Soulé Bastien, Reynier Véronique
Résumé
Omniprésentes en snowpark, les chutes revêtent pour la plupart un caractère burlesque ouvrant la possibilité d’innombrables railleries. Pourtant, ce comique de la situation est loin d’être systématiquement et uniformément exploité. Inscrit dans une perspective interactionniste, cet article montre que la moquerie, ciblant notamment les outsiders, est certes présente, mais que le registre privilégié au sein des collectifs d’habitués des snowparks s’apparente plutôt à des taquineries entre-soi. Ces dernières ont un sens spécifique au sein de la subculture des freestylers, entre stimulation ludique, relativisation de la douleur et encouragement à dépasser d’éventuelles appréhensions. En dépit de la transgression et de l’outrance qui caractérisent, par certains égards, les lieux d’évolution acrobatique que constituent les snowparks, l’enjeu consistant à préserver la face des autres pratiquants demeure prégnant. Il prend des formes originales et parfois surprenantes qu’a permis de révéler un travail ethnographique combinant observations directes et entretiens.
Mots clefs :
Freestyle, humour, moquerie, snowparks, chute
Abstract
The falls are omnipresent in terrain parks, and most of them have a burlesque character that opens the possibility of mockery. However, this potential is far from being systematically and uniformly exploited. From an interactionist perspective, this article shows that mockery, targeting outsiders in particular, is certainly present ; but the preferred register within groups of terrain park regular users is more akin to teasing among themselves. The latter have a specific meaning within the freestylers’ subculture, between playful stimulation, relativization of pain and encouragement to overcome apprehension. In spite of the transgression and excess that characterize, in certain respects, the terrain parks, preserving the face of the other practitioners remains a prevalent stake. It takes on original and sometimes surprising forms that an ethnographic study combining direct observations and interviews has made it possible to reveal.
Key words
Humour, freestyle, mockery, terrain parks, fall
Même s’ils n’occupent qu’un espace restreint au sein des domaines skiables des stations de montagne, les snowparks constituent des lieux singuliers à plusieurs égards. Ils s’inscrivent dans une logique park and play qui tranche avec l’enchaînement de diverses montées et descentes classiquement associé aux sports d’hiver. On y privilégie des figures acrobatiques variées, parfois spectaculaires, lors de runs brefs et intenses qui sont livrés au jugement à la fois technique et esthétique des autres pratiquants (Hugedet, Marsac, 2020). L’appropriation des snowparks se joue par ailleurs des temporalités classiques de la station, les habitués prolongeant leur présence en dehors des heures d’ouverture des domaines skiables (lors de moments conviviaux et rassemblements festifs). Le spot est ainsi investi à la fois pour ses potentialités acrobatiques et comme lieu de vie. Outre la spatialité et la temporalité, le sens des pratiques se trouve également altéré (place accordée au jeu, à la gestuelle et à la créativité) au regard des modalités ayant jusqu’alors structuré la pratique des sports d’hiver (Bourdeau, 2008).
La chute, et son corollaire, la blessure, sont indissociables de la pratique en snowpark. La littérature scientifique se focalise, à ce propos, sur l’accidentologie (Brooks et al., 2010 ; Reynier et al., 2020), et, dans une moindre mesure, les rapports au risque des usagers de ces espaces (Reynier et al., 2022). Tomber ne saurait être considéré comme un échec, ni même comme un événement tant la chute fait partie du jeu et s’avère constitutive de l’engagement corporel en freestyle [1], comme Corneloup (1997) l’a montré à propos de l’acceptation du « vol » en escalade libre. Dans cet article, nous proposons de décaler le regard vers le potentiel comique de ces chutes, à ce jour peu investigué. La fréquentation des snowparks revêt un caractère à la fois spectaculaire, risqué et ludique, générant son lot de situations dramatiques, mais aussi, bien plus fréquemment, drôles et propices à l’amusement. Nous nous intéresserons aux soubassements culturels qui façonnent ces dernières, matérialisées par les éclats de rire et plaisanteries relativement fréquents en snowpark. De qui s’amuse-t-on, dans quelles circonstances et en compagnie de qui ? Qu’est-ce qui n’est pas risible ? Qui peut se permettre de « chambrer » et quelle est la teneur des différentes formes humoristiques qui se jouent en snowpark ? Il s’agit, à travers une attention portée aux interactions spécifiques qui se nouent autour de ces saynètes récurrentes, de s’emparer du rire comme moyen heuristique de saisie d’enjeux profonds et complexes (Lestrelin, 2020) ; en d’autres termes, de prendre l’humour au sérieux, en dépit de ses airs anodins.
Après une contextualisation culturelle, démographique et accidentologique, nous traiterons des dynamiques interactionnelles propres aux snowparks. Nous aborderons ensuite la manière dont l’humour a été analysé dans la littérature en sociologie et anthropologie du sport, puis présenterons la méthodologique du travail entrepris. Enfin, les enjeux relatifs aux railleries et le sens qu’elles revêtent seront déclinés autour de six axes : ambiance et excitation, subversion, relativisation des enjeux corporels, dénégation de la douleur, dynamiques d’inclusion/exclusion et acceptation des moqueries. Pour chacun d’eux, l’interprétation mobilisera des travaux de sciences sociales ayant pour objets le rire et l’humour.
Apparu en France dans les années 1970, le snowboard est alors considéré comme une pratique alternative et distinctive (Rinehart, Sydnor, 2003). Privilégiant la recherche de sensations et l’hédonisme, sa pratique s’oppose à celle du ski alpin, considérée comme rigide, cadrée et excluant la créativité (Reynier, Chantelat, 2005 ; Wheaton, Beal, 2003). Dans les années 1990, la diffusion du snowboard, très large, le consacre comme étendard de la contre-culture au sein des stations de sports d’hiver. Il va dès lors être rattrapé par un processus de massification, de « sportivisation » et de commercialisation (Heino, 2000 ; Humphreys, 1997). C’est en opposition à cette normalisation du snowboard que le freestyle s’est développé, dès la fin des années 1980, en référence à la culture urbaine. Les freestylers privilégient la réalisation de figures acrobatiques jugées sur leur difficulté technique, leur enchaînement, le risque associé et leur caractère spectaculaire (Vermeir, Reynier, 2008). Afin de pouvoir s’adonner à cette forme de pratique, ils façonnent des tremplins et bosses entre les pistes ou en bordure de celles-ci. Tolérés pendant quelques années, ces modelages de fortune ont fini par faire l’objet d’un certain interventionnisme de la part des gestionnaires des domaines skiables, au cours des années 1990 (pour résoudre des problèmes de sécurité, mais aussi agir face au sentiment d’insécurité largement répandu chez de nombreux skieurs).
