonomiste, l’unification s’est réalisée au mépris des différences culturelles et linguistiques des peuples de la péninsule. La Lega invoque même certains acteurs de l’unification qui, tel Cavour, se sont interrogés à cet égard, et certains intellectuels qui, comme Cattaneo, ont prôné le fédéralisme (Avanza, 2003). Plus généralement, la Lega dénonce le déficit de légitimité étatique en invoquant le caractère tardif du processus de centralisation nationale et le manque de soutien populaire (Avanza, 2003). Pour Bossi (1996), l’Italie ne constitue ni un Etat, ni une nation. Il met d’ailleurs également le fascisme sur le compte de l’échec de l’unité (Avanza, 2003).
En un mot, la Lega et son leader adoptent ce que Georges Mink appelle une « stratégie historicisante de l’oubli » [14] (Mink, 2007 : 17). Car l’élan du Risorgimento part bien du Piémont (Seiler, 2014) – du Nord – et non du Latium – de Rome. Sans compter que la Lega élude les rivalités passées entre villes et les nombreuses disparités présentes dans le Nord, y imposant sa légitimité au moyen d’une « violence indolore » (Hibou, 2011 : 109). Toutefois, si la Lega de Bossi a alimenté parfois même drastiquement les fractures de type Nord-Sud, centre-périphérie, société-institutions publiques, elle semble aussi vouloir se diriger vers l’établissent d’un parti national, évoluant d’un parti de la crise à son origine en un parti du dépassement de la crise (Diamanti, 1993). « [C]ertainement pas parce qu’elle a changé d’avis sur l’Italie, comme Etat-nation inexistant » (Diamanti, 1993 : 132), mais parce qu’elle opère un déplacement vers les institutions, passant d’une ‘lotta contro il governo’ (Biorcio, 1999) à une ‘lotta di governo’ (Diamanti, 2010 ; Albertazzi, McDonnell et Newell, 2011), d’une lutte contre le pouvoir à une lutte pour le pouvoir, aujourd’hui poursuivie par Salvini (2015).
Louis-Jacques Dorais (2004) définit l’identité culturelle comme le processus par lequel un groupe d’individus acquiert sa propre représentation de l’univers (et donc de la nation) par rapport à d’autres groupes. Dans le cas de la Lega, la stigmatisation de l’étranger joue un rôle clé. La Lega entretient une certaine « culture du danger » (Foucault cité par Châtel, 2009 : 132), fondée sur la liberté et la sécurité d’un citoyen, en « perpétuel danger » (Châtel, 2009 : 132), « en permanence inquiet » (Châtel, 2009 : 133). En insistant sur tout ce qui est susceptible de porter atteinte à la ‘nation culturelle’, à l’identité ethno-nationale, la Lega mise ainsi sur le danger que représente cet étranger hors région, hors Etat, hors Europe. Pour ce faire, elle utilise un langage populiste recourant à la figure de ‘l’homme commun’ et aux antagonismes ami/ennemi, communautaire/non communautaire. Dans ce processus, la Lega utilise « un dispositif symbolico-culturel de la frontière » identité/altérité (Bellè, 2015 : 99). Celui-ci sert à opposer un ‘nous’ et un ‘eux’, l’autre [15] pouvant changer mais demeurant menaçant dans son antagonisme avec une ‘personne normale’ [16] (Bellè, 2015 ; Salvini, 2015).
