Cet article s’intéresse – dans une perspective interdisciplinaire et via une méthode philosophique – aux représentations cinématographiques de deux figures mythiques contemporaines du monde, de la culture et de l’ethos numériques à l’âge des GAFAM : Steve Jobs (Apple) et de Mark Zuckerberg (Facebook). Nous commençons par poser les principaux jalons de la démarche heuristique mise en œuvre, puis, en dialogue avec Paul Yonnet, montrons que, pour être compris, ces mythes de la culture numérique contemporaine doivent être resitués dans un contexte plus large de passage de mythogenèses holistes à des mythogenèses individualistes. Leur étude permet alors de mieux comprendre la société numérique des individus et les relations, interactions et conflits de personnes et de valeurs qui s’y jouent. De tels mythes peuvent alors aider à apprendre à se diriger dans un monde contemporain complexe.
Mots-clés : numérique, éthique, mythe, herméneutique, cinéma
A philosophical look at two film biopics of two mythical contemporary figures of a digital world and its ethos in the age of GAFAM
This article focuses – in an interdisciplinary perspective and via a philosophical method – on the cinematic representations of two contemporary mythical figures of the digital world, culture and ethos in the age of GAFAM : Steve Jobs (Apple) and Mark Zuckerberg (Facebook). We begin by setting out the main milestones of the heuristic approach implemented (1), then, in dialogue with Paul Yonnet, we show that, in order to be understood, these myths of the contemporary digital culture must be resituated in a broader context of transition from holistic to individualistic mythogenesis (2). Their study then allows for a better understanding of the digital society of individuals and the relations, interactions and conflicts of people and values that are played out there (3). Such myths can then help to learn how to navigate in a complex contemporary world (4).
Keywords : digital, ethics, myth, hermeneutics, cinema
Le texte que l’on va lire émerge de préoccupations problématiques et de perspectives scientifiques procédant, comme on le percevra du reste aisément, de la philosophie politique, de la philosophie de l’éducation et de l’éthique interdisciplinaire. Toutefois, le souci qui les lie (et les dépasse) dans une quête heuristique de compréhension de la modernité démocratique de manière plus globale (Roelens, s.d.), et de notre contemporain en particulier, nous conduit à risquer ce que Dominique Wolton (2012 : 14) appelle – tout en la revendiquant – une approche indisciplinée. Ladite approche autorise, depuis un cadre interprétatif global explicité, à faire son miel de tout ce qui peut venir l’enrichir heuristiquement sans la fragiliser scientifiquement. En l’occurrence, nous nous intéressons ici à la rencontre d’un monde numérique et d’un ethos démocratique. On peut définir le premier comme un :
« syntagme [qui] met l’accent sur la dimension anthropologique, plutôt que strictement technique, des environnements virtuels, ainsi que sur des aspects fondamentaux de la relation humaine selon des fonctions qui ne sont, ni strictement rationnelles, ni directement utiles : informationnels, communicationnels (solidarités par exemple), cognitifs, culturels, mais aussi imaginaires, poétiques, spirituels » (Albero, Simonian, Eneau, 2019 : 592).
Du second, on peut dire avec Roberto Frega (2020 : 139-140) qu’il :
« désigne les caractéristiques individuelles qui doivent être diffusées au sein d’une communauté politique pour qu’une démocratie puisse se développer et se réaliser. […] Alors que l’idée d’une relation causale entre les valeurs morales et l’action sociale est fort problématique, la notion d’habitude permet d’établir un lien causal conceptuellement plus solide avec la réalité sociale ».
Dans les deux cas, la question des imaginaires partagés et partageables et des connexions plurielles entre les dimensions politiques, éthiques, culturelles et techniques des existences humaines et sociales est à la fois centrale et vive (voir aussi Rieffel, 2014), et son exploration ne peut sans doute s’envisager, à l’échelle d’un article, que comme un coup de sonde aussi ajusté que possible. Celui-ci participe lui-même d’un travail intellectuel plus global (décrit en détail dans : Roelens, Pélissier, 2023) dont il nous faut ici dire d’emblée un mot pour situer au mieux la perspective dans laquelle nous nous inscrivons. Sans méconnaître la pluralité interne de la culture numérique et de ses aspirations parfois contradictoires, allant de l’individuel libertaire et spontané au collectif régulé et/ou solidaire (Blondeau et Latrive, 2002 ; voir de manière plus synthétique Compiègne, 2021 : 41-42), l’apport singulier que cherche à apporter notre perspective est de comprendre la numérisation du monde comme l’accès des sociétés démocratiques (au sens ou Tocqueville et ses héritiers parlent de ces dernières et les décrivent) aux moyens techniques de pleines expressions de passions qui les travaillent de bien plus longue date, et de chercher à en tirer toutes les conséquences philosophiques. Cette démarche se distingue donc dans ses inspirations comme dans ses perspectives d’approches des mêmes phénomènes, que nous n’ignorons pas par ailleurs, puisant à une compréhension et une mobilisation du concept d’individuation (et de ses variations) allant de Gilbert Simondon (2005/2013 ; Château, 2008) à Bernard Stiegler (2008) et au mouvement Ars Industrialis (2006). Elle ne limite pas non plus la compréhension de la numérisation du monde à une forme d’encapsulage dans une critique sévère du productivisme techno-capitaliste et de ses conséquences écologiques comme le fait par exemple Fabrice Flipo (2021). En un sens, cette approche saisit l’appel à un humanisme numérique lancé par un auteur comme Milad Doueihi (2011 [2008], 2011, 2013) mais en le reproblématisant à l’aune d’une compréhension tocquevillienne de l’humanité démocratique marquée, aujourd’hui plus qu’hier et moins que demain, par des traits comme l’individualisme, le capitalisme culturel, la libéralisation des mœurs ou la passion du bien-être. Traits, donc, avec lesquels il faut a minima accepter de composer pour comprendre les mutations contemporaines et s’y orienter.
