Parler d’engagement des acteurs directs de la vie sociale ou des intellectuels qui se penchent sur les questions qui les concernent, c’est d’abord tenter d’identifier les dynamiques contemporaines de l’action sociale et les enjeux qui s’y rattachent. Parmi ces dynamiques, l’implication des populations dans les processus de construction des décisions collectives paraît essentielle. Elle traduit la recherche d’intelligences plus fortes et mieux partagées des rapports entre les sociétés, leurs objets et leurs espaces. Les espaces de la sphère publique sont les espaces de l’engagement des acteurs. Ce qui s’y joue, ce sont des rapports d’autorité croisant légitimité des expertises, reconnaissance de l’autre, établissement des protocoles de la discussion. L’engagement des intellectuels porte sur leur capacité à accompagner, étayer, alimenter les jeux d’acteurs sur ces espaces sur lesquels se prennent petites et grandes décisions collectives.
Mots-clés : Engagement, décision collective, espace public, transaction des expertises, accompagnement des jeux d’acteurs
Involvement in the public sphere as integral to collective decision-making
Talking about commitment by stakeholders directly involved in the life of their society or about academics and intellectuals reflecting on subjects of concern to them entails trying to identify, in the first place, the dynamics that effectively drive contemporary social action, along with the underlying issues implicit in such action. Of the dynamics referred to, one appears fundamental : the involvement of the population in the processes of collective decision-making. Such involvement manifests a quest for deeper, more widely-shared understanding of the relationship between a society, its objectives and its multi-layered dimensions. The public sphere is that dimension of society where people make known theircommitment by getting involved. The involvement of academics and intellectuals hinges on their ability to accompany, back up and provide input for people in the give-and-take of life in the public sphere, the place where decisions, both big and small, are collectively taken.
Keywords :Involvement, collective decision-making, public sphere, transaction of expertises, social action accompaniment
L’engagement des intellectuels a pris des formes différentes, parfois cristallisées sur la figure de hérauts antagoniques dont le conflit traînait tout un pan de la société dans son sillage dans des débats de fond sur des orientations majeures (« Faut-il mieux avoir raison avec Aron ou tort avec Sartre ? »), parfois autour de pléiades d’intellectuels se prononçant sur des causes diverses au travers d’engagements pétitionnaires, plus ponctuels, diffus et laconiques.
On a parfois regretté la disparition des grandes polémiques animées par de non moins grandes figures (malgré l’autoproclamation au statut de grands intellectuels de nombreux candidats à la médiatisation), supposant qu’elle correspondait au désintérêt croissant des uns et des autres pour les grandes questions dites « de société ». On a parlé du « silence des intellectuels », voire de leur trahison.
Les formes d’engagement des intellectuels, et des sociologues en particulier, sont liées, certes, à un état de la société et à un mode dominant de perception de ses enjeux et d’expression publique de ses propres sentiments à leur égard. Mais également aux postures qui sont les leurs et qui les engagent, non seulement dans leurs considérations sur le monde, mais dans leurs choix épistémologiques, méthodologiques et éthiques.
Les postures des sociologues (c’est-à-dire leurs façons d’être au monde et de le considérer) ont, en effet, connu des évolutions sensibles. Et ceci peut-être plus particulièrement en France, où la tradition sociologique est fortement marquée par l’abstraction conceptuelle et le goût pour les questions sociétales (à la différence du pragmatisme et du travail intense de terrain de la sociologie anglo-saxonne). On a connu ces postures métasociales, illustrées par les grandes figures des sciences humaines (Raymond Aron, Louis Althusser, Henri Lefebvre, Pierre Bourdieu, Michel Foucault, mais aussi Michel Crozier, Jean-Pierre Faye, Alain Caillé, etc.). Ce sont des postures d’engagement, soit positif, positiviste ou réformiste, soit critique. Elles sont métasociales en ce sens qu’elles portent en général, non sur un champ particulier du social, mais sur l’ensemble de la société. Elless’accompagnent, le plus souvent, de prises de positions sur les sujets les plus vastes qu’offre l’actualité. Elles sont momentanément dominantes, si l’on considère, par exemple, le structuralisme marxiste ou bourdieusien.