Selon Bossi, si son projet initial consistait à livrer une « bataille politico-culturelle », il a dû ensuite s’adapter à un « ennemi insidieux et caméléon », le « régime romano-centrique » (Bossi, 1996 : X). En effet, « [l]e gouvernement centralisateur […] avec la complicité de tous les partis italiens […] ne veut ni de vraie autonomie ni d’Etat fédéral européen. » [18] (Bossi, 1996 : 8) Pour Bossi, le gouvernement central est omnipotent. Les terres lombarde et padane font l’objet de « l’invasion d’autrui » (Bossi, 1996 : 8). Tous les postes de la fonction publique sont aux mains de l’Etat, qui privilégie les « forestieri » (Bossi, 1996 : 8). Il les qualifie de « profiteurs ». Et Bossi souligne que tout est orchestré dans un but bien précis d’ « homogénéisation ‘italienne’ par la suppression graduelle de l’ethnie lombarde et padane. » [19] (Bossi, 1996 : 8-9) Face à cet « ennemi fort et puissant » (Bossi, 1996 : 15), le seul choix est d’unir les ligues padanes et démarrer une « offensive socio-économique » (Bossi, 1996 : 16). Le discours anti-méridional s’est certes atténué à partir des années 2000 lorsque la Lega rejoint l’alliance de centre-droit (McDonnell 2006), mais a davantantage stigmatisé les ‘immigrés’ et ‘Bruxelles’. Toutefois, selon Avanza (2012) la politisation du dialecte par la Lega entend bien adresser un message de non-bienvenue aux forestieri ainsi qu’aux immigrés (Avanza, 2012). Aussi, l’attaque vis-à-vis du gouvernement central demeure. Salvini critique ainsi l’actuel Gouvernement Renzi ‘à la merci’ des institutions européennes, comme le rappelle la manifestation de la Lega à Rome le 28 février 2015 et le discours de Salvini à Pontida le 21 juin 2015. Par ailleurs, dans celui-ci Salvini (2015) accuse l’Etat « d’entrer dans l’entreprise, dans la cuisine, dans le salon, dans la chambre à coucher. Que chacun vive son affection […] comme il le souhaite, mais le mariage se fait entre un homme et une femme ; et les enfants sont adoptés par une maman et un papa. » Il ajoute que du point de vue fiscal, « le premier voleur en Italie, c’est l’Etat. »
Selon Jean-Luc Pouthier (2010 : 586), « [l]ongtemps, l’antifascisme et la double culture politique dominante communiste et démocrate-chrétienne ont préservé l’Italie des dérives xénophobes qui se sont produites dans d’autres pays européens à partir du milieu des années 1970. » Toutefois, contenir des tendances ne signifie pas qu’elles n’existent pas. L’Italie est historiquement un pays d’émigration. Aussi, l’afflux d’étrangers en Italie depuis les années 1990 a favorisé un repli d’identitaire de la population (Pouthier, 2010). La Lega exploite ces inquiétudes tout en exerçant une sorte de monopole sur la question de l’immigration. Si les immigrés de confession musulmane deviennent progressivement l’ennemi premier de la Lega (McDonnell, 2006), les ressortissants des pays de l’Est sont également une cible. « Ce changement de désignation de l’ennemi montre bien la souplesse d’un discours de l’autochtonie. » (Machiavelli, 2001 : 133) Nombre d’auteurs critiquent les méthodes discursives insolites de la nouvelle droite européenne. Machiavelli (2001) évoque le caractère néo-raciste de la Lega et Avanza souligne le danger d’une « force débonnaire » (Avanza, 2008 : 153) qui, parce que plutôt ‘folklorique’ et apparemment vierge de tradition xénophobe, n’alarme pas l’opinion publique et l’Union Européenne.
La Lega justifie son hostilité envers les étrangers par des argumentaires comme ceux du respect de la différence culturelle, du soutien aux politiques de développement, du chômage et du manque de moyens financiers pour leur garantir des conditions de vie décentes (La Padania, 2014). Cependant, la Lega fustige également l’Europe [21] qui « nous a offert […] des […] milliers de communautaires bulgares et roumains dans l’attente de Turcs et d’Albanais. » [22] (La Padania, 2014 : 1) Les manifestations et le site de la Lega affichent clairement des slogans du type « stop all’invasione ». A Pontida en 2015, Salvini, mentionnant les propos de Monseigneur Maggiolini, déclare : « C’est une chose d’accepter la liberté de religion, c’en est une autre d’accepter la liberté d’invasion. » A propos de l’Afrique, Salvini (2015) spécifie que « l’Afrique doit croître en Afrique. » Présentant tous les problèmes sociaux comme liés à l’immigration, la Lega encourage les « volontaires verts » (Avanza, 2008 : 154), à l’allure ‘normale’, à faire des rondes nocturnes en investissant les quartiers à forte immigration. Elle s’inspire là des ‘comités sécuritaires’ des années 1990 qui dans certaines grandes villes industrielles du Nord défendaient une « communauté envahie par les sujets étrangers » (Biorcio, 2012 : 9).
