Résumé
Issue des bars de striptease et inspirée du milieu circassien, la pole dance se démocratise depuis les années 1990 et se diffuse sous diverses formes : artistiques, gymniques, érotiques, récréative. Son institutionnalisation comme sport regroupe des questions de légitimité, de reconnaissance et des enjeux identitaires. La sportivisation de l’activité pourrait se faire au détriment de sa part ludique et artistique. À travers cet article, nous allons investiguer quel statut s’est aujourd’hui forgé la pole dance et comment son aspect récréatif lui permet de rester à la frontière de l’alternatif pour devenir un sport et jouir d’une nouvelle légitimité tout en gardant son identité et construisant des valeurs qui lui sont propres.
Mots clefs :
Pole dance, institutionnalisation, récréatif, sport alternatif, reconnaissance.
Abstract
Since the 90’s, pole dancing becomes a legitimate leisure activity. It spreads all over the world and takes diverse shapes : art, sport, leisure, erotic. From strip clubs and circus, its institutionalisation arises questions of legitimacy, recognition and stigmatisation. One issue is that its transformation into a sport might cost its freedom and fun. In this article, we will investigate what the status of pole dance is today and how its recreational aspect allows it to remain at the border of the alternative. The stake is for pole dancing to become a sport and enjoy a new legitimacy while keeping its identity and building its own values.
Key words
Pole dancing, institutionalisation, recreational, alternative sport, recognition.
Dans une pièce aux allures de salle de danse, des corps s’élèvent. Les barres n’y sont pas horizontales mais verticales et le bois s’est fait éclipser par le métal qui luit sous les spots roses bleutés. Je n’y vois que des femmes ou presque. Les lumières dansent et donnent une atmosphère tamisée et festive. Tout y est. La musique raisonne, le parquet craque sous les impulsions des corps, les miroirs reflètent les mouvements répétés. « Pointe tes pieds ! » s’insurge en souriant la professeure. « Voilà, c’est mieux, et là tu places la jambe extérieure… oui voilà, main intérieure sur la barre, oui, celle du bas, au niveau du front et tu repousses… et la jambe qui charge… oui ! Super ! ». Elle applaudit son élève, les autres femmes la suivent. Elles la félicitent. Cela fait huit mois que Clarisse, 32 ans, prend des cours dans un studio de pole dance. Elle vient de réaliser un Butterfly (annexe 1) pour la première fois. Elle sautille de joie et s’extasie devant la photographie prise de la figure qu’elle vient de réaliser. Tête en bas, le corps semblant en apesanteur malgré la tension qui le parcourt, elle prend appui sur la barre.
La pole dance est une jeune discipline au succès florissant. Elle séduit et sa transformation rapide en performance sportive physiquement exigeante n’y est pas pour rien [1]. Cette discipline allie force, souplesse, mouvements dansés, sur et autour d’une barre appelée une pole. Elle se pratique le plus souvent en musique et s’épanouie à la frontière de la performance physique et esthétique, à l’instar d’autres pratiques comme la gymnastique rythmique ou la natation synchronisée. Bien que mieux acceptée ces dernières années, la pole dance conserve sa particularité : elle est impertinente et ne se réduit pas à une pratique physique lissée par les normes sportives (Dale, 2013 ; Pellizzer et al., 2016). La pratique joue donc sur les deux tableaux : elle se sportivise (devient un sport avec des normes de pratiques établies) et s’institutionnalise (elle est affiliée à des institutions régissant sa standardisation mais aussi crée des institutions favorisant son développement en tant que sport), afin de jouir d’une certaine reconnaissance. Elle négocie sa place à la marge des pratiques sportives hégémoniques, conservant une forme d’anticonformisme et cristallisant des revendications, notamment à travers la liberté de créer en dehors d’un cadre restrictif et normatif. Créer du geste, mélanger les styles, combiner les sports et flirter avec l’art, elle pose aussi la question de la place des corps dans les espaces publics. Elle s’affiche tantôt comme contre-culture au sport classique (Serres, 2012) prônant l’amusement et l’expérimentation corporelle, tantôt comme sport selon des normes sanitaires et élitistes.
Dans cet article, nous chercherons à comprendre comment l’institutionnalisation de la pratique donne lieu à des négociations entre reconnaissance institutionnelle et conservation d’une identité de la pratique. La pole dance étant une discipline en structuration, nous reviendrons dans un premier temps sur ses inspirations pour mieux comprendre les tensions qui l’habitent en tant que performance érotique et physique, les ruptures et continuités qui la construisent. Nous aborderons ensuite la façon dont elle s’institutionnalise au sein de fédérations et la stratégie empruntée pour gagner en légitimité dans le domaine sportif. En effet, la pratique de la pole dance a longtemps eu un coût social (dont certains reliquats demeurent) car les pratiquant.e.s souffrent de « soft stigma » (Kraus, 2010). Les polers mettent en place des stratégies discursives mais aussi dans la structuration même de la pratique pour s’en défaire et gagner en reconnaissance à la fois au niveau juridique et sociale (Honneth, 2004 ; Honneth, Halpern, 2016). En effet, comme nous le verrons, la sportivisation de la pratique matérialise la quête d’estime et de respect des polers. Enfin, nous verrons comment elle cultive sa part alternative à la fois par le développement de son aspect récréatif, mais aussi au travers des valeurs qui la parcourent.
Cet article est issu d’un travail de recherche initié en 2018. Dans le cadre de mon master en anthropologie, j’ai réalisé une étude sur la pole dance et les rapports de genre qui la parcourent. J’ai ainsi recueilli des informations à la fois par observation participante, en allant moi-même participer à des cours de pole dance au sein de trois écoles (deux en région parisienne et une dans les Hauts-de-France qui a été le terrain principal). Sur deux ans, j’ai cumulé 154 heures de cours. Ceci m’a permis de remplir quatre carnets de notes de terrains, d’enregistrer environ cinq heures de vidéos, de prendre des dizaines de photos. Un questionnaire a été diffusé dans toute la France afin de mieux connaître les pratiquant.e.s et leurs motivations qui a reçu 696 réponses. L’enquête a aussi été réalisée via des entretiens de types semi-directifs, auprès de vingt-deux poleuses et cinq poleurs [2]. J’ai aussi réalisé des observations en club de striptease et rencontré des performeuses [3] permettant un recueil d’informations informel. Mon statut a oscillé au fil du temps. D’abord incognito, j’ai petit à petit expliqué aux pratiquant.e.s que je réalisais une étude sur la discipline. Leur adhésion et leur participation ont grandement facilité l’enquête de terrain. Étant un sujet encore peu travaillé en France, j’ai aussi pu être conseillée par Monica Acéti, Maître-assistante à l’Institut de Recherche Sociologique (IRS) de l’Université de Genève et Joshua Paul Dale, professeur au département de langue étrangère et littérature à la Gakugei University de Tokyo qui m’a accueilli dans le cadre du Summer Program de la JSPS [4]. Mes observations se diversifient et se poursuivent en une immersion épisodique et partielle où prévaut l’observation flottante (Pétonnet, 1982). Je demeure à l’écoute, au contact de la communauté via les réseaux sociaux, en continuant la pratique, en échangeant avec les polers, en étoffant la recherche documentaire. Ce travail continu mais en pointillé me permet de suivre les évolutions de la pratique, les évènements qui la traversent.
