La crise sanitaire de 2020 a marqué un tournant majeur dans l’histoire contemporaine d’un point vue économique et organisationnel à cause de son ampleur sans précédent. En effet, cette crise fut le point de départ d’une succession d’autres crises qui mirent en exergue, dans un premier temps, la fragilité du système de santé des États (Pierru, 2022 ; Gautier et al., 2021), puis dans un second temps, la vulnérabilité et l’interdépendance des économies mondiales (André, 2021). Dans ce contexte d’incertitude, la communication des gouvernements se structura autour des outils numériques pour s’adresser à leur population et conserver un lien dans ce tumulte. De plus, les entreprises ont dû mettre en place des stratégies de communication en mobilisant les outils numériques en interne et en externe afin de conserver un lien avec leurs publics. Les choix communicationnels des organisations et des institutions, en temps de crise, ont donc remis au premier plan la question des enjeux de la communication de crise en contexte numérique.
Publié en 2021, au cœur de cette situation sanitaire complexe, l’ouvrage d’Ivan Ivanov, professeur agrégé au département de communication de l’Université d’Ottawa propose de comprendre les postures communicationnelles adoptées par les organisations pour gérer des crises. Intitulé La communication de crise à l’ère numérique et publié par les Presses de l’Université du Québec, il se donne pour objectif de proposer « une étude de l’enchaînement de compétences et de savoir-faire permettant au communicant de bâtir, d’ajuster et de conduire la communication en temps de crise » (p. 2). L’ouvrage a pour but d’analyser la communication de crise dans un contexte marqué par l’omniprésence des outils numériques dans les usages sociaux (Dary et al., 2021). De ce fait, l’auteur rassemble les travaux de recherche, issus du champ des relations publiques et de la communication organisationnelle anglophone et francophone. Il mène son étude sur une temporalité débutant du milieu du XXè et se terminant à l’année 2020.
Par conséquent, cette recension se propose dans un premier temps d’étudier la structure de l’ouvrage afin d’en identifier les concepts-clés. Dans un second temps, nous analyserons le traitement de la communication de crise à l’aune du numérique.
L’ouvrage se structure en huit chapitres thématiques. Les deux premiers chapitres (p. 5-83) portent sur les définitions théoriques et conceptuelles de la communication de crise. Ils permettent « de poser les bases théoriques de la communication organisationnelle » (p. 3) et de comprendre les publics mobilisés dans la communication de crise. Ensuite, les deux chapitres suivants (p. 85-164) abordent la planification de la communication à travers l’analyse de l’environnement en amont, la conception d’un message et sa diffusion sur les « canaux de communication adaptés » (p. 3). Le cinquième chapitre met en lumière l’organisation des équipes de gestion de crise (chefs d’équipe, porte-paroles, experts, communicants). Il définit leur rôle et leur expertise puis établit un panorama des stratégies de crise (refus, silence, reconnaissance, distanciation). Ainsi, ces chapitres permettent de comprendre les concepts-clés de la communication de crise au regard de l’analyse de l’auteur et des faits d’actualité mobilisés. Enfin, les trois derniers chapitres traitent de la place des médias sociaux et des plateformes numériques dans les stratégies de communication de crise. À cette fin, l’auteur propose de définir et de réaliser un panorama des médias sociaux ainsi que des plateformes numériques et d’en analyser les effets. Il termine par trois entretiens de recherche. Deux d’entre eux sont menés dans le cadre du programme « Savoir » du Conseil de Recherches en Sciences Humaines (CRSH). Il s’agit d’entretiens réalisés avec l’équipe de Santé Publique Ottawa (SPO) et le gouvernement ouvert du Canada. Ces travaux portent sur la communication de crise des institutions publiques notamment lors de la pandémie de la Covid-19. Ainsi, ces recherches interrogent l’intégration du numérique dans les stratégies mises en place par les acteurs publics. L’ouvrage se termine avec un entretien de la directrice de la communication de la Gendarmerie royale du Canada, Jolene Bradley. Il s’agit d’un partage d’expérience de la communicante.
Par ailleurs, il semble important de souligner que l’ouvrage est pensé comme un outil de travail. De ce fait, chaque chapitre est indépendant, ce qui permet une lecture libre. En effet, les chapitres ont une conception identique et se caractérisent par « un effort systématique de synthèse et d’application des concepts et des théories abordées » (p. 2). Les chapitres débutent par un résumé et se terminent par une « synthèse des points centraux à retenir » (p. 2). Cela permet au lecteur de se représenter la thématique abordée, les enjeux questionnés et de mettre en avant les concepts-clés du chapitre. De plus, chaque chapitre est suivi de l’étude d’un cas. Ces dernières offrent la possibilité aux lecteurs « d’appliquer les connaissances acquises » (p. 2). Ils se terminent par une mise en situation. En outre, les références bibliographiques sont placées en fin de chapitre permettant aux lecteurs d’approfondir la thématique. Il est à noter que l’ouvrage est ponctué par des figures et des encadrés. Par conséquent, l’ouvrage est pensé pour répondre aux attentes des divers lecteurs à savoir les étudiants, les chercheurs et les professionnels de la communication. D’ailleurs, l’auteur évoque son désire de « montrer que l’étude de la communication de crise peut faire cohabiter les praticiens et les chercheurs universitaires » (p. 4) dans le but de produire un savoir et un savoir-faire commun.
