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Simon Justine, Bigey Magali

#ChatNoir : persistance et métamorphose du mythe à l’heure du web participatif

 




 Résumé

Le chat noir alimente des mythes variés depuis des siècles. Certains persistent à l’époque actuelle, d’autres se sont métamorphosés. À l’heure du web participatif, il s’agit d’interroger les différentes réappropriations contemporaines des mythes du chat noir. Les imaginaires sociodiscursifs construits varient en fonction des contextes, des acteurs et des dispositifs socionumériques. À partir d’une analyse comparée de publications issues de trois réseaux (Twitter, Instagram et TikTok), cet article met au jour trois réappropriations caractéristiques du chat noir : le chat noir au cœur des interactions au service d’un positionnement sociopolitique, le chat noir, source de créativité participative et le chat noir comme moyen de présentation de soi.

Mots-clés : Réseaux socionumériques, Chats noirs, Mythes, Imaginaires sociodiscursifs, Culture participative, Ethos discursif

#ChatNoir : persistence and metamorphosis of myth in the era of the participatory web

 Abstract

The black cat has fueled various myths for centuries. Some of them persist in the present time, others have been metamorphosed. In the era of the participatory web, we question the different contemporary reappropriations of the black cat myths. The sociodiscursive imaginaries constructed vary according to the contexts, the actors and the socionumeric devices. Based on a comparative analysis of publications from three socionumeric networks (Twitter, Instagram and TikTok), this article highlights three characteristic reappropriations of the black cat : the black cat at the heart of interactions in the service of a socio-political positioning, the black cat as a source of participatory creativity and the black cat as a means of self-presentation.

Keywords : Socio-digital networks, Black cats, Myths, Socio-discursive imaginaries, Participatory culture, Discursive Ethos

 Introduction

Les actualisations contemporaines des mythes servent à la fois à critiquer, à s’inscrire dans une communauté, à se mettre en scène, à valoriser sa créativité, etc. En hommage à Roland Barthes et à ses Mythologies (1957), de nouvelles mythologies ― telles que celle autour du « téléphone portable » ― sont appréhendées au tournant des années 2000 par Jérôme Garcin (2007). Près de 20 ans plus tard, il est intéressant d’approfondir les mythes contemporains produits par les nouvelles technologies [1] : uniformisation des références culturelles, dépendance affective à notre mobile et à nos applications, désir de visibilité et surtout d’obtention de marques de gratifications (le « j’aime »), mythe des amitiés 2.0, etc.

Le chat noir alimente des mythes et légendes variés et multiples depuis des siècles (Baratay, 2021 ; De Laroche, 1986) : signe annonçant la mort ou symbole de fertilité dans les croyances de l’Égypte ancienne, porte-bonheur chez les Celtes, animal utile capable de protéger les récoltes des invasions de rongeurs jusqu’au 9e siècle en France, incarnation du mal, de la sorcellerie et de la magie noire dénoncée par l’Église catholique au Moyen-Âge, mythe des 9 vies du chat de la même manière que les sorcières pouvaient se réincarner 9 fois d’affilée en chat, légende du chat vampire au Japon, symbole plus contemporain de l’anarchisme ou de malchance dans l’univers sportif, etc.

Tantôt incarnation du mal, tantôt porte-bonheur, les symboles contradictoires du chat noir sont encore très présents de nos jours. Au sein des communautés numériques, les représentations sociales ne cessent de se réinventer grâce aux dynamiques d’interaction, qui font évidemment écho à l’actualité sociopolitique et à la culture populaire. Pour mieux comprendre les réappropriations contemporaines des mythes du chat noir, il est nécessaire d’analyser les espaces discursifs numériques dans lesquels elles se déploient. Quels imaginaires sociodiscursifs sont-ils actuellement construits autour du chat noir sur les réseaux socionumériques ? Quels mythes, croyances et superstitions persistent à travers ces représentations discursives ? À quelles métamorphoses assiste-t-on ? Quels rôles la culture participative joue-t-elle dans ce contexte ? De quelles évolutions de nos sociétés post-modernes le chat noir est-il le symptôme ? Quels regards sur notre société sont construits à travers les chats noirs ?

Pour tenter de répondre à ces questionnements, nous avons réuni un ensemble de publications Twitter, Instagram et TikTok en croisant plusieurs méthodes de constitution de corpus. Le travail de recherche est ancré dans les Sciences de l’information et de la communication, particulièrement en références à différents travaux menés sur les réseaux socionumériques (Badouard et al., 2016 ; Cervulle, Julliard, 2018 ; Granjon, 2011), sur la culture participative (Bourdaa, 2021 ; Gunthert, 2015 ; Jenkins, 2013 [2006]) et sur la culture numérique de manière plus globale (Alloing, Pierre, 2017 ; Cardon, 2019 ; Escande-Gauquié, 2015). La démarche scientifique adoptée est ancrée dans le champ de l’analyse du discours développé entre autres par Ruth Amossy (2000) et plus précisément dans celui de l’analyse du discours numérique en montrant un intérêt pour l’écriture hypertextualisée (Bigey, Simon, 2018 ; Mercier, 2018a ; Paveau, 2017 ; Saemmer, 2015 ; Simon, 2018). C’est à partir de l’univers discursif hypertextualisé que nous cherchons à comprendre la métamorphose du mythe du chat noir. Et considérant les espaces socionumériques comme éminemment interactifs, il s’agit d’analyser comment les représentations se créent dans l’interdiscours ; tout discours (composé dans le cas précis de différentes matérialités sémiotiques : texte, hypertexte, image, son, etc.) entrant en relation implicite ou explicite avec d’autres discours [2].

La première partie de cet article vise à dresser un panorama élémentaire des mythes, croyances et superstitions qui circulent au sein de différents groupes socioculturels dans des horizons géographiques variés et qui ont évolué au fil du temps. La seconde partie est, quant à elle, consacrée à l’analyse des imaginaires sociodiscursifs construits autour du chat noir sur ces trois réseaux socionumériques. Nous exposons tout d’abord le cadre théorique et méthodologique avant de développer trois axes saillants de réappropriations du chat noir sur ces réseaux : le chat noir au cœur des interactions pour un positionnement sociopolitique, le chat noir comme source de créativité participative et le chat noir en tant que procédé de présentation de soi.