La pole dance est arrivée en France dans les années 2010, mais elle avait émergé avant cela en Amérique du Nord, au Canada dans les années 1990. En remontant encore le temps, elle nous mène au début du XXe siècle avec les prémisses du striptease. Il existe aussi des liens avec le milieu circassien et la pratique ancestrale du mât chinois. Refaire une histoire de la pole dance n’est pas chose aisée car « c’est un art de la performance qui vient du cirque, du sideshow aux USA, du vaudeville, c’était une forme d’entertainment pour les pauvres […]. Après plein de choses se sont ajoutées, des formes d’acrobaties, de voltige, de danse. Ce qu’on fait aujourd’hui, ça ne vient pas de quelque chose de linéaire, en refaire l’histoire, c’est presque impossible » (Alex, poleuse).
Son histoire est complexe et la pole dans sa version actuelle est le fruit de transferts et syncrétismes. Sans prétendre retracer L’histoire de la pole dance (des études approfondies en histoire sur la discipline n’ayant pas encore eut cours) je vous propose d’en retracer Une histoire, celle qui allie le strip et le cirque pour mieux comprendre ensuite les tensions qui la constituent.
Pour comprendre le développement de la pole dance, il faut s’intéresser au striptease. Il ne s’agit pas de retracer entièrement ses origines [5], mais d’élucider certains éléments historiques pour mieux comprendre son influence sur la pole dance dans sa forme actuelle.
L’Exposition Universelle de Paris en 1889 (Shteir, 2005 ; Staszak, 2008a), espace d’influence international, va répandre dans le monde occidental une certaine vision de la danse érotique. Des femmes venues d’Orient, installées dans la fameuse Rue du Caire y dansent selon des gestuelles nouvelles en Europe et alimentent les phantasmes. Pourtant, l’érotisme émane moins d’une nature sensuelle du spectacle que de l’attente du public (Staszak, 2008a : 131). L’Europe et notamment la France deviennent rapidement des hauts lieux de la danse érotique qui va se diffuser en Amérique du Nord dès la fin du XIXe siècle au travers des sideshows qui prennent de l’ampleur au sein des foires. Parmi ces shows se trouvaient les Hoochie Coochie dancers (Adams, Keene, 2012 ; Stencell, 1999), des danseuses venues également d’Asie [6] (héritières des bayadères et des almées de la Rue du Caire) qui ont, dès les années 1860, défrayé la chronique, devenant un atout indispensable à toute représentation, des foires aux cirques (Stencell, 1999 : 4‑5). Ces danseuses, des femmes peu vêtues (pour l’époque) aux danses considérées suggestives par l’utilisation de mouvements de bassin et de hanches, auraient intégré à leurs chorégraphies l’utilisation du mât de la tente où elles se produisaient (Staszak, 2008a ; Stencell, 1999). En effet, les spectacles de danses érotiques d’abord réalisés en groupes se sont peu à peu individualisés à travers les Single O-shows, spectacles où se produit une seule artiste. La concurrence se faisant plus rude, les danseuses devaient être particulièrement attractives et créatives pour maintenir la participation et l’adhésion du public et usaient notamment de mouvements évocateurs de l’acte sexuel [7]. C’est dans ce contexte qu’elles auraient commencé à utiliser le mât de la tente [8]. Finalement, son utilisation s’est développée et les années 1970 à 1980 marquent l’apogée de la popularité du pole dancing dans lequel les danseuses ajoutaient des mouvements plus spectaculaires où elles se suspendaient et tournaient autour de la barre à la force des bras.
La pole dance s’est démocratisée ensuite dans l’ensemble des pays anglo-saxons, puis a envahi l’Europe, dont la France. Les premiers enseignements de pole dance en dehors des clubs et boîtes de striptease ont été recensés en 1994 avec l’ouverture de l’Exotic Dance Academy, par Fawnia Mondey Dietrich (Griffiths, 2016 ; Holland, 2010). Elle proposait des cours de danse exotic [9] dont la pole dance, à des femmes ne l’apprenant pas à des fins professionnelles, mais récréatives. Elles y recherchaient l’amusement et l’apprivoisement de leurs corps par la séduction. L’érotisme en demeurait donc une part majeure. La pratique s’est graduellement affranchie des bars pour devenir une activité de loisir, sportive et artistique d’abord destinée aux femmes, créant des espaces de liberté et d’expérimentation corporelle nouveaux ressentis comme des « safe spaces » [10], espaces sécuritaires ou lieux de confiance.
L’histoire française de la pole dance a aussi ses spécificités. Elle se répand comme une légende entre polers : « En France, ça arrive en 2007 avec Marianna [Baum] notamment et aujourd’hui ça explose. […] Elle vient du strip et du cabaret, elle a fait un peu de théâtre aussi. Elle a été formée à la pole en Angleterre je crois et elle s’est dit que c’était dommage qu’en France il n’y ait pas d’endroit où apprendre ça. Elle a commencé à donner des cours, à structurer un peu la discipline. » (Fabien, poleur). En effet, la pratique aurait fait son apparition en France dans les années 2000 (Padovani, 2016), mais elle s’est surtout développée depuis 2005 avec les premiers cours dispensés par Marianna Baum, puis l’ouverture de son école à Paris en 2007. Elle aurait été à l’origine de l’impulsion de la discipline et a formé les grands noms de la pole de ces dernières années. Certain.e.s ont monté leurs écoles et ont développé leurs propres méthodes d’enseignement. Les évolutions sont rapides et la création de nouvelles techniques de transmissions, de nouveaux mouvements, de nouveaux combos ne sont pas rares. Le niveau physique s’est aussi élevé : « Tu vois en 2010, [une figure] avancée c’était un Superman, un Jade [11]… tous ces trucs-là tu les voyais en compète. Alors que maintenant tu mets un Jade, c’est bien mais il faut le faire sans les mains et une sortie corsée, tu enchaînes au milieu d’un combo [12] ou tu le drop [13], enfin tu ne fais plus juste un Jade. L’évolution a été énorme et du coup c’est très différent. » (Iso, professeure de pole dance).
