L’article examine ce qu’il en est du suicide féminin à la fin du dix-neuvième siècle, période emblématique, tel qu’il ressort de la représentation qu’en donnent la presse et les romanciers. La conduite suicidaire des femmes, stigmatisée souvent comme pathologie et réduite à une déviance caractéristique, en vient alors à être perçue bien plutôt comme l’émergence d’une revendication identitaire latente. À travers le miroir porteur et sciemment orienté qu’en offre le récit, le suicide féminin a tout d’une parole instrumentalisée au service d’une cause sociale : la place et le rôle à accorder aux femmes dans une société qui hésite encore à leur reconnaître une identité pleine et entière.
Mots-clefs : identité féminine, suicide des femmes, transgression des normes sociales et morales, représentations romanesques, conduites d’imitation.
The Imitator. Women suicides between deviance, provocation and claim
The article examines women and suicide at the end of the nineteenth century, an emblematical period, as it is represented in the press and in literature. The suicidal behaviour of women, often stigmatized as a pathological pattern and reduced to a characteristic “deviance”, comes to be perceived rather as the emergence of a latent identity claim. By the means of a faithful and ideological well-directed mirror which is offered by the story, women’s suicide concentrates all of the instrumentalised discourse used for a social cause : the place and the role to concede to women in a society which still hesitates to endow them with a full and complete identity.
Keywords : female identity, female suicide, transgression of social and moral norms, literary representations, imitational behaviour.
Le suicide comme intention délibérée de se donner la mort, à défaut d’être formellement un délit ou un crime, constitue pour la société une déviance majeure de comportement. Très tôt décriée, condamnée par la religion et la morale, cette forme particulière de transgression des normes doit occuper une place centrale dans une réflexion pluridisciplinaire sur les comportements sociaux déviants lorsqu’ils touchent à l’extrême. Certes, la diversité des types de suicides, aussi bien des hommes que des femmes, est indéniable et renvoie, dans tous les cas, au contexte social et familial singulier dans lequel ils s’inscrivent. Par suite, l’intention suicidaire répond à toutes sortes de motivations, aussi respectables les unes que les autres (suicide par altruisme, par pitié, par chagrin…). Nous concentrerons pourtant notre analyse sur un suicide particulier délibérément marqué socialement et porteur, qu’il le veuille ou non, d’un message revendicateur – celui dont ont voulu le charger les publicistes et les romanciers qui en ont fait état dans la presse ou dans leurs livres. Nous constaterons à partir de quelques cas paradigmatiques que ce type de suicide, ou pour mieux dire de représentation suicidaire, connaît dans la seconde moitié du siècle une grande faveur auprès du public. Nous ne perdons pas de vue, en concentrant notre intérêt sur la médiatisation d’un acte délictueux à plus d’un titre, l’ancrage sociétal réel sur lequel il s’appuie. Mais une chose est d’observer, au cas par cas, la réalité de l’accomplissement d’un acte suicidaire au quotidien et une autre est d’en examiner l’impact dès lors qu’il est objet de récit. Toute la charge de souffrance et de sentiment d’abandon n’est certes pas évacuée du récit, celui-ci tire parti, au contraire, de tout un lot d’émotions primaires, mais c’est désormais la valeur démonstrative et emblématique du suicide qui occupe le devant de la scène. C’est sur ce point que se marque l’évolution considérable qui distingue le suicide romantique par désespoir – tel qu’il est du moins relayé, lui aussi, par le récit – de l’acte suicidaire à grand spectacle des journaux et des romans naturalistes, qui en font un enjeu social et presque une cause.
En effet, la seconde moitié du XIXe siècle voit l’expansion sans précédent de la presse quotidienne et de la diffusion du roman. Ce n’est pas pour rien que celui-ci se spécialise alors dans la dramatisation des tragédies individuelles et des fragilités conjugales et familiales. Au même moment, les premiers écrits sociologiques et criminologiques concernant le suicide voient le jour. C’est dans ce cadre qu’il convient de s’interroger sur la place qu’occupent les suicides de femmes et leur nature. Dès lors, la question se pose de la sorte : quelle visibilité donne-t-on aux figures et aux formes de suicides des femmes ? Peut-on parler d’un traitement spécifique du suicide féminin ? De quelles valeurs celui-ci est-il porteur au travers de la représentation qui en est donnée par récit interposé ?
Il s’agira de montrer tout d’abord comment les comportements féminins dont on nous fait le récit s’efforcent de donner sens à des représentations particulières et soulignent, prioritairement, des relations familiales malheureuses. On suppose communément alors que l’initiative du suicide est étroitement dépendante d’un exemple connu de la victime, dont la source est souvent romanesque, et l’on considère avoir affaire ici à une véritable contagion par l’exemple. Nous réserverons dans ce qui suit une place particulière à un mécanisme d’ordre psycho-sociologique théorisé comme on sait, en 1890, par Gabriel Tarde : l’imitation, phénomène social d’entraînement, à entendre comme « action à distance d’un esprit sur un autre, et […] action qui consiste dans une reproduction quasi photographique d’un cliché cérébral par la plaque sensible d’un autre cerveau. » [1] Face à ce fléau que constitue le suicide aux yeux des pouvoirs publics et de l’opinion, les réponses apportées par ceux-ci témoignent du détournement de la répression sur une cible matérielle précise : le roman et le journal, coupables d’une contagion qui met en péril l’harmonie sociale [2]. Ceci, à défaut de pouvoir sanctionner directement et fermement les victimes d’un acte radical irréversible qui les font échapper à la loi.
