Le régime de l’intermittence artistique, mis en place en France au nom de l’exception culturelle, est aujourd’hui présenté comme un possible modèle alternatif au salariat fordiste. Autorisant la flexibilité de l’emploi requise par une économie de projet tout en garantissant la sécurité d’un revenu au salarié nomade, il dessine les linéaments d’un possible compromis social adapté au travail cognitif. Mais l’expérience de l’intermittence, observable sur la longue durée dans le secteur du spectacle vivant, révèle les effets pervers d’un dispositif qui génère de la précarité dans la mesure même où il la rend supportable, impliquant pour les plus vulnérables de douloureuses transactions identitaires. La dispute nouée autour des différents projets de réforme des annexes VII et X de l’Unedic prend une valeur emblématique au moment où les partenaires sociaux sont amenés à reconsidérer le contrat de travail tout en envisageant une meilleure sécurisation des parcours professionnels.
Mots-clefs : intermittence ; artiste ; précarité ; flexibilité ; économie de projet
Intermittent employment for entertainment industry workers, a scheme set up in France in the name of the ‘Exception Culturelle’ appears today as a possible alternative to the Fordist salary relationship. Allowing the employment’s flexibility required by a project’s economy as well as guaranteeing an income to the sporadically employed worker, this scheme draws the features of a possible social compromise adapted to cognitive work. But when studied in the long run, the experience of intermittent employment in the performing arts reveals the pernicious effects of a scheme inducing precariousness in so far as it makes it bearable, implying for those who are particularly vulnerable painful identity issues. The dispute over the different projects aiming to reform this scheme takes on a symbolic meaning when social partners are led to reconsider the employment contract while making the careers more secure.
Keywords : intermittence ; artist ; precariousness ; flexibility ; project economy
Par cet envoi, la jeune lauréate d’une cérémonie des « Césars » entendait défendre un statut [1] menacé par des réformes largement contestées [2]. L’apparition dans l’espace public d’une telle figure, l’ « intermittent du spectacle », bouscule les catégories communes. Voici des virtuoses engagés dans la « lutte », n’hésitant pas même, lors de l’été 2003, à commettre l’acte sacrilège de perturber les représentations de leurs pairs. Solidaires d’autres catégories menacées par la précarité, mais revendiquant une mobilité choisie, les « inter-luttants » présentent volontiers leur statut singulier comme un espace de résistance à la précarisation, voire comme une organisation sociale innovante qui pourrait constituer un modèle pour d’autres activités gagnées par l’économie de « projet » [3].
Pourtant, le slogan peut étonner : l’« intermittence » ainsi revendiquée apparaît comme la version artistique d’une « flexibilité » dénoncée ailleurs comme le support d’une régression sociale. Et la figure du « nomadisme affirmatif » [4] paraît en phase avec les injonctions d’autonomie, de polyvalence ou de savoir-être qui constituent le fond du nouveau discours managérial.
Cette perspective d’une « extension du domaine de l’intermittence » mérite donc d’être interrogée. La construction d’un nouveau registre de justification de ce régime (de l’exception à l’exemplarité) renvoie à des pratiques de travail artistique qui peuvent apparaître aujourd’hui comme pionnières de l’économie de projet (1ère partie). Mais l’observation de cette expérience dans le domaine du spectacle, possible aujourd’hui sur la longue durée, révèle des dérives voire des effets pervers sur la relation à l’emploi (2ème partie). Finalement, ce parcours peut aider à expliciter les disputes nouées autour de la réforme d’un statut qui prend une valeur emblématique au moment où les partenaires sociaux sont amenés, dans notre pays, à reconsidérer le contrat de travail tout en envisageant une meilleure sécurisation des parcours professionnels.
On s’appuiera ici sur un travail de terrain [5] mené depuis plusieurs années en Bourgogne [6] et sur le festival d’Avignon, mais aussi sur l’abondante littérature militante, institutionnelle et scientifique suscitée, en particulier, par le récent conflit.
M. Vinaver [7], dramaturge.
Dans les situations de dispute, les acteurs sociaux doivent mobiliser des rhétoriques de « justification » [8]. Pour échapper au procès en corporatisme (auquel les intermittents sont particulièrement exposés en revendiquant une solidarité interprofessionnelle pour le financement de leur régime particulier) une montée en généralité doit être opérée faisant appel à des grandeurs susceptibles de fédérer les soutiens. La thématique de l’exception culturelle, implicite au moment de la mise en place du dispositif en 1969, a pu être longtemps activée : elle permet d’associer la revendication d’un régime particulier - l’intermittence - à la défense de la diversité culturelle comme bien commun. Mais la crise récente a vu l’imposition d’un nouveau discours à vocation performative, porté en particulier par les coordinations [9], affirmant l’exemplarité d’un statut destiné à encadrer toutes les formes d’emploi discontinu. Apparemment contradictoires, ces deux registres rhétoriques ont pu être articulés en en synthèse originale postulant le caractère précurseur de dispositions jusqu’alors réservées à un secteur spécifique.