Les changements sont donc rapides et perpétuels. Dans la récente pratique de la pole dance, les styles se multiplient et s’inspirent de sports classiques comme la gymnastique et la danse mais aussi de sports alternatifs comme le breakdance, le parkour, le twerk. Elle est aussi souvent associée à d’autres activités hybrides comme le cerceau aérien, le tissu aérien et l’acro-yoga. Des disciplines peu régulées, qui séduisent par leurs aspects acrobatiques, esthétiques, leurs gestuelles aériennes. La pole dance est notamment appréciée car elle est atypique et ludique [14], et pour les sensations qu’elle procure (les polers décrivent souvent une impression d’envol). Elle cultive un aspect transgressif par rapport à la norme sportive : sa pratique actuelle est plus influencée par les réseaux sociaux [15] que par les institutions, son origine demeure un point de tension et elle est parcourue de revendications féministes et identitaires. Elle se pratique plus dans une optique d’amusement et de bien-être que sanitaire et de performance physique. Son aspect érotique l’empêche de se fondre dans les normes du sport traditionnel. Elle se rapproche donc des sports alternatifs comme les sports de glisse définis comme « anti-compétitifs, peu régulés, ludiques, transgressifs et pourvoyeurs de sensations » (Soulé, Walk, 2007 : 67). Dans les discours comme les pratiques, les polers se revendiquent à la marge des sports traditionnels, tout en désirant une institutionnalisation, pourvoyeuse de reconnaissance en tant que sport. Ainsi, la pratique se refonde en une discipline où se développent des méthodes, des techniques et des valeurs propres aux activités sportives mais des tensions et résistances demeurent.
L’institutionnalisation de la pole dance se fait via sa reconnaissance juridique et sa structuration fédérative. En effet, une institutionnalisation se formalise par l’ensemble des cadres qui viennent régir une pratique sportive et notamment les institutions publiques. C’est un facteur structurant les sports modernes. Il y a donc « […] normalisation des règles des jeux sportifs, qui sont précisées, fixées, systématisées et universalisées comme jamais auparavant et comme rarement dans les autres genres de pratiques culturelles » (Defrance, 2011 : 82). Ceci comprend le rattachement à des structures nationales ou internationales (fédérations), la reconnaissance étatique de la pratique (avec la standardisation des lieux et modes d’apprentissages, avec des équipements adaptés, un encadrement formé), la mise en place de réglementations pour unifier et contrôler la pratique, et la sanction des compétences par des compétitions officielles.
L’institutionnalisation de la pole dance est en construction. Elle est affilée à la FFD (Fédération française de Danse) depuis 2012 (FFD, 2017). Cette affiliation est dite faible car elle ne permet pas de réel regroupement des pratiquant.e.s ni d’émulation. Cependant, elle favorise une certaine reconnaissance sur le plan légal et a présenté peu de résistances contrairement aux expériences du funboard ou du kitesurf (Jallat, 2018). En effet, la FFD est une institution permettant à la pole de demeurer entre la performance sportive et artistique et n’impose pas de valeurs strictes ou éloignées de celles qui organisent la pratique initialement. À ce jour, l’organisation administrative de la pole dance est peu impactante sur la structuration de la discipline et son encadrement : il n’existe pas encore de formation reconnue par l’État pour devenir professeur.e et l’ouverture d’une école requiert peu de prérogatives disciplinaires. La pole acquiert donc progressivement cette nouvelle image de sport physiquement exigeant et technique. Elle jouit d’une reconnaissance institutionnelle en France avec la délégation française de Pole Sport, rattachée à la FFD. Cependant, il y a de grandes disparités en termes d’enseignement. Les pratiquant.e.s, lors des entretiens, parlent du manque de formation de certain.e.s professeur.e.s comme d’un élément problématique : « Il y a des vraies profs et des élèves qu’on a un peu parachutés en tant que profs, aucune pédagogie, notamment par rapport au corps […]. Mais le problème c’est que là y’a pas de diplôme, si demain je veux ouvrir une école je peux. Donc tu fais ce que tu veux en fait ! » (Ginnie, poleuse). Les polers sont parfois en demande de standardisation et d’encadrement des pratiques pour plus de sécurité mais aussi de légitimité. À ses débuts, la pole dance s’était affranchie de ces instances et, encore aujourd’hui, la régulation de la pratique passe par d’autres canaux : c’est un monde où tout le monde se connaît et l’auto-régulation fonctionne sur un principe de réputation. Les écoles ou professeur.e.s ne répondant pas aux standards de sécurité, compétence et confort dictés par la pratique sont rapidement identifiés. La pole dance s’est d’abord érigée en communauté notamment via les réseaux sociaux et s’est constituée autour d’un langage commun, de valeurs et d’un mode de fonctionnement par expérimentation. De nombreuses figures voient le jour par sérendipité et se diffusent par vidéos publiées et partagées. De fait, les réseaux sociaux, dont Instagram, participent souvent à l’apprentissage des polers et à l’évolution de la pratique, plus que les structures régulatrices. Elle demeure ainsi considérée comme un phénomène de marge à l’instar des sports de glisse et des sports urbains, par exemple - skate, parkour, roller - (Miaux, 2009 ; Collinet, 2002). Appartenir à une institution ne suffit pas pour institutionnaliser un sport et en faire une activité régulée et reconnue. La sportivisation de la pole dance appelle donc aussi à une professionnalisation des apprentissages et à la sanction des compétences par un diplôme d’État [16].
Institutionnaliser la pole dance, c’est aussi prendre de la distance avec la pratique des bars de striptease qui constitue souvent un pôle repoussoir : « De nombreux efforts ont été déployés pour tenter de déstigmatiser les cours de pole dance en mettant l’accent sur toutes les façons dont ils ne sont pas associés aux clubs de lap dance. » [17] (Bahri, 2012 : 7). Ainsi une partie de la communauté des polers tente de se défaire de cette image érotique. L’institutionnalisation a donc un but à la fois politique et culturel en ce qu’elle favorise un changement de regard sur la pratique. Institutionnaliser la pole dance, au même titre que d’autres sports, demande la mise en place d’un encadrement, pour permettre une pratique collective sur des bases communes. C’est une « mise en ordre » de la pratique (Parlebas, 1995). En pole, elle émane de pratiquant.e.s désirant une reconnaissance. Ce désir de reconnaissance forge les modes de pratique car « l’attente normative que les sujets adressent à la société s’oriente en fonction de la visée de voir reconnaître leurs capacités par l’autrui généralisé » (Honneth, 2004 : 134). Ceci s’inscrit dans des principes normatifs permettant l’intégration de la pratique dans la structure de la communauté sociale. Ainsi, l’espace de pratique est un enjeu en soi : la pole dance en studio ou en salle (de sport ou de danse) tend à être considérée comme un sport. Celle des clubs de striptease ou des bars, quant à elle, ne l’est pas et appartient au domaine de l’industrie érotique. Définir un espace de pratique favorise sa reconnaissance en tant que sport. Les configurations spatiales génèrent des normes ou modèles de conduite, qui orientent les modes de pratiques et génèrent des valeurs communes dont la violation entraîne des sanctions sociales (Etienne et al., 2004 : 297). C’est une autre forme d’auto-régulation. Le même type de dynamique existe pour les sports comme le skateboard ou le parkour pour lesquels la mise en place de parks a permis l’encadrement de la pratique. L’espace est un outil institutionnel pour encadrer les pratiques ludo-sportives. Mais c’est aussi un outil structurant la pratique (Lesné et al., 2019). Ces espaces permettent une socialisation particulière, des échanges intimes, le partage d’une condition qui crée une connivence et une complicité. Aussi, là où pour l’exemple du skateboard les parks sont des lieux favorisant l’amélioration des relations entre jeunes et pouvoirs publics, les écoles de pole dance permettent d’améliorer le regard porté sur la pratique car elle est réalisée dans le cadre de la gymnastique ou de la danse, dans un contexte désérotisé, normalisé.