Ont suivi les postures hypercritiques dont Jean Baudrillard a certainement été l’instigateur et le grand maître. Elles ont pour caractéristique de se détacher de la posture critique (considérée comme vaine et irréfléchie), donc de ne plus s’engager dans quelque débat d’idées (et d’éthique), et, selon l’antienne baudrillardienne, de considérer le monde, non seulement comme une mise en scène, mais comme un simulacre, un énorme marché de dupes où, par son action inconsciente, « la masse fait masse ». Où elle fait imploser les construits sociaux et sociétaux. Elles s’accompagnent d’une sorte de fascination pour une vision apocalyptique du devenir des sociétés, provoqué par la subversion que représenterait l’hyperconformisation des masses aux injonctions des systèmes. Ce sont des postures de « désengagement », à savoir que, tout en traduisant une vision métasociale (qu’elles expriment par leur capacité à s’exprimer à propos de n’importe quel événement de la vie sociale, du plus formel au plus informel) et une vision critique, elles expriment un retrait ou une désimplication, faisant de ses auteurs des spectateurs amusés ou cyniques de ce qu’ils pensent être la désagrégation du social. Il y a d’ailleurs, dans cette posture, une part non négligeable d’esthétisme, voire de dandysme dont les revues Utopie ou Traverses ont été les supports emblématiques.
Avec les postures postmodernistes, on s’intéresse moins aux déconstructions de la modernité, puisqu’on considère que la page est tournée, qu’aux formes émergentes des nouvelles pratiques sociales. L’un des présupposés de ces postures est la disparition de toutes les institutions de la modernité, en particulier de celles qui font société. Leurs traces éventuelles sont à considérer comme des rémanences, comme l’éclat encore visible d’étoiles mortes depuis longtemps. À la différence d’un Jean Baudrillard se référant à une masse indifférenciée d’individus –jamais approchés sous l’angle de leur possible singularité-, les postmodernistes s’accordent assez largement sur l’idée d’une forte individualisation des logiques de comportements et de la généralisation de stratégies de calcul conduisant à des associations ponctuelles, réversibles, compatibles ou contradictoires selon les humeurs des individus rejoignant alors temporairement ou plus durablement la ou les tribu(s) de leur choix. Plus que de postures de désengagement, on pourrait parler ici, de postures de « dégagement ». Elles sont « dégagées » comme on dirait qu’elles sont dégagées de toute obligation (et ici, en l’occurrence, de toute obligation sociale). Dans cette vision du monde, les liens sociaux ne sont que circonstanciels, intéressés, révisables à tout instant, et n’impliquent aucune sorte deconscience sociale. Quelle sorte d’engagement attendre des tenants de ces courants qui, par essence, font du relativisme généralisé la règle de la socialité contemporaine ?
Et puis, à la croisée de la posture critique, des interprétations actionnalistes et de la sociologie de la complexité, s’est construit un point de vue sur la capacité des acteurs à transformer les sociétés. C’est une posture qui dit son irritation devant les postures exclusivement critiques, hypercritiques ou postmodernistes, tant en ce qui concerne leurs diverses façons de désigner la société et ses enjeux (notamment son déterminisme), qu’en ce qui concerne la place et la posture personnelles qu’elles permettent à leurs émules de tenir. On pourrait considérer cette posture, comme une posture de « réengagement » (dont certains tenants viennent d’ailleurs d’autres postures et ont opéré de véritables ruptures épistémologiques, non seulement sur le plan de l’organisation de leurs idées et de leurs outils conceptuels, mais aussi sur celui de leur éthique personnelle [1]). Une posture permettant aux sociologues de focaliser leurs visions globales du monde sur des actions concrètes et localisées au sein desquelles ils reformulent la question de leur implication. Dans cette posture, il semblerait que l’on puisse classer tous ceux qui s’intéressent à la capacité des acteurs (individuels et collectifs) à agir sur le monde et tous ceux qui s’intéressent à toutes les façons dont ces acteurs vont construire les voies de cette action (conflit, régulation, transaction, négociation, etc.). On y retrouve naturellement, entre autres, les proches d’Alain Touraine, comme François Dubet ou Michel Wieviorka ; tous ceux qui s’intéressent aux processus de régulation et de transaction comme Jean-Daniel Reynaud, Yves Sintomer, Loïc Blondiaux, Marie-Hélène Bacqué, Maurice Blanc, Jean Rémy ; ceux qui s’intéressent à la question de l’intervention ou de l’implication des sociologues, comme Didier Vranken, Olgierd Kuty, Gilles Hererros ou Guy Minguet. Sans compter des sociologues comme Bruno Latour ou Anthony Giddens et, naturellement, Edgar Morin. Cette posture puise aussi, à mon sens dans les sociologies de l’imaginaire et dans l’analyse institutionnelle (Cornelius Castoriadis, René Lourau ou Georges Lapassade). Tous ceux-là, et bien d’autres avec eux, réouvrent les territoires du social, de l’action des individus et des groupes, de la construction et des agencements des projets individuels et collectifs en puisant dans l’héritage wéberien et en le renouvelant, mais en faisant souvent de même avec l’héritage marxiste ; tous posent aussi, avec plus ou moins d’insistance, la question de la place que doivent occuper les sociologues dans ce paysage, notamment la question déjà ouverte par Marx et reprise par Gramsci, de la relation entre théorie et pratique. Ce faisant, ils posent d’une façon nouvelle, la question de l’engagement. C’est, à mon sens, autour de cette posture qu’il convient de débattre. Deux axes peuvent être abordés pour camper ici ce débat : celui qui essaie dereconsidérer les enjeux d’une socialité contemporaine autour de la question de la sphère publique, en quelque sorte pour tenter d’y voir plus clair ; celui qui pose la question du rôle des intellectuels, particulièrement des sociologues, dans la matérialisation de ces enjeux, pour tenter de mieux agir.