Pour progresser dans cette perspective heuristique, nous faisons donc le choix de nous intéresser ici plus spécifiquement aux représentations cinématographiques de Steve Jobs et Mark Zuckerberg. Nous avons en effet déjà publié il y a quelques années un texte, aisément accessible (Roelens, 2019a), présentant et détaillant un certain nombre d’analyses – des plus globales aux plus centrées sur des scènes clés - sur ces dernières. Cela nous permet ici d’y renvoyer pour le détail d’un travail dont nous mettons d’emblée les résultats au service du travail plus spécifique sur les mythes qui nous rassemblent dans ce dossier. Nous nous contenterons donc, au fil du présent texte, de livrer au lecteur les éléments les plus nécessaires à la compréhension de la démarche ici mise en œuvre. Les deux projets consistant à penser tantôt la dynamique démocratique (au sens où nous l’appréhendons en tocquevillien) tantôt les mythes au XXIe siècle nous paraissent ainsi pouvoir se nourrir mutuellement.
Nous traiterons donc ici pour ce faire de mythes attachés à la biographie même des fondateurs respectifs de Facebook et Apple (que nous avons appris à relier avec leurs homologues Google, Amazon, et Microsoft dans l’acronyme GAFAM désignant quelque chose comme l’Olympe de l’économie numérique mondialisée). Au-delà même des contraintes narratives et esthétiques propres du genre biopic, il nous semble qu’un imaginaire individualiste significatif émane de ces œuvres, une forme de mythe de l’individu tel qu’il devrait être à l’horizon idéal d’une démocratisation aboutie, avec ce que cela comporte d’enseignement comme de limites. Nous montrerons ainsi en outre que ces fictions jouent tout particulièrement sur une ambivalence constitutive du mythe, à savoir sa double dimension de discours de l’origine et de discours illusoire (Foray, 2016), ou en d’autres mots et en une formule qui résume en un sens le scénario des deux films : au commencement était supposée être une situation en quelque sorte à la fois trop ‘belle’ pour être vraie et à ce titre trop prompte à fournir une base solide et idéale pour s’en priver. L’idée de faire de l’étude des mythes une manière de saisir les imaginaires sociaux qui structurent des ensembles humains n’est certes pas neuve (Castoriadis, 1975 ; Godelier, 2015), non plus que celle consistant à se saisir de mythes contemporains dans toute leurs intrications avec le capitalisme culturel de masse (Barthes, 2014 [1957] ; Morin, 2017 [1962]). Il nous semble toutefois que, dans ce registre (et sans doute notamment pour de simples considérations biographiques s’agissant des auteurs cités) le monde numérique a moins été saisi que celui de l’avènement de la société de consommation dans les Trente Glorieuses. De plus, la posture critique comprise comme dénonciation des dominations et aliénations y prend nettement le pas sur celle, kantienne, de délimitation des sphères d’extension et de validité des concepts, ou celle, grecque cette fois, de discernement des discours et des phénomènes dans la finesse de leur grain. Par la mise en œuvre de cette dernière, nous nous demanderons pour notre part, premièrement, pourquoi et comment la manière dont Zuckerberg et Jobs sont représentés dans ces œuvres – sans être à proprement parler ni documentaire, ni à charge, ni hagiographique – tend à esquisser des incarnations paradigmatiques de certaines lignes de forces politiques et éthiques des sociétés des individus au XXIe siècle, telles que la numérisation du monde à la fois les révèle et les catalyse ; et deuxièmement ces exemples nous apprenant en retour quelque chose sur l’usage compréhensif et même pédagogique, en un sens que nous expliciterons, qui peut être fait des mythes et de leur étude au XXIe siècle.
Pour ce faire, nous commencerons par poser de manière plus détaillée les principaux jalons de la démarche heuristique que nous allons faire jouer. Une deuxième partie, pour laquelle l’œuvre de Paul Yonnet en général et sa saisie des mythes contemporains dans le domaine de l’alpinisme en particulier seront de précieuses sources d’inspiration, nous permettra de montrer que ces mythes de la culture numérique contemporaine doivent, pour être compris, être resitués dans un contexte plus large de passage de mythogénèses holistes à des mythogénèses individualistes. C’est donc de la société numérique des individus et à ce que l’étude desdits mythes peut nous apprendre quant aux manières dont les discours mythiques ici étudiés mettent en scène des relations, interactions et conflits de personnes et de valeurs que l’on peut décrire (dans une perspective néo-tocquevillienne) respectivement comme aristocratiques et comme démocratiques. Dans un quatrième temps, une ouverture conclusive nous permettra enfin de suggérer quelques pistes quant à l’usage auto-critique et auto-refléxif qui pourrait être fait de la connaissance et de l’étude de tels mythes pour apprendre à se diriger dans un monde contemporain sans cesse plus numérisé et aussi, en un sens, plus démocratisé.
Dans cette étude, nous nous focalisons sur l’étude de deux œuvres cinématographiques en particulier appartenant au genre du biopic tout en subvertissant certains codes usuels, à savoir, s’agissant de Mark Zuckerberg, The Social Network (2010), réalisé par David Fincher, et s’agissant de Steve Jobs, le film éponyme réalisé en 2015 par Danny Boyle.
Dans le premier, inspiré d’un ouvrage de Ben Mezrich (2010 [2009]), on suit sous les traits de Jesse Eisenberg le créateur de Facebook (en 2004, le nom de la société étant alors précédé de l’article The et ce jusqu’en 2005) du lancement en 2003 du site Facemash [1]] qui le fit connaître – pour le meilleur et pour le pire – sur le campus d’Harvard, au règlement entre 2005 et 2009 de ses litiges juridiques avec d’autres anciens étudiants réclamant une partie de la paternité de Facebook : son ex-meilleur ami Eduardo Saverin et les associés Tyler et Cameron Winklevoss et Divya Narendra. Ses relations, d’une part avec deux autres personnages importants dans l’histoire de l’entreprise, Sean Parker (fondateur de Napster) et dans une moindre mesure le programmeur Dustin Moskovitz, et d’autre part avec deux personnages féminins fictifs, sa supposée ex petite-amie Erica Albright et une de ses avocates Marilyn Delpy, occupent également une place importante dans l’intrigue. Le scénario permet aussi d’évoquer les rapports compliqués du personnage avec le corps enseignants d’Harvard, de même que certains évènements importants pour le développement de Facebook comme l’investissement de Peter Thiel (co-fondateur de Paypal avec Elon Musk) au capital de l’entreprise et le déménagement de celle-ci à Palo Alto en 2004.