 Le chat noir : un mythe vivant à travers les temps

Le mythe du chat noir est présent dans de nombreuses sociétés et ne cesse d’évoluer au fil du temps. En tant que « mythe vivant », il est intéressant de voir comment celui-ci se transforme et plus précisément comment ce dernier est réapproprié par les usagers des réseaux socionumériques contemporains. La métaphore du « mythe vivant » est proposée par Gilbert Durand (1979). Elle permet de mettre en avant l’idée que le mythe n’est pas figé. Il est toujours en train de se construire au fil des siècles, de se réinterpréter en fonction des acteurs et des contextes concernés. Cette première partie présente de nombreux mythes, croyances et superstitions [3] existant au sein de cultures variées à la fois sociologiquement mais aussi par rapport à leur ancrage géographique. Le but est de souligner la multiplicité et la complexité de ce que peut représenter le chat noir dans une vue d’ensemble générale. Ce retour ― qui est loin d’être exhaustif ― nous est utile à des fins comparatives pour la deuxième partie de cet article qui consiste à penser les mythes du chat noir à l’époque contemporaine du web participatif. Nous partons de l’hypothèse ― à la suite des conclusions avancées par Patrick Legros à partir d’une enquête de terrain de 2011 ― d’une simplification de ces mythes au sein des publications socionumériques contemporaines. Le constat avancé par Legros était celui d’un processus de simplification et de positivation des superstitions actuelles sous l’influence de leur marchandisation. S’interrogeant sur les différentes formes de réappropriations du mythe du chat noir (au sens large), nous postulons que celles-ci ne reflètent pas la richesse et la complexité de celles qui ont traversé les siècles et les frontières. Nous supposons aussi que les imaginaires sociodiscursifs construits à travers les discours numériques sont déterminés axiologiquement ; plus précisément en donnant une image positive aux publications, quel que soit le mythe convoqué autour du chat noir. Le contexte de publication des chats noirs sur les réseaux socionumériques n’est pas directement corrélé à la question de la marchandisation mais des points communs peuvent être mis en exergue en lien avec les notions d’« économie de l’attention » (Citton, 2014) et de « capitalisme affectif » (Alloing, Pierre, 2017). L’économie de l’attention est une valeur économique réalisée par les annonceurs et les industries du numérique à partir des données récoltées sur les dépôts d’attention des usagers. Au sein de cette approche, la question affective est centrale car tout ce qui affecte les publics devient un moteur puissant de circulation de contenus (et donc d’économie). Le capitalisme affectif est une instrumentalisation de tous les signes connotés affectivement dont le but est de transformer les désirs des usagers en marchandises. L’affectivité exprimée autour du chat noir est ainsi considérée comme un ingrédient qui participe de sa viralité numérique à la fois d’un point de vue stratégique (intérêt économique évident pour les plateformes) et socionumérique (par rapport à la réappropriation et la circulation massive plus ou moins maîtrisée de contenus porteurs de valeurs affectives). Nous avançons ainsi l’hypothèse d’une circulation de représentations discursives majoritairement positives dans l’idée d’une optimisation du capital attentionnel affectif plus ou moins calculé.

Différents mythes du chat noir

Le chat ― et particulièrement le chat noir ― est un objet d’étude sociodiscursif intéressant car il renvoie à des représentations socioculturelles variées, parfois opposées (traditions religieuses, spirituelles, régionales, etc.) qui évoluent au fil du temps. Dans son ouvrage de 1986, Robert De Laroche décrit ces différents mythes distincts du chat noir d’un point de vue diachronique et met au jour les différences existantes entre les cultures à l’échelle régionale. Tantôt incarnation du mal, tantôt porte-bonheur, symbole solaire ou encore lunaire, représentant de la fécondité ou a contrario de la mort, etc., les symboles contradictoires du chat noir sont encore très présents de nos jours. Ceux-ci sont transmis de bouche-à-oreille mais s’inscrivent aussi dans des rites (on pense bien entendu à la fête d’Halloween), des objets, des œuvres littéraires, cinématographiques, etc. mais lesquels circulent majoritairement via les réseaux socionumériques ?

Dans la mythologie égyptienne, la déesse Bastet représente cette fécondité. Elle est la déesse à la tête de chat noir protectrice des femmes enceintes et des enfants. Le chat noir est un grigri porte-bonheur voire un médicament. Les égyptiens vénèrent ces « mangeurs de chagrin » (De Laroche, 1986 : 75), certainement en leur qualité de mangeurs de souris. À la période Celte, les chats noirs étaient aussi vus comme des porte-bonheurs. Tuer un chat était considéré comme un crime pouvant apporter jusqu’à 17 ans de malheur. La symbolique change à l’époque médiévale, sous l’emprise de la morale chrétienne. Le chat est perçu tel l’incarnation du mal. Il existe de nombreux mythes autour de cet être apparemment diabolique (mythe du matagot ou mandragot capable de ramener des stocks de louis d’or ; mythe des sorcières pouvant se transformer 9 fois en chat ; magie noire et recettes à base de chats : les os de chats bouillis avaient soi-disant la propriété de rendre complètement invisible…). Cette symbolique dysphorique et moralisante se développe dans un contexte où le chat noir était associé à la féminité et à la paresse. L’animal nocturne au comportement sexuel démonstratif et au grand besoin de sommeil est utilisé comme symbole des péchés capitaux. Les superstitions contemporaines liées au chat noir peuvent en partie s’expliquer par ces ancrages historiques, bien qu’il reste encore des particularités énigmatiques. En Allemagne, le chat noir porte malheur s’il passe de la droite à la gauche et porte bonheur s’il prend la direction inverse !

Chat noir associé au diable, chat fantôme ou encore chat vampire, le chat est esthétisé à travers des figures fantastiques. Le chat noir est chargé de symboliques renforcées par la fiction. Dans la mythologie celtique, le Cat Sí (Cat Síth en Écosse et Cat Sídhe en Irlande) est un grand chat noir avec une tâche blanche sur la poitrine qui hante les Highlands. Ce protagoniste est repris dans Final Fantasy VII. Moins connu mais dont l’histoire nous parle singulièrement, la légende du chat-vampire de Nabeshima raconte l’histoire d’un gros chat noir ayant pris l’apparence de la princesse O Toyo après l’avoir étranglée. Celui-ci boit nuit après nuit le sang du prince Nabeshima jusqu’au jour où il est découvert par un courageux soldat… Rien à voir avec la symbolique japonaise contemporaine du Maneki-Neko (littéralement, « le chat qui invite »), cette statuette de chat au bras mobile porte-bonheur… Dernière histoire ― qui montre que la fiction est centrale dans la création et la transmission des mythes construit autour du chat noir ― l’une des légendes de l’origine du mythe des 9 vies du chat : la légende hindouiste met en scène la rencontre entre Shiva et un chat soi-disant savant capable de compter jusqu’à l’infini. Pour vérifier ses dires, le chat commence à compter : arrivé à 7, il commence à s’endormir et à 9, il est plongé dans un sommeil profond. Shiva décrète alors que le chat aurait 9 vies et qu’une fois ces 9 vies achevées, il accèderait au bonheur ultime.