Contrairement à ce qu’en disent les tenants des trois premières postures évoquées, on peut considérer que ce qui caractérise les dynamiques sociales à l’œuvre depuis une quarantaine d’années, c’est la tendance à l’implication, spontanée ou provoquée, des populations (habitants, usagers, administrés, acteurs économiques et sociaux, etc.) dans les processus conduisant aux prises de décisions collectives qui vont les affecter. « (…) l’idée que nous voudrions défendre est qu’une des causes majeures des mouvements est dans le changement de l’équilibre des forces, changement caractérisé par l’accroissement du pouvoir “à la base“, c’est-à-dire parmi les exécutants, les enseignés, les sujets, par opposition aux dirigeants et aux cadres, aux administrateurs et aux professeurs, à ceux qui exercent le pouvoir politique. » [2]
Qu’il s’agisse d’une revendication directe de la base ou d’une incitation, voire d’une injonction à la participation, cette tendance traduit le besoin d’une intelligence plus forte et mieux partagée des rapports des sociétés à leurs objets et à leurs espaces.
Ce sont ces très fortes poussées qui redessinent une façon de faire société. Une réinterprétation de la démocratie donnant une place privilégiée au principe participatif. Cette revendication de la société civile à participer à la construction de la décision collective -signe qu’elle s’inscrit bien dans le registre d’une modification profonde des rapports d’autorité- émeut en tout premier lieu ceux qui se considèrent comme les exclusifs détenteurs de l’autorité, ou qui cherchent à (se) le prouver encore. Les politiques agitent ainsi souvent le spectre d’une démocratie directe, source de chaos. Ils ont du mal à accepter que se propage l’idée selon laquelle la démocratie représentative ne serait qu’un dispositif fonctionnel de ce qui serait l’essence même de la démocratie : la participation. Les techniciens et administratifs s’inquiètent, quant à eux, de l’incompétence des individus de la base à traiter de questions aussi complexes que celles qu’il n’ont pu aborder qu’après de longues années et qu’au prix d’une sévère sélection. Ils se demandent selon quels critères ces individus vont apprécier la « réalité des choses » et savoir trouver les algorithmes pour généraliser des solutions (principede la culture scientifique et technique). Surtout lorsque ces individus sont soupçonnés d’être enfermés dans la singularité de leurs expériences propres.
Olgierd Kuty commente le changement d’échelle qu’il observe dans l’expression des dynamiques sociales et annonce, en filigrane, quels devraient être les champs de préoccupation, d’implication et d’engagement des sociologues : « (…) système d’action concret [3], balkanisation de la société [4], éclatement des logiques de l’action [5], déconstruction de l’organisation [6], tels sont les thèmes qui reviennent régulièrement sous la plume des auteurs (…). [Mais] il faut distinguer la macrorégulation des microrégulations. L’éclatement est celui d’une macrorégulation, qu’elle soit infrastructurelle ou simplement idéologique : celle-ci n’est plus une réalité avérée, automatique, donnée avant l’analyse : elle doit être prouvée. Par contre, les microrégulations prennent de l’ampleur : système d’action concret, communauté de projet, réseau d’action organisée, logique de subjectivation. C’est le fait nouveau témoignant de la nouvelle structuration de nos sociétés. » [7]Alain Touraine, lui aussi, réexamine la question : « [Pour Touraine], la société civile (…) se présente comme “un champ de débats et de conflits dont l’enjeu est l’usage des biens symboliques“. Elle n’est plus tant définie par le rapport à l’État, à l’entreprise et à la famille qu’elle n’apparaît comme une extension indéfinie des luttes, des controverses et des batailles pour des styles de vie, des droits et des identités –une sorte de nouvelle “Offentlichkeit“. Ce qui se dessine, c’est une “société civile anti-essentialiste, réflexive, contingente et entièrement dirigée par les acteurs“. » [8]
Quoi qu’il en soit, les modèles d’autorité, les rapports d’autorité demandent à être profondément repensés dans des sociétés d’individus [9]que le développement des systèmes d’information et de la culture rend de plus en plus exigeants sur l’organisation du cadre de leur existence. D’individus qui entendent de plus en plus prendre part à la définition des orientations et à la gestion de la cité, d’autant qu’ils en constatent les défaillances dans de nombreux domaines (logement, travail, santé, éducation, etc.). D’individus dont l’expertise tient à leur connaissance sensible des questions dont ils se font les interprètes. [10]
Dès lors se pose la question du cadre dans lequel vont pouvoir s’élaborer ces appréciations partagées des situations et ces propositions d’action. Il s’agit d’un cadre complexe, dans lequel devront s’entendre les multiples sensibilités des divers acteurs de la décision. Il s’agit d’un cadre au sein duquel les différents acteurs doivent être légitimés et entendus par les autres, par conséquent d’un cadre qui comportera des règles précises, des procédures [11]ou protocoles, mais aussi de larges marges de manœuvre et d’adaptabilité auxcontextes spécifique [12]. Il s’agit d’un cadre qui doit produire des décisions qui engagent les parties prenantes dans la réussite des actions élaborées.