L’intermittence apparaît d’abord comme une « exception sociale » consentie au nom de la spécificité reconnue des activités du spectacle. Ce répertoire a trouvé à s’actualiser, sur un mode lyrique, lors du récent mouvement : « Cette grève des intermittents (…) dit au monde : sans les artistes et les techniciens du spectacle vivant, le monde est moins beau, moins vivant, moins vivable » [10]. Certains, tel P. Adrien [11], insistent même sur la différence entre les « créateurs » et les autres : « Je comprends mal que l’on ne fasse pas la distinction entre les artistes et les techniciens qui consacrent leur vie à la création dans le spectacle vivant, au cinéma, à la télévision, et d’autres travailleurs (…) qui bénéficient également du statut d’intermittent… ».
Ces arguments, dérivés de la critique artiste, déjà entendus lors des précédentes mobilisations, se trouvent désormais bordés par d’autres considérations qui relèvent davantage de la critique sociale [12]. De plus en plus d’artistes revendiquent, en effet, explicitement leur qualité de « travailleur » : « C’est du boulot tout ça, le piano, la camera, les ballerines, les planches… » [13], s’affranchissant ainsi de leur marginalité. Ces extraits d’un texte de D. Cabrera font bien apparaître le glissement de sens ainsi opéré : « Nous devrions réfléchir à ce mot d’exception et nous souvenir de la règle grammaticale qui dit que l’exception confirme la règle. Quelle est l’activité humaine qui n’excède pas le commerce et la rentabilité strictement financière ? (…) Pouvons-nous accepter que la flexibilité soit encadrée, amortie dans nos métiers et se développe ailleurs, partout et avec violence ? » [14].
Mais tandis qu’une certaine tradition syndicale – portée par la CGT-Spectacle – voit toujours dans le régime mis en place en 1969 une « réponse aux transformations du champ théâtral » [15] permettant d’inscrire la croissance des engagements temporaires « dans le cadre classique du salariat » [16] les animateurs de la Coordination des Intermittents développent « une réflexion qui vise à la conquête de droits nouveaux (…) plutôt que de rester arrimés sur (…) l’illusion du plein emploi ou de l’exception culturelle » [17]. Dès lors, la recomposition des droits sociaux implique « la reconnaissance pleine et entière du caractère productif de cette nouvelle forme de travail : l’intermittence » [18]. Ce que A. Corsini [19] – présentant à Avignon en juillet 2005 les résultats d’une enquête sociologique commanditée par la Coordination – s’employait à théoriser en établissant que, dans le cas de l’intermittence, « les indemnités de chômage ne sont pas une charge mais un investissement destiné à accroître le capital social dont nous avons besoin dans une économie de la connaissance ». A. Eloi [20], comédien metteur en scène, s’exprimant dans le cadre du débat organisé par la commission Latarget, juge remarquable que « ce passage du statut de nos indemnités de ‘chômage’ à ‘salaire de substitution’ (soit) vécu par les nouvelles générations comme allant de soi , voire revendiqué ».
C’est qu’entre-temps se sont inventées de nouvelles façons de « vivre de manière artistique » dans de nouveaux cadres d’expérience marqués par la rationalisation du travail dans le secteur du spectacle vivant [21]. Si la troupe permanente est aujourd’hui, dans le théâtre professionnel, une exception, c’est d’abord parce qu’elle génère des frais fixes et une rigidité qui paraissent peu compatibles avec les conditions contemporaines de la production. Au stock-star system [22], troupes permanentes auxquelles s’adjoignent parfois les services d’une « star » [23], se substitue le combination system qui fonctionne sur la base de l’intermittence. L’externalisation de la force de travail artistique autorise une flexibilité permettant de faire face à une activité de plus en plus aléatoire et fugace. Une flexibilité à la fois quantitative et fonctionnelle qui permet de recomposer le portefeuille des compétences sur chaque projet, conformément aux conceptions contemporaines de la création théâtrale. Ainsi, ce témoignage recueilli auprès d’un jeune metteur en scène à Avignon semble représentatif de ce qu’est l’aventure théâtrale aujourd’hui : « (…) je suis un électron libre (…) Il y a une équipe qui s’est formée autour de moi : administrateurs, techniciens (chacun ayant à faire avec d’autres structures)… par contre les comédiens sont extérieurs : j’accorde une importance fondamentale à la distribution dans une démarche artistique mais évidemment je cherche parmi les comédiens avec qui j’ai envie de travailler … Là aujourd’hui j’ai plusieurs projets. Par exemple le spectacle actuel, qu’on joue ici, créé il y a 5 ans, évolue encore, mais entre-temps on recherche des contacts, des lieux (…) C’est des montages à partir de subventions au projet, des « co-prod »… » (M.C.).