La Lega développe ainsi un « patriotisme défensif à géométrie variable » (Biorcio, 2012 : 10) et oppose à une société multi-ethnique le « primat national » (Le Pen cité par Biorcio, 2010), l’appliquant tantôt à la défense de la communauté locale ou régionale, tantôt à la communauté nationale. Aujourd’hui encore, Salvini fait référence à « l’Italie » et aux « Italies » et met en exergue ce primat national en déclarant notamment : « Il est juste que le pontife invite à aider tout le monde, mais il est juste également de dire que qui est payé par les citoyens italiens pour servir les intérêts des citoyens italiens se préoccupe d’abord de ses gens et puis du reste du monde. » (Salvini, 2015 [23])
Jusqu’en 1996, la Lega apporte plutôt son soutien au processus d’intégration européenne (Conti et De Giorgi, 2011). En effet, Bossi place Bruxelles au cœur de son projet originel. Il défend l’autonomie lombarde « dans le cadre d’un idéal d’unité fédérale de l’Europe […] fondée sur l’autonomie, le fédéralisme, le respect et la solidarité directe […]. » [24] (Bossi, 1996 : 9 ; 12) A partir de 1996, Bruxelles devient pourtant progressivement l’‘ennemi juré’ de la Lega (Biorcio, 1999). En effet, ce cadre européen n’a pas permis l’autonomisation des régions du Nord. Ainsi, la Lega s’oppose à l’évolution du contenu de la Politique Agricole Commune et défend les petits producteurs et petites industries du nord de l’Italie. La Lega pensait par ailleurs que l’Union monétaire pourrait conduire à l’indépendance de la Padanie à travers l’euro (Morellato, 2013). Comme ça n’a pas été le cas, la Lega s’est mise à insister sur toutes les discordances entre l’Europe des peuples et l’Union économique et monétaire, dénoncée comme étant au service des intérêts des multinationales et des banques (Biorcio, 1999 ; Salvini, 2015). En outre, l’Europe consolide le rôle de l’Etat en tant qu’interlocuteur privilégié (Rivière, 2008). L’élargissement aux pays de l’Est et la diminution de certains subsides attribués jusque-là à certaines régions du nord comme du sud de l’Italie n’est pas non plus sans effet sur le développement d’un certain euroscepticisme. En conséquence, depuis cette rupture de 1996, la Lega se fait « l’entrepreneur politique de l’opposition à l’Union » (Biorcio, 1999 : 74, 2010 ; Conti et De Giorgi, 2011 ; Salvini, 2015).
Sur un plan identitaire, la Lega subordonne l’identité européenne à l’identité locale (Conti et De Giorgi, 2011). Toutefois, dans son programme électoral européen de 2014 [25], elle oppose le ‘mondialisme’, source d’homogénéisation des peuples, à l’identité. Dans cette vision à laquelle participerait l’Europe, l’homme est « seul », « n’est plus citoyen », seulement un « numéro ». La Lega déclare ainsi : « réaffirmons avec force les valeurs fondant notre société, les traditions locales, investissant dans la diversité : linguistique, régionale, gastronomique, culturelle et sociale. » [26]
A l’heure actuelle, la Lega rejette l’euro (« Sortons de l’euro, tout de suite ! »), l’élargissement, l’adhésion de la Turquie (« Turquie ? Non, merci ») et souhaite renationaliser nombre de politiques européennes (comme la politique d’immigration). Elle met en avant le déficit de légitimité démocratique de l’Europe, elle dénonce les « eurocrates » comme autant d’experts nommés par « de mystérieux comités ». Elle souhaite « remettre le peuple au centre de la construction européenne », afin de ne pas transformer l’Europe en un « empire médiévalisant ». Toutefois, la Lega défend une alternative à l’Europe d’aujourd’hui, « l’Europe des peuples ou des (macro-)régions », c’est-à-dire « ces grandes régions d’homogénéité culturelle, sociale et économique ». A Pontida en 2015, Salvini déclare : « Nous ferons le nécessaire puis notre possible pour changer l’Europe, cette Union Soviétique de criminels […] qui veut tuer les identités et les diversités. » (Salvini, 2015)
Si nombre d’éléments du discours de la Lega apparaissent tenir du mythe plus que de la réalité, il convient toutefois, peut-être, d’en expliciter l’origine et les raisons de leur ‘succès’. Dans cette seconde partie, nous détaillons l’ensemble des prémisses historiques qui pèsent sur le « système culturel » (Muchielli, 1986 : 47) à l’origine de l’idéologie et des stratégies léguistes que l’on vient d’exposer.
Suivant le modèle rokkanien, l’Italie, et particulièrement l’Italie du Nord, se situe historiquement dans « l’Europe des Cités-Etats » (Seiler, 2014 : 23). Cette colonne vertébrale de l’Europe, issue du Partage de Verdun (Lotharingie), constitue une « zone de force des partis périphériques » (Seiler, 2011 : 232), où cohabitent prospérité et potentats locaux. Dès le Moyen Âge, ce polycentrisme donne du fil à retordre à la construction étatique, comme le montre le rôle joué par la puissante Maison de Savoie. En effet, des ligues opposent des résistances aux grands féodaux à l’instar de la Ligue Milan-Turin-Gênes (Seiler, 2014), pôle très puissant économiquement. Les villes du Nord se stabilisent dans le temps, développent une activité commerciale et bancaire importante par le biais de nouvelles techniques. En particulier, « [l]a cité ambrosienne [Milan] occupe au cœur de la plaine lombarde une place de tout premier plan […]. » (Milza, 2005 : 137) Comme le souligne Seiler (2014), l’autonomie communale se normalise progressivement et l’on voit apparaître des républiques urbaines. Celles-ci ne succombent ni à l’autorité impériale, ni à la centralisation du pouvoir des Etats. A la fin du Moyen Âge et durant la Renaissance, ces bastions économiques urbains transalpins ne cessent de s’enrichir et de développer de fortes rivalités entre eux (Champeyrache, 2011). Pourtant, la conception centraliste unitaire va s’imposer contre le fédéralisme.
