Pour citer l'article :
Pour son dixième numéro, la revue ¿Interrogations ? a mis à l’honneur la thématique de la compétence. Il s’agissait, pour les auteurs, d’interroger les actualités d’un thème qui a été largement discuté ces dernières années dans de multiples disciplines, notamment les sciences de l’éducation, la sociologie du travail, ou encore à propos des questions de formation professionnelle. Que reste-t-il de ce débat ? A quelles conditions faire de la compétence un objet scientifique ?
Les contributions proposées témoignent de la variété actuelle des contextes d’études (professionnels, scolaires, ou autres) de cette notion de compétence, et dans le même temps de la rigueur scientifique qu’elle appelle dans son traitement. Ainsi, sur les vingt-trois articles reçus, cinq ont finalement pu être acceptés pour la publication finale, dans la partie thématique. Deux articles fournissent des éléments de compréhension de la compétence dans le domaine professionnel, en définissant la notion parallèlement à une construction identitaire dans laquelle l’acquisition des valeurs tient une place centrale. Deux autres articles ont montré l’écart entre les compétences, prises comme des injonctions normatives (dans les référentiels guidant les pratiques professionnelles, par exemple), et le travail réel, source de compétences novatrices. Enfin, un dernier article, résumant la tension entre qualification et compétence, a tenté de montrer l’avilissement progressif du monde scolaire par le monde professionnel dans la définition de la compétence.
Christelle Marsault s’interroge sur les modalités de construction de ce qu’elle nomme la « compétence éthique » chez les éducateurs sportifs en milieu associatif. Elle montre, notamment, comment l’interaction entre des dirigeants d’associations et des éducateurs sportifs, lors de la phase de recrutement, se présente comme un efficace observatoire des modalités de professionnalisation pour les membres de ce métier. La compétence, ici, se définirait comme une somme de valeurs morales, susceptibles d’accord ou de tension entre l’éducateur et l’association procédant à son recrutement.
Elodie Wipf et Lilian Pichot, dans le domaine des éducateurs sportifs de petites entreprises de fitness cette fois, expliquent que la compétence des employés de ces entreprises doit être nécessairement pensée dans la liaison d’une identité individuelle, celle de l’employé, et d’une identité collective, celle de l’entreprise. En centrant leur étude sur l’intérêt de l’analyse de la socialisation dans un collectif de travail, définissant une « solidarité technique », ils montrent que la compétence est inévitablement le fruit d’une relation sociale provoquant une construction identitaire.
Pour sa part, Isabelle Ullern-Weite se livre à une critique de l’usage de la compétence dans son emploi normatif dans le contexte de la formation sociale : les injonctions aux « savoir-faire » seraient bien trop nombreuses et disparates pour prétendre en faire un programme sérieux d’acquisition de compétences. Le projet de « gestion de l’être » en travail social est tout aussi critiquable, puisqu’il ne reposerait sur aucune conception théorique de l’individu. Elle propose, de ce fait, de donner plus de place à la fabrication et à l’évaluation de compétences en situation.
Sandra Safourcade et Séraphin Alava s’intéressent au sentiment d’efficacité pédagogique des enseignants de collège. Ils montrent tout l’intérêt d’étudier ce pôle de subjectivité comme élément cognitif central de la relation entre les acteurs professionnels et les référentiels de compétence. Ils affirment alors le rôle capital de la représentation individuelle de la compétence, part subjective de la représentation par le professeur de son propre travail, dans la tension entre injonctions normatives et travail réel.
Enfin, l’article de Sylvie Monchatre, après nous avoir rappelé que la compétence est un enjeu encore actuel, du fait de son importance dans le domaine éducatif et professionnel, montre en quoi cette notion tend à imposer une mobilisation subjective de l’acteur en situation de travail, au-delà du rapport de qualification classique. Par l’exemple de l’« Approche Par Compétence » initié dans le contexte québécois, son article définit en quoi la sphère professionnelle tend à déterminer la sphère éducative dans le contenu des compétences requises pour un poste de travail.
Ce numéro de la revue ¿Interrogations ? comprend également d’autres rubriques. Notre rubrique des « Des travaux et des jours » présente un article de Benjamin Coignet concernant l’innovation sociale dans le sport, à travers l’étude du cas des clubs sportifs dans les quartiers populaires français.
Dans la rubrique « Fiches techniques », une analyse d’Alain Bihr de la critique du caractère fétichiste de la valeur dans Le Capital de Karl Marx postulant l’intérêt central de ce thème au sein de cet ouvrage classique. Une seconde fiche technique d’Emmanuelle Zolesio cherche à clarifier la définition de la notion de disposition relativement à la question du genre, en montrant l’intérêt d’une explicitation de l’usage des termes de « dispositions féminines » et « dispositions masculines » relativement au contexte d’étude.
Quatre ouvrages sont également présentés en Notes de lecture. Deux sous la plume d’Alain Bihr (Caroline Oudin-Bastide, Travail, capitalisme et société esclavagiste. Guadeloupe, Martinique (XVIIe – XIXe siècle), La Découverte, Paris, 2005 ; Thomas Huonker et Regula Ludi, Roms, sintis et yeniches. La « politique tsigane » suisse à l’époque du national-socialisme, Lausanne, Page deux, 2009), un sous celle de Ghizlaine Lahmadi (Marie Peze, Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés, Journal de la consultation « Souffrance et Travail » 1997-2008, Paris, Pearson Education France, 2008), et le dernier par Matthieu Gateau (Julien Mischi, Servir la classe ouvrière. Sociabilités militantes au PCF, Paris, Presses Universitaires de Rennes, 2010).
Enfin, ce dixième numéro est l’occasion pour nous de vous présenter une nouvelle rubrique, la rubrique Varia. Celle-ci n’a pas pour vocation de publier tous les textes que nous recevons et qui ne trouvent pas de place dans l’appel à contribution en cours mais cherche à rendre publiques des recherches que nous estimons ambitieuses et originales, apportant un point de vue novateur sur leur objet d’étude. Le premier texte qu’accueille cette nouvelle rubrique est celui de Cécile Campergue et porte sur la pratique du bouddhisme tibétain en France.
Nous tenons enfin à remercier vivement tous les chercheurs et enseignants chercheurs qui, par leur aide et leur implication, ont permis l’élaboration de ce numéro :
• les membres du comité de lecture : Robin RECOURS, Dominique JACQUES-JOUVENOT, Sylvie GUIGON, Maurice BLANC, Georges UBBIALI, Delphine NAUDIER, Bruno PEQUIGNOT, Bernard FRIOT, Paul BOUFFARTIGUE.
• les chercheurs et enseignants chercheurs extérieurs à notre comité de lecture et qui ont bien voulu accepter d’expertiser un article en leur qualité de spécialistes : Yves LENOIR, Marcelle STROOBANTS, Thierry GOGUEL D’ALLONDAN, François VATIN, Robert CHABOT, Sophie BERNARD, Corinne DELMAS, Yves COUTURIER, Gildas LOIRAND, Valérie BECQUET, Christine MIAS, Yann DUCEUX, Sébastien FLEURIEL, Mathias MILLET, Odile PIRIOU, Georges FELOUZIS, Pierre TRIPIER, Jean-Pierre SYLVESTRE, Raphaël LIOGIER, Laurent AMIOTTE-SUCHET.
Pour citer l'article :
Comité de rédaction, « Préface », dans revue ¿ Interrogations ?, N°10. La compétence, mai 2010 [en ligne], https://revue-interrogations.org/Preface,117 (Consulté le 21 décembre 2024).