Un ancien dirigeant de start-up [24], reconverti dans le théâtre y trouve la même « excitation » : « En ce moment je joue dans trois Compagnies et j’ai une pièce jouée dans l’une et bientôt une autre par un metteur en scène extérieur (…) je suis dans 20 projets à la fois, c’est quelque chose qui est beaucoup plus excitant du point de vue réalisation personnelle…l’inconfort ça participe du métier… mais je ne me résigne pas à gagner moins… ». Et ce jeune comédien, attaché pour quelques mois au Théâtre de Bourgogne, n’envisage pas de rester à Dijon toute sa vie, demeurant attentif à toutes les opportunités : « Aujourd’hui on doit être dans l’air du temps… si on veut s’implanter dans une ville pour les 20 prochaines années on n’est pas artiste : être artiste c’est être affranchi d’un territoire » (N.M).
La profession d’artiste de spectacle exige de plus en plus une labilité élevée, souvent vécue comme l’un des agréments du métier. La « représentation » devant un public ne constitue qu’une petite partie du travail du comédien, celui-ci alternant des périodes de non-activité et des temps de mobilisation intense autour de projets. Une discontinuité qui implique un agenda spécifique dont les interstices sont autant consacrés à l’autoformation qu’à la recherche de nouveaux engagements. Et le recours fréquent au bénévolat, volontiers renvoyé à un habitus artistique particulier privilégiant les gratifications symboliques plutôt que les avantages matériels, s’inscrit souvent dans une démarche professionnelle, permettant d’enrichir un curriculum vitae, ou de nouer de possibles contacts. C’est ce « régisseur-comédien-artificier » [25] qui utilise une partie de son « temps d’intermittence » pour « participer bénévolement à des projets qui tiennent à cœur » ou encore ce metteur en scène qui revendique des périodes de « vacations » : « Par exemple une association dont je m’occupe : ‘à mots découverts’ … des comédiens se mettent à disposition des auteurs pour les sortir de leur isolement, c’est comme un travail de laboratoire » (M.C.) [26].
Par une remarquable inversion de sens, ce qui semblait relever d’une économie « archaïque » [27] peut apparaître désormais comme une expérience pilote. La création artistique est présentée aujourd’hui comme une forme générique de l’économie cognitive en gestation. Le travailleur culturel, appelé à devenir son propre entrepreneur peut alors être assimilé à une « quasi-firme ». Il doit gérer, just in task et just in time , sa participation à des projets spécifiques auprès de différentes structures et entretenir son « portefeuille d’activités » par des investissements en réputation. La sociologie des organisations désigne sous le terme d’ « adhocratie » ces dispositifs, combinant forte qualification et mobilité élevée, qui tendent à se diffuser aujourd’hui dans des secteurs comme la communication, la mode, le design ou encore l’ingénierie, donnant lieu à une prolifération de statuts hybrides (free lancing, sous-traitance, « faux » indépendants, etc.). A la progression « verticale » dans le cadre de marchés internes se substitue une disponibilité « horizontale » permettant à chacun de capitaliser les expériences.
Particulièrement adapté au processus de destruction créatrice, ce type de management par projet est susceptible d’encourager les propositions déviantes porteuses d’innovation et de favoriser ainsi le « principe de variété » [28] requis pour une production plus qualitative. D’où la propension récente à filer la métaphore artistique dans une littérature managériale dont les visées idéologiques apparaissent bien à travers cet extrait de l’ouvrage de C. Mayeur titré Le manager à l’écoute de l’artiste [29] : « Comme les artistes, les dirigeants contemporains sont des producteurs d’expériences… éphémères, c’est-à-dire d’expériences à vivre avec leurs clients, collègues, collaborateurs et partenaires » [30]. Le développement du « travail expressif » dans l’ensemble des activités immatérielles suggère que le régime « vocationnel » n’est plus (s’il l’a jamais été) l’apanage des seuls artistes. Consacrant un ouvrage à l’exploration des rapports entre travail et bonheur, C. Baudelot et M. Gollac [31] notent ainsi la réapparition de la thématique de l’épanouissement dans le travail après 1968. Profits symboliques, qui dans l’économie de services d’aujourd’hui relèvent davantage, selon eux, des satisfactions retirées de la relation et de « l’exposition aux yeux des autres » que du plaisir de réaliser un « produit ». Ici, le travailleur « ordinaire » confine, d’une certaine manière, au monde du spectacle.
Avancée par les « interluttants », accréditée par certaines rhétoriques managériales, l’hypothèse d’un secteur artistique « laboratoire » de nouvelles formes de travail a de réelles vertus heuristiques. Elle permet, en particulier, de mieux appréhender les mutations culturelles qui accompagnent la réécriture contemporaine du capitalisme. Il n’en découle pas que les solutions imaginées pour réguler l’emploi dans le monde du spectacle puissent nécessairement constituer un « modèle » pour les autres secteurs.