En effet, en 1861, la Maison de Savoie procède à l’Unification. Selon Manlio Graziano (2007), même si l’émergence du Royaume d’Italie résulte de pressions internationales (exercées notamment par l’Angleterre), elle répond à la volonté d’une élite d’imposer par la force l’unification d’Etats non désireux de fusionner. Dès lors, comme l’affirme Seiler (2014), ce processus d’étatisation est imposé par quelques potentats du Nord au mépris de toutes les réalités socio-historiques. Il est à noter qu’aucune relation forte n’existait ni entre le Nord et le Sud, ni entre les unités au sein de ces deux ensembles (Champeyrache, 2011). Mais l’hétérogénéité territoriale est appréhendée comme une menace pour l’Etat. La fracture Nord-Sud et les préjugés anti-méridionaux préoccupent certes certains politiques comme Azeglio, en faveur d’une unité septentrionale (Champeyrache, 2011). Toutefois, pour Cavour et les Modérés, il s’agit de rejoindre les puissances européennes sur la scène internationale et de s’imposer face aux démocrates inspirés par les penseurs fédéralistes (comme Cattaneo) sur la scène nationale. De l’épisode du Risorgimento jusqu’à des temps récents, le discours unitaire va donc s’ancrer dans une sorte de paradigme de l’Unité. « La préoccupation première est de « ‘maintenir ensemble’ une pluralité de territoires ayant connu des trajectoires historiques assez diverses, avec de forts contrastes économiques et avec des pulsions centrifuges persistantes’ […]. » (Coppola cité par Champeyrache, 2011 : 4) Ces contrastes sont notables à travers la question méridionale durant la première moitié du XIXe siècle.
C’est dans la région fertile appelée Bassa Padana ou ‘basse plaine’ du Pô que, dès le XVIIIe siècle, de riches propriétaires terriens ont développé de nouvelles techniques agraires. Une agriculture de type capitaliste se développe alors dans le nord de la Péninsule. Toutefois, dans la majeure partie du territoire italien, les paysans cultivent la terre à l’aide de techniques archaïques. Le morcellement territorial du pays a rendu difficile l’élaboration d’un marché unique et a retardé l’industrialisation du pays. Celle-ci s’opère d’abord au Nord, et plus particulièrement en Lombardie, où foisonnent capitaux, ressources naturelles mieux réparties que dans les autres régions et investisseurs actifs moins centrés sur la richesse foncière. Selon Pierre Milza (2005), l’Unité n’a toutefois guère amélioré la situation précaire des Italiens vivant dans les terres en voie de développement. Le capitalisme libéral et le régime parlementaire qui en découlent ne font qu’accroître les difficultés de développement dans le Sud. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, les disparités politico-économiques continuent à se creuser, tant entre les catégories sociales qu’entre les régions. Après la Seconde Guerre mondiale, l’écart économique Nord-Sud s’est réduit, sans produire cependant de véritable système productif autonome dans le méridion (Becchi cité par Biorcio, 1999). De manière générale, « [l]es habitants des provinces septentrionales conservaient à l’égard des Méridionaux, des cafoni (bouseux), une attitude méprisante et vaguement paternaliste. » (Milza, 2005 : 808)
Le processus de construction nationale a donc débuté tardivement en Italie et non sans difficulté. Rokkan et Urwin définissent ce phénomène comme « un centre qui exerce un contrôle politique, une domination économique et une standardisation culturelle. » (Bidégaray, 1997 : 14) Selon Seiler (2014), pour que cette intégration nationale réussisse, il est impératif qu’aucun réseau de villes autonomes proches les unes des autres ne concurrence le centre, et que celui-ci opère un contrôle national de la religion. En Italie, c’est précisément ‘là où le bât blesse’ dans la période pré-unitaire. Nous avons déjà souligné l’importance du polycentrisme existant à l’époque. Toutefois, il faut ajouter à cela la puissance de l’Eglise, ancrée dans la culture italienne depuis l’Empire Romain. Selon Graziano (2007), sa capacité d’influence persistante serait due à l’échec d’un mouvement de réforme religieuse et à la grande faiblesse de la bourgeoisie. Celle-ci n’aurait pas pu se détacher de l’Eglise et se serait vue très affaiblie par « l’incapacité de chacun des différents Etats à s’imposer aux autres et à les unifier sous son autorité. » (Graziano, 2007 : 9) Ces conditions – polycentrisme, résilience de l’Eglise et faiblesse de la bourgeoisie – expliqueraient le retard du Risorgimento par rapport à d’autres Etats précocement construits comme la France. Celle-ci servira par ailleurs de modèle (Seiler, 2014). Par exemple, le processus d’unification ou de ‘piémontisation’ de la Maison de Savoie s’opère à la manière dont Norbert Elias décrit la centralisation française : « [l]e vainqueur […] constitue la centrale monopolistique d’une organisation étatique dans le cadre de laquelle beaucoup des régions et groupes jadis rivaux s’agglomèrent pour former progressivement un tissu humain plus ou moins équilibré d’un ordre supérieur. » (Elias, 1939 : 300) Pourtant, à la veille de l’Unification, très peu de dirigeants politiques songent à cette perspective. La vision élitiste piémontaise centraliste s’oppose à la vision autonomiste des autres ‘royaumes’. Un régime de type oligarchique industriel et financier se met en place dans le Nord, inspiré par la « voie de la domination » française (Seiler, 2014 : 44). Ceci laisse peu de place à la démocratisation. Les classes moyennes mettent du temps à accéder à la vie politique et au suffrage (Milza, 2005).