Ces symboles et superstitions parfois contradictoires du chat noir peuvent être ancrés dans une expérience réelle (le chat est un prédateur de souris… et il dort beaucoup !). Les mythes esthétisent ces réalités grâce à la fiction de sorte à ce qu’ils soient mieux ancrés dans la mémoire collective. Les mythes du chat noir ― sous le poids des traditions et de l’histoire ― influencent nos croyances et superstitions personnelles. Au tournant du XIXe siècle, le mythe du chat noir se voit transformé. La dimension dysphorique s’atténue. Le félin tantôt méprisé et persécuté est perçu comme un animal indépendant et rebelle. Les œuvres littéraires [4], artistiques, cinématographiques, d’animation ou encore vidéo-ludiques jouent aussi un rôle dans la transformation et la transmission des mythes du chat noir à l’époque contemporaine. On est encore loin de l’exhaustivité bien entendu [5] mais il nous semble indispensable présenter plusieurs de ces créations, qui ne sont pas toutes soumises à l’hégémonie de la culture de masse, avant de passer à l’analyse des publications issues de notre corpus.

Il existe de nombreuses références culturelles qui mettent en scène un chat noir. Le célèbre cabaret de Montmartre, Le Chat noir, a fait naître de nombreuses réalisations artistiques (poésie, peinture et même chanson) et est toujours présent dans nos mémoires à travers l’affiche Tournée du Chat noir de Théophile-Alexandre Steinlen. Le chat noir, à travers le dessin de Ralph Chaplin, est aussi devenu le symbole de l’anarcho-syndicalisme au début du XXe siècle. Appelé en anglais wild cat, ce chat noir hérissé et agressif représente la lutte, le sabotage, les grèves, etc. Le Chat noir est aussi le titre de la célèbre nouvelle fantastique d’Edgar Allan Poe. Dans ce conte on ne peut plus noir, la symbolique du chat renvoie à différents univers : l’alcoolisme est présenté tel un démon qui rend fou, et le chat, nommé Pluton, fait référence au dieu romain des Enfers. Autres références incontournables de chats noirs de fiction : Felicia Hardy, alias la Chatte noire, est un personnage jouant un rôle clé aux côtés de Spiderman dans les comics Marvel. Au cinéma, plusieurs films d’horreur évoquent le chat noir diabolique (The Black cat par exemple). Le chat noir est présent dans Star Treck. Le couple Chat noir, Chat blanc constitue un fil conducteur décalé dans le film d’Emir Kusturica et symbolisent l’union en tant que témoins de mariage. Salem, le chat de la sorcière Sabrina, est le héros de romans fantastiques puis de la célèbre série américaine. Le Chat porte-malheur de Tex Avery montre que la superstition du chat noir n’est bien qu’une question de couleur (le petit chat blanc s’en sort grâce à la peinture noire !). Madchat est le chat machiavélique du Docteur Gang dans Inspecteur Gadget. Le gentil chat noir nommé Jiji accompagne Kiki dans le film d’animation de Hayao Miyazaki. Chat noir est plus récemment l’un des héros du dessin animé Miraculous, etc. Il existe bien une pluralité de chats noirs de fictions renvoyant à des imaginaires multiples.

 Actualisations contemporaines du mythe du chat noir

Ce détour sur le mythe vivant du chat noir à travers les temps et les genres ne doit pas nous éloigner de notre objectif : celui d’analyser les formes de réappropriations qui circulent sur les réseaux socionumériques. Qu’en est-il de ces réappropriations du mythe du chat noir dans les discours partagés sur Twitter, Instagram et TikTok ? Peut-on discerner des différences dans la réinterprétation de ces mythes en fonction de la plateforme socionumérique concernée ? Une analyse plus fine s’impose mais avant cela, nous tenons à présenter notre ancrage théorique et méthodologique.

Cadre théorique et méthodologique

Comme nous l’avons précisé plus haut, cette recherche se situe au carrefour des Sciences de l’information et de la communication et de l’analyse du discours numérique. Nous nous inscrivons d’une part dans la lignée des travaux qui ont analysé les réseaux socionumériques dans une perspective interactionnelle conflictuelle (Badouard et al., 2016 ; Cervulle, Julliard, 2018 ; Granjon, 2011). L’intérêt est de voir si le mythe du chat noir est un élément réinvesti par les internautes dans un but argumentatif ou polémique. Le questionnement de la culture participative en régime numérique est central (Bourdaa, 2021 ; Gunthert, 2015 ; Jenkins, 2013 [2006] ; Jenkins et al., 2017). Le chat noir, tout comme le chat tout court, est une figure représentative de la culture du remix, notamment à travers la création et le partage de mèmes (nous revenons sur ce point dans la partie consacrée). Cette étude s’appuie de plus sur plusieurs concepts interrogeant la culture numérique au sens large (économie de l’attention, capitalisme affectif, identité numérique, extimité, etc.). D’autre part, du point de vue de l’analyse du discours numérique, nous portons un intérêt prononcé pour l’écriture hypertextualisée, notamment à travers l’étude des technodiscours (hashtags et mentions). Cette approche est pour nous essentielle dans l’analyse proposée.