Les arguments couramment opposés à la perspective d’une « extension du domaine de l’intermittence » tiennent aux implications financières qui en découleraient (le déficit croissant du régime concédé aux seuls professionnels du spectacle semblerait plutôt appeler une circonscription de son champ d’application). Cette logique purement comptable ignore les externalités positives liées aux activités culturelles concernées. Mais l’évaluation rigoureuse de ces « retombées » économiques et sociales fait encore largement défaut. Il est possible, en revanche de relier la dérive budgétaire des annexes VIII et X de l’Unedic à une fragmentation de l’emploi artistique largement induite par les modalités d’un régime permissif. Cela suggère l’existence d’effets pervers, observables aujourd’hui dans les secteurs concernés, qu’il importe de prendre en compte pour discuter de l’opportunité d’une généralisation de tels dispositifs transitionnels.
Le monde des intermittents a fait l’objet de nombreuses investigations aux cours des années récentes. Pourtant, la confusion règne encore dans l’évaluation du nombre de professionnels concernés [32]. Une seule évidence : demeuré marginal pendant une longue période, le dispositif a accueilli une population en forte croissance après les années 1980. Selon l’Unedic on comptait, en 2003, 105 600 allocataires, soit 2.5 fois plus qu’une dizaine d’années plus tôt [33].
Mis en place dans les années 1960 [34], le régime de l’intermittence a en effet permis de développer un marché de l’emploi dont les souplesses alimentent une véritable mécanique d’ « insécurité sociale ». Assurant une flexibilité maximale de la production, ce système conduit à reporter l’essentiel des coûts individuels et collectifs de la main d’œuvre sur les salariés (qui doivent entretenir leurs réseaux et leur compétence pour demeurer employables) et sur l’assurance chômage (qui prend en charge les périodes interstitielles). Et puisque celle-ci est en quelque sorte rendue supportable, la précarité se propage sans résistance. L’externalisation croissante des collaborations artistiques aboutit ainsi à une fragmentation du travail. Sur environ 25 000 comédiens, un millier seulement sont aujourd’hui permanents [35] selon le rapport Latarget [36] qui signale qu’en dix ans le secteur a perdu près de 20 % de ses postes fixes. L’Observatoire de l’emploi culturel [37] établit que, de 1987 à 2003, tandis que le volume de travail, pour l’ensemble des intermittents, n’augmentait que de 112 %, le nombre de salariés progressait de 215 % et le nombre de contrats de 755 %. Le résultat prend l’allure d’un paradoxe [38] : plus l’emploi culturel progresse, plus il engendre fragmentation des engagements (la durée moyenne des contrats passant de 21 à 5 jours) et chômage apparent (le volume moyen de travail par intermittent a diminué d’un tiers). Avec une dégradation de la rémunération moyenne évaluée à 26% dans la période.
Cette forte mobilité se double d’un turn-over considérable (« Plus de 40 % de salariés ayant eu un emploi une année donnée dans ce secteur n’y sont plus l’année suivante » selon une note de l’Insee [39]), d’une diversification marquée des activités et d’une interchangeabilité croissante des employeurs. Tendances confirmées par le rapport réalisé par le laboratoire Matisse [40] qui relève surtout l’émergence de la figure hybride du « salarié-employeur » (représentant 66 % des metteurs en scène et 42 % des comédiens) véritable « mutant » dans le paysage social qui préfigurerait une forme de néo-salariat.
L’abaissement du coût d’entrée dans la fonction entrepreneuriale du spectacle, favorisant des situations proches de l’auto-emploi, est couramment dénoncé. La prise en charge de l’essentiel des coûts de gestion de la main d’oeuvre (retraites, congés, formation, etc.) par des organismes tiers s’accompagne souvent d’une déresponsabilisation des entreprises concernées vis-à-vis de leurs salariés. Celle-ci n’exclue pas une complicité dans la gestion des « cachets » (visant à optimiser les droits de tirage assurantiels tout autant que les opportunités de réduction de coûts) voire d’une solidarité « dans la lutte ». Ainsi, T. Pech se demande s’il est bien normal de voir « des entrepreneurs défiler au coté de leur main d’œuvre précaire pour demander aux autres salariés de garantir une assurance chômage à bien des égards supérieure à la leur » [41].