Le second film opte pour une narration cette fois chronologique (à l’exception de quelques rares flashbacks sur la période dite ’du garage’, essentiellement en 1976) mais focalisée sur trois moments clés de la vie professionnelle d’un Steve Jobs interprété par Michael Fassbender, soit les lancements respectifs des ordinateurs Macintosh 128K (1984), NeXT Computer (1988) et iMac (1998). Là aussi, les relations familiales, amicales et professionnelles du personnage constituent l’essentiel des péripéties. On le voit ainsi traverser les conflits de plus en plus ouverts avec son ex-conjointe Chrisann Brennan et se rapprocher peu à peu de la fille qu’il a eu de celle-ci, Lisa Brennan-Jobs, qu’il ne voudra pas reconnaître pendant plusieurs années. Il tisse également des relations mêlées d’amitiés, de respect, de rancunes et de confrontations avec Steve Wozniak, son complice co-fondateur d’Apple, John Sculley, ex-PDG de Pepsi auquel il demanda en 1983 de prendre la tête de la firme à la pomme, et l’ingénieur Andy Herzfeld, qui fut responsable du système d’exploitation du Macintosh. On le voit ainsi essuyer les sévères échecs commerciaux des deux premiers produits, puis triompher avec le troisième, tout en se montrant intransigeant dans l’ensemble de ses relations personnelles. Durant toutes ces péripéties, son amie et responsable marketing Joanna Hoffman, est à ses côtés et s’efforce au mieux, comme elle le dit elle-même, de rendre son comportement compréhensible pour les autres.
Bien des choses lient ces deux films, outre le fait sur lequel nous reviendrons plus longuement ci-après de partager le même scénariste, Aaron Sorkin (David Fincher devait d’ailleurs réaliser aussi le second film avant de se retirer du projet en 2014 et d’être remplacé par Danny Boyle). Ils ont également été tous les deux d’importants succès critiques. Le point le plus important dans la perspective qui est la nôtre est que ces œuvres ont à chaque fois moins cherché à faire une biographie au sens académique, journalistique ou littéraire du terme, ou même un biopic hollywoodien de facture classique, que quelque chose de plus conceptuel, à thèse sans connoter cette expression négativement. Si, pour toute ces raisons, ce choix de corpus nous parait cohérent au plan interne, il nous conduit en revanche à laisser de côté deux autres œuvres antérieures consacrées au co-fondateur d’Apple, dont il nous faut néanmoins dire un mot. Le premier est un téléfilm de Martyn Burke, Les pirates de la Silicon Valley (1999), dans lequel Steve Jobs est interprété par Noah Wyle, et dont la trame centrale est la rivalité naissante entre Apple et Microsoft, à travers les duos respectifs des deux Steve, Jobs et Wozniak, d’une part, de Bill Gates et de Paul Allen d’autre part. Le second est Jobs, biopic réalisé par Joshua Michael Stern, sorti en 2013, qui joue un empan plus large (des études de Steve Jobs au Reed College au début des années 1970 au lancement par Apple de l’iPod en 2001), qui s’attache également davantage à montrer l’influence des expériences alternatives du personnage dans les héritages de la culture hippie pour la genèse du créateur qu’il devint. Les succès critiques et publics de ces deux films ayant été nettement inférieurs à ceux qui composent notre corpus, et leur exploration nous semblant potentiellement intéressante en soi mais moins riche sur le thème spécifique des mythes au XXIe siècle, nous ne développerons cependant pas davantage à leur propos.
Il nous faut en revanche préciser à présent comment nous avons procédé dans l’analyse de ce corpus, une fois ce dernier constitué, ou plus exactement à quelles ressources la philosophie des salles obscures que nous proposons, pour reprendre le mot de Stanley Cavell (2011) tout en nous situant dans une tradition théorique différente, puise.
L’abord que nous proposerons ici est donc essentiellement herméneutique (Ricoeur, 1986 ; Roelens, 2019b), au sens où il consiste à pratiquer l’« art de discerner le discours dans l’œuvre » (Ricoeur, 1986 : 124). Ce faisant, nous prenons acte d’une extension du domaine des œuvres de formation (Roelens, 2022) permise par la démocratisation culturelle et les déploiements technologiques hypermodernes, et de la nouvelle carrière que cela ouvre aux notions d’éthicité (le devenir-sujet dans sa dimension éthique au sens large) et de Bildung (la formation informelle de soi par l’expérience et l’immersion culturelle). Dans cette logique, un film est l’un des médiums constituant l’une des nombreuses propositions faites aux individus contemporains pour se construire eux-mêmes en fonction de l’appropriation subjective qu’ils peuvent ou non en faire. Une telle perspective marque aussi un contrepoint assez net avec un autre type de proposition d’analyse de la société numérique des individus que l’on doit à Mark Hunyadi – dans le prolongement de ses travaux sur les modes des vies contemporains (Hunyadi, 2015) – d’avoir exprimé de manière à la fois claire et vigoureuse (Hunyadi, 2019). Selon ce dernier, la numérisation du monde, au plan culturel comme au plan démocratique, ne pourrait se lire que sous le prisme de la perte et de la réédition au pratique au détriment du vraiment humain et surtout de l’idéal démocratique lui-même.
« L’appauvrissement de la vie de l’esprit que nous avons diagnostiqué, écrit-il ainsi, est coextensif à la consolidation du sujet libidinal qui, après le sujet de droit, pourrait bien être la nouvelle idole du monde qui vient. Autant le sujet de droit était la grande conquête de la modernité démocratique, avec son autonomie juridiquement protégée contre tous les abus et discriminations arbitraires, contre toutes les immixtions étatiques dans sa sphère privée, autant le sujet libidinal – qui en est issu – s’annonce comme le prochain type anthropologique. Il correspond à une époque qui a conduit à reléguer au second plan le sujet de droit, au profit d’un sujet davantage guidé par le principe de commodité que par ceux de liberté, d’égalité ou de solidarité » (Hunyadi, 2019 : 126-127).