Finalement, deux tendances se sont combinées pour aboutir à la création des premiers snowparks. Tout d’abord, le développement de pratiques de détournement et de contournement des espaces aménagés (Bourdeau, Lebreton, 2013), à l’origine de comportements alternatifs aux lisières du domaine skiable (Reynier, Chantelat, 2005). Ensuite, une volonté fréquente de regrouper les snowboardeurs à l’écart des pistes, afin de minimiser leur présence sur le reste du domaine skiable, jugée perturbatrice et accidentogène. Avant d’être considéré comme un atout en termes de marketing territorial, aménager des snowparks servit donc surtout à « parquer » ces snowboardeurs supposés dangereux. Initialement construits en retrait du cœur des stations et de leurs fronts de neige, les snowparks sont désormais pour la plupart implantés sur des secteurs centraux et/ou faciles d’accès. Ils sont devenus des lieux plébiscités et constituent des vitrines pour les stations.
En France, la moyenne d’âge des pratiquants en snowpark est de 20 ans et la moitié d’entre eux ont moins de 18 ans (Reynier et al., 2018). Quatre-vingt-dix pourcents des personnes empruntant les modules [2] sont des hommes (Reynier et al., 2018), alors que les deux sexes sont représentés à part égale sur le reste des domaines skiables (Vermeir, Reynier, 2008). Les snowparks sont donc des espaces masculins et juvéniles. Leurs utilisateurs résident pour la plupart dans des départements de montagne et sont très largement issus des classes sociales favorisées.
On se rend en snowpark essentiellement pour s’adonner à des sauts. Le niveau moyen (correspondant à la capacité à effectuer des sauts d’une rotation, ou des sauts en ligne droite de grande amplitude) est le plus représenté (44%) ; suivent les débutants (petits sauts en ligne droite et/ou pratique sur des rails relativement larges), les confirmés (sauts à rotations multiples sur un seul axe) et les experts (effectuant plusieurs rotations sur plusieurs axes). Les pratiquants de niveau expert et confirmé sont aussi attirés par l’ambiance spécifique qui règne en snowpark, alors que les débutants entendent surtout découvrir des façons moins routinières (plus ludiques et grisantes) de pratiquer les sports d’hiver, tout en observant les autres. L’intérêt pour le côté convivial de ces espaces croît au fur et à mesure que l’expertise augmente. Les spécificités de l’engagement corporel des pratiquants du freestyle en snowpark peuvent être résumées en quelques points : ambition de maîtrise technique, doublée d’une recherche esthétique et artistique de la performance ; importance de la mise en scène et du regard de l’autre ; quête de sensations et de vécu expérientiel (Reynier et al., 2019).
La majorité des personnes pratiquant en snowpark n’hésite pas à se confronter à des modules de difficulté importante. Le taux de victimes d’accidents y est très élevé : en France, 83% des experts déclarent s’être déjà blessés, contre 70% des confirmés, 50% des intermédiaires et 20% des débutants (Reynier et al., 2020). Un cinquième de l’ensemble des pratiquants s’est blessé au cours du seul hiver précédent (et jusqu’à 37% chez les experts). Du reste, un grand nombre de pratiquants a déjà été accidenté à plusieurs reprises. Plus le niveau technique augmente, plus les blessures sont fréquentes : les pratiquants de niveau expert se blessent cinq fois plus que les débutants. Les plus exposés sont les experts âgés de 15 à 18 ans. Enfin, hommes et femmes se blessent dans des proportions similaires.
Outre des terrains de jeux façonnés pour créer un potentiel acrobatique, les snowparks sont aussi des lieux de vie à part entière, marqués par une organisation sociale et culturelle qui les situe en marge des normes traditionnelles des stations. Plus ludiques, ils constituent des espaces aux usages multiples : l’intensité des interactions sociales et l’ambiance spécifique qui y règnent contribuent à leur attractivité, qu’il s’agisse d’enchaîner les runs, d’observer, de commenter, de se jauger mutuellement ou de chiller [3].
Le succès des snowparks tient aussi à l’aménagement jusqu’alors inédit en station de cool zones, espaces conviviaux organisés autour de la cabane des shapers [4] : chaises longues, tables de pique-nique, système de sonorisation, barbecues, etc. Point de ralliement des jeunes riders locaux, la cool zone symbolise l’appropriation territoriale dont les snowparks font l’objet. Dans ces espaces, le degré d’interconnaissance est plus marqué que dans le reste des stations, où règne un certain anonymat. Les interactions sociales y sont nettement plus denses. L’attachement au lieu passe également par l’organisation d’événements qui contribuent à l’ambiance, « à la confluence de multiples faits anodins, d’interactions de proximité, de petits hauts-lieux locaux se mixant avec des pratiques plus instituées (animations, événements, communication, etc.) (…) participant indéniablement à créer le génie ou l’esprit d’un lieu » (Corneloup et al., 2005, p.9). Il y règne un sentiment communautaire adossé à une distinction entre le « nous » et les autres, et caractérisé par une transgression soft classiquement associée aux sports dits « alternatifs » (Rinehart, Sydnor, 2003). À titre d’exemple, si elle est loin d’être généralisée, la consommation d’alcool et de drogues douces caractérise ces espaces, en particulier lors des à-côtés de la pratique (fin de journée, pauses).
Les snowparks constituent des supports d’activités qui se pratiquent et se regardent dans le même mouvement ; il s’agit, fondamentalement, de voir et d’être vu. L’observation mutuelle, beaucoup plus prégnante que sur les pistes classiques, est centrale au sein de ces espaces : pour apprécier les réalisations des freestylers, c’est-à-dire leurs performances, au sens non seulement sportif, mais aussi esthétique et artistique (d’autant plus lorsqu’elles prennent forme avec décontraction et aisance) ; pour s’inspirer des figures des autres pratiquants, élargir son propre répertoire de tricks, tenter d’y apporter des variantes ou une touche d’originalité ; pour témoigner de son admiration, attribuer ou confirmer un statut d’insider ; pour étalonner son propre niveau, mais aussi plaisanter et rire entre soi, ou encore différencier les locaux des « touristes » [5].