Et l’on en vient à ce que l’obtention du « statut d’intermittent » soit considérée comme le signal premier de la professionnalité… Ce qui explique l’attachement des artistes à ce régime d’emploi en dépit des dérives récentes [42]. Encore faut-il passer le seuil fatidique des 507 heures [43], ce qui est plus difficile pour certains que pour d’autres selon les secteurs (les contrats plus courts de l’audiovisuel ne permettent pas toujours de « faire ses heures »), les âges (seulement un tiers des comédiens de moins de 30 ans y parvient en moyenne) ou le sexe (difficultés spécifiques pour les femmes les plus âgées) [44]. Cette hyperflexibilité, qui fait du marché du travail artistique l’un des plus proches du « modèle idéal » des économistes néo-classiques, contribue en effet à creuser plus que partout ailleurs les inégalités entre les rémunérations. La théorie du « signal » opère ici dans toute sa pureté : dans un monde où la valeur individuelle équivaut à la qualité et à la visibilité des emplois déjà exercés, la flexibilité augmente l’effet de la réputation non seulement sur les chances d’emplois mais aussi sur les gratifications afférentes. C’est l’économie des superstars où les happy few « raflent la mise » [45]. Les aléas d’une carrière peuvent ainsi conduire, par effets multiplicateurs, à des destins professionnels fort contrastés.
Si elle autorise pour quelques-uns réversibilité sans fin des engagements et des choix, une telle flexibilité renforce la subordination des autres en même temps qu’elle les expose à la désaffiliation. Dans le monde du spectacle se donne particulièrement à voir cette exploitation des immobiles (dépourvus de capital social) par les mobiles (faiseurs de projets capables de nouer et dénouer des liens profitables) propre à ce que Boltanski et Chiapello [46] définissent comme la cité connexionniste. Un responsable culturel régional décrivait ainsi une « subordination réelle d’ordre féodal envers certains directeurs artistiques (qui ne sont pas les vrais employeurs) pouvant décider du sort de chacun sans devoir rendre de comptes… ». Et de petites compagnies ne pouvant accéder aux scènes institutionnelles doivent s’investir dans le « territoire » en observant de loin les réalisations prestigieuses données ponctuellement par des « mercenaires » invités dans les grandes structures subventionnées.
Cette vulnérabilité, accompagnée d’une exposition largement discriminante aux autres, qui peut entraîner de réelles blessures identitaires.
L’intermittence a d’abord des fondements « culturels » (au sens anthropologique) comme le signalait déjà J.-P. Vincent dans son rapport de 1992 : « Le post-modernisme individualiste des années 80 qui s’est plus ou moins allié au bain de l’économie et de l’idéologie libérale (a alimenté la croissance de l’intermittence et de ses abus) ». Le régime des annexes VIII et X s’est révélé particulièrement attractif pour des jeunes attirés par des métiers qui sont un support aux rêves de gloire des subjectivités d’aujourd’hui. Un artiste bourguignon, comptant plus de 25 années d’intermittence, explique ainsi un paradoxe qui n’a guère été souligné au cours des dernières années : « C’est quand même étonnant qu’avec ce qu’on a fait pour nous casser les reins on ait encore autant d’entrants dans le régime !… une question que je me pose : aujourd’hui avec la précarisation globale qu’il y a, un jeune se dit : ‘que je sois précaire sur la voie publique ou précaire comme artiste, je choisis d’être artiste du moment que j’ai un petit talent’… c’est quand même autre chose ! » Et lui-même de reconnaître qu’il a fait le choix d’abandonner son poste d’enseignant – à l’époque - pour « faire ce que je voulais et ça c’est valorisant malgré les moments de creux et de doute : on peut même donner un sens à ses échecs » (J.L.).
Mais si cette posture « héroïque » de l’ « homme de projet » peut être gratifiante, elle soumet l’individu à des épreuves qui engagent toute sa personne comme en témoigne ce jeune comédien formé par le Théâtre National de Strasbourg [47] rencontré sur le Off d’Avignon : « Quelle difficulté de se vendre ! Il faut de l’humilité ici (…) trouver, garder les contacts : c’est la peur que si on est pas dans cette famille là on bossera jamais » (Y.P.). Un « jeu » qui implique des épreuves et des prises de risques exposant les perdants aux affres de la déconnexion. Ainsi H.L. découvre vite que le Sésame promis au sortir d’une grande école de théâtre est le début d’une course impitoyable vers la reconnaissance sociale : « De ma place d’actrice qui tremble, je vois tout le monde trembler, sur chacune des marches de la hiérarchie. Sa place existentielle bien sûr mais aussi sa place réelle sur le marché de l’emploi (…) Et dans les soirées chacun a l’air de chercher dans le regard de l’autre la confirmation qu’il est bien encore à sa place. Selon la loi qui fait que l’on s’affaiblirait soi-même en engageant un faible. » Certains avouent même devoir « tricher avec le système » pour vivre (jeu « tactique » avec les règles - aujourd’hui changeantes et impénétrables - du régime pour pouvoir « faire ses heures »…). Avec le risque ici d’une corrosion de la personnalité qu’un animateur de la CIP reconnaissait lors d’une réunion publique : « tous les mois on remplit de fausses déclarations…ça ne peut pas ne pas avoir de conséquences sur notre rapport au monde » [48].