On peut appeler ce cadre l’espace public, au sens où l’entend Jürgen Habermas, c’est-à-dire, la sphère publique et l’espace du débat et de la discussion, l’espace de la négociation et de la régulation conjointe, comme l’appelle Jean-Daniel Reynaud [13]ou encore l’espace de la transaction sociale, comme l’appellent Jean Rémy, Liliane Voyé et Émile Servais [14]ou Maurice Blanc et Marc Mormont [15]avec d’autres. Je propose, pour ma part, et pour en cerner les multiples facettes, de parler des différents espaces de la sphère publique.
Parlant d’espaces de la sphère publique, il convient, en premier lieu, d’identifier ce et ceux qu’ils circonscrivent (contenus, enjeux, acteurs) ; il convient d’en identifier également les principes et règles de fonctionnement (méthodes ou procédures). Pour cela, il faut partir des expérimentations concrètes de ces espaces (comités de quartier, conseils de vie sociale, conseils de développement, jurys citoyens, commissions de débat public, structures de concertation comme les commissions paritaires, etc.), et non de points de vue a priori sur l’état de la société et de ses orientations. Il faut essayer d’abord d’en identifier et d’en décrire au travers de leur multiplicité formelle, l’essence et les complexités. Nous pouvons indiquer quelques pistes à suivre.
Dans l’explicitation de ce qu’il appelle « la ficelle de la machine », Howard Becker met en garde sur le risque qu’il y a d’oublier de répertorier des individus –nous dirions actuellement des acteurs- impliqués dans une situation donnée et de tronquer l’analyse des interactions possibles : « À chaque fois que nous voulons améliorer les choses, nous risquons fort d’oublier (avec commodité disons-le, sauf que l’incommodité qui en résulte est souvent catastrophique) bon nombre de personnes, de groupes ou de choses qui contribuent au résultat que nous voulons modifier. (…) C’est ainsi que ce défaut de prise en compte de la totalité des personnes impliquées –exigence qui découle pourtant de la plus élémentaire des conceptions de la société- a abouti à une évaluation grossièrement faussée de la situation et à une série de mesures concrètes qui ne parvinrent jamais à atteindre le but qu’elles s’étaient fixé. » [16]
L’identification du périmètre de l’espace public d’une situation, c’est-à-dire de la sphère collective de discussion la concernant (pour en diagnostiquer les caractéristiques et lesenjeux ou pour tenter de la transformer) suppose un travail de repérage des acteurs et objets impliqués et intriqués. C’est alors, et alors seulement, que pourront s’établir des procédures (ou des règles) permettant que se développent les jeux de négociation et de transactions.
Considérer les acteurs impliqués dans une situation, c’est les considérer comme des acteurs, c’est-à-dire comme des individus ou des groupes porteurs d’une singularité et d’une expérience propres qu’ils vont verser au débat. En ce sens, c’est considérer qu’ils sont tous (tous ceux qui auront été identifiés comme faisant partie de la situation) porteurs d’expertises. Aux expertises couramment reconnues, comme l’expertise politique des élus ou l’expertise technique ou administrative des clercs, il faut apprendre à adjoindre d’autres expertises plus diffuses ou plus sensibles, comme l’ « expertise d’usage », sociale (provenant des acteurs constitués comme les associations ou les comités) ou populaire (provenant de l’expérience globale des individus singuliers) [17]. Considérer les acteurs d’une discussion collective au sein d’un espace public, c’est les considérer tous comme des experts à des titres divers ; tous légitimes et porteurs d’un angle de vue indispensable à la compréhension (au sens étymologique) de la situation. C’est aussi donner une chance à chacun d’eux à la construction d’un type de décision qui ne soit pas nécessairement l’imposition de la domination d’un acteur spécifique, d’un groupe ou d’une classe sociale.