Observer, c’est aussi savoir que l’on sera, en retour, observé, avec les enjeux identitaires que cela soulève. En définitive, le snowpark s’apparente à une scène (Goffman, 1974) où les pratiquants véhiculent une image d’eux-mêmes – leur face – en s’attachant à la valoriser au travers d’actions qui portent tout particulièrement à conséquence. Différents publics coexistent, comme Beal et Weidman (2003) l’ont observé à propos du skateboard, ou Donnelly et Young (1988) en escalade. Duret (2001) distingue à ce propos deux types de scènes interactives. Il y a tout d’abord les néophytes que l’on peut facilement impressionner. Sur ce type de scène à composition sociale fluctuante, sortir du lot par son courage, son aisance ou son élégance stylistique est dès lors relativement aisé. Inversement, dans la région postérieure (Goffman, 1973), les actions sont réalisées à l’intention de pratiquants expérimentés, et peuvent être à l’origine de reconnaissance subculturelle [6]. L’individu entretient dès lors avec les tiers de fréquentes relations, ce qui implique la stabilisation, voire la typification de son identité (Duret, 2001). Le groupe peut alors jouer un rôle de miroir narcissique, permettant au pratiquant de se valoriser à travers la démonstration de ses capacités techniques devant le public habituel de fins connaisseurs présent sur ce type de scène, particulièrement à même d’apprécier à leur juste valeur une performance, sa difficulté, les risques pris ou encore les possibilités d’échec. Dans pareil cas, c’est un regard d’expert qui est sollicité, particulièrement à même de décerner le respect, l’admiration, voire l’indulgence que mérite le pratiquant se frottant à des difficultés élevées (Soulé, Corneloup, 2007). Cette double-présence d’enjeux corporels et identitaires n’est pas une spécificité des snowparks. Elle concerne aussi le surf (Stranger, 1999), le windsurf (Wheaton, 2003), le skateboard (Beal, Weidman, 2003) ou encore l’escalade (De Léséleuc, 2004). En snowpark, les enjeux identitaires semblent cependant exacerbés par la jeunesse des pratiquants.
Cubizolles et Duret (2006) constatent que le rire des sportifs a été beaucoup moins étudié que celui des spectateurs. Selon Bromberger (2000), le sport offre en effet un spectacle propice à la moquerie : il l’explique par la complexité technique, la place centrale de l’erreur, des ratés et maladresses, la fréquence des chutes et collisions, en partie induits par la feinte et la ruse. D’après cet anthropologue, l’humour atténue l’intensité du drame censé se jouer ; et étudier le rire permet de faire émerger les enjeux d’un match (entre célébration des siens et de son identité, d’une part, et dévalorisation des adversaires, d’autre part). En sociologie du supportérisme, Lestrelin (2020) analyse la convivialité construite dans les interactions comme un révélateur de la manière adéquate de se comporter et de participer à la vie du groupe. Les plaisanteries en situation, consistant à « chambrer » à propos, faire preuve de répartie tout en acceptant d’être l’objet de blagues (voire de pratiquer l’autodérision) constituent des attentes fortes en termes de sociabilité. L’ensemble participe, aux côtés du courage et de l’anticonformisme, de la singularité de chaque membre et de son statut dans le groupe. Obtenir de la considération par ce biais nécessite de s’exprimer de façon percutante (Lepoutre, 1997) ; en cela, le langage constitue une performance, un acte de parole mis en spectacle et exposé au jugement des pairs (ibid.).
Ce « rire avec » s’accompagne généralement du « rire contre » (ceux qui ne sont pas « nous ») (Lestrelin, 2020). On peut donc « chambrer [7] » dans l’entre-soi du groupe ou du cercle d’amis, mais aussi en direction d’un public élargi et/ou de cibles qui doivent recevoir le message (Hourcade, 2021). Potentiellement conflictuelle, cette forme d’humour vise à souder le groupe. Elle peut aussi avoir pour fonction de tester les prétendants à l’entrée dans une communauté. Dans son ethnographie d’un site d’escalade, De Léséleuc (2004) montre comment les « anciens » orientent les « nouveaux » vers des itinéraires peu ou mal équipés, où les chutes sont potentiellement fréquentes, longues et effrayantes. La scène créée produit un attroupement de grimpeurs connivents qui sourient en épiant les réactions des nouveaux venus, dont il est attendu qu’ils réagissent avec humour et bonne humeur (sous peine d’être invités à quitter la falaise). L’acceptation de ce jeu avec la chute, mais aussi l’implication dans la communauté, le partage d’un style vestimentaire et d’une esthétique de grimpe sont constitutifs d’attentes normatives élargies dont le non-respect est susceptible de déboucher sur des sanctions et remontrances. Dans d’autres subcultures sportives, comme en surf, des goûts distinctifs, des dispositions esthétiques et éthiques particulières, un argot typique, un style vestimentaire et un humour spécifiques participent aussi à la séparation entre les « vrais » et les autres (Booth, 2003). En particulier, rire des novices sert fréquemment à conforter la hiérarchie du groupe ; inversement, se moquer d’un plus ancien ou d’un meilleur que soi tend à être considéré comme de l’irrespect. Pour autant, « le dominant peut être dénoncé pour un usage immodéré du rire lorsque par exemple au lieu de montrer sa sollicitude envers le débutant, il s’en moque publiquement » (Cubizolles, Duret, 2006, p. 78).
Ce détour par la littérature en sociologie et anthropologie du sport conforte l’idée selon laquelle l’humour est susceptible de constituer un révélateur pertinent des logiques sociales à l’œuvre dans les groupes de sportifs. La place au sein de ce dernier doit être construite et maintenue ; elle semble dépendre de la capacité des prétendants à saisir et maîtriser des codes culturels spécifiques, puis à faire preuve d’un certain « sens du jeu comique » permettant de choisir les bonnes cibles et d’éviter les impairs. Par ailleurs, la prudence interprétative s’impose et requiert un adossement empirique consistant, afin d’être en mesure de faire preuve de nuance lors de l’analyse de processus interactionnels qui se caractérisent par une certaine subtilité.