L’institutionnalisation de la pole dance qui est un élément de sa sportivisation est vue avant tout comme un facteur de légitimité. La pole dance acquiert une reconnaissance juridique c’est-à-dire un statut, une base universelle témoignant de son existence (Honneth, Rusch, 2013). Elle n’est pas affiliée à la fédération de gymnastique dont elle est proche mais à la fédération de danse et ceci a un sens. Tout comme pour le hip hop et d’autres danses, c’est aussi une question de reconnaissance artistique. Elle devient de fait un « art plus savant » en faisant partie intégrante « des institutions culturelles » (Lafargue de Grangeneuve, 2020 : 91). Ceci permet donc l’acquisition d’une reconnaissance sociale ou « estime sociale » (Honneth, Rusch, 2013). C’est un processus de reconnaissance qui se construit aussi sur les qualités propres de la pratique. En s’affiliant à la FFD, la pole s’ancre dans le domaine des pratiques ludiques et culturelles tout en revendiquant une « mise en norme […] dans une forme identique aux pratiques sportives dominantes de la société » (Marsault, 2009 : 5). En d’autres mots elle se sportivise et négocie le maintien de son originalité.
Selon Allen Guttmann, un sport moderne doit répondre à certains critères : la sécularisation, l’égalité, la spécialisation des rôles, la rationalisation, la présence d’une bureaucratie, la quantification et la quête du record (Terret, 2016 : 8). La pole dance s’inscrit petit à petit dans ce modèle. En effet, sur le plan organisationnel, la pole dance s’institutionnalise aussi au niveau international : deux organismes majeurs se sont créés, l’IPSF (International Pole Sport Federation) et le POSA (Pole Sport and Art Federation). L’existence de ces deux organismes témoigne des modes d’institutionnalisation différenciés de la pratique. En effet, ces deux organismes ont des approches de la pole dance différentes. L’IPSF s’axe surtout sur la forme sportive et le POSA donne une plus grande importance à sa part artistique. Cependant, c’est principalement à travers l’IPSF qu’elle s’institutionnalise. En 2008, le terme Pole Sports permet la transformation de la pratique : elle n’est plus seulement une activité physique et ludique mais devient un sport de haut niveau mettant en compétition des athlètes. Par la suite, des fédérations nationales se sont formées et des compétitions homologuées ont été organisées [18]. Depuis 2014, l’ISPF travaille avec le GAISF (Global Association of International Sports Federations) pour gagner en reconnaissance en structurant la pratique selon des critères globaux et communs aux autres sports. Elle travaille aussi avec le Comité International Olympique (CIO) pour une inscription de la pratique aux jeux olympiques [19]. Sur le plan scientifique, des chercheur.euse.s se sont aussi intéressé.e.s à l’impact physiologique et métabolique de la pratique sur le corps et ont permis de classer les cours de pole dance (de niveau intermédiaire-avancé sur une durée de soixante minutes) parmi les activités à endurance cardiorespiratoire d’intensité moyenne (Nicholas et al., 2019) selon les recommandations de l’ACSM (American College of Sports Medicine). Ces études, en participant à son inscription en tant que sport, visent aussi à neutraliser les a priori qui imprègnent la pratique. Aussi, dans une même démarche de standardisation, des niveaux sont décrits, permettant de classer les figures par ordre de difficulté. Ces niveaux structurent les cours qui sont dispensés en fonction de ces classifications encore peu stables : initiation, débutant, intermédiaire (contenant deux niveaux) et avancé. Chacun contient des figures et précise des attentes différentes [20]. Seulement, bien que la discipline se structure en niveaux, « plus les niveaux sont forts plus il devient difficile de les scinder car ils se traversent et se chevauchent » (Mandie, professeure de pole dance). En fonction des écoles, des manuels et des institutions, une même figure ne sera pas forcément répertoriée dans le même niveau et ne portera pas non plus le même nom. Demeurant une discipline assez jeune et étant toujours en cours d’institutionnalisation, il n’existe pas de nomenclature consensuelle regroupant avec exactitude les figures et les méthodes. L’IPSF a cependant réalisé un travail conséquent de recensement des figures dans un code à point pour juger les compétitions. Les figures sont classées selon leur type et leur valeur technique échelonnée de 0.1 à 1. Les figures sont aussi classées par type : flexibility (souplesse), strength (force), spin (en rotation), static (statique), double (réalisé à deux), deadlift (soulèvement de terre) (annexe 3). Le catalogue n’a pas encore atteint sa forme finale et évolue en permanence, de nouvelles figures pouvant être proposées par les polers.
Ainsi, la pole dance dans son acception sportive, tente de rejoindre des points communs à la plupart des sports. La pratique se réalise dans un espace et un temps donné, selon des règles préétablies. Le partage de normes permet la mise en compétition des corps selon des règles dites équitables : « Toute pratique sportive est fondée sur la recherche de la performance face à une difficulté affrontée intentionnellement : un temps, une distance, un obstacle, un adversaire » (Bromberger, 1995 : 9). Les conditions de confrontation sont définies et permettent la comparaison de performances physiques (Brohm, 2000) ainsi que la quantification par la mise en place d’un code de points. Voici les premiers éléments qui semblent permettre de considérer que la pole dance se construit comme un sport. D’autres éléments s’y ajoutent comme la rationalisation des pratiques qui s’uniformisent ou encore le rôle des professeur.e.s qui prend de l’importance avec le développement de formations au sein de certaines écoles [21]. Nous nous rapprochons partiellement de la définition de Guttmann. Cependant, la pole appartient à un sens plus étendu du sport « où il englobe tout type d’activité physique réalisé dans un but récréatif, hygiénique ou compétitif et dans un cadre réglementaire minimal » (Terret, 2016 : 10). Cette définition, aussi large soit-elle, permet une compréhension et une appréhension plus globale des activités sportives et favorise l’inclusion d’activités qui se développent selon de nouvelles normes et de nouvelles valeurs, comme ce fut le cas pour les sports de glisse et les sports urbains (Collinet, 2002 ; Miaux, 2009). La pole dance déploie donc de gros efforts pour devenir un sport mais au sein même de la communauté des polers, les dissidences sont nombreuses entre ceux et celles qui prônent une pole sportive et ceux et celles qui désirent que la pole demeure suggestive et subversive.