Du point de vue méthodologique, cette problématisation autour du chat noir est une partie d’un travail plus large mené sur la représentation des chats sur les réseaux socionumériques (projet #ChatonsMignons). Le projet dont il question a pour but de sensibiliser à différentes notions propres à la culture numérique en prenant comme entrée analytique le chat. On peut dire qu’il est loin d’être simple de travailler sur cet objet. Au sens d’Yves Jeanneret (2014), le chat est un objet « trivial », une icône culturelle en constante réinvention, au cœur ― ou au carrefour (trivial venant du latin « trivium » signifiant « carrefour ») ― des usages socionumériques. Le chat est à la fois un animal, une idée, un objet, un symbole repris en masse et dont les valeurs dont il se charge se transforment, évoluent en lien avec ses différentes réappropriations. Au niveau du corpus global, nous avions pour objectif de récupérer des publications avec des images de chats, même si la désignation du « chat » n’était pas présente dans le discours d’escorte. N’ayant pas l’outillage technologique permettant de constituer un corpus à l’aide de la reconnaissance d’images, nous avons décidé de fonctionner autrement. Nous avons fait le choix de mener une démarche mixte croisant : une veille de contenus sur nos pages personnelles (Twitter, Instagram et TikTok), une recherche par mots-clés (mots-clés et/ou hashtags) et un suivi des activités par comptes ciblés (@). 4 000 publications ont été collectées sur un empan chronologique de quatre mois sur ces trois réseaux. Toutes les captures d’écran (comprenant des captures vidéo concernant TikTok), accompagnées de leur lien URL, ont été regroupées chronologiquement dans des fichiers diaporamas. On s’est limité à 4 mois, ce qui est un choix arbitraire, et le chiffre rond des 4 000 était pour nous une limite également arbitraire pour ensuite pouvoir passer à l’analyse sémiodiscursive.

Pour cette étude portant sur les mythes (re)créés à partir de chats noirs, nous avons ciblé les mots-clés et/ou hashtags #chatnoir et #blackcat pour constituer un sous-corpus. Deux grands freins méthodologiques se sont dessinés : la contrainte imposée des résultats dépendant des algorithmes des plateformes, notre collecte prenant en compte les premiers résultats des requêtes des moteurs de recherche, et l’abondance des résultats (au 02/02/2022, sur Instagram, la recherche à partir du hashtag #chatnoir donne par exemple plus de 2 millions de publications et plus de 16 millions pour #blackcat). On est donc très loin de l’exhaustivité…

Analyse globale du corpus construit

Le sous-corpus de chats noirs correspond à 673 publications. 216 publications issues de Twitter représentent au niveau de l’image ou du texte un chat noir ; 230 pour Instagram et 227 pour TikTok. Cette représentativité quasi égale entre les trois réseaux (de 216 à 230) est un résultat hasardeux. Une analyse de contenus a été réalisé à partir de ce sous-corpus.

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Figure 1. Caractéristiques générales des publications collectées sur Twitter, Instagram et TikTok (en %)

Plusieurs caractéristiques apparaissent de manière très changeante en fonction du réseau concerné. Dans la catégorie « autre », on trouve une hétérogénéité des sujets : récits anecdotiques où l’humour léger est prédominant (chat déguisé, chat noir qui tire la langue, etc.), publications artistiques, publications dénonçant la maltraitance animale ou cherchant à valoriser l’adoption d’un chat noir, publications à dimension encyclopédique, etc. En deuxième position arrivent les mèmes, présents dans 13% des publications de Twitter, 13,4% pour Instagram et 13,6% pour TikTok. 12,5% des publications issues de Twitter relèvent de la problématique politique (gestion de la crise Covid-19 et élections présidentielles principalement). Sur Instagram, on a une couverture très forte de l’événement d’Halloween à partir du chat noir (14,7% de publications). Et il faut enfin souligner une forte représentation de l’« humain » qui se photographie avec son chat noir sur TikTok (18,5% des publications).

En lien avec la problématique des actualisations contemporaines du chat noir, l’analyse globale du corpus met en évidence plusieurs points saillants. Une majorité de publications humoristiques et anecdotiques ne font pas du tout référence au chat noir comme un mythe. Quelques récits de chats noirs maltraités sont mis en discours, dont les buts sont de lutter contre la superstition du chat qui porte malheur afin d’inciter à l’adoption (#AdoptDontShop). La mythologie du chat noir est fortement réappropriée à travers la couverture de l’événement d’Halloween dans un but distractif (principalement sur Instagram) : les chats sont grimés en diables, démons, araignées, chauve-souris, vampires, etc. (#Demoncat, #Evilcat). Les hashtags sont créatifs et humoristiques : #Meowloween, #Meowcula, etc. Des emoji sont insérés (images de citrouilles et de Dracula, etc.). Ils sont mis en scène avec des décors d’Halloween et leur propriétaire est lui-même déguisé en démon ou en sorcière. L’ambiance est toujours positive et festive. Une majorité de publications sont esthétisantes ou euphoriques. Il n’y a pratiquement pas de représentation dysphorique du chat noir. Au niveau de l’image parfois, la représentation peut faire quelque peu peur mais le texte redonne toujours une légèreté et un second degré à la publication. À titre d’exemple, une publication TikTok filmant un chat noir aux yeux tirés en arrière le représente tel possédé. L’ajout du hashtag #Grumpycat dans le discours d’escorte ― ce cat-lebrity faisant la moue ― adoucit l’image qui, seule, pourrait faire peur. Le rôle du technodiscours est ici essentiel. 2,6% des publications Instagram se revendiquent d’un mouvement gothique et de la culture métal. Elles construisent de nouvelles formes de mythes contemporains du chat noir (#Blackmetalcat). Dans cette représentation issue du mouvement dark metal, avec une couverture plutôt légère, le « darkest » est enfin créé en tant que nouveau mythe permettant de fêter le solstice d’hiver grâce à sa figure représentative : le chat noir.

Aux côtés de ces observations globales, nous voulons revenir de manière plus précise sur les trois autres axes mis au jour. La polémicité est un premier axe fort dans la réutilisation de la symbolique du chat noir. L’aspect diabolique ou anarchique permet un positionnement idéologique fort. L’humour est un moyen d’expression qui constitue un deuxième angle d’analyse saillant de nos publications, à travers les mèmes évoqués plus haut. Et la présentation de soi, voire l’exposition de soi (au sens métaphorique artistique du terme) correspond au troisième axe d’analyse. Les publications mettant en scène des chats, principalement dans la sphère domestique, amènent une mise en scène couplée à une exposition double maître / chat, dans une optique plus ou moins assumée de monstration de soi. Le mythe du chat noir devient alors un moyen détourné pour parler de soi. Exploitation des mythes pour se positionner et/ou pour critiquer un point de vue, réinterprétation des mythes pour créer du contenu participatif décalé et utilisation de mythes au service de la mise en scène de soi, voici les axes principaux de la présente analyse.

Positionnements sociopolitiques grâce au chat noir (ou à cause du chat noir…)

Les réseaux socionumériques ont largement été pensés en lien avec le caractère polémique et réactif de leurs usages. Cela questionne les manières dont les internautes construisent leur identité numérique dans le cadre d’échanges argumentatifs de types politiques : identité numérique cohérente avec l’identité officielle hors ligne ou identité pseudonyme, qui, pour des raisons variées, vise à masquer l’identité officielle des usagers (Paveau, 2017). Parmi ces raisons, le pseudonymat peut être un moyen de se positionner idéologiquement. L’identité numérique revendiquant une identité civile est plus présente sur le réseau Twitter que sur TikTok mais dans les deux cas, le chat noir est utile pour défendre un positionnement. Instagram reste à la marge par rapport à ce premier axe d’analyse.