Il ne s’agit pas de supposer que la discussion collective doive conduire à une vision objective des situations. Il n’y en a probablement pas. « La société n’est plus conçue comme un sujet d’ordre supérieur, mais comme l’interaction des individus et des « intersubjectivités d’ordre supérieur » que sont les espaces publics (…). C’est à travers cette interaction que se forment l’opinion et la volonté démocratiques. Mais la société reste toujours plurielle et ne dispose pas d’un instrument pour travailler sur elle-même ou d’un agent qui pourrait de façon univoque travailler à sa place. Cette perspective prend donc ses distances aussi bien avec l’apologie républicaine du rôle de l’État qu’avec la confiance placée par Marx dans l’action universelle du prolétariat. » [18]C’est l’opposition, qu’évoquentJacques Donzelot et Renaud Epstein, entre le bien commun, expression de la démocratie, et l’intérêt général, expression de la République. [19]
La question des intersubjectivités prend tout son sens lorsque l’on s’interroge sur la notion de diagnostic. Qu’est-ce que diagnostiquer une situation ? Est-ce brandir des séries de données qui permettent d’en décrire par le menu tous les aspects formels et objectifs, comme on le fait dans la plupart des cas, ou bien est-ce chercher à comprendre comment les différents acteurs impliqués voient les choses de leur propre point de vue, à partir de leur expertise ? La notion, très en vogue aujourd’hui, de « diagnostic partagé » suppose un tel type d’échange. Mais elle ne fait, le plus souvent, que le supposer, les acteurs identifiés se limitant, en général, aux techniciens ou décideurs des domaines concernés et le partage se limitant à l’échange des informations refroidies dont les uns et les autres sont détenteurs et qu’ils veulent bien communiquer.
Or, la rencontre intersubjective supposerait que chacun puisse expliciter comment ses propres représentations le conduisent à analyser la situation, mais aussi, plus simplement, à la ressentir, à la percevoir. L’appréciation de la sécurité d’un lieu, par exemple, peut être approchée par l’analyse de données statistiques sur les accidents ou la criminalité (et porter donc sur des éléments tangibles et mesurables), c’est ce qui est fait en général. Mais elle peut l’être aussi par l’écoute de l’expression du sentiment d’insécurité par les usagers (qui ne repose pas nécessairement sur des données tangibles, qui ne s’appuie pas nécessairement sur des faits réels, mais qui existe bel et bien…).
On se permettra de citer un peu longuement Jean-Daniel Reynaud lorsqu’il s’explique sur la question des règles du jeu : « Faut-il rappeler des évidences ? Toute activité sociale suppose des règles, des normes, des lois, c’est-à-dire des contraintes : écrites ou non écrites, sanctionnées officiellement ou non, elles n’en existent pas moins dans le jeu, dans le langage, dans toute interaction. (…) La conséquence n’en est pas que les règles existantes sont sacrées ; mais qu’on n’explique pas leur remise en cause par leur nature contraignante, mais par le caractère inutile ou nocif de cette contrainte déterminée ou des contenus précis de cette règle. Bien plus (…) on ne supprime vraiment que les règles que l’on remplace. Aucune société ne peut vivre joyeusement l’anomie. »
C’est annoncer que l’espace de la discussion qu’est l’espace de la sphère publique ne saurait être un simple forum d’échanges de points de vue et d’informations diverses ; qu’au contraire, pour assurer les termes de l’échange et sa bonne fin (la détermination d’accords, temporaires et révisables entre les personnes et groupes concernés par une situation particulière et portant sur des conduites d’action, de changement ou de transformations), il devra être structuré par des règles et des procédures permettant une bonne lisibilité et une bonne accessibilité pour tous. C’est la capacité de “régulation conjointe“ de leurs acteurs qui rend possible l’efficience des espaces de la sphère publique [20].
Il s’agit d’un processus qui suppose l’existence simultanée de règles (définies préalablement et réajustables au gré des régulations), d’acteurs (au sens tourainien) et d’une visée d’action collective, ou de communauté de projet, qui n’exclut pas antagonismes et tensions. Ce processus explique comment des individus parviennent à coordonner des comportements interdépendants, mais aussi parfois antagoniques, des décisions à la fois isolées et prises en collectivité, dans l’optique d’une action collective dépassant les intérêts individuels de chacun d’eux. C’est la finalité du projet collectif, perçue comme supérieure aux intérêts particuliers, qui permet l’adhésion de chacun aux règles communes et réajustables.
Les règles ainsi définies n’ont pas pour but de figer les interactions dans des cadres rigides. Au contraire, elles permettent que se développent les transactions sociales résultant d’ajustements à partir des tensions et des conflits (structurants et inhérents à tout groupe social), et sur la base de négociations et de compromis formels ou informels [21]. Elles permettent de protéger les espaces et les acteurs de la transaction de la domination des uns ou des autres ; de la confiscation du droit de chacun à son expertise et à sa reconnaissance. On peut douter, avec Maurice Blanc, que la procédure produise à elle seule de « l’authenticité et du bon sens. » [22]Mais elle définit le cadre dans lequel les acteurs sont alors libres d’établir les transactions qu’ils veulent. Étant convenue, elle en légitime les formes et les contenus, quels qu’ils soient.