La pratique de la pole dance est principalement constituée de l’apprentissage de figures acrobatiques à la barre, appelées tricks et des enchaînements de ces figures, appelés combos. Une fois maîtrisés, ces enchaînements sont articulés entre eux au moyen de figures de transitions ou de figures travaillées au sol, sans la barre, appelé le floorwork. Le tout est réalisé en musique et peut être mis en scène avec des costumes, des lumières, pour donner un ensemble cohérent lors de représentations.
Les polers parlent spontanément de la pole comme d’un sport et comme d’un loisir. Seulement, il est important de se demander quelle est la limite entre les deux. Il est parfois difficile de savoir si une activité se trouve du côté d’« une culture plutôt ludique et hédoniste ou bien [d’]une culture à tendance sportive ? » (Dugas, 2007 : 2). Pour beaucoup d’activités aujourd’hui, la forme, le physique et le ludique s’entremêlent.
Il semblerait que la pole sache parfaitement s’adapter aux nouveaux impératifs sociaux : individualisme, travail du corps, travail de l’image, performance, le tout dans un entre-soi majoritairement féminin, prônant la beauté et la puissance. Le but de la diversification et de l’ouverture de la pole est à la fois démagogique (plaire au plus grand nombre), et politique (se défaire de son image sulfureuse de danse des stripclubs).
La pole dance permet notamment aux jeunes femmes [22] de renouer avec les activités physiques en les réconciliant avec leurs corps mais aussi en transformant le sport en activité ludique. Certain.e.s disent avoir l’impression d’être « comme une enfant, pour moi c’est comme grimper aux arbres » explique Cynthia, poleuse. « Je souffre mais je me dépasse et… c’est pas comme faire des pompes ou des abdos. Là je produis quelque chose, un truc joli, enfin ça dépend des fois. Il se passe vraiment quelque chose, et je peux le filmer et me dire que c’est beau. J’ai moins l’impression de souffrir pour rien » témoigne Marie. Et enfin Kelly : « Je viens, je danse plus ou moins, il y a de la musique, une bonne ambiance, je fais des acrobaties et je me suis fait des amies. On finit par se connaître et même quand on se connaît pas, le partage de l’activité fait qu’on se parle, on partage nos réussites, nos doutes, nos échecs. On n’est pas seule ». En réalité, « pour elles, l’activité idéale consistait simplement à s’amuser avec leurs amis, et si elles amélioraient leur condition physique en même temps, ce n’était qu’un effet secondaire de l’activité. » [23] (Whitehead, Biddle, 2008 : 253). Les femmes, qui sont majoritaires dans cette pratique, recherchent avant tout une échappatoire, un lieu de décompression et de bien-être, un safe space. S’il s’avère qu’elles peuvent en plus faire du sport et avoir un effet bénéfique sur leur corps et leur santé, ce n’est qu’un plus. Les femmes ayant des motivations non corporelles, c’est-à-dire ne faisant pas du sport dans un but physique de perte de poids ou d’amincissement, mais dans le but de s’inscrire dans une dynamique sociale ou pour leur propre amusement, tendent à être plus actives et surtout à participer plus longtemps à des activités sportives. La pole dance leur permet de se réinscrire dans une trajectoire sportive sans être trop restrictive. Dans sa forme actuelle, elle s’appuie beaucoup sur l’auto-apprentissage et l’auto-correction. Elle favorise l’autonomie et l’expérimentation. Elle fait dialoguer une logique de la discipline et une logique de la singularité (Faure, 2000). Ces deux logiques n’ont pas une importance équivalente car la pole dance est fondée sur la réflexivité du mouvement : apprendre à le décomposer, en comprendre la mécanique, l’essayer, l’adapter à sa morphologie et ses capacités. C’est une appropriation personnelle et personnalisée des compétences. Comme l’explique Lisa, professeure de pole dance : « Il ne s’agit pas de refaire la figure à l’identique. Nos corps sont différents et ce qui fonctionne pour toi, ne fonctionnera pas pour moi et inversement. La pole, c’est aussi savoir s’adapter au corps de l’autre […]. On ne fait pas du standard […]. ». La pole dance résiste donc à la standardisation tout en tentant de produire des formes d’apprentissages stables à l’instar d’autres pratiques dites alternatives comme le quidditch (Tuaillon Demésy, 2018), le roller derby ou le mermaiding. La pole a la rigueur de la gymnastique et de la danse classique qui demandent un contexte plutôt normatif et l’apprentissage de techniques, mais elle s’épanouit dans une logique de singularité, de liberté relative et de créativité, comme en danse contemporaine par exemple (Faure, 2000). Les techniques sont incorporées pas à pas par les apprenant.e.s mais les méthodes sont peu formalisées. Elle évolue donc entre technicité et interprétation, ce qui marque son caractère alternatif. Bien qu’un cadre s’impose, une forte marge de liberté existe et est demandée. La pole oscille donc à la frontière du quasi-sport (où son aspect disciplinaire tend à se développer et des règles fixes à s’établir), et du quasi-jeu, « situation motrice informelle » (Parlebas, 1999 : 287), pratique plus récréative recherchant le bien-être et la confiance en soi plus que la performance. Elle correspond donc bien aux tendances du XXIe siècle avec « […] des pratiques de loisir plus que de la compétition, la recherche du lien social, du vertige, de l’hédonisme, ou encore de la santé physique et/ou morale. Acteur donc, mais aussi auteur de sa pratique. » (Dugas, 2007 : 11).