Encart méthodologique
Les matériaux mobilisés dans le cadre de cet article proviennent d’une enquête abordant le rapport au risque des usagers des snowparks (Reynier et al., 2019). Menée dans une perspective préventive (avec le soutien de la Fondation MAIF), celle-ci a révélé un jeu singulier autour de la manière de se « chambrer » et se « charrier », que nous proposons ici d’approfondir. De fait, nous nous situons dans une perspective proche de celle de Le Lay et Pentimalli (2013), qui ont vu le thème de l’humour en situation de travail « surgir » et s’imposer à eux lors d’enquêtes de terrain ayant initialement un autre objectif. À l’aune de cette problématique renouvelée, nous avons procédé à une exploitation secondaire de l’ensemble des données qualitatives recueillies au sein de stations de sports d’hiver situées dans les Alpes du Nord françaises, au cours de deux saisons hivernales. Moins pertinent pour appréhender l’objet ici étudié, le versant quantitatif de l’étude initiale a été délaissé. Dix-huit journées d’observations in situ ont été réalisées à différentes périodes de la saison dans six stations iséroises aux profils différenciés (taille, fréquentation, profil de la clientèle, etc.). La grille d’observation utilisée s’attachait à relever trois éléments principaux : l’organisation physique du lieu, le type de pratique et de pratiquants, les déplacements dans le snowpark et l’utilisation de l’espace par les pratiquants. Ces observations directes ont été agrémentées de micro-entretiens directement rapportés aux comportements relevés : les personnes présentes lors de nos observations ont ainsi été occasionnellement questionnées sur les usages observés. Lors de ces interactions, le vécu de pratiquants de sports d’hiver des membres de l’équipe de recherche a facilité la saisie d’enjeux spatiaux, culturels et sécuritaires. En particulier pour une chercheuse qui fut non seulement témoin privilégié de l’émergence de formes alternatives de pratique des sports de montagne, mais aussi membre engagée de communautés de glisse dissidentes. Les données ethnographiques ainsi collectées ont été combinées à 43 entretiens d’une durée moyenne d’une heure (huit auprès d’acteurs de l’aménagement et de la gestion des snowparks et 35 auprès de pratiquants aux profils diversifiés). Pour ces derniers, la grille d’entretien ciblait leurs critères de choix des snowparks, l’organisation de la journée, le type de pratique, leurs aspirations, ou encore des éléments centraux du milieu (codes et rituels). Plus spécifiquement, les représentations du risque en snowpark, la gestion des dangers et le vécu accidentel des pratiquants étaient systématiquement abordés. L’ensemble des entretiens a été enregistré puis intégralement retranscrit. Pour cet article, ce corpus a fait l’objet d’une analyse secondaire de contenu, orientée vers les différents usages du rire et les échanges humoristiques entre personnes fréquentant les snowparks.
Sans prétendre couvrir l’ensemble de situations éminemment plurielles, ni tout ramener à une logique fonctionnaliste stricto sensu, nous détaillons ci-dessous les significations et fonctions des plaisanteries et moqueries à nos yeux les plus marquantes, en précisant qu’elles sont entremêlées. Pour ce faire, nous articulons matériaux empiriques et écrits de sciences sociales prenant spécifiquement pour objet l’humour. Outre son caractère subversif (Duvignaud, 1999 ; Pasqueron de Fommervault, 2012), voire émancipateur (Le Lay et Pentimalli, 2013), le rire a notamment été appréhendé comme un moyen de composer avec le risque, en le banalisant ou en en faisant un ingrédient de mécanismes de défense collective (Couvry, 2016 ; Dejours, 1988). Charaudeau (2013) et Ink (2016) abordent pour leur part l’humour comme moyen pour développer le sentiment d’appartenance au groupe, qu’il soit utilisé pour discréditer ceux qui n’en font pas partie, ou, au contraire, renforcer l’inclusion entre-soi.
Suite à l’occurrence d’une chute, la façon de « chambrer » la plus immédiatement perceptible consiste en des rires et/ou commentaires plus ou moins sonores, sans qu’un message clair soit nécessairement et/ou explicitement exprimé.
« Des fois ça se marre dans les parks, t’entends un gros “Oh… !” parce qu’il y en a qui se mettent des gros crashs. Enfin, ça reste… C’est pas méchant » (pratiquant de niveau confirmé)
Ces réactions sont variées, allant de l’amusement discret à l’hilarité partagée, inscrits dans une forme de connivence ludique (Charaudeau, 2006). C’est dès lors la situation, autant que la victime de la chute, qui constitue la faille exploitée pour enclencher le processus comique. Vu sous cet angle, il s’agit moins de produire un jugement que de formaliser le lien entre pratiquants : pour le formuler autrement, tout le monde chutant, autant en faire une source d’émotions collectivement partagées. Charaudeau (2006) parle du reste de l’acte humoristique comme d’un enjouement pour lui-même, à travers la fusion émotionnelle (située ici à l’échelle du collectif) dont chacun sera un jour ou l’autre le destinataire. Dans bien des cas, les réactions sont différées dans le temps, s’observant lorsque les spectateurs et la personne ayant chuté se croisent au sein du snowpark. La relative bienveillance entourant ces processus d’interaction est soulignée par une large majorité d’interviewés.
« En fait y’a peu de moquerie directe parce que les distances elles sont souvent, enfin on ne se crie pas dessus à travers le park, mais quand tu rattrapes l’autre et que tu le connais bien tu peux te foutre de sa gueule. Mais en vrai, c’est jamais méchant » (pratiquant de niveau confirmé)
Ce spectacle fait écho à la quête d’excitation : selon Elias et Dunning (1994), éprouver intensément des émotions constitue un besoin fondamental qui dicte bien des conduites tournées vers les expériences propices à ce ressenti, si possible partagé pour en accroître la vivacité. L’exploitation du caractère humoristique des chutes en snowpark peut être considérée comme un composant de la quête d’excitation des personnes qui fréquentent ces espaces.