Nous soutenons au contraire que le type d’individu dont les mythes ici étudiés livrent, comme on le verra, une incarnation paradigmatique, marque moins une éclipse de l’individu de la modernité démocratique que le plein déploiement – et, au demeurant, sans doute aussi irrésistible en bloc que problématique dans le détail – de ce même individu, qui comporte certes dans son portrait les éléments que Mark Hunyadi attribue au sujet libidinal, mais sans révoquer pour autant les éléments précédents. Entre les deux interprétations, c’est sans doute le rapport à l’hybris humaine et au prométhéisme – pêchés mortels pour les uns, propres émancipateurs de l’humain pour les autres, thèmes mythiques s’il en est dans tous les cas – qui est déterminant. Or il nous faut ici comprendre en quoi ces mythes (des) fondateurs représentent des discours cohérents sur ce point du point de vue de la manière dont un individu contemporain peut être électivement porté à se concevoir.
Pour mettre en œuvre cette démarche analytique, un certain nombre d’étais nous ont été précieux et il nous parait important de les présenter brièvement. Pour tout ce qui touche à la méthodologie de l’analyse de films et des dynamiques d’adaptation cinématographique, nous nous sommes appuyés sur les propositions du Laurent Jullier, en particulier celle touchant à au souci de comprendre ce que le film cherche à nous faire penser et ressentir (2012) et à l’identification des choix respectifs de fidélité et de trahison par rapport à une biographie ou à une œuvre originale dans ce qu’ils ont de significatifs (Cléder, Jullier, 2017).
Concernant les trajectoires de Mark Zuckerberg et Steve Jobs (et de leurs entreprises phares), nous avons à la fois fait fond sur d’importantes biographies du premier (Kirkpatrick, 2011 [2010] ; Ichbiah, 2018) comme du second (Ichbiah, 2017 [2011] ; Isaacson, 2011), tout en nous efforçant de les replacer dans une perspective historique et idéologique plus vaste et profonde sur Internet (Compiègne, 2007 ; Loveluck, 2015) et la Silicon Valley (Benoit, 2019).
Nous bénéficions également ici du fait de pouvoir emprunter des chemins que nous avons pavés lors de travaux personnels antérieurs dédiés à ces deux films, au prisme de la notion d’autorité et, par corollaire, de figures d’autorité contemporaines (Roelens, 2019a, 2019c). Ce que nous entreprenons ici se veut donc à la fois complémentaire de ces premières explorations – en particulier en mettant au travail les potentialités heuristiques propres du concept de mythes –, inscrit dans leur continuité mais intégrant aussi certains renouvellements de perspectives que d’autres de nos travaux connexes sur la culture numérique (Roelens, à paraître en 2023) rendent possibles.
Il est toutefois un point d’appui dont l’importance pour notre présente tentative de saisie sur le vif de mythes contemporains dans leur élaboration même excède de loin ce que nous pouvons présenter en quelques phrases au titre d’étais, et auquel il nous faut à présent consacrer de plus longs développements.
Sociologue du sport (Yonnet, 1998, 2004) et des loisirs (Yonnet, 1985, 1999), théoricien de la mutation anthropologique contemporaine induite par les bouleversements conjoints de la médecine, de la démographie et des droits des individus (Yonnet, 2001, 2006), Paul Yonnet fut aussi l’une des principales plumes – notamment via ses contributions à la revue Le Débat et au côté d’auteurs comme Marcel Gauchet et Gilles Lipovetsky – d’un tournant néotocquevillien (Audier, 2005) qui touche le monde intellectuel français au début des années 1980 et qui fait de l’individualisme, de la démocratie et d’une culture du bien-être et de l’égalité des objets centraux de la saisie du contemporain par la pensée. Déjà en son temps, Tocqueville (1981 [1840]) notait, en effet, que l’avènement de la démocratie et le travail irrésistible de l’égalisation des conditions ne transformaient pas seulement les sociétés humaines dans leurs dimensions concrètes, mais plus encore dans leurs perceptions symboliques et dans les domaines respectifs du croyable et du pensable. À ce titre, on doit à Paul Yonnet une proposition interprétative particulièrement stimulante quant à ce que le rapport aux mythes contemporains des sociétés démocratiques révèle respectivement des avancées attribuables et résistances constatées aux processus décrits par Tocqueville. Aussi, si nos propres analyses sur cette thématique des déploiements contemporains de l’individualisme démocratique s’éloignent le plus souvent assez radicalement des siennes pour tout ce qui touche au volet normatif du travail philosophique, nous soutenons en revanche que son œuvre comporte des ressources heuristiques particulièrement précieuses, et ce pour l’étude des mythes contemporains tout particulièrement, comme ce qui suit vise à le montrer.
Les principaux composants de la démarche d’analyse des mythes que propose Paul Yonnet – schématiquement, leur statut de discours de l’origine ; les controverses autour de la factualité de leur commencement ; la nécessité d’appréhender tant leur charge symbolique que ce qu’il peut respectivement y avoir de rationnel ou d’irrationnel dans le discours qu’il constitue – sont sans doute assez classiques. En revanche, la compréhension qu’il en propose – en se focalisant sur l’étude de mythes contemporains – se veut plus originale (Yonnet, 2003 : 88-126), et il nous faut ici la restituer succinctement. Il tient avant tout à se démarquer de l’abord fonctionnaliste des mythes, qui, selon lui : « aborde le mythe comme une construction élaborée de toutes pièces, destinée à répondre à un besoin social et à sceller un lien collectif dans une vision du monde » (Yonnet, 2003 : 120). Il ne nie certes pas que de
« tels mythes existent, à l’époque moderne, mais ce sont des récits triviaux, inventés en toute conscience, [qui] constituent une catégorie dégradée du récit mythique, un récit piloté en pleine conscience par le savoir que nous croyons détenir sur la manipulation des foules » (Yonnet, 2003 : 121).