Dans des situations polémiques telles que la crise du Covid-19 ― et plus précisément entre octobre 2021 et janvier 2022, avec les applications du pass sanitaire puis du pass vaccinal ― ou encore dans le cadre des élections présidentielles françaises, le chat noir et les différents mythes qui lui sont associés surgissent à des fins critiques et/ou idéologiques.

Dans 12,5% des publications, le chat noir est utilisé pour réagir à l’actualité politique. Cette utilisation stratégique permet souvent de se positionner idéologiquement contre un point de vue circulant sur Twitter. La citation de tweet ou le fil de réponses deviennent alors les moyens sociotechniques adaptés pour s’afficher contre le positionnement d’un twitto ou contre une décision, une déclaration ou encore une action d’un acteur politique. Le GIF représentant un chat noir énervé, effrayant ou parfois possédé a souvent une valeur de contre-discours. Il réactive implicitement la figure du chat noir anarchiste en lutte. La personnification de l’état émotionnel de l’animal permet une confrontation à la fois métaphorique et très explicite de l’attaque (représentation d’un chat noir agressif). En effet, son utilisation permet de représenter par effet miroir l’état émotionnel du twitto, agacé, ou dans un état agressif face à une situation donnée. Suite aux déclarations d’Emmanuel Macron qui souhaite « emmerder les non-vaccinés » [6], un twitto insère un GIF viral représentant un chat noir qui frappe un chien avec un rayon laser : cette métaphore visuelle peut être interprétée de deux manières (qui peuvent être corrélées) : d’une part, le chat peut représenter #Macron et le chien les #NonVaccinés, d’autre part, la réaction colérique du chat peut être un moyen d’exprimer un ressenti personnel face aux déclarations du Président (#Macron serait donc le chien frappé par le twitto). Autre exemple : à partir d’un photomontage créé pour l’occasion au second degré, un chat noir ― soi-disant positif au Covid ― mord mortellement un grand requin blanc. Le montage représente un chat surdimensionné dans une dimension incongrue (en plein océan). L’objectif est ici de critiquer l’ampleur des fake news en lien avec la crise sanitaire grâce à la citation de tweet. Un autre GIF réalisé à partir d’un extrait de la publicité parodique Krit&Krat du trio comique français Les Inconnus met encore en scène l’attaque. Le chat noir dans le sapin de Noël qui attaque le personnage principal est une reprise d’un film d’horreur et cette image animée arrive en réaction à la publication d’une vidéo TikTok de Marine Le Pen et de son chat qui a énormément circulé fin décembre 2021. Le texte d’accompagnement « C’est pas une bonne idée » répond au discours d’escorte initial : « Découvrez le nouveau TikTok de Marine Le Pen + emoji de sapin et de chat ». La polémicité s’exprime ainsi sur Twitter grâce à l’interdiscursivité (aux réappropriations d’images de chats noirs en lutte notamment) et grâce au dispositif interactif qu’est la réponse.

L’interaction polémique grâce à l’insertion de GIFs ou d’images dans le fil des commentaires n’est pas une fonctionnalité proposée par TikTok. Les configurations rencontrées ne permettent donc pas de comprendre de manière aussi claire que pour Twitter le positionnement assumé. C’est dans le hashtag ou à travers le texte qui peut être ajouté au montage vidéo que l’on peut deviner l’orientation idéologique des internautes. Citons par exemple un mashup représentant un chat noir installé sur le canapé devant l’émission Bourdin Direct dont l’invité est Éric Zemmour. Le texte d’accompagnement n’est fait que de hashtags : #Présidentielle2022, #Zemmour, #Politique, #Chatnoir, #Drôle, etc. mais le texte ajouté au montage évoque le positionnement idéologique de manière indirecte : « Nous adorons la politique ».

Sur Twitter et TikTok sont par ailleurs représentés d’autres types de positionnements qui n’entrent pas en lien avec le mythe du chat noir mais ceux-ci sont relatifs à la problématique du racisme ou du contre-racisme. Le chat noir devient un moyen de mettre en avant un positionnement xénophobe, par métonymie avec la couleur de peau des personnes, envers certaines personnalités politiques (le chat noir est par exemple montré comme étant celui de Rama Yade). Il est au contraire pour d’autres un moyen de réaliser un manifeste contre les idées discriminantes de Zemmour (une jeune femme se filme par exemple avec son chat noir sur TikTok en ajoutant le texte : « Moi qui explique à mon chat que si Zemmour est élu elle devra retourner dans son pays »).

Mythe du chat noir et culture populaire

Parler de politique à travers un sujet aussi populaire que le chat est devenu chose courante sur les réseaux socionumériques. Un des objectifs de notre projet de recherche portant sur les réappropriations des chats en général sur les espaces numériques est de s’interroger sur la portée des liens entre politique et culture populaire. La politique est de plus en plus influencée par des pratiques expressives et créatives qui empruntent des références, des codes ou des schémas narratifs à la culture populaire (Simon, 2023 [7]) ; comme dans le cas des chats du web (Goudet, 2006 ; White, 2020). Les formes d’expression participative telles que les mèmes constituent un exemple de taille. Plusieurs travaux s’intéressent au partage de mèmes dans un contexte politique ( : Mercier, 2018b ; Pronovost, 2016 ; Wiggins, 2019 ; Simon, Wagener, 2023 à paraître). Et qu’il s’agisse de politique ou de toute autre problématique, l’humour intervient pour jeter un regard critique sur l’actualité (Charaudeau, 2015 ; Quemener, 2014), pour ironiser notre quotidien ou pour inviter à réfléchir, voire pour mener à une action.

La réflexion portant sur les mèmes s’inscrit dans la lignée des travaux initiés par Henry Jenkins sur la culture participative numérique (Jenkins, 2013 [2006] ; Jenkins et al., 2017), sur les communautés de fans (Bourdaa, 2021), sur l’image partagée (Gunthert, 2015), sur la culture du remix (Allard, 2016) et sur la viralité (Schafer, Pailler, 2022). Les mèmes sont dans la plupart des études envisagés en tant qu’indicateurs d’une culture numérique active et engagée (Bédard, Girard, 2021 ; Shifman, 2014 ; Wagener, 2022). La mémétique est pour nous un processus dynamique de production de mèmes numériques se déployant dans une dialectique sociale articulant individuel et collectif. Le mème est quant à lui envisagé en tant que « technographisme » (Paveau, 2017), correspondant à une production plurisémiotique numérique native au fort potentiel de réappropriation.