Ainsi, « le compromis avec l’‘ordre noble’ dont parle Sieyès […] a contribué de manière décisive à saper la fondation de la nation italienne. » (Graziano, 2007 : 74) Et dans ces conditions, il est difficile pour les individus n’intégrant pas cet ‘ordre noble du Nord’ de s’identifier à l’Etat italien alors même que, partant d’Elias, « c’est […] la représentation parlementaire qui conditionne l’intégration des citoyens dans l’organisation de l’Etat ; c’est avec elle que l’Etat devient pour la plupart de ses membres une ‘unité du nous’. » (Delmotte, 2008 : 551) En effet, la droite historique, au pouvoir jusqu’en 1876, compte surtout parmi ses membres des nobles libéraux et de riches bourgeois du Nord. Opposée à l’Eglise catholique par nécessité politique, elle est fragilisée en son sein par une tension entre tendances centralisatrices et régionales – piémontaise, lombarde, toscane, méridionale (Milza, 2005). Seiler explique ce phénomène par la « montée de la conscience périphérique » (Seiler, 2014 : 47). Après 1876, la gauche au pouvoir opte pour une politique expansionniste outre-mer, inspirée des ex-combattants du Risorgimento, et ce dans « le prolongement naturel du nationalisme » (Milza, 2005 : 788). Selon Milza, « [l]es Savoie ont largement contribué à la création d’une conscience identitaire et à la diffusion d’un référent monarchiste de la culture politique. » (Milza, 2005 : 797)
Souvent, un problème de légitimation survient lorsque les Etats dits absolutistes deviennent bourgeois, lorsque la légitimité traditionnelle du roi, incarnée dans le lien personnel entre celui-ci et ses sujets, est remplacée par la légitimité rationnelle-légale indique Seiler (2014) dans la continuité de Max Weber (1973). La nation devient alors souveraine et il est nécessaire d’opérer une standardisation culturelle, en vue de créer une identité nationale (Seiler, 2014). Dans la lignée du modèle français, l’outil linguistique unique servant à gommer la pluralité des dialectes joue en Italie un tel rôle. Comme le note Cassese (2015) [27], à l’époque de l’Unification, seuls 2% de la population parlent l’Italien, dont l’origine fut le dialecte toscan. On comprend mieux l’importance des conséquences d’une centralisation forcée qui va donner naissance en réaction à un « nationalisme périphérique » (Seiler, 2014 : 49) contre le centre, et à laquelle peut également être reliée une dérive idéologique extrême, le fascisme. En effet, « [l]e Duce instrumentalise la géographie afin de conforter son pouvoir […]. Le reste du territoire est rattaché à Rome, centre et cœur, dans une réminiscence de l’Empire romain. » (Champeyrache, 2011 : 4) Il s’agit pour Mussolini de faire valoir l’unicité de l’Etat italien et de la nation italienne, au mépris de toutes les réalités sociopolitiques. A son tour, « [c]e monisme absolu constitue une réaction contre un pluralisme tellement fort qu’il empêche l’émergence d’un Etat différencié. » (Seiler, 2014 : 46)
Dans l’histoire longue, le manque de cohésion nationale apparaît ainsi comme une constante qui a contribué au développement, au moment de la crise des années 1990, de forces politiques nouvelles s’opposant au centre dans un contexte de perte de repères internationaux et d’émergence d’identités politiques faisant référence à la tradition (Graziano, 2007). Comme l’explique Roberto Biorcio (2010), les partis ethno-nationalistes et populistes ont le vent en poupe dans un contexte marqué par la fin de la Guerre Froide et l’achèvement de la mondialisation. Si la construction des Etats européens a conduit à des résistances culturelles et territoriales qui ont donné lieu à une fracture centre-périphérie (Rokkan, 1970), celle-ci a été réactivée dès la fin des années 1960-70 dans une vague de mobilisations collectives, que ce soit en Belgique, en France, en Espagne ou au Royaume-Uni (Biorcio, 2010).