Il ne se montre pas davantage convaincu par la saisie des mythologies par Roland Barthes (2014 [1957] : 7, également cité par Yonnet, 2003 : 122) – en particulier son ambition de « rendre compte en détail de la mystification qui transforme la culture petite-bourgeoise en nature universelle ». L’une comme l’autre thèse rabat par trop, selon lui, le mythe sur la seule catégorie du mensonge, à dévoiler comme tel dans toute sa crudité en un geste qui, ce faisant, en annulerait le pouvoir d’action sur les individus et les collectifs. La thèse structuraliste est selon lui plus intéressante car elle reposerait sur l’hypothèse selon laquelle « en rapportant chacun des mythes, après les avoir comparés, à […] une matrice générale où puiserait l’organisation des apparitions du mythe à travers les cultures [on pourrait montrer que] pour être physiquement faux, les mythes seraient métaphysiquement vrais » (Yonnet, 2003 : 120), même s’il n’en ignore pas les limites. Ces trois possibles, au final aporétiques selon Paul Yonnet, souffriraient, en fait, soit du refus idéologique (mû par une quête de mystifications à dénoncer) soit, dans le cas des fonctionnalistes et des structuralistes, de « l’impossibilité [native et quasi ontologique] d’accéder à l’expérience originaire du mythe » (Yonnet, 2003 : 120), et donc de pouvoir le considérer aussi comme une réalité première à partir de laquelle des discours s’élaborent de manière complexe (et non pas sont simplement élaborés de toutes pièces par quelque manipulateur en chef) et fortement heuristique pour l’étude des sociétés comme des psychismes humains. Au contraire, à condition d’accepter de parler de mythes pour désigner des récits d’évènements sans doute plus triviaux et humains – qui peuvent être aujourd’hui, comme on le verra, un exploit sportif ou une création d’entreprise – que ce vers quoi ce terme peut faire signe lorsqu’on parle du passé, d’autres possibilités compréhensives s’offrent à nous. À ces conditions, donc :
« l’étude des véritables mythes contemporains [peut nous apprendre] que l’expérience originaire est non seulement première mais réelle. Quelque chose existe indépendamment du récit qui la traduira. Le référent du récit est donc double : une expérience première, réelle, et la communauté des hommes à laquelle il s’adresse en un certain moment de leur histoire, à laquelle il parle. Au travers de ce récit, les hommes vont se parler entre eux » (Yonnet, 2003 : 121).
Autrement dit, pour nous qui « avons la chance et le privilège d’assister à la naissance en temps réel » (Yonnet, 2003 : 119) de nouveaux mythes, s’offrent des occasions précieuses d’agir non en « décodeurs d’une vérité intérieure » (Yonnet, 2003 : 120) mais en herméneutes au sens présenté ci-avant.
Paul Yonnet, pour sa part, saisit ladite chance en concentrant ses analyses sur le mythe de l’Annapurna, tel qu’il s’est déployé après l’ascension réussie en 1950 de ce premier sommet de plus de 8000m par une expédition française et dont les protagonistes principaux sont le chef d’expédition Maurice Herzog (qui narrera cet exploit dans un livre à très grand succès en 1952) et les guides Louis Lachenal (qui l’accompagna au sommet au prix de ses pieds), Gaston Rébuffat et Lionel Terray (qui leur permirent, en les assistant à la descente, d’en revenir en vie). Il nous faut ici réduire à l’épure les différents déploiements que Paul Yonnet, lui-même praticien et excellent connaisseur de l’alpinisme, donne à ses analyses. Il écrit en effet dans une période où des voix se sont progressivement élevées pour remettre en cause le récit ‘officiel’ de cette ascension, celui de Maurice Herzog et du Comité Français de l’Himalaya, pour un crescendo allant de critiques morales sur la personnalité de ce chef d’expédition à l’affirmation qu’il n’a purement et simplement pas atteint le sommet, thèse à laquelle Paul Yonnet – comme beaucoup d’autres spécialistes de la montagne – ne donne aucun crédit. Ce qu’il s’agit alors de comprendre selon lui est bien plutôt pourquoi Maurice Herzog put d’abord, dans une relative unanimité, accéder au statut de héros national, puis faire l’objet d’une forme renouvelée de ce que Paul Bénichou (1948) a appelé dans un autre contexte un processus de démolition du héros (la remise en cause de la factualité de l’expérience originaire de l’atteinte du sommet de l’Annapurna ne jouant ici que le rôle de moyen possible dudit processus). La thèse de Paul Yonnet est au fond la suivante : Herzog, figure de chef résistant et patriote mystique, est le héros mythique que la France de l’après-Guerre et des années 1950, entre reconstruction nationale et emprise demeurant prégnante d’un certain nombre de structures traditionnelles, est spontanément prête à se donner et à reconnaître comme tel, fut-ce au détriment de la figure des professionnels qu’incarnent Louis Lachenal et Lionel Terray, et plus encore de la figure de l’esthète individualiste qu’incarne déjà, et qu’investira plus encore par la suite, Gaston Rébuffat [2]. S’opèrerait ensuite, au tournant des décennies 1960 et 1970, un tournant civilisationnel décisif où tout ce qui demeurait d’emprise de valeurs traditionnelles – qu’Alexis de Tocqueville, nous y reviendrons, nommait aristocratiques – et que l’on peut plus simplement qualifier d’holistes (faisant primer le tout social sur les parties individuels) s’évaporerait dans un mouvement où le « service de collectivités d’appartenance et d’objectifs dépassant les existences individuelles a perdu de sa validité idéologique et sociale » (Yonnet, 2003 : 103). Le grand alpiniste – au plan éthique – et la figure mythique au point qu’une photo de lui sera placée dans la navette Voyager pour témoigner à une éventuelle vie extraterrestre des pratiques humaines (Yonnet, 2003 : 105), n’est alors plus Herzog mais Gaston Rébuffat, qui incarne « un individualisme délivré du souci de servir au-delà de lui-même » (Yonnet, 2003 : 104), et qui déjà sut résister en lui puis s’opposer ensuite publiquement à ce qu’il y avait d’autoritaire et de disciplinaire dans l’expédition à l’Annapurna. Une même expérience originaire donne donc naissance en quelque sorte à deux mythes successifs, témoins de l’individualisation et de la détraditionalisation des sociétés occidentales.