On peut désigner cette articulation d’acteurs de la décision publique sous le terme de rapports d’autorité, qui sont les articulations entre les différents niveaux d’expertise convoqués dans la construction et l’application de la décision publique. Ils concernent la question des bases à partir desquelles se fonde la légitimité des acteurs, qui leur permettent de faire autorité dans le domaine où ils s’expriment. Ce qui fait l’autorité des acteurs, et qui leur accorde la légitimité à prendre part à la construction de la décision collective, n’est alors pas un standard préalablement défini (un niveau d’étude, la réussite à tel ou tel concours, la détention de tel ou tel mandat politique), mais résulte beaucoup plus de la vraisemblance de leur l’engagement : place qu’ils occupent dans l’espace public, matériau et outils qu’ils mobilisent pour asseoir leur expertise, capacités à entrer en relation avec les autres acteurs du même espace ou d’autres espaces, capacité à être reconnus par les autres acteurs (usagers, politiques, techniciens).
Considérant avec Gilles Herreros qu’« il n’y a de sociologies et de sociologues qu’engagés » [23]et avec Anthony Giddens qu’ « il y a un va et vient entre l’univers de la vie sociale et le savoir sociologique, et [que], dans ce processus, le savoir sociologique se modèle et remodèle l’univers social » [24], je dirais que cet engagement tient à la construction de la posture scientifique et personnelle des sociologues et à leur rapport à leurs objets. Et qu’il s’agit-là d’un modèle de réflexivité. Même si la sociologie ne produit pas, comme d’autres sciences, un savoir cumulatif [25], elle est autre chose qu’une simple ingénierie démocratique : « Le sociologue d’intervention, lorsqu’il accepte une sollicitation, même s’il ne sait pas ce que seront les aboutissement de son travail, même s’il n’a pas d’idée a priori, quelles que soient ses références théoriques, s’engage toujours dans une relation d’aide. Ce faisant, cette intention “d’aide“ mérite d’être clarifiée car elle est porteuse d’une éthique ; R. Rorty la nomme “éthique du lien“. (…) L’éthique comme fondement de la production de la connaissance n’a pas moins de valeur que l’épistémologie classique : “l’éthique n’est pas plus relative ou plus subjective que la théorie scientifique, elle n’a nul besoin qu’on la rende scientifique. En physique, on essaie de se débrouiller avec certains morceaux d’univers, en éthique avec d’autres’ [26]. » [27]
Parlant, plus particulièrement ici des espaces de la sphère publique, on identifiera deux questions à propos desquelles peut se penser l’engagement des sociologues.
On connaît la classification des degrés de participation atteints dans les divers dispositifs concrets, faite par la consultante américaine Sherry R. Arnstein, dans ce qu’elle appelle l’ « échelle de la participation » [28](non-participation, coopération symbolique et pouvoir effectif des citoyens). Il appartient sans doute aux sociologues d’utiliser ce genre de classification, comme le font, par exemple, Jacques Donzelot et Renaud Epstein, en parlant de l’actuelle politique de rénovation urbaine [29], pour caractériser des expériences, des tentatives ou des simulacres de participation mis en place dans le cadre de dispositifs d’intervention publique. Pour eux, on n’y dépasse guère le stade de la non-participation… C’est un exemple d’un premier niveau d’engagement concret consistant à passer les expériences étudiées au crible d’outils d’appréciation de la qualité des dispositifs et à en communiquer publiquement les résultats (c’est la fonction critique de la sociologie).
Mais, aller plus loin, dans le processus de la discussion suppose une vigilance à propos d’un certain nombre d’autres principes.
La construction de ce type de rapports d’autorité suppose l’articulation d’un certain nombre de niveaux de décision. Pour reprendre et compléter ce qu’en dit Jean-Daniel Reynaud, on pourrait dire que ces niveaux sont au moins au nombre de trois. D’une part, il convient que soient reconnus, de façon formelle, le principe et le cadre de ces espaces d’expression de la sphère publique. C’est ce qui se passe quand, par exemple, sont promulguées les lois comme la loi Voynet [30], contenant des dispositions particulières pour la mise en place des conseils de développement dans les structures territoriales des pays, ou la loi sur la rénovation de l’action sociale et médico-sociale [31], notamment dans son article 10 portant sur la mise en place des conseils de vie sociale dans les établissements sociaux. C’est le cas dans la mise en place des Corporations de développement communautaire aux États-Unis, des Local strategy partnerships en Grande-Bretagne ou des Quartiersmanagement en Allemagne (dans le cadre du programme Soziale Stadt). En cas d’émergence spontanée d’espaces de ce type, il devient impératif de lesfaire reconnaître institutionnellement pour qu’ils puissent jouer leur rôle. Loin de signifier leur institutionnalisation, mais seulement leur reconnaissance comme espaces légitimes et incontournables de l’échange.