Si les élections européennes de 1979 avaient déjà offert au mouvement léguiste une certaine visibilité, celles de 1989 – débouchant sur un premier vrai succès – favorisent la consolidation du parti sur la scène nationale (Morellato, 2013). Entre les deux, de 1983 à 1987, durant la période appelée « phase génétique » de la Lega par Ilvo Diamanti (1993 : 11), les leghe embryonnaires autonomistes – constituées à Venise, au Piémont et en Lombardie – restent en marge du système politique italien, faute de véritable structure politique, de moyens et de militants (Biorcio, 1999). Ce n’est qu’en 1989, en remportant un demi-million de votes, que la Lega Lombarda ouvre la voie du succès des leghe, ébranlant ainsi le système de partis de la Première République (Mannheimer cité par Biorcio, 1999). La composante lombarde, sous la direction de son leader Bossi, va s’imposer et unir toutes les forces autonomistes [28] dans une bataille contre la partitocratie romaine et la bureaucratie étatique (Biorcio, 1999), et ce afin d’étendre l’électorat léguiste dans toutes les régions septentrionales (Diamanti, 1993).
Plus généralement, le succès électoral de la Lega au début des années 1990 ne peut donc être dissocié du contexte européen, un contexte caractérisé par la crise de la représentation et la délégitimation des partis traditionnels. C’est en effet dans ce contexte que la Lega remet en cause les processus d’intégration culturelle et d’intégration politique des Etats prônés au niveau européen, et défend avec plus ou moins de succès l’identité ethnique et l’autonomie politique sur un territoire déterminé (Biorcio, 2010).
Si la conjoncture européenne facilite l’émergence de la Lega, au niveau national, les changements socio-économiques, culturels et politiques qui lui sont liés y contribuent également fortement. Le modèle politico-culturel appelé leghismo se développe en fait dans un contexte où la « périphérie de la périphérie » (Seiler, 2014 : 53) ou néo borghesia prospère économiquement au nord du pays, prenant le pas sur le triangle industriel Milan-Turin-Gênes historiquement dominant et instaurant une économie plus diffuse. En effet, le micro-capitalisme ancré dans un localisme spécifique, celui du ‘Nord profond subalpin’ s’accroît en majeure partie au nord-est du pays (Diamanti, 1996). Cette zone a longtemps correspondu à la ‘subculture politique territoriale’ blanche [29] (Trigilia, 1986 ; Diamanti, 1996, 2009 ; Biorcio, 2012 ; Bellè, 2014) avant de voir décliner le pouvoir de la Démocratie-chrétienne, « parti référent de l’Eglise » (Diamanti, 1996 : 34 ; Biorcio, 2010). Or la Dc jouait un rôle identitaire crucial au niveau national tout en organisant largement la vie sociale au niveau local [30]. Son déclin crée donc un vide important. En outre, comme le précise Diamanti (1997), la croissance économique des petites et moyennes entreprises nord-orientales ou neo-borghesia accentue la sécularisation et affaiblit les référents traditionnels, nourrissant une certaine insécurité identitaire et l’attente d’une autre représentation politique. Cette insécurité et cette demande de localisme sont d’autant plus aigües que le développement économique a pour toile de fond un processus de globalisation ou d’européanisation suscitant une sorte de ‘ré-enracinement’ (Diamanti, 1997 ; Biorcio, 2010). Au final, ce contexte de mutations de la société italienne crée au sein de celle-ci un désir de nouvelle représentation politique qui accorde plus de poids à la petite entreprise du Nord subalpin, qui porte les revendications autonomistes existantes ignorées par la classe politique, et qui dénonce la mal gestion tant du Gouvernement que des institutions publiques, notamment en matière fiscale.
L’attachement à la communauté et au territoire demeure constant dans l’idéologie de la Lega, toutefois sous différentes formes variant selon les opportunités du moment et les thématiques en vogue. En effet, la Lega défend une communauté tour à tour locale, régionale, macro-régionale/multirégionale, et ‘nationale’. Quel que soit l’échelon de référence géographique mis en avant, elle défend une communauté de culture à la fois ‘spécifique’, ‘diverse’ et ‘normale’, refusant surtout d’être une communauté ‘envahie’, menacée tant par des cultures ‘étrangères’ (celle des ‘Forestieri’ puis des ‘invasori’) que par l’homogénéisation culturelle (opérée par l’Etat central italien puis par ‘Bruxelles’). Depuis l’origine, les leghe et puis la Lega tentent de circonscrire une frontière ‘mobile’ identité-altérité entre ceux qui appartiennent à la communauté – les amis de l’intérieur (les ‘normaux’) – et ceux qui n’appartiennent pas à la communauté – les ennemis de l’extérieur (les ‘déviants’).