Les passions constituent, comme il faut s’y attendre, la cause explicative principale des comportements suicidaires des femmes au dix-neuvième siècle. Ce penchant au suicide interpelle, très tôt, le corps médical qui associe à la figure de la femme passionnée sous influence les notions « d’aliénation mentale » ou de « folie ». En 1840 déjà, une étude du docteur J-B Cazauvieilh, ancien interne à la Salpêtrière, intitulée Du suicide, de l’aliénation mentale et des crimes contre les personnes, insiste sur l’influence négative des « passions ardentes » qui contribuent à produire l’homicide, la folie et le suicide [3]. Cet ouvrage témoigne de ce que Foucault appelle « collaboration parfaite médecine-justice-famille-malade », qui s’inscrit dans le contexte de la loi du 30 juin 1838 sur le placement des aliénés [4].
Par la suite, dans le camp des criminologues, maintenant, Lombroso et Ferrero, dans La Femme criminelle et la prostituée de 1896, accordent eux aussi une place de choix à la femme passionnée, présentée comme particulièrement sujette aux pulsions suicidaires [5]. Les comportements suicidaires des passionnées constituent, pour ceux-ci, pourtant, un moindre mal, car ils les cantonnent dans la déviance et leur épargnent un acte délictueux condamnable qui ferait mentir leur nature de femme : « La pure et grande passion, par elle-même, conduit la femme plus au suicide et à la folie qu’au délit ; si elle mène au délit, c’est parce qu’elle a pu faire surgir ce fond latent de méchanceté, ou que la virilité du caractère donnait aux passions véhémentes les moyens du délit que n’aurait jamais accompli une femme entièrement femme. » [6]
Un an après, c’est au tour du sociologue Emile Durkheim, dans sa fameuse étude sur le suicide publiée en 1897, de se pencher sur les moyens d’élaborer un classement des suicides par « aliénation ». Il distingue alors parmi ce qu’il appelle « états psychopathiques » un type particulier de suicide féminin : le suicide mélancolique [7]. Comme c’était déjà le cas pour Cazauvieilh d’ailleurs, Durkheim prend en considération l’influence du degré d’urbanité dans la réalisation des suicides féminins. À son opinion, les habitantes des campagnes sont à première vue davantage protégées de la tentation du suicide mélancolique que celles des villes, où l’inégalité de condition et de fortune est nettement plus mal vécue. C’est le passage de la jeune fille d’une communauté villageoise à la solitude urbaine, donc à la désagrégation du lien social, qui la pousse à céder à la tentation du suicide.
Etroitement dépendante de la problématique des passions, la question de la conjugalité, du mariage et de l’enfantement est, par ailleurs, récurrente dans les études sociologiques et criminologiques de cette fin de siècle. La prégnance d’une telle variable explicative, justement dans la décennie qui suit la Loi Naquet du 27 juillet 1884 rétablissant le droit du divorce en France, est pour le moins significative. C’est ce qui, en 1897, conduit Durkheim à présenter un modèle causal complexe des comportements suicidaires. Son postulat de départ pose une différence sexuelle quant à la « perméabilité » au suicide : les femmes sont pour le sociologue moins enclines à la réalisation du suicide que les hommes. Néanmoins, l’ « effet sexe » joue différemment lorsqu’il est mis en corrélation avec « l’effet conjugalité » et « l’effet famille ». S’il est d’avis que le mariage exerce globalement un effet protecteur par rapport au suicide, force est de constater, d’après ses analyses sur la période 1887-1891, que seules les femmes mariées avec enfants sont protégées contre le suicide, mais que celles qui n’ont pas de progéniture voient, au contraire, leur situation s’aggraver par rapport aux célibataires de même âge et de même sexe [8].
Durkheim voit dans le suicide des femmes un acte impliquant l’échec du mariage, alors que Lombroso et Ferrero considèrent, pour leur part, les femmes mariées sous l’angle de la normalité et, par conséquent, pensent qu’elles sont peu enclines au suicide [9]. Du fait même que des passions mal réprimées les tiennent à l’écart des conventions sociales et, en particulier, du mariage, qui constituent, des garde-fous appropriés pour faire échec à la satisfaction non contrôlée de l’amour au féminin, le suicide représente pour les femmes passionnées le prix à payer pour échapper aux lois sociales qui normalisent la relation amoureuse.
Lombroso et Ferrero font, par ailleurs, état d’une classe spéciale de suicides féminins, où l’amour maternel joue, cette fois, son rôle. Ce sont les homicides-suicides de mères, qui, réduites au désespoir par la misère ou l’abandon, tuent leurs enfants, pour se donner la mort ensuite. Ce cas de figure suscite leur compassion, puisque les auteurs les qualifient à maintes reprises de « très honnêtes femmes » [10]. La clause de maternité introduit, en conséquence, une dérogation à l’imputation de crime et doit constituer une circonstance atténuante. Ceux-ci entendent ainsi prendre leur distance par rapport à une tradition criminologique qui stigmatise d’emblée ces mères suicidaires comme des criminelles dangereuses, à catégoriser sous l’angle de l’infanticide et comme telles condamnables aux yeux de la loi [11].
Or, ces diverses tentatives plus ou moins achevées d’explication des suicides féminins et les illustrations qu’en donnent les criminologues et les sociologues, vont de pair avec leur mise en scène dramatique dans les journaux, faits divers et romans-feuilletons, et dans les romans offerts à un public friand d’émotions fortes. Ceux-ci cherchent à donner de l’issue fatale une image attrayante tout en en gommant le caractère de déviance.