Il nous semble, mutatis mutandis, que l’esprit général de cette analyse peut utilement nous inspirer pour celle que nous voulons mettre en œuvre des mythes touchant aux figures des fondateurs de Facebook et Apple, dont l’esprit général est de dire que les figures de Mark Zuckerberg et Steve Jobs ne pouvaient accéder au statut qui fut le leur que sur la base d’une mythogenèse individualiste. Il nous faut cependant pour cela clarifier auparavant deux points : ce qui nous parait pouvoir permettre de rapprocher en un certain sens la thématique de la révolution himalayenne en quoi consiste l’ouverture d’un premier 8000 et la numérisation du monde dans sa phase la plus contemporaine ; ce en quoi notre perspective sur l’individualisme diffère in fine, essentiellement normativement mais avec des implications compréhensives, de celle de Paul Yonnet. Pour le premier, remarquons pêle-mêle et sans prétention d’exhaustivité qu’il s’agit de deux activités humaines récentes à l’échelle des temps historiques, qui ont pu l’une comme l’autre être décrites dans le lexique de l’odyssée (Cazeaux, 2014) et des pionniers intrépides. La catégorie du vertige comme outil d’analyse de l’expérience humaine (Yonnet, 2003) peut être mobilisée pour traiter de l’une comme de l’autre, au sens littéral pour la montagne, pour évoquer des progrès vertigineux de telle ou telle technologie dans la période récente. L’une et l’autre ont eu à se confronter – et souvent à répondre brillamment – à ce que l’on peut appeler l’objection de l’inutilité (Terray, 1961) par rapport à d’autres activités humaines jugées plus essentielles. Toutes deux ont fait l’objet de critiques précoces de leur marchandisation (Krakauer, 1997) au profit de la mise en avant d’un âge d’or de la pureté et du désintéressement. En revanche, si l’ancrage culturel des mythes alpins et himalayens sont pluriels (selon les pays d’origine des expéditions ou en liens avec les peuples locaux), l’épopée des GAFAM apparaît avant tout comme une histoire américaine (Collectif, 2021), mais portée ensuite par la globalisation. Reste qu’il s’agit dans les deux cas d’histoires de petits groupes d’hommes, unis dans une même expérience fondatrice et risquée dans leurs registres, et confrontés individuellement, dans la réussite comme dans l’échec, à des fortunes différentes. Pour le second point, disons simplement que là où Paul Yonnet campe in fine – et surtout dans ses derniers textes (2017) – sur une forme de condamnation morale de l’individualisme démocratique à partir d’un certain degré de déploiement, notre propre démarche est davantage d’assumer une forme d’individualisme normatif, et de chercher à penser son accompagnement adéquat dans un monde complexe qu’il s’agit avant tout, pour ce faire, de comprendre.
L’ensemble de notre travail sur la dynamique de numérisation du monde s’inscrit ainsi dans un souci de la pensée dans sa forte intrication avec celle de démocratisation. En effet, si c’est une perspective dont les volets sociologique ou psychosociologique et sémiotique sont explorés densément et de manière stimulante respectivement par des chercheurs comme Dominique Cardon (2010, 2019) et Isabelle Compiègne (2011, 2021) son volet éthico-politique l’est sans doute moins et de manière plus éparse (Germain et al., 2002). Plus encore, c’est ici souvent une rhétorique du contre compris de manière univoque comme ’en opposition avec’, comme lorsque le bandeau d’un ouvrage de Fabien Benoit (2019) porte la mention « La Silicon Valley contre la démocratie », qu’Antoine Garapon et Jean Lassègue (2021) parlent du numérique contre le politique ou encore que Nikos Smyrnaios (2017) envisage les GAFAM contre l’Internet. Sans discuter la pertinence de ces analyses dans leurs registres, on peut toutefois penser qu’elles gagneraient, en la matière, à faire plus de cas de la polysémie du contre, c’est-à-dire le sens ‘en appui sur’, car c’est bien aussi en appui sur une dynamique démocratique qui précède le numérique et l’englobe – et que l’Internet comme le politique au sens contemporain incarnent aussi à leurs manières – que ces géants de la numérisation du monde se déploient. Plus précisément, encore, le concept qui permet de faire le lien entre toutes ces dimensions est sans doute celui, tocquevillien par excellence d’individualisme démocratique :
« L’individualisme est un sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s’isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l’écart avec sa famille et ses amis [3] ; de telle sorte que, après s’être ainsi créé une petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même. […] L’individualisme est d’origine démocratique » (Tocqueville, 1981 [1840] : 125).
« Dans les siècles démocratiques […], le dévouement envers un homme devient plus rare : le lien des affections humaines s’étend et se desserre. […] » (Tocqueville, 1981 [1840] : 126).
Notre thèse sur ce point (Roelens, 2022, 2023) est que la numérisation du monde donne en quelque sorte aux individus contemporains les moyens techniques de donner libre cours à des passions démocratiques qu’ils cultivent par devers eux de longue date dans ce domaine, mais qui trouvent désormais leur effectivité pratique et leur déploiement, donc leurs pleines conséquences. Comme Tocqueville, nous pensons que ce mouvement est sans doute aussi irrésistible que celui de l’avènement de la démocratie, mais sans doute avons-nous moins confiance que lui dans les vertus civiques, la vie politique et la reviviscence de quelques vertus aristocratiques sous d’autres formes plus républicaines pour apprendre à l’apprivoiser, et davantage dans les ressources culturelles que ce même mouvement fait également croître et dont les individus peuvent se saisir. Autrement dit, les œuvres culturelles en générale et les films en particulier que produit la société numérique individualiste constituent pour elle une manière de se dire, pour les individus qui y vivent une ressource pour devenir eux-mêmes, et ici pour nous une manière de saisir les rouages de ces processus avec plus d’acuité.