A cette fin, la Lega s’inspire de la tradition communale, de ces potentats locaux sur le territoire du septentrion qui s’opposèrent à la centralisation, afin de revendiquer une certaine autonomie culturelle, économique et politique, une communauté locale ou régionale opposée à la communauté nationale ‘imposée’. Aussi, la Lega s’appuie sur les disparités historiques de développement Nord-Sud en opposant un ‘nous’, le Nord ‘développé’, travailleur, à un ‘eux’, le Sud ‘sous-développé’, fainéant, afin de prôner et légitimer une communauté macro-régionale, la Padania vouée à se transformer en nouvel Etat. Ce faisant, elle recourt à un populisme communautaire, développe une rhétorique anti-risorgimento ancrée historiquement et invente une communauté ‘imaginée’, la nation padane, à l’aide de ‘traditions inventées’ dans un but de légitimation et de cohésion sociale. Ces pratiques symboliques et ritualisées empruntées au répertoire nationaliste vont dès lors recréer tout un passé historique celtique sur la base de référents historiques ‘réels’ ou ‘manipulés’ : une communauté dite ‘naturelle’, enracinée dans l’histoire de l’Italie.
Récemment, un ‘chevalier lombard’ milanais, Umberto Bossi, a passé le flambeau à un autre ‘chevalier lombard’, milanais, Matteo Salvini, suscitant des thèses sur une nouvelle ligne politique (Ivaldi, 2014). Ce dernier s’appuie certes davantage sur une stratégie nationale projetant la communauté imaginée de la Lega à l’échelle de l’Etat italien, mais celle-ci n’est pas si neuve que cela. Bossi aspirait déjà à faire de la Lega un parti susceptible de récolter des voix au-delà des bastions léguistes, et ce en mettant en exergue dans ses discours la question socio-économique (comme, par exemple, la mauvaise gestion de l’Etat en matière fiscale) et la question de l’immigration (notamment la dénonciation des problèmes sociaux qui en découleraient). Cette stratégie nationale se poursuit en réalité plutôt qu’elle ne s’invente avec Salvini. D’un autre côté, même si le discours de celui-ci atténue les référents padans et lombards, il doit composer avec ces référents bien ancrés dans l’histoire de la Lega. Le nom officiel de la Lega, Lega Nord per l’Independenza della Padania, figure toujours sur son site officiel, et le nom de Salvini a remplacé le nom de Bossi sur le logo padan ; la représentation du chevalier lombard de la Bataille de Legnano est toujours bien visible dans les manifestations de la Lega, comme au dernier rassemblement de Pontida en 2015. Au final, rien n’indique que l’idéologie de la Lega ait sensiblement évolué et que cette stratégie nationale ne soit pas mise en place pour mieux continuer de servir les intérêts du Nord.
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[1] Notre choix de nous centrer sur cet ouvrage s’origine dans le fait qu’il met en lumière l’idéologie de la Lega, les intentions du leader quant à l’élaboration de son projet originel et son évolution, passant d’une ligue lombarde à une ligue du nord. Nous nous focalisons sur les discours autonomistes et les discours relatifs la Padanie, au cœur de notre sujet d’étude sur la composante ethno-nationaliste de la Lega. Bossi est par ailleurs l’auteur ou le co-auteur de nombreux ouvrages : Mezzogiorno e politica di piano. A cura di Achille Parisi e Goffredo Zappa (Bossi et Vimercati, 1964) ; Politica e tecnologia a confronto (Bossi, 1969) ; Opere politiche. A cura di Mario Puppo (Bossi et Vimercati, 1969) ; Vento dal nord (Bossi et Vimercati, 1992) ; La rivoluzione. La Lega :storia e idee (Bossi et Vimercati, 1993) ; Tutta la Verità. Perchè ho partecipato al governo Berlusconi. Perché l’ho fatto cadere. Dove voglio arrivare (Bossi, 1995) ; Processo alla Lega (Bossi et Vimercati, 1998) ; Pensieri (Bossi, 2002).
[2] Traduit par l’auteure : « annegati nel magma indistinto di un’italianità […]. »
[3] Traduit par l’auteure : « Questo nostro fondamentale interesse comune è la liberazione della Lombardia […] nel più vasto contesto dell’autonomia padano-alpina. »
[4] « Il s’agit de régions frontalières et insulaires, souvent marquées par des particularismes linguistiques, qui, dès l’après-guerre, avaient obtenu une large autonomie tant au niveau culturel et linguistique […] qu’aux niveaux politique et économique. » (Avanza, 2010 : 126)
[5] Traduit par l’auteure : « l’unione di più movimenti etnonanzionalisti […] di aree geografiche omogenee per bisogni economici e affinità sociali ed etniche. »
[6] Voir plus avant sur la distinction ami/ennemi.