La médiatisation croissante que connaît la société au cours du dix-neuvième siècle a des conséquences manifestes sur le comportement suicidaire des femmes. La diffusion de la presse à grand tirage dans les villes, et plus tardivement dans les campagnes, ainsi que la propension des femmes scolarisées, qui ont reçu avec l’école devenue progressivement obligatoire une certaine éducation, à lire des romans, favorisent, entre autres pratiques comportementales, la diffusion et la connaissance des suicides féminins [12]. Loin d’être perçus alors comme de simples actes individuels, ceux-ci ont pris peu à peu de par la publicité qui leur était faite, une dimension sociale irrésistible sous l’effet combiné de la représentation narrative ou de l’illustration, et du désir d’imitation qui en dépend largement. Il faut dire que les lectrices, à en croire les témoignages autorisés de la critique, sont avides des faits divers qui alimentent désormais les fictions romanesques [13] et des feuilletons publiés dans les grands quotidiens populaires et montrent une fascination particulière pour toutes les conduites transgressives des femmes, au premier rang desquelles le suicide.
La représentation des femmes suicidaires dans les romans de la seconde moitié du dix-neuvième siècle ont, en effet, pour point commun de mettre en scène une femme mal mariée sous l’emprise d’une passion qui la mène à la mélancolie et à l’issue fatale que constitue souvent, pour elle, le suicide. À ce qu’on observe, les œuvres de fiction évoquant le suicide féminin ne varient guère quant à son genre : il s’agit, dans la majorité des cas, d’un suicide par noyade, par empoisonnement, ou par asphyxie [14], même si dans le cas de Madeleine Férat, roman à cet égard exemplaire d’Emile Zola, nous le verrons, l’idée d’un suicide par défenestration qui fait sa part à la violence et au spectaculaire est d’abord envisagée par la victime. Par ailleurs, le suicide féminin peut se conjuguer, dans ce corpus, avec un homicide, voire un infanticide. Les romanciers les plus talentueux entretiennent par une dramaturgie adéquate et par une représentation gratifiante de la femme passionnée, sujette à différents types de déviance, la fascination de leur lectorat. Autre constante dans cette représentation, le caractère volontiers discret du suicide féminin, dès lors qu’il s’accomplit souvent au foyer et qu’exempt de violence, dans le cas de la noyade, il prend l’apparence d’une disparition.
Ainsi, en 1857, Madame Bovary prend pour héroïne une femme mariée, doublement frustrée de se voir cantonnée au rôle d’épouse et mère, et mal aimée par ses amants, Emma Bovary, qui absorbe de l’arsenic, le poison à la mode. Mais le romancier, qui fait significativement d’Emma une lectrice passionnée, aime à jouer sur l’équivalence encre-poison, dans son récit, et nous éclaire ainsi sur la correspondance qui existe entre la substance toxique qui apporte la mort et le poison que distille l’imprimé. Cet « affreux goût d’encre » [15] dans sa bouche au moment de l’agonie, ne signifie-t-il pas que l’héroïne rend à l’heure de sa mort l’encre des romans qu’elle a ingérée ? Dans Crimes écrits. La littérature en procès au 19e siècle, Yvan Leclerc, spécialiste de la censure littéraire, fait d’ailleurs remarquer à propos de ce roman que « l’arsenic de Homais – le pharmacien - se trouve dans un bocal bleu, couleur [de couverture] de roman. » [16] Si bien qu’on pourrait affirmer que le suicide emblématique d’Emma prend sous la plume de Flaubert l’aspect d’un suicide assisté, commandé par les romans que la jeune femme a lus tout au cours de son existence. Ce roman, bien que rédigé dans un style qui implique en apparence l’absence de parti pris de l’auteur, n’est pas dépourvu d’une certaine charge revendicatrice. Dans la mesure où Emma apparaît moins coupable que victime d’un système qui oriente son éducation, la pousse à consommer des romans qui la nourrissent d’illusions et la conduit à épouser un homme dont la méconnaissance de sa personne et de ses aspirations est complète, Flaubert invite ses lecteurs à réprouver le destin qui doit être le sien.
Dans le même sens d’un réquisitoire littéraire prononcé à l’encontre d’une situation qui enferme la femme dans des rôles qui lui sont imposés en raison de normes religieuses et sociales qui orientent définitivement dès sa naissance sa destinée, c’est encore un autre suicide féminin remarquable que Zola, champion du naturalisme et dont l’engagement pour un socialisme modéré est connu, s’attache à mettre en scène.
L’histoire de Madeleine Férat – qui date de 1868 - aborde la déviance féminine à plusieurs niveaux. Madeleine, épouse de Guillaume de Viargue, peut espérer connaître la quiétude d’une vie de couple en province ; mais l’arrivée inopinée de Jacques, camarade d’études de Guillaume, qui a été son premier amant, débouche sur un drame. Cet homme séduisant reconquiert la jeune femme. Selon une théorie courante à l’époque et qui aura des conséquences dramatiques, la femme qui se trouve « imprégnée » par son premier amant, ne peut que donner le jour à un enfant qui lui ressemblera, même si son père biologique est un autre homme. Le roman s’achève sur un double drame, Guillaume devient fou et Madeleine se suicide. La scène en question fait référence à l’empoisonnement annonciateur du beau-père : « Elle venait d’apercevoir le petit meuble marqueté dans lequel M. de Viargue avait enfermé les toxiques nouveaux, découverts par lui. Quelques minutes auparavant, en montant l’escalier, elle s’était dit : « Je me jetterai par la fenêtre ; il y a trois étages, je m’écraserai sur les pavés. » Mais la vue de l’étagère, sur les glaces de laquelle un doigt du comte avait écrit le mot : Poisons, en grosses lettres, lui fit choisir un autre genre de suicide. » [17] On l’aura compris : à la première idée d’une mort violente et brutale par défenestration, Madeleine Férat se laisse conduire par la loi non écrite de l’imitation selon laquelle la femme choisit assez naturellement le suicide par empoisonnement, moins spectaculaire, cantonné à la sphère privée, tandis que la défenestration, acte qui implique une certaine publicité dans le cadre urbain du roman, se serait jouée devant témoins.