Il nous faut commencer par rappeler quelques éléments, que nous avons développés en longueur ailleurs (Roelens, 2019a), à propos de ces deux films et qui constituent ici un arrière-plan important pour nos analyses. Premièrement, soulignons le rôle clé du scénariste Aaron Sorkin – décrit dans sa profession comme un homme de discours pour la densité verbale et théorique de ses scripts – dans la genèse de ces œuvres, à tel point qu’il a pu en être considéré comme le véritable concepteur et qu’il en récolta moult lauriers. Or ce dernier assume pleinement d’avoir cherché avant tout à tirer prétexte de deux vies et de deux histoires d’entreprise pour tenir un propos plus métaphorique sur les manières de vivre et d’entrer en relation aujourd’hui, quitte pour cela à inventer des personnages supplémentaires, à en faire intervenir ou disparaître d’autres ayant vraiment existé lors d’évènements où ils étaient actuellement absents ou présents. En revanche, s’agissant des aspects touchant à l’histoire et la genèse des produits et sites eux-mêmes (les expériences originelles au sens évoqué ci-avant) il se tint à une plus grande fidélité historique. Deuxièmement, les trajectoires personnelles de Mark Zuckerberg et de Steve Jobs sont bâties dans ces films comme des incarnations archétypales d’un succès face au défi contemporain du devenir individu [4] : une individuation psychique (la construction de soi comme sujet) à base d’estime de soi démesurée et de capacités d’assertivité hors normes ; une individualisation sociale (assumer son statut d’individu en société) rendue possible par l’immense reconnaissance publique obtenue par leurs succès créatifs et entrepreneuriaux, y compris en sachant dépasser de nombreuses embûches. Toute inscription dans le collectif est ainsi pour eux source de conflictualité (et l’imagerie du western et des duels qu’il contient est omniprésente), que seules des figures médiatrices (et féminines), à savoir Marilyn Delpy pour Mark Zuckerberg et Joanna Hoffman pour Steve Jobs, permettent de gérer ou de dépasser. C’est ainsi une conception de l’être-soi et de l’être-ensemble à la fois cohérente en plan interne et potentiellement assez effractive au plan externe pour certaines sensibilités – car caractéristique du rugged individualism des mythiques pionniers américaines dénoncé en son temps par John Dewey (2018) – qui est incarnée et présentée.
Les développements qui précèdent nous permettent à présent d’approfondir l’analyse a la manière de Paul Yonnet. Nous nous focalisons donc plus spécifiquement sur les relations et interactions [5] entre les différents personnages qui participent de la scène originelle (soit la création et le développement des entreprises concernées) des mythes ainsi narrés. Nous avons ainsi été particulièrement attentifs à ce qui, dans le récit, les fait ou non occuper le devant de la scène ou glisser en coulisse, ou encore à ce qui, dans la mise en scène, vise à susciter l’admiration, l’empathie ou la désapprobation des spectateurs par rapport à l’attitude de tel ou tel personnage.
Certains personnages de ces films, alliés/amis puis antagonistes de Mark Zuckerberg et de Steve Jobs au lancement de leurs entreprises respectives, incarnent une forme d’attachement à des valeurs d’amitié durable et profonde, de confiance et de reconnaissance de la contribution de chacun, à savoir exemplairement les personnages d’Eduardo Saverin et de Steve Wozniak tels qu’ils apparaissent à l’écran. Ils constituent donc un point d’appui précieux pour les héros fondateurs, mais cette forme de code moral est aussi leur limite, ils font par ailleurs des erreurs lourdes de conséquences, et, pour le dire comme Aaron Sorkin le fait dire à Steve Wozniak en référence aux Beatles (autres mythes contemporains s’il en est), restent dans l’histoire comme des Ringo Starr quand ils auraient pu prétendre être John Lennon. Ainsi s’échafaude le mythe de l’individu qui réussit justement parce qu’il assume pleinement son individualisme, au sens tocquevillien, et n’est plus tourmenté par la douleur du membre amputé de quelque code moral d’inspiration aristocratique.
Les figures des ‘patriciens’ membre des finals clubs de Harvard tels que les jumeaux Winklevoss, ou plus encore un John Sculley qui correspond à ce qui semblait être le modèle de la réussite sociale aux États-Unis pour la mère biologique de Steve Jobs – riche, diplômé, catholique – incarnant eux quelque chose comme un capitalisme et une classe supérieure dépassée par le vent d’une nouvelle ère techno-industrielle, gestionnaires et rentiers plus qu’innovateurs et créateurs, l’œil rivé sur la demande plutôt qu’occupés à mettre les mains dans les circuits et les codes pour créer l’offre et changer le monde, rêvant plutôt secrètement que rien ne change socialement quand bien même le changement économico-technique nourrit leurs dividendes, là où les vrais artistes et chefs d’orchestres du numérique vivent peu ou prou comme des moines ascétiques. Ainsi, à nouveau, se construit le mythe d’une puissance d’innovation destructrice nichée dans le tréfonds des individus, et contre laquelle nulle infrastructure économique ou superstructure socio-politique ne peut espérer résister.
Enfin, le personnage de Sean Parker dans The Social Network est lui plus complexe, car, si sa contribution effective au développement d’une entreprise qu’il n’a pas fondée semble superficiel, il incarne quelque chose comme l’individualité ‘bigger than life’ par excellence. Il fascine Mark Zuckerberg et a d’abord le dessus, par ce biais, sur Eduardo Saverin auquel il s’oppose. Mais, victime de sa propre inconduite et de son imprudence, il choit finalement de son piédestal au moment même où l’entreprise prend vraiment son envol. Ainsi entre en scène un troisième mythe individualiste, plus paradoxal celui-là, celui de l’individu maître des évènements parce que maître de lui-même, autrement dit substantiellement autonome à un moment ou les emprises hétéronomes se desserrent effectivement et laissent le choix entre se diriger soi-même ou subir les vagues, les courants et les aléas.