C’est une activité plutôt auto-contrôlée dans laquelle les institutions sportives ne sont pas réellement visibles. La pole dance peut donc être un sport : élitiste, de haut niveau, régulé et institutionnalisé, tout comme un loisir, une activité ludique, un espace d’expression, un moyen de créer du lien social, de se dépenser en s’amusant. Elle est aussi, dans la performance, un art. Les formes sont mouvantes et variées et ne sont pas nécessairement clivées, elles ne s’excluent pas mutuellement. Le terme récréatif permet en réalité de maintenir la pole dance dans une zone floue, à la croisée des chemins. Cependant, parler de pratique récréative est aussi un moyen de repousser la pratique professionnelle érotisée dans l’altérité tout en gardant un lien ténu avec elle, et de résister à l’institutionnalisation sportive pure pour éviter qu’une trop grande rigidité dans les formes de pratique n’évacue son aspect ludique mais surtout subversif et revendicateur. Pour les polers, en France, il n’est pas toujours facile de se positionner. En Corée, par exemple, les poleuses vont choisir des dénominations différentes en fonction de la façon dont elles envisagent la pratique. Elles préfèrent le terme « pole athlète » lorsqu’elles l’envisagent pleinement comme un sport, « pole dancer » si elles la considèrent plus proche de la danse et « poler » dans cette double acception sportive et dansée, ne pouvant être réduite à l’une ou à l’autre (Yunjung, Sun-Yong, 2019). De même, dans les pays anglo-saxons, les termes pole sport et pole fitness ont été créés pour parler de la pole comme activité physique et bien délimiter une frontière. De plus, les performers et les strippers y sont aussi des pole dancers. Ces vocables sont fortement liés, plus qu’en France où l’on parle de stripteaseuse de façon hégémonique et où le terme pole dancer était encore peu usité. Ainsi, les expressions accolant les termes sport et fitness sont rarement utilisées et la dénomination est poleuse ou poleur. Mais ainsi, il n’y a pas de positionnement formel dans un cadre sportif, récréatif, artistique ou érotique. La pole dance en France, en gardant une place médiane entre l’érotisme et le sport, est parfois considérée inconvenante. Elle ramène dans l’espace public des corps dénudés, fortement genrés et parfois érotisés. Mais rappelons qu’initialement, tous les sports étaient inconvenants pour les femmes pour des raisons d’esthétique et de pudeur (Terret, 2016). Cependant, les poleuses redoutent parfois le vulgaire. Alors, il arrive que leurs mouvements soient retenus. L’adoption de mouvements et d’attitudes sexy (mouvements de cheveux, mouvements au sol, vagues…) font souvent l’objet de plaisanteries et sont parfois tournées en dérision, permettant de canaliser la gêne générée. Il s’agit d’une réaction défensive, d’un mouvement de résistance par une mise à distance. C’est un moyen de gérer le soft stigma lié à l’aspect érotisé de la pratique comme l’explique Rachel Kraus pour la danse orientale (2010). La pratique récréative de la pole dance est teintée de ces notions de pudeur et de décence. Les écoles s’adaptent et véhiculent donc une image acceptable de la discipline, plus ancrée dans les nouvelles valeurs qu’elle prône : amusement, apprentissage, formation du corps et bonne entente. C’est ce qui ressort des cours. La pole dance se développe dans des directions multiples (sportive, artistique, ludique) pour parvenir à cette image légitime d’une pratique de loisir à visée sanitaire (Duits, van Zoonen, 2006 : 106). Pour cela elle est travaillée en adéquation avec les valeurs actuellement défendues dans les sociétés dans lesquelles elle se déploie : esthétique, santé, bien-être, acceptation de soi, dépassement de soi, bienveillance, recherche du plaisir personnel, de la satisfaction corporelle et empowerment.
L’institutionnalisation n’est pas qu’un facteur d’organisation et de contrôle, c’est aussi un moyen de mettre en forme des cadres moraux communs, des valeurs communes. Elle participe à une socialisation particulière autour de la pratique, favorisant son développement dans une direction précise. Pour les sports il s’agit du sanitaire et de la performance. La pole dance est une activité individuelle qui se pratique de façon collective, à l’instar de la gymnastique ou de la boxe (Papin, 2008 ; Wacquant, 2002). Ces trois disciplines ont d’ailleurs plusieurs éléments en commun : « La gymnastique [comme la pole dance] est ainsi, c’est une école de la ténacité, de la rigueur. Une fois sur l’agrès, c’est le corps qui comprend et apprend, qui trie et emmagasine l’information, trouve la bonne réponse dans le répertoire d’actions et réactions possibles qui devient le véritable sujet de la pratique ‘gymnique’ » (Wacquant, 2002 : 98). » (Papin, 2008 : 8). La pole dance sportive est proche de la gymnastique dans ses mouvements mais aussi dans les valeurs qu’elle véhicule. Elle fait écho à l’étude de Loïc Wacquant sur la pratique de la boxe. Il y parle des « trois corps du pugiliste » (Wacquant, Bart, 2015), que nous pouvons résumer sous les thèmes du corps instrument, du corps comme lieu de production esthétique et du corps moral (Wacquant, 2013). La pole dance s’ancre dans ces trois acceptions : le corps est l’outil qui permet la production du mouvement. Ce mouvement crée une esthétique particulière et médiatise des valeurs. L’esthétique en pole est éminemment liée à la notion de capacité du corps. À force d’exercices, les polers mettent au jour une éthique du corps apte, affûté, tenu, tendu, ferme, musclé, qui se lie à la beauté gracieuse d’une matière malléable, agile, souple voire même élastique, qui épouse les contours de la barre et dessine des formes tortueuses. Elle oscille donc entre une morale hygiénique et une morale de séduction. Le travail de Loïc Wacquant, sur la boxe emprunte des chemins similaires, sauf que le corps du boxeur est mis en scène dans l’incarnation du capital corporel masculin dans sa définition traditionnelle (corps violent mais contrôlé). La pole mettant en mouvement majoritairement des corps féminins, la réception de la pratique s’en voit modifiée, plus axée sur un potentiel esthétique voire érotique. Ce corps à dimension morale va ainsi diffuser une éthique qui lui est propre. Elle s’inspire de son origine sensuelle et s’enrichit de sa transformation en activité de ludo-sportive.