Cet ouvrage se distingue par la volonté de s’inscrire dans l’actualité et de mener une réflexion sur la communication de crise à l’ère du numérique défendant « une approche constructive et processuelle des stratégies et des pratiques de communication » (p. 2). Cela est particulièrement visible à partir du sixième chapitre (p. 219-284). Il ouvre la voie vers les travaux de recherche de l’auteur qui s’axent plutôt sur les acteurs des organisations qui pilotent les stratégies sur les médias sociaux et les plateformes numériques (superviseur de l’engagement communautaire, infirmière du réseau de la santé publique, diététicienne). L’auteur entend sensibiliser les professionnels à une pratique de la communication de crise plus humaine : « le communicant, par sa force de conviction professionnelle, doit accompagner les humains à affronter l’incertitude, à traverser la crise et à rebâtir le sens perdu. Les missions professionnelles du communicant sont donc sociales avant d’être organisationnelles » (p. 338). En effet, l’auteur reconnaît les avantages des outils numériques dans la communication de crise. À titre d’exemple, il évoque le rôle des médias sociaux (Facebook, Instagram) dans la fidélisation des clients et des parties prenantes ou dans la reconstruction d’une image. De ce fait, il est conscient de leur caractère incontournable dans la communication de crise en particulier dans la période de crise sanitaire. Les outils numériques se sont imposés comme une évidence ne permettant pas un retour en arrière. Néanmoins, il relève le fait que les médias sociaux sont « aussi des catalyseurs et des sources de crises » qui peuvent ajouter des « difficultés supplémentaires » (p. 221) tels que les rumeurs, la désinformation, les deepfakes ou encore les fausses nouvelles. Par conséquent, il semble aboutir à la conclusion que les acteurs de la communication de crise sont au cœur du processus communicationnel (créer une relation de confiance, informer et soutenir le public). L’auteur illustre ce point de vue, d’abord, par les recherches menées auprès de la SPO qui se distingue par l’expérience de son équipe de communication. Ensuite, par le retour d’expérience de Jolene Bradley qui conclut cette analyse et apporte un regard global sur la pratique de la communication de crise. L’expérience serait ainsi un facteur déterminant dans la conception d’une stratégie de communication de crise. Enfin, l’ouvrage sensibilise aussi le lecteur à la compréhension des publics et des parties prenantes. Les outils numériques sont présentés comme des moyens permettant la réalisation des missions des communicants et non comme une finalité. L’auteur semble regretter que l’intégration des outils numériques puisse détourner l’attention des communicants, qui devraient plutôt se focaliser sur la relation entre l’organisation et les publics.
En conclusion, on peut considérer cet ouvrage comme un outil réflexif permettant d’adopter un regard critique sur les pratiques communicationnelles des relations publiques à travers la communication de crise. Cette dernière oscille entre continuité (dans les principes conceptuels) et modernité (dans le recours au numérique). L’ouvrage se distingue par sa volonté de mettre en avant les acteurs au centre de la dynamique stratégique pour aboutir à une relation plus authentique avec les parties prenantes. C’est une démarche qui se propose ainsi d’être à contre-courant des évolutions sociales liées au contexte numérique. Par ce travail de recherche, l’auteur contribue à l’analyse et l’évaluation des pratiques professionnelles, en grande partie, nord-américaines. Ces dernières, dans un contexte de mondialisation qui à tendance à favoriser l’homogénéisation des comportements, peuvent trouver un écho dans les pratiques professionnelles françaises. Ainsi, cet ouvrage participe à la discussion au sein des SIC et plus particulièrement dans le champ de la communication organisationnelle.
André Jean-Claude (2021). « Post-Covid-19 : entre retour au passé et créativité », revue Environnement, Risques & Santé, Vol 20, [en ligne] https://www.cairn.info/revue--2021-3-page-233.htm (consulté le 26 novembre 2024).
Dary Ségolène, Hourcade Lucie, Vipard Laetitia, Minonzio Jérôme (2021), « Introduction », revue Informations sociales, n° 202, [en ligne] https://doi.org/10.3917/inso.202.0004 (consulté le 26 novembre 2024).
Gautier Sylvain, Ray Marine, Rousseau Anne, Seixas Clarissa, Baumann Sophie, Gaucher Laurent, Le Breton Julien, Bouchez Tiphanie, Saint-Larry Olivier, Ramond-Roquin Aline, Bourgueil Yann (2021). « Soins primaires et COVID-19 en France : apports d’un réseau de recherche associant praticiens et chercheurs », revue Santé Publique, Vol 33, https://doi.org/10.3917/spub.216.0923 (consulté le 26 novembre 2024).
Pierru Frédéric (2022), Le « système de santé » français ou la réforme par la crise, Paris, La Découverte.
David Francisco, « Ivan Ivanov (2021), La communication de crise à l’ère du numérique. Stratégies, processus et pratiques, Québec, Presses de l’université du Québec », dans revue ¿ Interrogations ?, N°39 - Créer, résister et faire soi-même : le DIY et ses imaginaires [en ligne], http://revue-interrogations.org/Ivan-Ivanov-2021-La-communication (Consulté le 21 décembre 2024).