Les mèmes de chats noirs constituent des miroirs déformants de notre vie quotidienne et redéfinissent les mythes traditionnels de manière décalée. La porosité entre mythes du chat noir et culture populaire donne un aperçu du poids des références qui s’imposent au sein des réseaux contemporains. La reproductibilité des mèmes encourage la reprise d’imaginaires sociodiscursifs fortement partagés. Une des conséquences de ces élans participatifs est de réduire la complexité des mythes du chat noir à des représentations stéréotypées dans le but de toucher un maximum de personnes. Il est implicitement question de la tension qui sous-tend le processus mémétique oscillant entre uniformisation et créativité de l’expression. Dans certains cas, les références citées sont très uniformisées. Dans d’autres, la créativité est très marquée ; cela peut concerner le contexte de publication (réponse décalée) ou encore la manière de détourner (parodie en lien avec le changement de genre du discours). Certaines publications sont marquées par une forte créativité et correspondent à des réalisations quasi-professionnelles ; nous prenons l’exemple du compte @OwlKitty qui s’amuse à détourner des scènes cultes de Jurassic Park ou Titanic en remplaçant certains protagonistes par un chat noir.

À travers l’étude des mèmes de chats noirs, on a pu mettre au jour plusieurs représentations ou citations d’œuvres de fiction de prédilection qui sont reprises ou réinterprétées par les internautes (GIF du chat noir à l’attitude critique surplombante qui se lime les griffes ; Bagherra, la panthère noire du Livre de la jungle, qui est très souvent associée à la figure du chat noir ; chat noir filmé comme s’il réalisait le jeu mortel d’« 1, 2, 3 soleil », en référence à la série Squid game ; chat noir déguisé en Dark Vador, figure emblématique de Star wars, etc.). Parmi celles-ci figure le (faux) chat noir de la série américaine Sabrina, l’apprentie sorcière. Sous forme de capture d’écran ou de GIF, ce chat permet de donner un avis sur une question ou simplement d’exprimer un sentiment. On suppose que ces reprises permettent à la fois de positiver le mythe du chat sorcier sarcastique sur le ton de l’humour mais aussi de s’inscrire dans une communauté nostalgique de la série. La référence est de plus tellement courante qu’il n’est pas nécessaire de connaitre la série pour la citer et l’aspect dépassé de la référence peut devenir la raison du partage. Comme le souligne Laurent Di Filippo (2020), l’emprunt aux œuvres populaires dans les mythes est en soi « une forme de réception ». En fonction de qui nous sommes, nous n’utilisons pas de la même manière les références culturelles partagées. C’est le même principe qui est à l’œuvre dans la construction de mèmes qui utilisent des références culturelles populaires. Des bouts de récits peuvent être repris de manière sporadique ; et extraits de leur contexte d’origine, ils peuvent dire tout autre chose. La maîtrise du sens de départ d’une référence n’est pas toujours utile aux mèmeurs, c’est souvent l’image singulière représentée qui devient centrale : dans notre exemple : une marionnette de chat noir qui parle, représentant l’univers des sorcières mais aussi des vieilles séries.

Les références culturelles aux mythes du chat noir sont généralement émiettées au sein des échanges et les mèmes sont aussi caractérisés par leur caractère implicite. C’est souvent au lecteur de reconstruire le sens de la représentation amenée, et elle est sujette à interprétation personnelle (sa réception ne peut être unique). Le hashtag est souvent l’élément discret qui permet une aide à l’interprétation de l’image telle que sa réception a été souhaitée par le twitto (hashtags en lien avec l’événement d’Halloween par exemple). Parmi les fragments de mythes réinvestis dans les publications, le côté diabolique du chat noir persiste le plus souvent : chat sorcier ou chat possédé. La malchance est également très présente et l’objectif est d’entériner le mythe selon lequel le chat noir porterait malheur. Les mèmes d’Instagram représentent très bien cette volonté de positiver la superstition du chat noir afin d’inviter à les aimer et d’inciter à les adopter. Un mème représente par exemple un iconotexte (dans le cas de notre recherche, comprenant non seulement les images insérées mais aussi les hashtags présents dans le discours d’escorte) de quatre chats qui réagissent à cette croyance : le premier sort les griffes, le deuxième sort les dents (mème du chat vampire), le troisième lance un regard fixe et le quatrième tire la langue (référence implicite au cat-lebrity nommé Lil Bub). Le texte introductif de ces quatre images éclaire leur réaction : « Black cats mean bad luck. Black cats : » (« Les chats noirs portent malheur. Chats noirs : » ; je traduis).

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Figure 2. Mème partagé sur Instagram (capture d’écran ne faisant pas figurer le discours d’escorte)

Le mème de chat noir, dans sa dimension hypertextuelle, est ainsi caractérisé par sa fonction de divertissement (humour léger, références décalées) et sa fonction de déconstruction de l’image de la malchance.

D’autres types de mèmes sont également très présents au sein de notre corpus mais ils ne raisonnent pas ou peu avec la dimension mythique du chat noir. Il importe avant tout de s’inscrire dans des reprises de mèmes de chats hyperconnus : Long cat, Smudgelord cat ou encore Nyan cat (en versions chat noir). Les mèmeurs s’amusent à mettre en scène leur chat noir à travers des reprises de mèmes hyperconnus : en utilisant des image macro (ou templates) de mèmes, en construisant eux-mêmes des comparaisons visuelles ou en réalisant des mèmes « faits maison » [8], qui correspondent à des réappropriations totales éloignées des images de départ. Ces diverses réalisations constituent de nouvelles formes d’interactions narratives qui permettent aussi de parler de soi. Et c’est sur cette dernière dimension que nous souhaitons terminer cette analyse : la mise en scène de soi grâce au chat noir.