L’éthique en pole dance est une morale de revendication et de contrôle de soi, de mise en avant du corps presque virilisé par la force et la puissance, et malgré tout érotisé. C’est la canalisation du désir (de soi comme de l’autre), et le choix assumé de montrer son corps, puissant mais dégageant une charge érotique, qui va mener à une forme de glorification par le mouvement qui peut tantôt apaiser tantôt souligner cette sensualité. La pole dance véhicule ainsi une philosophie qui lui est propre, remplaçant l’ascèse par un hédonisme qui vient s’inscrire en faux par rapport à la morale épicurienne des boxeurs comme des gymnastes et de la plupart des cultures sportives. En pole, comme Holland (2010 : 20) explique dans son ouvrage, l’un des leitmotiv de la pratique est « Do what’s right for you », « Fais ce qui est bien pour toi », faisant écho à la philosophie du do it yourself. Nous sommes ici dans une logique à la fois de bien-être et d’empowerment impliquant « une dynamique individuelle d’estime de soi et de développement de ses compétences avec un engagement collectif et une action sociale transformative. » (Biewener, Bacqué, 2015 : 144). C’est une activité aux retentissements à la fois sociaux et politiques. La pratique est aussi considérée par les polers comme un moyen de revendiquer sa féminité, de prendre le contrôle de son aspect érotique. Ceci, tout comme y voir un moyen d’expression plus artistique que sportif, permet de maintenir la pratique hors du champs mainstream. En cela, les cours de pole moins axés sur le fitness et plus sur l’aspect sexy, constituent une réponse de polers souhaitant demeurer dans une subculture plus proche des racines de la pratique. La pole tend donc à se diviser en deux champs ou deux ‘chapelles’ comme les nomment Holland (2010 : 6) : la pole dance sportive et la pole dance dite exotic (ou sexy). C’est une scission partielle car la plupart des polers qui pratiquent l’exotic prennent aussi des cours de pole dance axés sur le fitness en parallèle. Certain.e.s polers s’inscrivent donc dans des cadres d’identification ambivalents (Faure, 2004). Comme l’explique Sylvia Faure pour le hip hop, cela donne lieu à diverses justifications et identifications en tant que partiquant.e.s. En pole, ces identifications se font sur un gradient de pratique genré allant de la pratique la plus sportive, souvent définie comme plus masculine ou virile, utilisant des figures dynamiques et des figures de force, à une pole considérée plus féminine faisant appel à des figures de souplesse et au développement de grâce et de fluidité, englobant notamment les aspects chorégraphiques et sexy. La pole dance, initialement développée par les femmes pour les femmes dans une optique de réappropriation de leurs corps et de réconciliation avec les pratiques physiques, dans son institutionnalisation même reprend les grands schèmes genrés du sport toujours fief d’une certaine virilité [24]. Il apparaît que la virilisation de la pratique soit un indicateur de sa sportivisation. Aussi, la pole exotic reste indéniablement considérée dans la communauté française de pole comme une pratique subalterne [25] et demeure souvent liée au féminin dans l’imaginaire collectif. Cependant elle permet la mise en tension de la pratique et de la communauté, favorise sa porosité et la communication des techniques comme ce fut le cas lors de l’institutionnalisation du hip hop (Faure, 2004 ; Lafargue de Grangeneuve, 2020). Elle génère donc des identités via un imaginaire performatif et symbolique qui « produit un ensemble de représentations sociales partagées qui vont fonder l’identité du groupe » (Tuaillon Demésy, 2018 : 2). Ces identités sont en lien avec les questions qui traversent la société française notamment en termes de genre et d’égalité de sexes. Elle s’inscrit dans des tendances inclusives, considérant que « la Pole dance est un sport qui se veut pouvoir être ouvert à chacun » explique une professeure, mais demeure fortement individualiste et prône le particularisme : chaque corps, comme chaque personne y est considéré comme unique.
Les polers font de la pole pour son caractère sportif, ses figures impressionnantes, son caractère aérien, mais le pouvoir subversif de la discipline est loin d’y être étranger. Beaucoup prônent l’institutionnalisation de la pratique. Ceci pourrait avoir comme effet de construire la pole dance comme une activité moins controversée et plus légitime en reconnaissant son aspect physique et en la rendant plus commune, plus neutre. Elle ne s’inscrirait plus dans les sports alternatifs, à la marge, mais deviendrait une pratique courante, un sport plus traditionnel et deviendrait « grand public » (Soulé, Walk, 2007 : 68) et populaire. Le risque pour la communauté de polers est de lui faire perdre une partie de son intérêt en lui retirant son côté séditieux, car la pole dance est aussi à l’origine de revendications identitaires. Les polers s’organisent sur les réseaux sociaux en communauté et partagent une subculture axée sur des valeurs communes, notamment le bien-être, l’originalité et l’empowerment. Seulement, une fois normalisée et normée, elle serait aussi moins libre. Son aspect de revendication disparaîtrait. Elle risquerait alors de redevenir une simple forme de contrôle corporel. Mais danser avec la barre est, pour les polers, plus qu’un dressage du corps. C’est un moyen d’expression incarné et effronté. L’exemple d’autres pays soutient cette assertion. Le développement de la pole dance au Japon se réalise dans un embrassement de la culture du spectacle. La pole dance y est avant tout pensée comme une performance artistique destinée à être vue. C’est un art esthétique où les costumes, la musique et l’histoire que raconte la performance ont plus de centralité que la force physique des polers. Les shows mettent aussi la pole en communication avec divers arts : le cerceau et le tissu aérien (comme en France), mais aussi la danse orientale et la pratique du drag [26]. Au Japon, performer présente une évolution de la trajectoire des pratiquant.e.s permettant en plus une rémunération. La pole dance récréative y est réintroduite dans le domaine de la nuit, tandis que des associations se constituent afin d’entamer sa reconnaissance juridique et sociale comme sport. Ainsi dans les années à venir nous verrons si les institutionnalisations en France et au Japon mènent à des rapprochements ou des éloignements.
À ce jour, en France, la pole devient un sport mais les résistances persistent par divers biais. Les polers expérimenteraient une nouvelle corporéité, de nouvelles sensations. Sport initialement pensé par les femmes, pour les femmes, l’espace d’expression de leurs corps reste le plus souvent privé, à l’intérieur. La pole permet la recherche du risque mesuré dans un environnement protégé et sécuritaire. Bien que la tendance soit à la légitimation par le sport, son aspect récréatif permet de maintenir une diversité de choix, allant du plus athlétique au plus sensuel, voire sexuel. Ainsi deux états de la pole dance coexistent : elle est à la fois en cours d’institutionnalisation et de standardisation et elle tente de maintenir et cultiver son aspect alternatif.
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[1] (Acéti, 2018 ; Griffiths, 2016 ; Holland, 2010 ; Yunjung, Sun-Yong, 2019)
[2] Les pratiquant.e.s de la pole dance se nomment poleuses et poleurs, le premier désignant les pratiquantes et le second les pratiquants. Lorsque nous parlerons des pratiquants et pratiquantes ensemble, nous utiliseront l’anglicisme polers permettant d’inclure les deux genres.
[3] Elles utilisent parfois ce terme provenant de l’anglais performers en remplacement de stripteaseuses. L’usage du terme strippers a aussi été noté. Elles ne se définissent cependant pas comme poleuses sauf lorsqu’elles prennent des cours.
[4] Japan Society for Promotion of Science. Il s’agit de deux mois d’enquête de terrain réalisés de juillet à septembre 2022.
[5] Pour cela se référer à l’ouvrage de Rachel Shteir (2005), Striptease : The untold hisotry of the girlie show, Oxford University Press et de Rémy Fuentes (2006), Strip-tease : histoire et légendes, Paris, La Musardine.
[6] Il s’agissait principalement de danseuses d’Égypte au départ.