Mais ce suicide a surtout une autre portée : il manifeste les contradictions inhérentes à l’institution du mariage qui, loin de prendre acte des aspirations légitimes de la femme à l’amour et à l’épanouissement de son être, se révèle emprisonner celle-ci dans le cercle fastidieux des devoirs conjugaux. Un tel roman doit être interprété en tenant compte d’une participation par empathie qui prend sa source dans la visée morale et sociale implicite de l’œuvre. Son engagement idéologique et la revendication en faveur d’une amélioration de la condition féminine dont il est porteur ne font pas de doute [18].
Une trentaine d’années plus tard, dans une chronique intitulée Par l’image, le polémiste libertaire Zo d’Axa rapporte, à son tour, le suicide par asphyxie d’une jeune fille, rue Marcadet à Paris, dont le scénario lui était connu puisqu’elle en avait lu le récit circonstancié dans L’Intransigeant Illustré. En faisant sienne la mise en scène choisie par le graveur, cette imitatrice avait laissé le journal incriminé bien en évidence chez elle, afin que « sa culpabilité fût bien démontrée et éclatante au grand jour ». Zo d’Axa, qui raconte dans les détails l’évènement et stigmatise le journal, fait revivre l’effet d’entraînement dont la malheureuse aurait été victime de la façon suivante :
« […] L’autre jour, précisément, l’organe des refroidis volontaires avait sentimentalement mis en valeur la mort d’une demoiselle. Il s’était complu à montrer de quelle façon une jeune personne, lasse de la vie, pouvait chercher un refuge dans l’asphyxie. On voyait, mollement étendue sur un lit de parade, une jolie fillette semblant rêver quelque songe berceur ; près du lit deux grands cierges brûlaient, tandis qu’une cassolette posée sur le sol exhalait de légers parfums qui lentement s’élevaient en transparentes spirales apportant, sans doute, à l’enfant endormie, l’éternel repos dans une dernière joie. Les murs de la chambrette étaient tendus de blanc. Des fleurs jonchaient les meubles…C’était poétique, c’était gentil, c’était séduisant. La Mort n’était plus la camarde avec sa faulx ; l’œuvre de l’Intransigeant la rendait enjôleuse. […] Avec un talent inqualifiable, le dessinateur avait donné, cette fois, la recette, la formule et le décor du plus joliet des suicides. Qu’importe, si ce n’était pas la scène qui avait eu lieu ?
C’était la scène à faire. Et on l’a faite cette scène ; et pas plus tard qu’hier – bien imitée, sans un oubli, - telle qu’elle avait été inspirée. Une jeune fille de dix-neuf ans, Mlle Louise Nanty, dont les parents sont de modestes négociants établis dans le quartier de Clignancourt, s’est sauvée de la maison paternelle, elle a loué une chambre dans un hôtel meublé de la rue Marcadet, et là, elle s’est donné la mort : elle a vécu le Suicide sentimental. La pauvre, elle aussi, a tendu de blanc les murs de la chambrette – avec les draps de son lit. Des cierges ont brûlé. Le réchaud a jeté, petit à petit, l’essaim des gaz empoisonneurs et elle est passée, l’enjôlée ! pendant que se fanaient les fleurs dont les meubles et le sol étaient jonchés…Sur une table, un numéro de l’Intransigeant illustré attestait l’entraînement dont la faible créature avait été victime :
La Provocation par l’Image… » [19]
L’idée de la contagion des pratiques déviantes par la presse et le roman est rassurante, elle permet de rendre compte d’un phénomène difficilement explicable autrement. Une telle interprétation est déjà ancienne, puisqu’on observe qu’à peu près dès sa naissance, le roman-feuilleton fut accusé d’être à l’origine des pires ignominies [20]. Il lui fut reproché, par exemple, d’avoir été à l’origine des forfaits de Madame Lafarge, lors d’une affaire restée célèbre dans les annales judiciaires [21]. Un tel point de vue est fréquent, et n’est pas seulement le fait des cercles bien pensants ou catholiques. Proudhon, par exemple, écrit en 1865, dans la même ligne : « Nous nous saturons de romans. » [22] Dans La Femme criminelle et la prostituée, publié la même année que l’ouvrage de Zo d’Axa, Lombroso et Ferrero relèvent, pour leur part, le cas du double suicide Bancel –Trousset, où l’initiatrice a, elle aussi, été influencée par une récente lecture : « ce fut la femme qui, sous la suggestion de la lecture d’Indiana [23], en eût la première idée. » [24] Pour ces criminologues ou ces philosophes, l’influence des médias qui alimentent sans répit les esprits de passions non maîtrisées est manifeste et participe, par provocation indirecte, à l’accomplissement de l’acte suicidaire. Or, d’après les psychologues confirmés du temps [25], le sens de l’imitation et la simulation se trouverait plus développé chez la femme que chez l’homme, et entraînerait, en conséquence, celle-ci à prendre des partis extrêmes, sans considération de la rupture morale qu’ils impliquent.