L’institutionnalisation de la mobilité, en multipliant les situations de mise à l’épreuve, participe ainsi de la promotion d’un modèle biographique [49] qui se donne particulièrement à voir dans cet univers où chacun doit construire son CV (son pressbook, son « site perso »…) sur le mode enchanté à la manière d’un récit de vie. Modèle qui se diffuse dans les entreprises avec la catégorie impondérable du « savoir être ». Chacun est alors amené à « mettre en avant sa différence pour maintenir ou améliorer sa propre condition » [50]. Et dans l’avènement de ces « particules élémentaires » pour lesquelles « tout lien et tout engagement envers autrui représentent a priori un obstacle à la poursuite des intérêts bien compris » on peut voir – avec J.-C. Michéa [51] - l’accomplissement d’un certain idéal du capitalisme.
L’expérience de l’intermittence se révèle riche d’enseignement jusque dans ses apories. Elle montre en particulier que si la « constitution intermittente de l’activité », liée au développement d’une économie de « créativité diffuse » [52], appelle un statut protecteur dérogeant au droit salarial classique, la mise en place d’un tel filet de sécurité peut contribuer en retour à « créer de l’intermittence » (au sens de fragmentation de l’emploi) en favorisant son acceptabilité selon un effet pervers couramment observé dans les dispositifs publics. A la façon d’un prisme, le monde artistique semble alors préfigurer la genèse d’un « précariat » se substituant au salariat fordiste [53].
Pourtant les défenseurs du régime soutiennent qu’il pourrait offrir, en dissociant l’emploi proprement dit de la rémunération, un compromis permettant d’échapper à la fois à une subordination aliénante et à une désaffiliation délétère : une mobilité « choisie ». Par où l’intermittence n’est pas nécessairement assimilable à la précarité. Faute de sécurité dans l’emploi, il s’agit de créer un espace de stabilité dans le cadre d’un marché du travail « professionnel », assurant symétriquement aux travailleurs « sécurité de revenus » (et des droits afférents) et « sécurité d’option » (permettant de conjuguer travail rémunéré et autres activités, notamment familiales)… Ce qui constituerait une définition possible de la « flexicurité » selon Auer et Gazier [54].
Il faut donc, pour finir, revenir sur ces « modalités » du régime d’intermittence dont la réforme en 2003 a déclenché une crise encore ouverte malgré la récente signature d’un nouveau texte. Les effets récessifs et discriminants du protocole de 2003, aujourd’hui mal contenus par les amendements introduits en 2006, expliquent les alarmes d’artistes et techniciens qui ont adossé leur projet de vie au dispositif de l’intermittence. Mais cela ne suffit pas à justifier le retour au texte antérieur dont les aspects délétères sont aujourd’hui largement reconnus. Les projets alternatifs qui se sont multipliés durant ces quatre années de crise et de débats peuvent être envisagés sous l’angle de la problématique retenue ici. Certains préconisent de banaliser le travail artistique en rattachant les salariés du spectacle à l’annexe IV régissant l’intérim (dans l’optique d’un secteur réduit à l’alternative entre l’entertainment soumis à marchandisation et le patrimoine protégé par la subvention) [55]. D’autres tendent à vouloir circonscrire le bénéfice du régime aux seuls « créateurs » (au besoin « patentés ») justifiant d’une certaine excellence au nom d’une défense de l’exception culturelle [56]. Une troisième lecture consisterait donc à affirmer le caractère pionnier d’un statut annonçant de nouvelles formes de garanties salariales susceptibles de « sécuriser » les cohortes à venir de travailleurs discontinus tout en ouvrant leur champ d’options [57].
Avec cette dernière proposition, les artistes concernés participent aujourd’hui à la relance d’une critique sociale mise à mal par les nouvelles formes de management. Cela suppose de nouvelles avancées du droit avec la définition de statuts posant des limites à la flexibilité et conduisant les employeurs à en payer le prix [58]. On voit comment le débat sur l’intermittence dans le spectacle vivant peut avoir ici valeur démonstrative. Si la démultiplication de soi est bien constitutive de la modernité « avancée », elle ne peut représenter un facteur de libération que si l’individu peut préserver une identité privilégiée par delà ses diverses expériences. D’où l’intérêt des dispositifs transitionnels qui, dans le domaine artistique comme ailleurs, peuvent permettre d’amortir les conséquences d’une discontinuité biographique. En appelant au retour d’une certaine permanence artistique, certains acteurs [59] de la scène française s’inscrivent dans la dénonciation d’une dérive libérale qui tend à associer libération et mobilité. R. Cantarella, qui s’est efforcé de recréer - en tant que directeur du CDN de Dijon - les conditions d’une expérience de « troupe », invite ainsi à « (se) battre pour des durées publiques tout autant que pour des espaces publics » [60]. Une revendication qui prend sens, au-delà de l’expérience artistique, au moment où l’on découvre les dégâts d’une société précaire. La libération passe plus sûrement aujourd’hui par la possibilité de ralentir le rythme des connexions – et donc des épreuves – que dans de nouveaux « affranchissements » de l’individu.