Moi et mon chat noir : différents degrés d’extimité

À partir d’une étude de terrain portant sur les manières sociologiques de se présenter sur les réseaux socionumériques, Fabien Granjon et Julie Denouël (2010) mettent au jour « cinq modalités de mise en visibilité de soi » (exposition pudique, exposition traditionnelle, impudeur corporelle, exhibitionnisme ludique et provocation trash). Que ce soit sur Twitter, Instagram ou TikTok, on peut dire que le fait de publier une image de chat noir (et de chat tout court) est très souvent un moyen détourné de parler de soi (parler de son quotidien, de son repas, de son chez-soi, de ses passions ou de ses orientations politiques, etc.). On peut dire que ce processus de publication correspond à une forme globale d’« exposition pudique » de soi, car pour parler de soi, on parle de son chat, pour se montrer soi (et son univers intime), on montre son chat dans ce même univers. Mais il arrive que la personne en question se mette en avant de manière beaucoup plus explicite. Nous connaissons le caractère exhibitionniste des selfies, présents en quantité sur une majorité de réseaux sociaux (Escande-Gauquié, 2015) et nous mesurons l’importance de ce geste dans notre corpus puisque beaucoup de publications (en majorité sur TikTok) mettent en scène un chat noir avec son « humain » (Twitter : 4,6% ; Instagram : 9,1% ; TikTok : 18,5%) : c’est la rhétorique qui est souvent employée qui permet de mettre au centre du récit le chat qui vit avec son maître ou sa maîtresse. Ces cas de figures ne correspondent plus simplement à une « exposition pudique » mais il s’agit, selon nous, de formes d’« exhibitionnisme ludique ». La mise en scène de l’intimité de l’humain aux côtés de son chat domestique est ainsi un moyen permettant de se libérer des contraintes sociales tout en préservant un caractère ludique et décalé.

L’exposition de soi à partir de la photographie peut qui-plus-est être considérée comme une forme de construction d’un « ethos discursif » (Amossy, 2010 ; Bigey, 2018), qui ici est souvent lié à une mise en récit. Les internautes qui photographient leur chat noir le font en situation : devant un match de handball (« Mon chat en défense au handball : efficacité redoutable […] »), en corrigeant des copies (« Confortablement installée pour le dernier round de correction de copies + emoji de cœur »), devant un écran d’ordinateur, le chat couché sur le clavier (c’est le chat qui parle : « My favorite spot #coworkers #petsatwork #blackcatsofinstagram #adoptdontshop »).

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Figure 3. Présentation de soi sur Twitter (capture d’écran ne faisant pas figurer le nom du compte)

Il est souvent question de télétravail et le chat noir est représenté en tant que compagnon en situation de confinement ou d’isolement. Les internautes présentent des éléments de leur intimité selon plusieurs degrés d’« extimité », ou de présentation de son intimité vers l’extérieur [9] (Tisseron, 2011). Les manières de se représenter ou d’exposer un membre de sa famille rejoignent cette idée de degrés d’extimité et construisent différents ethos discursifs à travers le texte et l’image : enfant à moitié caché derrière le chat, femme prise en photo de dos portant son chat noir, etc. L’exposition est très forte en contexte marchand (sur Instagram principalement avec les influenceurs). Et elle l’est aussi sur TikTok où la mise en scène de soi est articulée à la dimension affective de la relation entre l’homme et l’animal et à la forme du message transmis. Les propositions de challenges sur le réseau permettent aux tiktokeurs de se filmer en train de réagir émotionnellement à une vidéo. Ce phénomène n’est pas récent et il est lié au phénomène d’économie de l’attention et plus précisément aux dépôts d’attention des usagers. Ce qui affecte les publics sur TikTok est mis en scène instantanément et ces réactions deviennent des moteurs puissants de circulation et de réplication de contenus à leur tour connotés affectivement. Les internautes sont ainsi représentés en train de rire face à des contenus humoristiques (qui s’attaquent dans notre cas à la dimension porte-malheur du chat noir). Des effets numériques et de montages vidéo donnent une impression de magie qui ferait disparaître le chat noir, dans un but comique. La mythologie des sorcières est enfin très présente en période d’Halloween où les chats noirs sont filmés accompagnés de leur humain… ou plutôt de leur vampire ou sorcière !

En qualité d’écosystèmes relationnels, les réseaux socionumériques favorisent une publicisation de soi, qui s’effectue à la fois dans le but de se valoriser et d’inviter les publics à réagir voire à s’inscrire dans des formes de narrations visuelles interactives. Qu’elle soit plus ou moins maîtrisée, l’image de soi sur les réseaux socionumériques se construit dans un contexte de narration de soi où dans nos exemples le mythe a une place privilégiée. Différentes facettes de soi sont exposées ― du ressort de l’intime ou du privé ― afin de de renforcer une identité positive de soi, de favoriser et d’enclencher l’affectivité et de créer une dynamique interactive.

 Conclusions

Cette investigation sur les imaginaires sociodiscursifs construits dans les publications de notre corpus nous amène à mieux cerner la dynamique du mythe du chat noir à l’heure de la culture participative numérique.

L’analyse comparative met en évidence plusieurs axes permettant d’étudier les transformations des représentations du chat noir : la polémicité (positionnements sociopolitiques grâce au chat noir), la créativité (mythe du chat noir et culture populaire) et l’exposition de soi (moi et mon chat noir : différents degrés d’extimité).

En prenant en compte les contextes interactionnels en lien avec l’actualité, on voit que les réappropriations de l’aspect diabolique du chat noir peuvent être des moyens stratégiques pour se positionner argumentativement (surtout en tant que contre-discours pour Twitter) et pour exposer un point de vue idéologique fort (exemples de publications racistes ou contre-racistes). La réactivation de mythes dans des contextes d’influence politique est une stratégie qui ne s’épuise pas (on le voit très clairement avec la construction du mythe autour des chats de Marine Le Pen).

Sur Instagram principalement, la lutte contre la superstition va de pair avec le cadre de la valorisation de l’animal pouvant être maltraité. La dimension communicationnelle de certaines publications incite à l’adoption (rôle d’associations comme la SPA par exemple) et d’autres relèvent d’une problématique marchande (rôle d’influenceurs instrumentalisant le mythe dans un contexte marchand). Dans les deux cas, la visée est pragmatique : il s’agit de démythifier les superstitions qui considèrent le chat noir comme un porte-malheur. Cette remarque vient confirmer l’hypothèse posée plus haut d’une tendance à la simplification et surtout à la positivation des mythes à l’heure contemporaine. Le chat noir doit être positif et humoristique pour augmenter son pouvoir d’influence. Cet exemple de publication en est assez caractéristique : « La croyance populaire dit que croiser un chat noir peut vous faire mourir… de rire + emoji d’un visage riant aux larmes ». L’enjeu de quête de visibilité est ultime dans un contexte de marchandisation. Il l’est d’ailleurs aussi à l’échelle individuelle car on peut supposer que dans la simple publication d’une image de son chat (qu’il soit noir ou non), chacun recherche implicitement à obtenir une marque de gratification, une rétribution symbolique par ses pairs. Pour nous, la lutte pour la visibilité se réalise par le partage d’images de chats, relevant de différents degrés d’extimité, dans le but d’une reconnaissance sociale. Les réinterprétations des mythes du chat noir à travers les mèmes participent de cette économie de l’attention à l’échelle individuelle et collective, et cela consolide la nouvelle économie qui émerge de l’Internet, celle qui valorise les usages des individus connectés, au profit de plateformes et des marques.