Toute la question est alors de savoir si ce penchant à l’imitation et l’inclination à opter pour des solutions excessives, relève proprement d’une spécificité féminine ou si la responsabilité des représentations du suicide par la presse et l’image est réellement engagée.
Arrivés à ce point de notre démonstration, il convient de clarifier quelle est la position prise en cette matière par les pouvoirs publics et la loi à l’encontre de celles qui choisissent la mort pour mettre fin à une situation intolérable. Or, l’acte suicidaire commis par l’individu en toute connaissance de cause ne fait l’objet d’aucune législation en France [26]. Par contre, la question du suicide à deux fait l’objet de jurisprudence. Le problème sous-jacent, pour le juge, est de déterminer si le suicide de la partenaire n’a pas été commandité, provoqué volontairement ou non par l’homme, et si, par conséquent, le suicide à deux, tel qu’il est présenté par le survivant, n’est pas une tentative d’homicide déguisé. Cette circonstance particulière donne lieu à de beaux cas de figures pour les criminalistes qui cherchent à départager suicide mutuel et homicide réciproque [27].
Dans l’hypothèse d’une provocation directe au suicide, l’accusation cherche à démontrer qu’un comportement malfaisant est à l’origine de la décision. Ainsi, le 31 janvier 1891, le Tribunal correctionnel de Montélimar condamne un certain Charbonnier à six mois de prison pour avoir été « par imprudence et par négligence » à l’origine de la mort de Marie S… [i] Après avoir séduit celle-ci, Charbonnier avait réussi à la persuader qu’il était décidé à se donner la mort en sa compagnie. Dans un premier temps, le séducteur avait tenté de la faire mourir « au moyen du charbon » pour finalement l’immerger dans une rivière. Or, à la lecture du jugement, on s’aperçoit que le tribunal fonde sa décision, moins sur « le calcul inqualifiable » de l’assassin présumé que sur sa « négligence inexplicable […] à ne pas chercher à donner ou à faire donner à cette jeune fille des secours qu’elle réclamait avec insistance. » Autrement dit, le tribunal s’intéresse moins à la répression du suicide en tant que tel, qu’à déterminer si ce dernier a été provoqué, volontairement ou non, et à en chercher le fautif. Car, seul le suicide sous influence est susceptible d’être pénalisé aux yeux du législateur.
Cette difficulté que constitue l’absence de répression à l’encontre des suicidés et des suicidaires est néanmoins dénoncée par certains juristes au nom du devoir de prévention et de protection qui, très tôt dans le siècle avec la promulgation de la fameuse loi du 30 juin 1838 sur le placement des aliénés, comme nous l’avons dit, fait bon ménage avec la médecine, et plus singulièrement avec la psychiatrie. Ces promoteurs de la répression pénale d’un suicide donnent alors de la voix. Ainsi, l’avocat Emmanuel Alpy soutient-il avec force l’idée d’incrimination du suicide : « Nous ne proposons pas la peine du fouet pour les suicidés, pas plus que nous voulons revenir au carcan ou à la marque ; mais peut-être trouverait-on d’autres peines honteuses atteignant le condamné dans sa considération. Telle serait la publicité donnée, par mesure de justice, à l’acte de tout individu qui se serait donné la mort. Son nom serait publié à l’Officiel, en le faisant suivre par exemple de ces mots : ‘‘Suicidé, lâche déserteur de ses devoirs d’homme et de citoyen’’. » [28] Ce juriste s’est taillé une petite notoriété parmi ses semblables en soutenant que les Assemblées révolutionnaires n’ayant pas abrogé les Ordonnances royales, le suicide reste punissable. Il propose en conséquence de moderniser la panoplie répressive par la confiscation des corps « enlevés aux familles et livrés aux amphithéâtres publics de dissection », par l’annulation du testament et la dégradation civique. « Dans les cas les plus graves, nous ne reculerions même pas devant une peine d’emprisonnement. »
À noter que cette thèse radicale accentue l’idée déjà présente, de façon certes moins inattendue qu’il ne le paraît, chez Durkheim, qui propose de « refuser au suicidé les honneurs d’une sépulture régulière, de retirer à l’auteur de la tentative certains droits civiques, politiques ou de famille, par exemple certains attributs du pouvoir paternel et l’éligibilité aux fonctions publiques. » [29]
Pourtant, dans un tel cadre, aucune disposition ne concerne spécifiquement la femme, perçue conformément aux normes de l’époque, comme un être inférieur et dépendant de l’homme. De telles tentatives de pénalisation laissent évidemment à penser que la femme suicidaire tombe sous le coup d’une même sanction idéologique. Toutefois, ces vœux de prophylaxie sociale radicale n’aboutissent pas, et seule est retenue, conformément à la loi, l’idée d’« incitation au suicide. » Dans ces conditions, comment avoir prise sur la femme, dont le lien avec le suicide est connu et dont les motivations, comme les moyens d’action, sont particuliers, et comment la dissuader d’opter pour la mort violente ? Telle est l’insoluble question, car il est évident que dans le cadre posé par la législation, ce ne peut être que par une stratégie détournée que les politiques publiques ont la possibilité de mettre en place des moyens adéquats de dissuasion.