Chacune de ces scènes sont, pour le dire comme Paul Yonnet (2003 : 102), des épisodes où « deux échelles de valeurs dialoguent et s’affrontent », mais, à la différence des cas étudiés par ce dernier, l’individualisme domine ce terrain mythique d’emblée, et non pas après quelques renversements. Cela pose toutefois, comme en retour, la question du type de société que cela peut décrire en creux.
Après être parti, dans notre introduction, de la définition de l’ethos démocratique proposée par Roberto Frega, puis avoir montré en quoi les mises en scène cinématographiques des mythes de la culture numérique contemporaines que sont les fondateurs d’Apple et Facebook tout à la fois expriment cet ethos et peuvent être mieux comprises via le prisme que ledit ethos constitue, et enfin en quoi ces représentations mythiques contemporaines peuvent fonctionner comme des ouvroirs d’individuation et d’individualisation potentiels pour les sujets contemporains, il nous faut à présent en revenir pour conclure (et ouvrir) notre propos sur les possibles alors offerts pour définir les contours de ce que ce même auteur nomme :
« [l’]idéal d’une société harmonieuse. Dans ce […] sens, la démocratie définit une norme qui régit les interactions sociales, même en dehors des relations de pouvoir officielles, étatiques ou légales : elle décrit la manière la plus appropriée dont les êtres humains peuvent vivre ensemble. Il s’agit d’un idéal social plutôt que politique, dont l’objet n’est ni la prise de décision ni la résolution de conflits mais plutôt l’ensemble des interactions sociales » (Frega, 2020 : 9-10).
À nouveau, c’est ici la critique comme art du discernement plutôt que comme contestation et promptitude à pointer en l’espèce ce qu’il y a de disharmonieux dans les représentations du monde offertes par les deux œuvres étudiées que nous voudrions mobiliser. Davantage qu’une sémioclastie ou une démystification, pour reprendre les termes de Roland Barthes c’est d’un jeu « au second degré » (Gauchet, 2008 : 161) sur les mythes contemporains étudiés, mariant « autoréflexion et autocritique » (ibid.) que nous souhaitons faire jouer. En d’autres mots, nous soutenons pour finir qu’il est possible et peut-être même souhaitable d’apprendre par tous les moyens disponibles – et notamment au contact des mythes contemporains de la culture numérique – à nous diriger dans un monde problématique (Fabre, 2011 ; Foray, 2016) qui est aussi un monde travaillé de manière dynamique par des processus de numérisation et de démocratisation au sens où nous les avons définis ci-avant. Pour ce faire, les leçons desdits mythes contemporains ont en soi une valeur heuristique, mais non moins que la capacité à savoir aussi discerner ce qui, parce que relevant du mythe, ne peut raisonnablement constituer une exigence partagée et pouvant être inclusive. Une société numérique des individus, autrement dit, ne sera pas exclusivement peuplée d’innovateurs disruptifs et assertifs, mais elle a d’excellentes raisons structurelles et subjectives d’être à la fois fascinée et dérangée par de telles figures, et il n’est sans doute d’autres chemins alors que l’apprivoisement progressif de ces tensions et contradictions, sans espoir de synthèse ou de dépassement final, ni de grande illumination venant chasser dans cet ultime recoin les ténèbres des mythes. « Ce redoublement réflexif, écrit ainsi Gauchet, est notre croix et notre chance. Il est aussi épuisant à manier que sa puissance est inépuisable » (Gauchet, 2008 : 161). Gageons que le medium cinématographique nous offre pour se faire un espace permettant d’atténuer cette première caractéristique, sans ne rien obérer des promesses heuristiques de la seconde. C’est en tout cas ce que nous tenterons de montrer de manière plus systématique, sur un autre thème, dans une prochaine parution (Roelens, soumis). C’est peut-être ce que nous donnerait à l’avenir l’occasion de réaliser d’éventuels nouveaux films prenant pour sujet d’autres figures mythiques de la culture numérique telles que Jeff Bezos ou Elon Musk.
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[1] [Permettant de choisir parmi deux propositions de photos issues des trombinoscopes des résidences de Harvard l’étudiante la plus jolie, puis de classer l’ensemble de ces dernières selon des modalités inspirées du classement Elo aux échecs.
[2] Voir notamment sur ce point : « Avec Rébuffat apparaîtra une philosophie à la fois individualiste et contemplative de la vie sur les parois. Lieu d’expérience individuelle mais pacifique et harmonieuse […]. Cette conception diffère radicalement de la relation que Lachenal entretient avec la difficulté […]. L’une et l’autre ont pourtant un point commun, le farouche individualisme de ces expériences, qui fait croire à ceux qui s’y livrent qu’ils ont rejeté l’idéologie » (Yonnet, 2003 : 100-101)
[3] De ce point de vue, le renversement paradoxal, altruisto-familiaste, des fins des deux films – Mark Zuckerberg envoyant une demande d’amitié sur son propre réseau social et Steve Jobs renouant avec une fille à laquelle il révèle en un twist final avoir toujours été plus attaché que ce qu’il montrait, est particulièrement significatif.
[4] Nous nous sommes appuyés sur ces points sur les analyses de Marcel Gauchet (2017, 2020).
[5] On n’ignore pas que cette thématique de l’étude et de la compréhension des interactions humaines est au cœur de la perspective cybernétique (Wiener, 2014 [1950]), si importante dans l’histoire de l’information, et qui elle-même inspira nombre de travaux interdisciplinaires en sciences humaines de ce que l’on a appelé l’école de Palo Alto (Witterzaele, Garcia-Rivera, 2006 [1992] ), par ailleurs cœur battant de la Silicon Valley. L’étude des entrecroisements des imaginaires techniques, artistiques et scientifiques en ce lieu constituerait un projet de recherche en soi, dont on ne peut ici faire qu’évoquer l’idée, tout en signalant néanmoins que Michel Houellebecq (2010) a su en donner une esquisse littéraire dans sa description du chef-d’œuvre du peintre Jed Martin mis en scène dans La carte et le territoire, intitulé ’La conversation de Palo Alto’, où Bill Gates et Steve Jobs se font face autour d’un échiquier.
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ISSN électronique : 1778-3747