« Y’a personne qui se prend vraiment au sérieux, du coup on peut titiller, c’est clairement ça. Enfin, c’est quand même une ambiance un peu… festive quoi, tout le monde est là pour passer un bon moment. Ça fait partie de la bonne ambiance, d’en rire » (pratiquant expert)
Toutes les chutes ne prêtent cependant pas à rire. Les plus spectaculaires (par la violence de l’impact ou leur caractère aérien), et plus largement celles qui sont identifiées comme étant susceptibles de générer de la « casse », engendrent généralement un laps de temps d’inquiétude, dans l’attente d’une confirmation que la victime se porte bien. A la quête d’excitation s’ajoute ici une fonction de soulagement, le rire permettant d’évacuer la tension accumulée.
Compte-rendu d’observation : suite à une lourde chute après une mauvaise réception sur un gros kicker, les amis d’un pratiquant se précipitent pour savoir s’il va bien. Il reste au sol quelques minutes, semblant sonné ; on l’aide à évacuer la zone de réception puis à s’asseoir en bord de piste, où il restera 30 minutes. L’effet comique est limité et de très courte durée. Ce n’est qu’une fois les secours passés, les premiers soins effectués et l’absence de gravité avérée que la remémoration de la situation prêtera à sourire, puis à rire…
La pratique du freestyle se situe dans la lignée culturelle de la pratique du snowboard (Reynier et al., 2014) qui est venu bousculer, en station, les conventions établies (Corneloup, Soulé, 2007) en usant notamment de la provocation, de la dérision et de l’humour. Car le rire revêt un caractère subversif (Duvignaud, 1999). Au regard du caractère accidentogène des snowparks, il peut paraître choquant de s’amuser de situations à l’issue potentiellement traumatisante. Pourtant, cela entre en résonance avec la mise en cause sous-jacente de normes sociales et de comportements prescrits incitant à être précautionneux et à préserver son intégrité corporelle. Vu sous cet angle, pratiquer une activité faisant une place centrale à la chute (et à ses corollaires, la douleur et la blessure) constitue déjà une forme de déviance vis-à-vis de l’injonction contemporaine à la préservation de sa santé. Rire de l’exposition au danger donne la permission collective de sortir d’un cadre généralement admis, en faisant fi de standards normatifs et d’objectifs d’efficacité (Pasqueron de Fommervault, 2012). Dans cette perspective, rire des chutes dans un entre-soi exprime une certaine liberté de pensée, un état d’esprit qui s’appuie sur la connivence entre partenaires (Bouquet, Riffault, 2010). Occasionnellement, il se mue en encouragement à s’exposer, à travers une valorisation de la chute qui devient un ingrédient constitutif du spectacle et de la performance.
Compte-rendu d’observation : 70 à 100 personnes sont présentes pour ce contest nocturne ouvert à tout pratiquant, sans inscription préalable. Les runs s’enchaînent. Thibault, auteur de ce que le speaker a qualifié de « la plus belle chute », est venu se présenter au public à la demande de ce dernier. Il sera le seul, lors de la soirée, à avoir cet honneur. Cette chute a d’ailleurs été primée et Thibault repartira avec un des plus beaux lots : une veste flambant neuve.
Cette reconnaissance de la « plus belle chute » contribue à affirmer l’ordre des choses sur le snowpark : en lieu et place d’une aseptisation qui tend à se généraliser, est rappelée la volonté de s’opposer à cette injonction sécuritaire, de ne pas « rentrer dans le rang ». La chute, non seulement valorisée, devient une forme alternative de jugement se basant sur des préceptes normatifs permettant de juger de sa « beauté ». Dans les snowparks, le choix de ce qui est risible manifeste donc une distance par rapport à l’institué et contribue à décaler le regard (Duvignaud, 1999). Comme l’ont montré Le Lay et Pentimalli (2013) dans différents univers professionnels, l’humour et le rire subversifs ouvrent des brèches, produisent des marges de liberté en opposition à l’organisation normative.
La dédramatisation de la chute constitue une autre fonction des plaisanteries. La mise à distance s’opère cette fois vis-à-vis du danger et de la douleur. Il s’agit de désacraliser la situation (Couvry, 2016), en insistant sur la dimension ludique collective, et en estompant, ce faisant, la prégnance des enjeux corporels. La culture freestyle intègre la résistance à la douleur et en atténue l’âpreté : on apprend à composer avec ce fait plus ou moins inéluctable, selon les formes communes du lien subculturel et en répondant aux attentes du groupe (Le Breton, 2012) ; lequel, en l’occurrence, fait une large place au rire dans ce processus de minimisation des risques. Cette relativisation de la douleur permet sa mise à distance, la continuation du « spectacle » et le rappel des normes de groupe.
Compte-rendu d’observation : un contest rassemble 40 participants, des « locaux » pour l’essentiel. C’est une session d’improvisation, sans ordre de passage ni dossard, chacun passant quand il le souhaite et allant ensuite donner son nom aux membres du jury. Le speaker incite à la surenchère acrobatique et à l’engagement. L’ambiance bon enfant n’empêche par les railleries. Les chutes de ceux qui sont en train de « rider » font systématiquement l’objet de moqueries centrées sur la dénégation de la douleur et non sur le fait d’avoir raté une figure. Le niveau technique du pratiquant n’est jamais critiqué. Se dégage une valorisation très prononcée du « casse cou » : de façon récurrente, on entend « même pas mal ! » ; le speaker crie « Joyeux noël » après la grosse gamelle d’un pratiquant. Un jeune d’une douzaine d’années se lance avec un poignet dans le plâtre, et le speaker valorise l’exploit…
Grâce à sa connaissance des registres humoristiques, ce speaker acculturé à la subculture du freestyle participe pleinement à l’élaboration des stratégies de défense collective (Dejours, 1988) qui visent à surmonter la peur en faisant du risque un « impensé ». Il les rappelle de manière à la fois explicite (valorisation de l’exploit) et implicite (la chute fait partie de la fête).