Il revenait, sinon au législateur, du moins au juge, d’agir à la source de la « contagion suicidaire », spécifiquement féminine aux yeux de l’opinion du moins, en pointant du doigt ses vecteurs-incitateurs : le roman et la presse à grands tirages. L’intérêt des femmes pour le roman devient alors quasi-légalement sujet à caution. Le roman étant considéré par ses détracteurs comme essentiellement démoralisateur pour le “sexe faible”, car il favorise chez la femme, grande cliente et lectrice assidue de romans, l’effet dommageable d’entraînement et d’imitation d’un acte irrémédiable présenté comme héroïque. En effet, le suicide figure traditionnellement, comme un véritable lieu commun, au cœur du théâtre romantique, voire déjà dans la tragédie classique et dans les romans du XVIIIe siècle [30], où il constitue comme un acte héroïque, qui donne du relief à l’individu et le désigne à l’admiration de tous : « Un suicide pose un homme ! », comme le faisait remarquer ironiquement, en son temps, Louis Reybaud [31].
On assimilera l’effet du livre à une magie, la passion qu’il déclenche à une maladie. C’est l’avis, par exemple, d’Edmond de Goncourt, qui, en 1877 déjà, se fait le porte-parole du discours moralisateur de l’époque dans La Fille Elisa : « Chez la femme du peuple, qui sait tout juste lire, la lecture produit le même ravissement que chez l’enfant. Sur ces cervelles d’ignorance, pour lesquelles l’extraordinaire des livres de cabinet de lecture est une jouissance neuve, sur ces cervelles sans défense, sans émoussement, sans critique, le roman possède une action magique. Il s’empare de la pensée de la liseuse devenue tout de suite, niaisement, la dupe de l’absurde fiction. Il la remplit, l’émotionne, l’enfièvre. […] Heureuse de s’échapper de son gris et triste monde où il ne se passe rien, elle s’élance vite à travers le dramatique de l’existence fabuleuse. » [32]
D’ailleurs, au cours de ces mêmes années 1870, la lecture est clairement stigmatisée comme étant suicidogène. Ainsi, en 1873, H. Jouin, bien pensant déclaré, n’hésite pas à affirmer : « Cette jeune fille qui vient à l’étal du libraire chercher le roman nouveau qu’une « édition populaire » permet de débiter par fragments, - j’allais dire par doses, comme s’il s’agissait d’un poison, - et dont chaque fragment s’achète au prix dérisoire de « cinq centimes », voilà le colporteur terrible qu’il faudrait atteindre et que la loi n’atteint pas. Autant de lecteurs, autant de suicidés. […] Il y a de par le monde des constitutions robustes et des constitutions délicates. Il y a des hercules et des nains ; il y a des hommes et des enfants. » [33]
L’effet contaminateur du roman, est, pour ses détracteurs, souligné par l’illustration et par la gravure, qui exercent particulièrement sur la femme, selon eux, une véritable fascination. C’est un reproche couramment fait au roman et un lieu commun de la critique, bien pensante cela va de soi, mais aussi de ceux qui militent pour l’éducation populaire et le droit à l’instruction. Les lectrices cherchent à imiter le destin des héroïnes et leur attirance pour les aventurières est manifeste : « […] Je ne veux pas passer en revue le régiment des Amazones. La Bovary, Fanny, Lélia [34], le monde des amoureuses, les victimes d’amour ! […] Que chacun y loge ses souvenirs, et qu’on me dise s’il n’y avait pas du livre dans tout cela, - avant, pendant, après ? Elles ont un livre pour exécuter toutes leurs trahisons, poétiser leurs crimes ! » [35]
D’ailleurs, la perception du roman comme l’agent le plus actif de corruption et de démoralisation se trouve confortée depuis que le journalisme à bon marché l’a mis à la portée de toutes les classes de la société. Aussi, logiquement, est-ce la presse qui est la plus vigoureusement combattue comme second agent privilégié de la « contamination » féminine. C’est elle qui propage l’exemple funeste aux esprits faibles, c’est elle qui, dans cette optique, est coupable « d’assassinat ». Sur une telle base, la thérapie est évidemment facile à concevoir : tuer le mal dans l’oeuf en faisant le silence autour de lui.
La question de l’imitation contagieuse entraînant l’augmentation de la criminalité est, depuis longtemps, source d’inquiétude. Mais la discussion ne pouvait que s’amplifier avec l’essor considérable que connaît la presse quotidienne à partir des années 1870. C’est ce dont témoigne notamment la bibliographie donnée par Durkheim au chapitre de son livre intitulé « L’Imitation », qui relève pas moins de sept titres récents comportant les termes d’« imitation » ou de « contagion » [36]. Au rang des accusateurs déterminés de la presse à grand tirage, Séverin Icard, auteur d’un article intitulé « De la contagion du crime et du suicide par la presse », et publié dans La Nouvelle Revue, voit dans le succès des faits divers et des histoires romancées un risque accru de contagion épidémique : « Remontez d’un crime à un autre crime pareil, vous arriverez bientôt au sommet de l’échelle, au crime initial au-delà duquel vous ne trouverez plus son congénère et vous constaterez que bien des crimes marchent par séries. » [37] Toute la discussion dès lors s’articule autour d’une vulgarisation des thèses psycho-sociologiques de Gabriel Tarde, évoquées en début d’article, qui met l’accent sur le rôle prépondérant des mécanismes de l’imitation dans la propagation du crime en général et du suicide en particulier.