Le deuxième niveau est celui des procédures, des règles ou des protocoles. Ce sont ces règles, même renégociables, qui vont permettre l’application concrète des principes édictés. En effet, la loi est en général très peu précise en ce qui concerne les modalités concrètes de l’application des principes qu’elle met en œuvre. Souvent, celles-ci sont laissées au libre choix des décideurs locaux. C’est d’ailleurs ce qui fait que beaucoup de grands principes énoncés dans les lois ne trouvent que des applications très modestes sur le terrain. On se souvient, par exemple, d’une loi sur l’aménagement, dans les années 80, imposant la concertation avec les habitants en cas de révision des documents d’urbanisme, mais laissant entière liberté aux maires pour en définir les modalités. Ce qui a valu la prolifération de formes extrêmement embryonnaires de participation (au plus bas de l’échelle de la participation). Il y a ici de véritables et très sérieux motifs d’engagement pour les sociologues : prendre les mots au mot et vérifier qu’on ne les dévoie pas ; contribuer à ce que les dispositifs concrets s’élèvent au-dessus des niveaux les plus bas de l’échelle de la participation.
Enfin, le troisième niveau de décisions est celui de la conduite de la discussion, celui où vont prendre place les diverses négociations ou transactions. À ce niveau se jouent les interactions complexes et multiples entre des subjectivités individuelles. À ce niveau se construisent des compromis qui peuvent (et doivent) aller largement au-delà des consensus (simple état d’un non-désaccord). À ce niveau se construisent les contenus de la discussion (comme éthique) et les voies de l’action collectivement assumée (au moins pour un temps).
Il y a, dans ces perspectives, de nombreuses occasions pour les sociologues de s’engager. Renouer d’abord avec ce que la posture critique a d’essentiel pour interroger et pour interpeller (et, pour une fois, le terme n’est pas ici galvaudé) les dispositifs, les actions, les stratégies des acteurs sociaux et les types de rapports qu’ils favorisent ou entretiennent. Examiner et comparer les expériences, ici et ailleurs, pour en apprécier les niveaux de participation.
Accompagner, ensuite, des dynamiques de changement en en identifiant bien les niveaux d’effectuation et donc les niveaux possibles d’intervention. Dans la perspective tracée ici, les sociologues peuvent s’engager pour la reconnaissance légale ou institutionnelle des domaines dans lesquels sont reconnus les principes de la construction collective des décisions et la définition des cadres formels des espaces de la sphère publique (en matière de logement, de santé, d’aménagement du travail, etc.). Ils peuvent s’engager au niveau de la méthodologie procédurale qu’il faudrait proposer dans chaque espace de la sphère publique (les quartiers, les pays, les établissements, etc.). Ils peuvent s’engager enfin au niveau de l’accompagnement de la discussion pour en aider et en étudier les étapes et les produits dans un principe de réflexivité. Ceux qui se sont intéressés aux premiers actes de la politique de développement social des quartiers, dans les années 80, se souviennent probablement encore de l’engagement, en ce domaine, d’un sociologue comme Michel Anselme.
L’engagement des sociologues résulte, dans la perspective que nous venons de parcourir, bien de la construction d’une posture éthique qui comprend à la fois des orientations paradigmatiques (le pari que les acteurs sont susceptibles de transformer le monde) et des dispositions personnelles (se mettre au service des dynamiques sociales, accepter d’entrer dans une relation d’aide, considérer la dimension heuristique de l’action avec les acteurs et leur capacité à développer une réflexivité utile à la formation des savoirs). Il consiste aussi à faire son deuil des grands récits métasociaux et à accepter de se couler dans les constructions microsociales.