« C’est comme dans le skate, vraiment, la douleur c’est dans toutes les vidéos, tu vois les mecs tomber, tomber et se relever (…) ça fait vraiment partie du truc et on le retrouve aussi pas mal dans les snowparks (…) Et puis il y a douleur et douleur. Si le mec juste il se relève et il rigole de lui-même, ça permet de rire avec lui. S’il n’a pas le bras cassé c’est bon (…) Je dirais que c’est quand même un esprit un peu con où les mecs, c’est pas qu’ils sont contents de se faire mal, mais… Ils se relèvent et je vais récupérer de mon trick et même si je suis tout en sang c’est cool quoi » (pratiquant de niveau confirmé)
Dans un milieu masculin tel que celui des snowparks, ne pas être trop précautionneux, nier la douleur et exhiber ses « cicatrices » fait écho à l’idéologie de la « virilité sociale », basée sur deux principes : un homme doit prouver qu’il est capable de braver la peur et qu’il ne ressent pas la souffrance ; il ne doit pas l’exprimer et donc être capable de l’endurer sans rien dire (Duarte, Gernet, 2016). Dans les snowparks, les jeunes femmes semblent se situer sur un registre comparable ; en pénétrant des groupes masculins, elles adoptent des pratiques et postures virilistes pour « se couler » dans le collectif et ses défenses.
« Ne pas casser l’ambiance » est un autre credo récurrent. Cela signifie également qu’il est nécessaire de faire avec la douleur, quitte à devoir « serrer les dents » et à ne pas faire grand cas de sa personne pour que la « fête » continue. L’enjeu est aussi de ne pas déstabiliser les défenses collectives (au sein desquelles l’humour joue à plein) en se plaignant ou en énonçant explicitement ses peurs. Le rire fait ainsi partie des pratiques mises en œuvre par les individus pour lutter contre la souffrance – en l’occurrence, la peur – et pas seulement la douleur. Tester l’humour des prétendants sert à jauger leur résistance à l’échec et leur capacité à incorporer les stratégies défensives utiles au collectif.
« Si à chaque fois qu’on prend une chute tout le monde est là à s’inquiéter, ça commence à faire peur quoi. Alors que si tu te prends une petite réflexion rigolote ça peut, comment dire… dédramatiser » (pratiquant expert)
Le rire procure aussi un soulagement en rendant possibles l’expression et le partage face aux désagréments et frustrations (Le Lay et Pentimalli, 2013). Comme évoqué supra, outre la question de la douleur, il s’agit de résister à la souffrance, élargie à la peur, la gêne, voire la honte de ne pas savoir faire. Intégrer la communauté freestyle nécessite donc d’endurer non seulement la douleur, mais aussi l’échec. L’humour participe ainsi du déni du danger (physique) en empêchant la souffrance (psychique) d’émerger (rire et « faire le clown » plutôt que se morfondre).
La raillerie peut aussi avoir pour fonction de se différencier, ce qui peut impliquer un jugement négatif destiné à discréditer la cible (Charaudeau, 2013). Dans les quartiers populaires, Lepoutre (1997) a repéré la figure du « bouffon » accolée aux jeunes qui se trouvent à l’écart de la culture de la rue et méconnaissent les codes relationnels ; caractérisés négativement, ces individus sont maintenus à l’extérieur du groupe. Dans les snowparks, c’est le « touriste » ou le « Parisien » qui fait l’objet de cette forme de dévalorisation. Par la moquerie s’exprime alors une farouche intention de ne pas être assimilé à ces outsiders, et de souligner le fossé qui sépare les vrais freestylers (les insiders) des pratiquants lambda.
« C’est pas vraiment de la moquerie, c’est juste, on rigole un peu avec eux, c’est les « Parisiens » (…) quand on les voit faire on rigole (…) c’est parce qu’en fait on a un petit délire avec les Parisiens, c’est marrant, enfin, c’est pas méchant, c’est gentillet. On ne sait même pas si c’est des Parisiens, mais à leur tenue et à leur façon de skier… » (pratiquant de niveau moyen)
Pour autant, ces amusements donnent rarement lieu à des altercations ; il s’agit plutôt de rire entre soi des comportements des « pinpins », tout en les ignorant. L’humour marque ici l’exclusion de la personne moquée [8] tout en renforçant l’inclusion des personnes dans la confidence (Ink, 2016).
« Les Parisiens on leur parle pas, on se moque pas d’eux directement, on s’en moque entre nous : on dit regarde le pinpin, il a laissé les genoux sur la table ! On les ignore (…) En fait, souvent on n’a pas vraiment de contact avec eux, ils se boîtent tous, ils rigolent et ils avancent, t’as pas envie non plus de niquer ton run pour ces gars-là et leurs courir après et de leur dire… Enfin je sais pas, tu les laisses dans leur merde quoi » (pratiquant de niveau confirmé)
« Il y a beaucoup moins d’empathie pour les mecs qui n’ont pas les mêmes codes que toi. Là y’a un côté tu sais, c’est les Parisiens en jean et en patinette, ils arrivent sur le park et tu sais qu’ils vont se faire mal, déjà ils connaissent pas du tout les règles, les kickers ils vont les prendre avec moitié moins de vitesse, du coup ils vont s’écraser sur le plat. C’est même pas qu’ils vont rater leur trick, c’est qu’en fait ils sont juste cons. J’sais pas y’a peut-être un truc où tu t’assimiles pas du tout à eux parce que la culture… Enfin je sais pas, ils font pas partie de la famille, tu vois. Ils sont pas habillés comme toi, ils connaissent pas les codes. Du coup tu t’en fous un peu. Là du coup, là ouais c’est un peu de la moquerie » (pratiquant de niveau confirmé)
Ces formes de moquerie fondées sur la démarcation exigent une absence de riposte, car elles traduisent une asymétrie. Cependant, l’enjeu n’est pas tant de souligner un fossé que de créer de la connivence, dans la reconnaissance simultanée de la distance qui sépare les moqueurs du moqué. « Le partage du rire entre les moqueurs concrétise l’acceptation par chacun d’eux de l’écart que la moquerie institue ou met en évidence » (Pelen, 1988, p. 9). L’agressivité qui se dégage des propos de certains insiders à propos des « touristes » ne résulte pas d’une simple mise à distance, mais exprime le rejet de ceux qui enfreignent les codes nécessaires à la survie d’un territoire permissif d’expression. En ne respectant pas les usages légitimes des snowparks, ceux qui sont désignés comme tels symbolisent aux freestylers leur « dépossession ». Par ailleurs, en ayant des comportements que les freestylers perçoivent comme dangereux, ils rendent la confrontation au danger bien réelle et font obstacle à sa dénégation.