[7] Au fil du temps les danseuses venues d’Orient ont été partiellement remplacées par des jeunes femmes caucasiennes. Les danses ont alors perdu de leur empreinte exotique géographique. L’exotisme perdure un temps dans les costumes puis semble ne plus exister qu’à travers l’image érotisée du corps dénudé, faisant de ce corps féminin un ailleurs métaphorique.
[8] « The girl who worked it would strip naked and grind herself up against the ’snorting pole,’ simulating sex with an imagined male lover. The ’snorting pole,’ or pole in front of the stage, was often the center tent pole. […] Where the carny term ’snorting pole’ came from is lost in time. One girl dancer interviewed thought it came from the reaction of the men in the crowd who, she said, ’snorted like pigs when they became excited !’ The snorting pole went from being a prop in cooch and single-O girl shows to being an architectural accoutrement to most go-go dancing stages. It is still a major prop in nude dance clubs. » (Stencell, 1999 : 63).
[9] L’anglicisme exotic est préféré dans cet article d’une part car c’est ainsi qu’il est utilisé dans le milieu de la pole dance, d’autre part parce que contrairement au terme français « exotique », il n’a pas ce sens exclusif de l’ailleurs. Il désigne aussi ce qui est étrange, mystérieux, ce qui attire par son aspect atypique. La pole dance s’inscrit dans cet exotisme a-géographique : « Certains spectacles d’exotic dance sont purement occidentaux, comme la pole dance, qui consiste pour une jeune femme plus ou moins déshabillée à danser autour d’une barre de métal verticale, chorégraphie qui n’a rien d’exotique au sens géographique du terme. » (Staszak, 2008a : 130).
[10] Bien que les entretiens aient été réalisés en français, quelques anglicismes sont utilisés par les enquêté.e.s dont la notion de safe-space qui est un mot originairement rattaché au mouvement de libération des femmes aux États-Unis (Rachel, 2001). Il est intéressant de relever que les écoles de pole, espaces principalement non-mixtes, sont identifiés par les pratiquantes comme des espaces sûrs, au même titre que les espaces non mixtes dans le domaine du féminisme et ce depuis son développement dans les années 1970 (Plaignaud, 2018).
[11] Cf annexe 2.
[12] Enchaînement de figures.
[13] Glissement vertical le long de la barre. Le drop donne l’impression d’une chute qui s’arrête à quelques centimètres du sol.
[14] Dans le questionnaire Pole dance recueil d’informations de 2019 mené auprès de 696 polers, son aspect atypique et nouveau est l’élément motivant l’implication dans la pratique cité le plus fréquemment et son aspect amusant et ludique figure dans les principaux points forts cités (Potvain, 2020).
[15] Par exemple le nombre de publications Instagram sur le #poledance qui s’élève à 11.2 millions en mai 2022 (10.2 millions en août 2021, et 8.6 millions en avril 2020, témoignant d’un engouement certain) ou encore des groupes privés comme la French PoleDance Community sur Facebook (regroupant 12 294 membres en août 2021 et 12816 membres en mai 2022) uniquement en France.
[16] Plusieurs écoles dispensent des formations et des diplômes mais elles ne sont pas ou peu reconnues par l’État français.
[17] Traduit par l’auteure : « A great deal of effort went in to attempts to de-stigmatize pole dancing classes by emphasising all the ways in which they were not associated with lap dance clubs ».
[18] Les premiers championnats du monde de pole sports ont eu lieu en 2012 avec seulement 43 athlètes de 14 pays. Cinq ans plus tard, en 2017, 229 athlètes de 36 pays ont concouru (International Pole Sports Federation, 2015).
[19] La pole dance a reçu une homologation de la GAISF en 2017 pour pouvoir déposer un dossier de candidature pour les jeux olympiques de 2024. Elle a été refusée et c’est le breakdance qui a obtenu la possibilité de rejoindre les sports olympiques [https://www.paris2024.org/fr/sport/breakin/ consulté le 18/10/2022]. Cependant les procédures continuent.
[20] L’initiation est souvent proposée sur un à trois cours et permet d’appréhender les sensations autour de la barre. Le niveau débutant permet d’intégrer les techniques et le vocabulaire propre à la discipline, « il permet d’apprendre les bonnes postures à adopter, de prendre ses repères mais aussi à préparer le corps en le tonifiant […]. » Padovani, 2016 : 7‑8). Le niveau intermédiaire quant à lui se décompose en deux niveaux (minimum). « Cette étape comporte davantage de figures de force et de souplesse. » (Padovani, 2016 : 8). À ce stade, les apprenants comprennent et maîtrisent les mécanismes inhérents à la gestuelle. Vient enfin le niveau avancé. Il est considéré comme le niveau de cours le plus élevé et donc le plus hétérogène. Les figures sont de plus en plus complexes et l’attention se porte sur la grâce et la fluidité.
[21] Formations peu reconnues par l’État mais elles peuvent être prises en charge par exemple par Pôle Emploi, et certaines entrent dans le cadre du CPF.
[22] En 2019, près des trois quarts des poleuses (71%) avaient entre 20 et 35 ans et les femmes représentaient 99 % des polers d’après le questionnaire Pole dance-recueil d’informations (Potvain, 2019).
[23] Traduit par l’auteure : « For them [girls] the ideal activity simply involved having fun with their friends, and if they happened to be increasing their fitness at the same time, then that was an incidental side effect of what they were doing ».
[24] Notamment à travers la mise en compétition des corps et la formalisation de techniques selon des critères mettant en avant les capacités physiques usuellement associées au masculin (endurance, force, puissance) (Bohuon, Quin, 2012 ; Lentillon, 2009 ; Liotard, Terret, 2006). En effet, dans le code de figure en construction de l’IPSF, les figures donnant le plus fort nombre de points dans la catégorie force sont représentées par des silhouettes d’hommes tandis que les autres figures dans les niveaux inférieurs ou en catégorie souplesse sont représentées par des silhouettes de femmes.
[25] En effet, le sexy est, en revanche, dans d’autres pays comme le Japon, vu comme une part constituant pleinement la discipline et inhérente à la pratique.
[26] Le « Drag King » et « drag Queen » sont des pratiques d’incarnation genrées. Par exemple, dans la pratique du drag Queen, des personnes assignées homme à la naissance vont jouer des personnages à la féminité fortement marquée et stéréotypée, dans un contexte souvent théâtral. C’est une pratique qui se diversifie en de multiples formes (Greco, Kunert, 2016).
Potvain Marie, « Poles alternatifs. Faire de la pole dance un sport sans effacer son identité ; une institutionnalisation en tension », dans revue ¿ Interrogations ?, N° 35 - De la création à la contestation : délimiter les sports alternatifs, décembre 2022 [en ligne], http://revue-interrogations.org/Poles-alternatifs-Faire-de-la-pole,752 (Consulté le 30 décembre 2024).