Il résulte de paris. Celui que les acteurs peuvent transformer le monde, on l’a déjà dit ; celui aussi que le travail sur les microsituations peut avoir un impact sur les grands équilibres sociétaux. En ce sens, l’abandon des tribunes et des feux de la rampe par les intellectuels ne traduirait pas leur désengagement, mais, bien au contraire, leur réengagement concret dans le projet de changement social. Et que ce qu’ils aient alors à dire intéresse moins les caméras et les micros ne devrait pas trop les inquiéter. C’est, au contraire, peut-être le signe qu’ils sont alors sur la bonne voie. Car, comme le disait fort bien Durkheim, la sociologie « gagnera ainsi en dignité et en autorité ce qu’elle perdra peut-être en popularité. » [32]
[1] On pense à François de Singly lorsqu’il parle de son ancienne adhésion au paradigme bourdieusien : « Quand j’étais “croyant“ dans cette vision savante du monde… » in F. de Singly, « La sociologie, forme particulière de conscience », in À quoi sert la sociologie ?, Lahire B. (dir), La Découverte/poche, Paris, 2004, p.16. Mais on pense également à Edgar Morin et à la description qu’il fait de sa rupture/exclusion avec le parti communiste dans : E. Morin, Autocritique, Paris, Seuil, 1991
[2] J.-D. Reynaud, Le conflit, la négociation et la règle, Toulouse, Octares, 2007, p. 98
[3] M. Crozier et E. Friedberg, L’acteur et le système, Paris, Seuil, 1977
[4] J.-D. Reynaud, op. cité
[5] F. Dubet, Sociologie de l’expérience, Paris, Seuil, La couleur des idées (coll.), 1994
[6] E. Frieberg, Le pouvoir et la règle. Dynamiques de l’action organisée, Paris, Seuil, 1993
[7] O. Kuty, « L’intervention : système stratégique et communauté de projet sur l’espace public » in Didier Vrancken et Olgierd Kuty (Eds), La sociologie et l’intervention. Enjeux et perspectives, Bruxelles, De Boeck, Université (coll.), 2001, p. 132
[8] D. Cefaï, Pourquoi se mobilise-t-on ? Les théories de l’action collective, Paris, La Découverte, MAUSS (coll.), 2007, p. 419
[9] N. Elias, La société des individus, Paris, Fayard, Pocket (coll.),1991
[10] J.-L. Laville et R. Sainsaulieu, Sociologie de l’association. Des organisations à l’épreuve du changement social, Paris, Desclée de Brouwer, 1997
[11] J.-D. Reynaud, op. cité
[12] M. Blanc, « La transaction sociale : genèse et fécondité heuristique », Pensée Plurielle, n° 20, Transactions et sciences de l’homme et de la société, 2009-1
[13] J.-D. Reynaud, Les règles du jeu ; l’action collective et la régulation sociale, Paris, Colin, 1989
[14] J. Rémy, L. Voyé et E. Servais, Produire ou reproduire ?, Bruxelles, De Boeck, 2 vol., 1978 et 1980
[15] M. Blanc et al, Pour une sociologie de la transaction sociale, Paris, L’harmattan, Logiques sociales (coll.), 1992 ; M. Blanc, M. Mormont et al, Vie quotidienne et démocratie. Pour une sociologie de la transaction sociale (suite), L’Harmattan, Logiques sociales (coll.), 1994
[16] H. S. Becker, Les ficelles du métier. Comment conduire sa recherche en sciences sociales, Paris, La Découverte, Grands repères (coll.), 2002, p. 73-76
[17] Y. Gilbert, Espace public et sociologie d’intervention, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 2009, p. 111-132
[18] Y. Sintomer, La démocratie impossible ; politique et modernité chez Weber et Habermas, Paris, La Découverte, 1999, p. 190-191
[19] J. Donzelot et R. Epstein, « Démocratie et participation : l’exemple de la rénovation urbaine », Esprit, juillet 2006, p. 5-34
[20] J.-D. Reynaud, op. cité
[21] M. Blanc, op. cité
[22] Ibid, p. 29
[23] G. Herreros, « Sociologie d’intervention : pour une radicalisation de quelques principes » in Vrancken D. et Kuty O. (Eds), La sociologie et l’intervention ; Enjeux et perspectives, Bruxelles, De Boeck/Université, 2001, p. 277
[24] A. Giddens, Les conséquences de la modernité, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 24
[25] Ibid, p. 24
[26] R. Rorty, in J. Rajchman et C. West (eds.), La pensée américaine contemporaine, Paris, PUF, 1991
[27] G. Herreros, op. cité
[28] S. R. Arnstein, « A Ladder of Citizen Participation », Journal of American Institute of Planners, 1969
[29] J. Donzelot et R. Epstein, op. cité
[30] Loi n° 99-533 du 25 juin 1999 d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire, dite loi Voynet : « La loi Voynet redonne, elle, des lettres de noblesse aux pays inventés par la loi Pasqua de 95, espaces non - encore - institutionnels, de rencontre, de dialogue et de projet entre urbains, périurbains et ruraux. Là encore le principe d’action est celui du volontariat, de l’intelligence collective, grâce à l’incitation à contracter. L’État dit aux territoires : organisez vous en pays sur la base d’un projet fédérateur à une échelle cohérente, et je vous garantis les moyens nécessaires à sa mise en œuvre ». Voir en ligne.
[31] Loi 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale
[32] E. Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, Paris, PUF, Quadrige (coll.), 23° édition, 1987, p. 14
Gilbert Yves, « L’engagement dans les espaces de la sphère publique : pour la construction partagée de la décision collective », dans revue ¿ Interrogations ?, N°9. L’engagement, décembre 2009 [en ligne], http://revue-interrogations.org/L-engagement-dans-les-espaces-de (Consulté le 21 décembre 2024).