Pour citer l'article :
Les faits de déviance constituent un objet d’étude qui est généralement plutôt appréhendé à partir du prisme du genre masculin. Ainsi, en lançant un appel à contributions consacré aux « Formes, figures et représentations des faits de déviance féminins », nous souhaitions explorer et mettre en valeur une problématique insuffisamment exploitée dans les sciences de l’homme et de la société.
Par ailleurs, nous souhaitions demeurer fidèles à l’identité de notre revue. En témoigne la richesse disciplinaire, thématique et méthodologique que nous retrouvons parmi les différents articles de notre rubrique thématique et qui atteste de l’ouverture de notre revue dont le pluriel figurant dans son titre n’est donc pas que de forme.
Ainsi, c’est à travers les lettres modernes, l’histoire, les sciences de l’information et de la communication, les sciences politiques, la sémiotique mais aussi la sociologie que les faits de déviance féminins sont appréhendés.
De même, les différents angles d’approche suggérés dans notre appel à contributions à travers le triptyque « formes, figures et représentations » ont été adoptés par les auteurs. Mais il faut aussi ajouter qu’à la pluralité de ces angles d’approche s’ajoute une pluralité méthodologique. De multiples outils de recueil de données sont ainsi mobilisés par les différents auteurs (observation participante, entretiens, questionnaires, corpus de textes institutionnels, littéraires, médiatiques, etc.).
L’analyse comparative que réalise Claire Gavray, à partir des données issues d’une enquête quantitative sur la délinquance menée en Belgique, confirme la tendance générale selon laquelle les « femmes résistent au crime » (ici à la délinquance juvénile). Toutefois, cette fine étude permet de souligner que cette tendance n’est pas uniforme et n’est pas dénuée de paradoxes que la théorie du genre permet de mieux comprendre.
Corrélativement, d’autres auteurs se focalisent sur une forme spécifique de déviance et adoptent une échelle d’observation microsociale ainsi que des outils qualitatifs. Ainsi, Emmanuelle Zolesio s’intéresse aux déviances langagières et se penche sur leur place dans le milieu médical. L’observation participante qu’elle a menée lui permet de constater que la transgression des codes de genre en matière d’humour grivois constitue une des modalités par laquelle les femmes chirurgiens s’imposent dans un milieu hospitalier, particulièrement viril.
L’essentiel des contributions appréhendent les faits de déviance féminins en tant qu’ils sont produits, producteurs ou encore objets de représentations. Ainsi, Audrey Arnoult s’intéresse elle aussi à un type spécifique de déviance, en l’occurrence l’anorexie mentale, mais afin de comprendre comment elle est représentée dans la presse écrite française. Elle a recours pour cela à une analyse narrative et terminologique d’un corpus d’articles parus dans Le Monde, La Croix, Le Figaro et Libération.
Plusieurs auteurs s’intéressent aux représentations et discours littéraires afin d’appréhender la thématique des faits de déviance féminins. Ainsi, Jacqueline Phaëton analyse la prostitution à partir d’une série de contes de Vizcaíno Casas rassemblés dans l’ouvrage ¡Niñas… al salón ! Pour sa part, Virginie Prioux se penche sur le personnage de Nana par lequel Émile Zola appréhende diverses formes de déviance féminine, comme la prostitution ou encore la bisexualité. Le discours littéraire du chef de fil du naturalisme nous livre alors à la fois « une transposition romanesque de l’état d’avancement des recherches dans le domaine médical à cette époque » et « une vision de l’approche sociologique de ces déviances dans une société conservatrice. » Jean Monamy s’intéresse, quant à lui, à un autre personnage littéraire, Roberte, par lequel Pierre Klossowski met en scène « des formes scabreuses de sexualité féminine ». Plus largement, l’auteur nous livre une lecture originale de l’œuvre de Pierre Klossowski et une fine analyse de deux de ses concepts clés : le simulacre et le stéréotype.
Adeline Trombert-Grivel utilise les deux types de matériaux précédemment évoqués, à savoir la presse et les romans, afin d’appréhender les représentations du suicide féminin à la fin du dix-neuvième siècle. Cet acte tragique s’avère alors perçu comme le signe précurseur d’une revendication identitaire latente, ce qui atteste de son instrumentalisation « au service d’une cause sociale : la place et le rôle à accorder aux femmes dans une société qui hésite encore à leur reconnaître une identité pleine et entière. »
Enfin, deux articles thématiques abordent la problématique de la construction et de la déconstruction des faits de déviance féminins. Anne-Laure Garcia met en évidence le rôle déterminant des dispositifs institutionnels dans la construction de la légitimité d’une conduite féminine. Ainsi, elle retrace le processus de normalisation qu’a connue la maternité solitaire en France et en Allemagne dans l’entre-deux-guerres, à travers l’intervention de deux associations et la mise en place d’actions d’assistance et d’encadrement institutionnel.
Camille Masclet étudie le fonctionnement normatif de l’institution scolaire et remarque que le fonctionnement réel de la discipline scolaire ne se réduit pas à l’application supposée neutre d’un règlement intérieur. Elle rend compte de « l’intervention officieuse d’autres ordres normatifs, tels que les normes de genre » qui participent par conséquent à la construction des déviances en produisant « des scripts déviants spécifiques » selon le genre.
Outre ce dossier thématique, vous retrouverez dans ce numéro nos rubriques habituelles :
Alain Bihr nous propose une fiche technique sur le concept de surpopulation relative chez Karl Marx qui rend compte de cette population ‘‘excédentaire’’ que sont les travailleurs précaires, les chômeurs, les inactifs et autres exclus du circuit économique. Pour sa part, Pascal Fugier se lance dans une nouvelle trilogie consacrée cette fois-ci à la mise en œuvre d’un protocole de recherche exploratoire en sociologie. Ce premier volet traite particulièrement de la question de départ et présente quelques procédés de recherche pouvant accompagner le chercheur durant l’ensemble du procès de recherche.
La rubrique « Des travaux et des jours » présente deux recherches doctorales en cours : celle de Gonzalo Cáceres, dont la recherche porte sur la transformation de l’État en Argentine durant la dernière dictature qu’a connue le pays (1976-1983). Il articule cette transformation avec le contexte politico-économique dans lequel elle s’est déroulée et met en œuvre une approche relationnelle de l’État. Le sujet de recherche d’Agathe Dumont traite des danseurs contemporains et interroge le travail de danseurs indisciplinés donnant lieu à des spectacles aux esthétiques novatrices à partir de la notion de virtuosité en danse contemporaine.
Enfin, ce numéro présente plusieurs recensions d’ouvrages :
Nous tenons à remercier vivement tous les chercheurs et enseignants chercheurs qui, par leur aide et leur implication, ont permis l’élaboration de ce numéro :
Pour conclure, nous tenons à avertir nos lecteurs des différentes restructurations, réflexions et débats dans lesquels s’est engagée la revue ¿Interrogations ? ces derniers mois. Ainsi :
Pour citer l'article :
Comité de rédaction, « Préface », dans revue ¿ Interrogations ?, N°8. Formes, figures et représentations des faits de déviance féminins, juin 2009 [en ligne], https://revue-interrogations.org/Preface,158 (Consulté le 21 décembre 2024).