[1] Les annexes VIII et X régissant l’assurance-chômage permettent aux artistes et techniciens d’alterner - sous certaines conditions d’heures de travail déclarées - périodes d’activités rémunérées par différents employeurs et périodes de non activité pour lesquelles ils touchent des prestations d’assurance chômage.
[2] Il s’agissait alors du protocole d’accord de juin 2003 auquel un nouveau texte – signé en décembre 2006 par des syndicats minoritaires dans la profession, mais toujours contesté par les autres – est venu depuis se substituer.
[3] Hypothèse avancée, avec circonspection, par P.M. Menger (Portrait de l’artiste en travailleur, Paris, Seuil, 2002).
[4] V. Marange, « Un nomadisme affirmatif », Vacarme, 25, automne 2003.
[5] Dans le cadre d’un DEA - soutenu à Dijon en 2004 - puis d’une thèse en cours. La population étudiée est, en particulier, celle des artistes de théâtre.
[6] En particulier autour du Théâtre Dijon Bourgogne - CDN - mais aussi auprès d’autres lieux ou compagnies locales, de responsables syndicaux, de coordination, ou d’administrations sociales et culturelles.
[7] Bulletin du TDB – CDN, novembre 2003.
[8] L. Boltanski, E. Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999.
[9] En particulier la Coordination des Intermittents et Précaires d’Ile-de-France (CIP-IDF) qui porte ce projet jusque dans son intitulé.
[10] J-C. Fall in B. Brunet, Paroles intermittentes, Paris, éditions Hors Commerce, 2003.
[11] V. Ant, Si c’était à refaire - Les intermittents du spectacle, Paris, SeliArslan, 2004.
[12] Catégories empruntées à Boltanski et Chiapello (Op.Cit.).
[13] B. Brunet, op. cit.
[14] Ibid.
[15] Avec la quasi disparition des troupes permanentes.
[16] S. Proust, 2004, « Organisation syndicale et coordinations – les cas de mobilisation d’intermittents », Actes du colloque « action syndicale et organisation sociale », Gris, Université de Rouen. D. Foucheret entendu à Avignon en juillet 2005 stigmatisait ainsi la propension à « toujours imaginer dans le spectacle de nouvelles formes de contrats ».
[17] PAP (Précaires Associés de Paris), « Les intermittents dans l’arène », site pap.ouvaton.org., 2003.
[18] J.-C. Poisson de la Coordination CIP-IDF (site pap.ouvaton.org).
[19] Economiste au Laboratoire Matisse-Isys (Université Paris I) lequel s’est vu confier, à la demande de l’Association des Amis des Intermittents et Précaires, cette « enquête citoyenne ».
[20] Sur le site debat-spectacle.org. (mis en place par la commission Latarget).
[21] S. Proust, Le comédien désemparé, Paris, Economica, Anthropos, 2006.
[22] D. Leroy, Histoire des arts du spectacle en France, Paris, L’Harmattan, 1990.
[23] Système encore en vigueur dans les arts lyriques et les grands orchestres.
[24] R. Bisseret (créateur du site web Macplus) dont la pièce - « Créon consulting » jouée à Avignon en 2004 et 2005 - décrit l’importation des valeurs managériales…dans l’univers du théâtre.
[25] Témoignage recueilli auprès de M. C. attaché à la Compagnie des 26000 Couverts.
[26] Metteur en scène rencontré à Avignon en juillet 2004.
[27] W.J. Baumol, W.G. Bowen, Performing Arts : the economic dilemna, MIT Press, Cambridge, 1966.
[28] J. Gadrey, Nouvelle économie, nouveau mythe ?, Paris, Flammarion, 2001.
[29] C. Mayeur, Le manager à l’écoute de l’artiste, Paris, ed. d’Organisation, 2006.
[30] R. Austin, L. Devin, Artful Making, Upper Saddle River-New Jersey, Pearson Education, 2003.
[31] C. Baudelot, M. Gollac, Travailler pour être heureux ?, Paris, Fayard, 2003.
[32] Entre les fichiers de l’Unedic, de l’ANPE, ou de l’Audiens (caisse de retraite) l’écart est pratiquement de 1 à 3… mais ces différentes sources ne mesurent pas la même chose.
[33] Les récentes réformes ont, semble-t-il, contribué à inverser la tendance puisqu’on ne compte plus que 99 400 indemnisés en 2005 (DEPS (Département des Etudes, de la Prospective et des Statistique), « Emploi et spectacle », Les notes de l’observatoire de l’emploi culturel, Ministère de la Culture et de la Communication, 47, octobre 2006).