En lien avec la question des mèmes, l’entrée portant sur le mythe du chat noir est un moyen intéressant de réflexion à croiser avec la notion de culture participative. Le mythe évolue en subissant de perpétuelles transformations en fonction du vécu, de la posture et de l’objectif communicationnel de l’internaute. Les mythes, ici des chats noirs, sont réinterprétés de manière plus ou moins créative en réinvestissant des figures ou récits appartenant souvent à des imaginaires issus de la culture de masse. Le mythe rappelle des faits passés qui sont réinvestis dans une grille personnelle. Les internautes utilisent le couple mèmes / mythes pour construire le monde à leur image en s’inscrivant dans un collectif. De nouvelles pratiques d’écriture émergent : réécritures morcelées, plurisémiotiques (iconotextes, remix musicaux, mashup, etc.), pratiques de coécriture au sein de communautés de fanfiction, etc.

L’efficacité du symbole du chat noir permet enfin une pratique généralisée qui consiste à parler de son quotidien, en suivant la temporalité des marronniers d’actualité (Halloween, Noël, etc.). La représentation du chat noir est un moyen de transcender le quotidien, à l’aide de la fiction notamment ― et selon le principe d’extimité vu précédemment, le chat permet de parler de soi de manière personnifiée. Le processus d’exposition varie en fonction de cette temporalité et aussi selon les enjeux communicationnels. Le chat noir permet de mettre en récit différentes facettes de soi, aux enjeux plus ou moins forts, dans cette dynamique de recherche de reconnaissance par le nous.

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Notes

[1] Cette réflexion entre dans la lignée des travaux de Laurence Allard (2010) et de Catherine Pascal (2013), portant respectivement sur la mythologie du portable et sur celle de l’humanisme numérique.

[2] Il est primordial de considérer ce caractère foncièrement dialogique du « discours hypertextualisé » (Simon, 2018) qui se situe toujours au centre d’une interactivité et se trouve relié et traversé par d’autres discours, représentés entre autres par l’insertion de liens hypertextes.

[3] Le « mythe » prend ici une acception générale. Il désigne un récit relevant de faits imaginaires qui se construit et se reconstruit culturellement de manière dynamique. Le terme « croyance » oriente de manière plus précise celui de « mythe ». L’acception du terme correspond à l’adhésion de l’esprit plus ou moins rationnelle qui « comporte une part de conviction personnelle, de persuasion intime » (extrait d’une des définitions du CNRTL : Centre national de ressources textuelles et lexicales, Nancy). La superstition est une forme de croyance, complètement irrationnelle cette fois-ci, dont la finalité ― dans le cas précis du chat noir ― « est une protection pour ou contre les effets du hasard et du destin » (catégorie 1 de la définition de la superstition présentée par Renard et Legros (2011 : 10) ; la superstition est ici caractérisée par son antonymie : porter chance vs porter malchance).

[4] Partant de témoignages littéraires, Éric Baratay (2021) retrace l’histoire des chats du XVIIIe siècle à nos jours, en essayant de « désanthropiser » l’histoire. Il montre l’évolution du rapport « humano-félin » en nuançant sa réflexion portant sur la condition animale grâce à des apports théoriques éthologiques et sociologiques.

[5] Une liste détaillée des chats de fiction ― comprenant les chats noirs ― a été réalisée sur Wikipédia. Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_chats_de_fiction. Pour prolonger cette liste, à titre d’exemple, rien que l’univers de la BD, ce n’est pas moins de 9 œuvres qui mettent en scène un chat noir : Félix le chat bien sûr ; Blacksad, le chat détective privé ; Bludzee de Lewis Trondheim ; Mine, une vie de chat d’Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg ; Chat noir de Mathilde Arnaud ; Vadrouille de Hila Noam ; Charles le Chat noir d’Abel Chen ; Crapule de Jean-Luc Deglin ; Le Chat du kimono de Nancy Peña, etc. Le rôle de la BD joue ainsi un rôle important dans le processus transformationnel du mythe du chat noir. C’est ce qu’explique Philippe Delisle (2021) dans l’introduction de son ouvrage collectif consacré aux « héros-chats en cases et en bulles ».

[6] Déclarations du 4 janvier 2022, dans un entretien accordé au Parisien.

[7] Selon différents procédés rhétoriques – dont certains relèvent de la mémétique – les personnalités politiques telles que Marine Le Pen, Gérald Darmanin, Giorgia Meloni (en Italie) ou encore Geert Wilders (aux Pays-Bas) recherchent la complicité et la connivence de leur communauté socionumérique affective grâce à la mignonnerie du #ChatonMignon. Voir aussi sur le lien entre animaux et politique (J akubowicz, 2021).

[8] Le mème « fait maison » arrive au paroxysme de la créativité individuelle (Simon, 2024 à paraître). Ce dernier est le résultat d’un processus de réappropriation s’inscrivant au sommet de la variation du fait de son haut degré de subjectivité et de sa forte originalité créative.

[9] L’extimité est un processus dynamique plus ou moins maitrisé de partage de l’intimité au sein d’un espace public numérique. Le désir d’extimité correspond à un besoin de rendre visible en mode public des éléments de sa vie privée (amoureuse, familiale, professionnelle, etc.).

Articles connexes :



-Ivan Ivanov (2021), La communication de crise à l’ère du numérique. Stratégies, processus et pratiques, Québec, Presses de l’université du Québec, par David Francisco

-Préface au n°36. Les mythes au XXIe siècle, par Comité de rédaction

Pour citer l'article


Simon Justine, Bigey Magali, « #ChatNoir : persistance et métamorphose du mythe à l’heure du web participatif », dans revue ¿ Interrogations ?, Partie thématique [en ligne], http://revue-interrogations.org/ChatNoir-persistance-et (Consulté le 21 décembre 2024).



ISSN électronique : 1778-3747

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