[7] Voir le discours de Salvini lors du rassemblement de la Lega à Pontida le 21 juin 2015 sur https://www.youtube.com/watch?v=g4i&hellip ;.
[8] Traduit par l’auteure : « symbolic behavior that is socially standardized and repetitive. »
[9] Petite ville proche de Bergame.
[10] Traduit par l’auteure : « liberare la Padania, il Salento, la Sardegna, la Sicilia e l’Europa. »
[11] Traduit par l’auteure : « ritual connects past, present, and future, abrogating history and time. »
[12] Traduit par l’auteure : « delle regioni dell’Italia del Nord ‘colonizzate oppresse’ […] da un ceto politico e da un’etnia estranea. »
[13] Le Risorgimento correspond au processus ayant conduit à l’unification de l’Italie (1848-1861).
[14] Il s’agit d’ « amputer […] un bout de l’histoire collective et de la mémoire qui la reflète. » (Mink, 2007 : 17)
[15] L’Etat, le Gouvernement, le Sud, l’Europe, les immigrés, les homosexuels voire la grande industrie-finance.
[16] Bossi a certes entrepris un processus de ‘normalisation’ – qui s’est traduit par la simplification de sa tenue vestimentaire et l’expulsion de l’anti-méridionalisme, de l’intolérance ethnique et du sécessionnisme de ses discours (Diamanti, 1993) – qui se poursuit, dans une certaine continuité, avec Salvini (2015) : « Le choix de la Lega est un choix de normalité. Nous […] proposons un pays normal avec des personnes normales. » Nonobstant, « ce qui reste inchangé dans le discours de la Lega, c’est la juxtaposition d’une élite corrompue, intéressée, avec un peuple en permanence menacé, dont les intérêts, les valeurs, la sécurité et l’identité ne peuvent être protégés que par les actions du parti. » (McDonnell, 2006 : 127) C’est en ce sens aussi que la Lega entend défendre une « communauté normale » (Bellè, 2015 : 101).
[17] Terme italien signifiant des personnes venant de l’extérieur. C’est ainsi que Bossi (1996) qualifie les Méridionaux.
[18] Traduit par l’auteure : « Il governo accentratore di Roma […] con la complicità di tutti i partiti italiani […] non vuole né autentiche autonomie né lo Stato Federale Europeo. »
[19] Traduit par l’auteure : « omogeneizzazione ‘italiana’ attraverso la progressiva cancellazione dell’etnia lombarda e padana. »
[20] Terme italien signifiant ‘envahisseurs’ ; les immigrés étant qualifiés de la sorte par la Lega.
[21] Voir section suivante.
[22] Traduit par l’auteure « ci ha regalato […] migliaia di comunitari bulgari e rumeni, in attesa di quelli turchi e albanesi. »
[23] Voir le discours de Salvini lors du rassemblement de la Lega à Pontida le 21 juin 2015 sur https://www.youtube.com/watch?v=g4i&hellip ;.
[24] Traduit par l’auteure : « nel quadro dell’ideale dell’unità federale dell’Europa […] fondata sull’autonomia, il federalismo, il rispetto e la solidarietà diretta […]. »
[25] Toutes les citations suivantes, traduites par l’auteure, proviennent du programme électoral européen 2014 de la Lega.
[26] Traduit par l’auteure : « riaffermiamo con forza i valori fondanti della nostra società, delle tradizioni locali, investendo nella diversità : linguistica, regionale, enogastronomica, culturale e sociale. »
[27] Intervention lors de la conférence du Groupe de recherche sur l’Italie contemporaine (GRIC) du 2 avril 2015 à Paris intitulée : « Italie : Gouverner une nation ‘sans Etat’ ? ».
[28] S’ajoutent à celles de Lombardie, de Venise, du Piémont, celles de la Ligurie, de l’Emilie et de la Toscane.
[29] Principalement catholique et indirectement démo-chrétienne.
[30] Offrant notamment des services et apportant une certaine solidarité ainsi que certaines valeurs (travail, famille, communauté), thèmes léguistes par excellence.
Di Bonaventura Florence, « L’instrumentalisation de l’histoire dans le discours de la Lega Nord », dans revue ¿ Interrogations ?, N°21. L’actualité de l’extrême droite, décembre 2015 [en ligne], http://revue-interrogations.org/L-instrumentalisation-de-l,495 (Consulté le 31 octobre 2024).