À l’inverse, les taquineries à l’égard des membres de son propre groupe sont à considérer comme des facteurs d’inclusion, voire d’encouragement. L’enjeu semble souvent être de « faire passer la pilule », en dépit de la douleur ou de l’éventuelle humiliation ressenties, car devenir un bon freestyler nécessite un vécu accidentel conséquent ; on ne peut prétendre devenir un pratiquant de niveau respectable sans s’exposer au danger lors de tricks de plus en plus élaborés.
« C’est pas de la moquerie, c’est plus tu vois ton pote tomber, y’a un peu de surprise et si il se relève vite et que tu vois qu’il s’est pas fait mal c’est plutôt en encouragement, en mode vas-y on repart, t’es tombé mais ça fait partie du truc, on est tous passé par là » (pratiquant de niveau confirmé).
Chambrer consiste dès lors à relativiser la chute, mais aussi, dans une certaine mesure, à piquer l’orgueil de la personne concernée pour qu’elle s’attache à répéter ses efforts et « passer le trick » en question. Il s’agit en fait moins de dénigrer que d’être constructif.
« Du chambrage y’en a toujours un petit peu mais c’est plus pour pousser les copains à réussir leurs tricks. Y’a vraiment jamais de chambrage méchant. On l’utilise pour pousser nos collègues à sortir de leur zone de confort, les piquer un peu, leur dire allez… Au contraire c’est bienveillant, pour mettre de la confiance en lui, qu’il se dise « ah ouais c’est vrai je peux le faire quoi ». En fait on titille un peu son égo pour qu’il ait envie de repartir et de le remettre mieux » (pratiquant expert)
On comprend dès lors pourquoi le « chambrage » va également dépendre des niveaux de pratique. En effet, les messages d’inclusion et d’encouragement qu’il comporte impliquent qu’il s’adresse à des pratiquants de niveau inférieur ou similaire, ou à des amis. Taquiner un plus fort que soi serait déplacé, puisque c’est à ce dernier qu’il appartient de délivrer ce type de message et non l’inverse.
« C’est vrai qu’on va rigoler de nos égaux ou moins forts que nous mais pas des plus forts. En fait tu connais ses capacités, tu sais de quoi il est capable, tu sais c’est un peu toujours les mêmes qui sont dans le park, donc y’a une espèce de réputation qui suit. Se moquer alors ce serait malvenu, et puis t’a toujours envie de te faire bien voir » (pratiquant de niveau confirmé)
Se dessinent finalement deux types de moquerie. D’une part, celle qui assimile et intègre, renvoyant à la définition qu’en donne Bourdieu (1979, p. 204) : « art de moquer les autres sans les fâcher, par des railleries ou des injures rituelles qui sont neutralisées par leur excès même et qui, supposant une grande familiarité (…) sont en fait des témoignages d’attention ou d’affection, des manières de faire valoir sous apparence de débiner, d’assumer sous apparence de condamner ». D’autre part, celle qui a inversement pour fonction de rejeter ou différencier.
L’humour constitue donc un indicateur du degré d’intégration au groupe et un moyen d’attribuer de la reconnaissance. Le nouveau venu doit montrer qu’il a appris à se conformer à la culture humoristique (Le Lay, Pentimalli, 2013). Cette logique va de pair avec un travail parfois intense de distinction collective et de définition de frontières vis-à-vis des éléments perçus comme extérieurs au groupe.
Comme déjà évoqué, l’omniprésence des chutes tend à réduire la portée de chacune d’elles. Cette banalisation tend également à atténuer leur potentiel éventuellement burlesque [9], d’une part parce que chaque pratiquant anticipe leur survenue, et, d’autre part, parce que faire de chaque chute un événement porterait atteinte à la raison d’être des snowparks. Le rire en snowpark reste de plus bon enfant et fait rarement violence, ne serait-ce qu’en vertu de la réciprocité soulignée supra. Le freestyle est cependant une pratique basée sur le regard de l’autre et la mise en scène, qui renvoie à l’aisance des pratiquants, à l’esthétique des figures qu’ils réalisent et donc à leur maîtrise ; mais aussi à l’attribution de statut et de prestige au sein de la communauté. Dès lors, il convient de ne pas minimiser le poids des regards extérieurs qui pèsent sur les prestations des pratiquants, sans être forcément directement lié à la crainte de se ridiculiser ou de faire l’objet de moqueries. Il arrive cependant que des pratiquants cherchent à se soustraire à la pression que produisent des observateurs manifestement « chambreurs ». Le groupe de pairs peut alors offrir une protection à travers les moqueries bienveillantes. S’opère alors un recentrage qui permet le partage collectif, la connivence et la préservation, dans une certaine mesure, de la moquerie des autres.
« En groupe, on se concentre plus sur nos potes, enfin le regard des autres extérieurs au groupe de potes, ça nous est moins important alors que tout seul, ça joue beaucoup plus, enfin moi, je le ressentais beaucoup plus » (pratiquant débutant)
Il convient donc de ne pas négliger l’impact des moqueries sur les comportements de certains pratiquants ; bien que systématiquement décrites comme ne portant pas à conséquence et s’opérant avant tout sur le mode du jeu, elles sont susceptibles de générer des formes de retrait.
« Des fois les gens ils font ah regarde le, il fait le malin tout ça, alors que c’est juste pour s’amuser, mais des fois, y’en a qui se foutent de ta gueule parce que tu t’prends une grosse boîte. Et c’est un peu chiant. Surtout quand tu sais que tu peux le mettre. Quand tu le rates parce que t’essaies, limite, tu t’en fous. » (pratiquant de niveau moyen)
De prime abord, la plupart des chutes en snowpark revêtent un caractère burlesque, constituant par là même un levier déclencheur du rire et ouvrant la possibilité d’innombrables railleries. Or, si quelques manifestations outrancières émaillent effectivement le quotidien de ces espaces, une attention plus soutenue à ce qui s’y déroule révèle que ce comique de la situation [10] est loin d’être systématiquement prétexte à plaisanterie. La récurrence des non-événements que sont les chutes n’est pas seule explicative. Les exploitations humoristiques qui en sont faites sont légion, mais elles prennent des formes plurielles et moins superficielles, épousant un certain nombre de codes et d’usages ayant cours au sein de la subculture du freestyle. De fait, ces rituels humoristiques nécessitent une socialisation pour être intégrés et compris, et l’ensemble constitue un système d’interactions relativement complexe.