Pour autant cette idée, sujette à caution, d’un « virus du suicide », identifié métaphoriquement comme un germe de maladie à combattre, et non comme le signe d’un inconfort identitaire chez la femme, suscite tout autant l’élan polémique de ceux qui, en petit nombre, en rejettent l’idée. Ainsi, Ernest Coeurderoy, pamphlétaire libertaire, fustige en ces termes les tenants, à ses yeux hypocrites, de la corruption par l’écrit et l’image : « Ne me dites pas que l’odeur et la vue du sang sont contagieuses ; qu’un pareil spectacle nous fait oublier devoirs et famille, qu’il nous amène à douter de nos propres forces et de nos chances de bonheur dans cette vie. […] Si la tête du suicidé est si horrible à voir, elle détournera les hommes du suicide bien loin de les y pousser. Soyez conséquents avec vous-mêmes, criminalistes ! Ne tuez-vous pas les assassins pour frapper les sociétés d’épouvante ? Ne montrez vous pas leurs têtes coupées à la foule pour lui donner un exemple salutaire ? » [38]
Alors que médecins, psychiatres, criminologues, sociologues et autres experts continuent jusque tard dans le siècle à faire de l’acte suicidaire des femmes une marque de déviance pathologique et invitent à traiter préventivement celles qui en portent les stigmates, les romanciers – plus précisément de la mouvance réaliste et naturaliste - passent sous silence la coloration pathologique d’un tel acte pour mettre en avant, au contraire, le germe identitaire que, d’après eux, le suicide ainsi conçu recèle.
Tirant parti des drames de la vie quotidienne exploités par les journaux dans les faits divers et de l’émotion que ceux-ci suscitent, les romanciers infléchissent ces tragédies de la vie ordinaire et les rendent porteuses de revendications. Les Goncourt avaient fait campagne contre l’emprisonnement des femmes, Zola contre l’alcoolisme et la misère qui mènent celles-ci à la prostitution, voici qu’un nouveau front s’ouvre dans une même ligne à la prise de conscience : le déni que manifeste le suicide des femmes à l’encontre des règles de vie et des institutions qui leur imposent leur destin.
[1] G. Tarde, Les lois de l’imitation, présentation de Bruno Karsenti, Paris, Kimé, 1993 [1890], p. VIII.
[2] Sur le contexte de cette incrimination, A-C Ambroise-Rendu, Crimes et délits. Une histoire de la violence de la Belle Epoque à nos jours, Paris, Nouveau monde, 2006 ; L. Chevalier, Splendeurs et misères du fait divers, Paris, Perrin, 2004 ; F. Evrard, Faits divers et littérature, Paris, Armand Colin, « 128 », 1997 ; Th. Ferenczi, L’invention du journalisme en France, Payot, 1996 ; D. Kalifa, L’encre et le sang, Paris, Fayard, 1995 ; Ch. Marcandier, Crimes de sang et scènes capitales. Essai sur l’esthétique romantique de la violence, Paris, Presses Universitaires de France, « Perspectives littéraires », 1998 ; M.-E. Thérenty, La littérature au quotidien. Poétiques journalistiques au XIXe siècle, Paris, Le Seuil, 2007.
[3] J.-B. Cazauvieilh, Du suicide, de l’aliénation mentale et des crimes contre les personnes, comparés dans leurs rapports réciproques. Recherches sur ce premier penchant chez les habitans des campagnes, Paris, J.-B. Baillière, 1840, p. 52.
[4] M. Foucault, Les anormaux. Cours au Collège de France. 1974-1975, Paris, Seuil/Gallimard, « Hautes études », 1999, p. 134. La loi du 30 juin 1838 crée un asile par département, réglemente le régime des placements, soit « volontaires » (que l’entourage veut pour le malade), soit ordonnés par l’autorité publique et prévoit une procédure de recours contre les internements abusifs.
[5] C. Lombroso et G. Ferrero, La Femme criminelle et la prostituée, trad. de l’italien par Louise Meille, Revue par M. Saint-Aubin avocat général à Grenoble, Paris, Félix Alcan, 1896, p. 525.
[6] Ibid., p. 517.
[7] E. Durkheim, Le suicide. Etude de sociologie, Paris, Quadrige/Presses Universitaires de France, 1999, p. 8.
[8] Ibid., p. 196.
[9] C. Lombroso et G. Ferrero, La Femme criminelle et la prostituée, op. cit. , p. 524.
[10] Ibid., p. 522.
[11] Ibid.
[12] Les suicides féminins sont monnaie courante dans le roman de la période romantique, avec toutefois une signification toute autre : si Esther, dans Splendeurs et misères des courtisanes de Balzac, se donne la mort par le poison, c’est pour bien marquer l’aporie à laquelle la conduit sa situation de femme entretenue, bien qu’amoureuse ; son action n’est portée d’aucune revendication, et ne fait que manifester un sort douloureux qui doit provoquer l’apitoiement.
[13] Je me bornerai à rappeler ici l’exemple canonique de Le Rouge et le Noir, où Stendhal s’inspire très largement de l’affaire Antoine Berthet, modèle du héros, guillotiné le 27 février 1828.
[14] D’après l’article « Suicide » du Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle, de Pierre Larousse, tome 14, Paris, Administration du Grand Dictionnaire Universel, s.d., p.1216-1217, « on compte 30 suicides féminins contre 100 masculins » et il est fait état de 23 304 suicides constatés de 1861 à 1865. La répartition de ces suicides selon les moyens employés met au jour deux modes privilégiés par les femmes : la submersion (2090 cas pour 4656 concernant les hommes) et la strangulation et suspension (1496 cas pour 8413 concernant les hommes). L’asphyxie par le charbon arrive en 3e position (641 cas pour 1112 concernant les hommes), suivi de la chute d’un lieu élevé (274 cas pour 510 concernant les hommes), de l’empoisonnement (206 cas pour 281), de l’usage d’instruments tranchants ou aigus (137 cas contre 795) ou d’armes à feu (30 cas pour 2462). Les suicides de femmes par noyade ont donc la vedette. Comme exemple de ce mode de suicide, voir J. Claretie, Le Petit Jacques (Noël Rambert), Paris, Nelson, s.d. [1ère éd. : 1870], p. 344-345.