[34] Mis en place en 1964 pour les ouvriers, techniciens et réalisateurs de la production audiovisuelle il a été élargi aux techniciens et artistes de spectacle. Le périmètre d’application a ensuite été étendu, du fait de nouvelles nomenclatures d’activité et d’accords interbranches, à des activités connexes telles que la diffusion de programmes de télévision, les parcs d’attraction… (J. Charpillon, « Indemnisation du chômage des intermittents du spectacle, proposition de nouvelle définition du champ d’application des annexes VIII et X », IGAC, MCC, décembre 2004).
[35] Le CDN de Dijon a pu entretenir une troupe permanente jusque 1995. Parmi les 23 permanents aujourd’hui engagés on ne compte plus d’artistes : tous sont administrateurs ou techniciens.
[36] B. Latarget, Pour un débat national sur l’avenir du spectacle vivant (rapport), Ministère de la Culture et de la Communication, 2004.
[37] DEPS, Op. Cit.
[38] P-M. Menger, 2005, Les intermittents du spectacle, sociologie d’une exception, ed. EHESS.
[39] M. Amar, « Les entreprises du spectacle de 1995 à 2001 », Insee Première, 978, 2004.
[40] A. Corsini, J-B. Oliveau, Etude statistique, économique et sociologique du régime d’assurance chômage des professionnels du spectacle vivant, Laboratoire Matisse-Isys (Paris I), 2005.
[41] « Intermittents : la solidarité à contresens », article paru dans Le Monde du 12/3/04.
[42] Ce que montre S. Proust (Le comédien désemparé, Paris, Economica, Anthropos, 2006) pour qui les annexes VIII et X sont devenues un « cadre d’indentification statutaire ».
[43] Nombre d’heures à effectuer, selon une comptabilité spécifique, en 10,5 mois pour un artiste depuis la réforme de 2003.
[44] C. Paradeise, Les comédiens, Paris, PUF, 1998.
[45] S. Rosen, « The Economics of Superstars », American Economic Review, 71,3,1981.
[46] L. Boltanski, E. Chiapello, op. cit.
[47] Ayant donc bénéficié du dispositif Jeune Théâtre National favorisant l’insertion dans le milieu.
[48] Réunion nationale « Infuse » organisée à l’automne 2004 par la CIP Bourgogne à Dijon.
[49] U. Beck, La société du risque, Paris, Aubier, 2001.
[50] R. Castel, L’insécurité sociale, Paris, Seuil, La république des idées, 2003.
[51] J-C. Michea, Impasse Adam Smith, Paris, Climats, 2002.
[52] P. Nicolas Le Strat, Une sociologie du travail artistique – artistes et créativité diffuse, Paris, L’Harmattan, 1998.
[53] R. Castel désigne ainsi l’avènement du « précaire permanent » (« Et maintenant le précariat », Le Monde, 29 avril 2006).
[54] P. Auer, B. Gazier, L’introuvable sécurité d’emploi, Paris, Flammarion, 2006.
[55] C’était le projet initial du Medef.
[56] La plupart des rapports officiels (le rapport Charpillon en particulier) vont en ce sens et les « protocoles » de 2003 et 2006 sont inspirés par cette logique (réhabilitation du « professionnalisme ») que certains dénoncent comme malthusienne (mise en cause du « trop »). C’est aussi l’un des enjeux essentiels des négociations en cours pour refonder les conventions collectives couvrant le secteur.
[57] C’est la philosophie du « contre modèle » proposé par la CIP (et soutenu par de nombreux parlementaires) lequel prévoit des dispositifs (plancher/plafond) destinés à limiter les inégalités dans le secteur et à contenir les dérives financières.
[58] Cf les propositions de A. Supiot (Au-delà de l’emploi, Paris, Flammarion, 1999) ou B. Gazier (Tous sublimes, vers un nouveau plein emploi, Paris, Flammarion, 2003) et, dans le domaine du spectacle, le dispositif proposé par P.-M. Menger (Op. Cit.) pour instaurer un système de bonus-malus pénalisant les employeurs abusant de la main d’œuvre précaire.
[59] M. Bozonnet, S. Baunschweig, A. Françon et C. Schiaretti dans « Intermittence et permanence », Le Monde 20/9/03.
[60] Par ordre de citation : B. Lambert, F. Fisbach et R. Cantarella, in L’Assemblée théâtrale, les éditions de l’Amandier, 2002. R. Cantarella.
Remy Jean-Marc, « Extension du domaine de l’intermittence », dans revue ¿ Interrogations ?, N°4. Formes et figures de la précarité, juin 2007 [en ligne], https://revue-interrogations.org/Extension-du-domaine-de-l (Consulté le 21 décembre 2024).