La moquerie est bien présente, ciblant notamment les outsiders à l’encontre desquels une forme d’ostracisme a déjà été relevée au sein des snowparks. Mais le registre privilégié au sein des collectifs d’habitués s’apparente plutôt à de la taquinerie entre-soi et semble viser des objectifs spécifiques. La diversité des situations et les usages protéiformes de l’humour dans les snowparks incitent en tout état de cause à la prudence interprétative.
En dépit de la forte exposition aux regards extérieurs, peu de pratiquants évoquent la crainte de perdre la face en cas de chute. Les rires et railleries sont en fait rarement des actes menaçant la face (Goffman, 1973) ; au contraire, il s’agit, dans une large mesure, de manières de créer du lien, de composer avec le risque et d’encourager les pratiquants. Un travail efficace de préservation de la face des victimes de chutes se produit, et du reste, les interviewés soulignent presque systématiquement l’absence de méchanceté de leurs taquineries ; il est aussi apparu que certains pratiquants occasionnels sont perçus comme ne valant tout simplement pas la peine d’être considérés.
Ainsi, la stimulation ludique, la relativisation de la douleur et l’encouragement semblent prendre le dessus au sein des cercles de pratiquants réguliers ; la perte de dignité de la personne, caractéristique centrale du burlesque, est plutôt évitée que scrutée et exploitée pour mettre délibérément en difficulté les victimes de chutes. Là aussi, préserver la face de l’autre semble être un enjeu fort pour que l’activité conserve du sens. Suite à l’occurrence d’une chute, les petites provocations évoquées opèrent comme des réparations permettant de relativiser l’ampleur de l’incident, de souligner son caractère ordinaire et normal. En s’exposant au ridicule, chacun compte finalement sur le tact des autres pour dédramatiser la scène qui se joue ; tout en étant susceptible d’être loué pour son courage, sa ténacité et l’intensité de son engagement corporel.
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[1] Au-delà des figures acrobatiques réalisées, les freestylers mettent en avant l’expression individuelle, notamment par la singularité et la recherche d’un « style à soi ». Les notions de fluidité et d’aisance sont également importantes, couronnant la capacité à réaliser des figures difficiles et/ou risquées sans effort apparent.
[2] Aménagements en bois, neige, métal ou plastique permettant de s’adonner à des sauts, glissades et autres figures acrobatiques (tricks). Les modules se déclinent en plusieurs catégories selon leurs formes et usages : modules de saut (tremplins, tables, etc.) ou modules dits à plat (rails, box, rampe, etc.).
[3] Prendre du bon temps, profiter, se détendre.
[4] Du verbe shape signifiant en anglais façonner, le shaper est la personne qui dessine les modules et les entretient au cours de la saison.
[5] Les termes de touristes, « Parisiens » ou « pinpins » sont interchangeables dans les propos des freestylers ; utilisés par les « locaux » (vocable qui désigne les insiders, ceux qui possèdent les codes subculturels), ils renvoient aux pratiquants catalogués comme tels du fait de leur « dégaine », de leur tenue, ou plus largement de tout ce qui contribue à les situer en décalage vis-à-vis de ces codes. Le niveau technique s’avère par exemple moins central que la connaissance des usages et le respect des règles implicites.
[6] La notion de subculture renvoie à un ensemble de valeurs, de représentations et de pratiques propres à un groupe social. Ce terme est préféré à celui de sous-culture, désignant plus ou moins péjorativement des pratiques et produits culturels « bas de gamme », en position d’infériorité par rapport à la culture consacrée (Raulin, 2001). Le terme anglo-saxon exprime de surcroît mieux l’idée de culture souterraine, plus ou moins opaque pour les non-initiés, permettant l’expression de modes de vie particuliers et offrant ainsi un moyen de se distinguer. Le freestyle, à l’image d’autres sports alternatifs (Donnelly, Young, 1988 ; Rinehart, Sydnor, 2003 ; Wheaton, Beal, 2003), s’affirme comme une pratique rassemblant des individus autour de valeurs et de pratiques distinctives.
[7] C’est-à-dire se moquer, dénigrer avec humour, susciter le rire aux dépens de quelqu’un « dans un mode d’expression qui oscille entre dérision et agressivité » (Hourcade, 2021, p. 209).
[8] Dufour (1988) évoque, dans les blagues de chasseurs, ces « héros négatifs » (le peureux, l’étranger, le jeune, etc.) dont on tend à s’amuser des comportements inappropriés : « L’inexpérience, la naïveté, la pusillanimité fournissent des thèmes inépuisables à la verve moqueuse des chasseurs (…) les histoires, en même temps qu’elles fustigent sur un mode humoristique les contre-valeurs qui délimitent le monde des chasseurs (…) en exaltent par contraste ou directement les vertus : courage, ruse, sang-froid, astuce, sens du défi ».
[9] Le burlesque est un genre comique qui déclenche le rire via la perte de dignité du personnage. Ses ressorts sont la chute, la glissade, le coup ou encore la collision. Son caractère visuel et physique ne requiert pas de processus cognitif complexe. Largement mobilisé dans le cinéma muet (Mongin, 2002) et le spectacle vivant, il nécessite souvent un potentiel athlétique (permettant d’« encaisser »), voire de véritables prouesses acrobatiques.
[10] A distinguer du comique de situation, lié à l’incongruité, au malentendu ou encore au quiproquo.
Soulé Bastien, Reynier Véronique, « Apprivoiser le risque et renforcer la reconnaissance subculturelle : les usages de l’humour dans les snowparks », dans revue ¿ Interrogations ?, N° 35 - De la création à la contestation : délimiter les sports alternatifs, décembre 2022 [en ligne], https://revue-interrogations.org/Apprivoiser-le-risque-et-renforcer (Consulté le 7 octobre 2024).