[15] Ibid., p. 459.
[16] Y. Leclerc, Crimes écrits. La littérature en procès au XIXe siècle, Paris, Plon, 1991, p. 93-94.
[17] Ibid., p. 366.
[18] Zola reprend, d’ailleurs, ce thème dans un autre de ces romans, La Faute de l’abbé Mouret (1875), où l’on voit Albine, enceinte de l’abbé, choisir de mourir – par asphyxie - « parmi les fleurs amoncelées autour de son lit », au moment même où la vache de la voisine fait son veau. La concomitance tragique et burlesque à la fois de ces deux actes fit à l’époque scandale.
[19] Zo d’Axa, « Par l’image » in Endehors, Paris, Chamuel éditeur, 1896, p. 20-23.
[20] Sur la dénonciation du roman-feuilleton et du récit à sensation, voir L. Dumasy (textes réunis et présentés par), La Querelle du roman-feuilleton. Littérature, presse et politique, un débat précurseur (1836-1848), Grenoble, Ellug, 1999, chapitre 1.
[21] Cette affaire, parmi beaucoup d’autres, a fait l’objet d’un récit d’Alexandre Dumas publié en 1866 et intitulé Marie Cappelle. Souvenirs intimes.
[22] P.J. Proudhon, Du Principe de l’Art et de sa destination sociale, Paris, Garnier frères, 1865, p. 355.
[23] Indiana, roman de George Sand.
[24] C. Lombroso et G. Ferrero, La Femme criminelle et la prostituée, op. cit, p. 518.
[25] Ossip-Lourié, La Graphomanie. Essai de psychologie morbide, Paris, Alcan, p. 157-158.
[26] Ce vide juridique en France est remarquable si on le compare à la situation anglaise. Dès le quatorzième siècle, en effet, on assiste dans ce pays à une criminalisation progressive du suicide, appelé felo de se, qui devient un crime de common law. Les lois sur le felo de se sont maintenues jusqu’en 1873, où toutes les sanctions imposées à la fois par le common law et le droit statutaire au crime de felo de se sont abolies, de sorte qu’à la fin du dix-neuvième siècle, seules la tentative de suicide et l’aide au suicide demeurent punissables en vertu de lois spéciales. Voir à ce sujet J. Martel, Le suicide assisté : héraut des moralités changeantes, University of Ottowa Press, 2002, p. 19.
[27] On relèvera plus tôt dans le siècle, en 1834, le cas d’une simulation de suicide à deux dont la femme fut victime et qui aboutit à une ordonnance de non-lieu en faveur de son amant. Voir à ce sujet la note à propos de l’arrêt de la Cour de cassation criminelle du 23 juin 1838, Recueil Sirey 1838, vol. 1, p. 625.
[i] Gazette du Palais, 1891, vol.1, suppl. 22.
[28] E. Alpy, De la Répression du suicide, Paris, thèse de droit, 1910, p.176.
[29] E. Durkheim, « Du suicide comme phénomène social. Conséquences pratiques » dans Le Suicide, op. cit., p. 426.
[30] C’est le cas de la Phèdre de Racine pour les tragédies du XVIIe siècle ; quant aux romans du XVIIIe, ils privilégient le palliatif au suicide et l’héroïne se laisse mourir d’épuisement, comme la Manon Lescaut de l’Abbé Prévost ou cède à la maladie, comme la Julie de la Nouvelle Héloïse de Rousseau. Mais la tentation du suicide est partout présente.
[31] L. Reybaud, Jérôme Paturot à la recherche d’une position sociale [1842], présenté par Sophie-Anne Leterrier, Paris, Belin, 1997, p. 158. La première édition de ce best-seller date de 1842.
[32] E. de Goncourt, La Fille Elisa [1877], Paris, Zulma, 2004, p.43-44.
[33] H. Jouin, Le Livre et l’ouvrier, Paris, Lachaud, 1873, p. 19.
[34] Il s’agit de trois romans mettant en scène « une femme amazone » : Madame Bovary de Gustave Flaubert, 1857 ; Fanny d’Ernest Feydeau, 1858 ; Lélia de George Sand, Paris, 1833.
[35] J. Vallès, « Les victimes du livre » dans Les Réfractaires [1865], Paris, Les éditeurs français réunis, 1955, p. 161.
[36] Il s’agit de l’ouvrage du docteur Lucas, De l’imitation contagieuse, Paris, 1833 ; Despine, De la contagion morale, 1870 et De l’imitation, 1871. ; P. Moreau de Tours, De la contagion du suicide, Paris, 1875 ; Aubry, Contagion du meurtre, Paris, 1888 ; Tarde, Les lois de l’imitation. Philosophie pénale, Paris, F. Alcan, p. 319 et suiv. ; Corre, Crime et suicide, p. 207 et suiv.
[37] Docteur S. Icard, « De la contagion du crime et du suicide par la presse », Nouvelle Revue, 15 avril 1902.
[38] E. Coeurderoy, « Jours d’exil » in Pour la Révolution, Paris, Champ Libre, 1972, p.170.
Trombert-Grivel Adeline, « L’Imitatrice. Suicides de femmes entre déviance, provocation et revendication », dans revue ¿ Interrogations ?, N°8. Formes, figures et représentations des faits de déviance féminins, juin 2009 [en ligne], https://revue-interrogations.org/L-Imitatrice-Suicides-de-femmes (Consulté le 21 décembre 2024).