Qu’est-ce qu’un témoin ? Une personne qui, à un titre quelconque (ne serait-ce que comme simple spectateur) a pris part à un événement ou une séquence d’événements, sur lesquels il est disposé à fournir des informations constituant ce qu’on nommera son témoignage. Cette définition laisse déjà deviner l’ambivalence fondamentale de tout témoin et de tout témoignage. D’une part, le témoin et son témoignage sont choses précieuses, et d’autant plus précieuses que les témoins et les témoignages sont rares et constituent les seules sources possibles d’information sur les événements concernés. D’autre part, en tant que le témoin ou plus exactement son témoignage fournissent le matériau à partir duquel il est proposé d’édifier une connaissance portant sur ces mêmes événements, ils font nécessairement l’objet d’un double soupçon. Tout témoignage est au minimum suspecté d’être partiel, de ne rendre compte au mieux que de ce dont le témoin a directement fait l’expérience, qui ne saurait constituer le tout de l’événement ou des événements dont il a été témoin. A quoi s’ajoute fréquemment pour ne pas dire toujours le soupçon de subjectivité : le témoin est alors suspecté de déformer peu ou prou les événements sur lesquels il rapporte, sous l’effet de ses émotions, de ses intérêts, de ses partis pris (moraux, politiques, religieux, etc.), de sa mémoire (nécessairement sélective et reconstructrice), de son imagination, déformations destinées par exemple à masquer tout ou partie de la part prise (ou non) aux événements ou, au contraire, à la grossir et à l’enjoliver pour se faire passer à la limite pour un héros.
Cette ambivalence se retrouve dans le traitement que les sciences sociales réservent au témoignage, du moins celles d’entre elles qui visent à établir une vérité tributaire d’une enquête faisant notamment appel à des témoignages. Parmi elles figure au premier au rang l’histoire, dont l’étymologie nous rappelle qu’elle est fondamentalement une enquête (ἱστορία signifie en grec enquête). Dès lors qu’il a amené à s’intéresser à des événements, tout historien cherche à s’appuyer sur des témoignages, pour autant qu’il en dispose. Mais il prend aussi soin de ne pas limiter sa documentation historique aux seuls témoignages, en recourant à quantité d’autres sources d’informations : archives de toutes sortes, résultats des sciences auxiliaires de l’histoire (philologie, toponymie, archéologie, épigraphie, numismatique, etc.), tout en soumettant l’ensemble de ces documents à une double critique externe (destinée à s’assurer de leurs origines et de leur authenticité) puis interne (destinée à déterminant la valeur de leur contenu, la qualité de leur information en quelque sorte) [1].
Dans de rares cas cependant, l’historien ne peut compter que sur des témoignages ou, du moins, doit principalement faire appel à eux. Ainsi en va-t-il notamment dans le domaine de l’histoire militaire, si tant est qu’il veuille bien ne pas réduire cette dernière à l’analyse des déterminants géopolitiques et économiques de guerres, des stratégies suivies par les états-majors et de la séquence des grandes campagnes et opérations, de leurs résultats en termes de pertes ou de gains territoriaux, etc. – et qu’il s’intéresse aussi et peut-être d’abord à ce qui se passe sur les champs de bataille, au cœur des affrontements qui mettent aux prises les soldats les uns avec les autres sur le terrain, sur les flots ou dans les airs.
Il faut signaler cependant le nombre relativement restreint des travaux historiques jusqu’à présent consacrés à cet aspect de l’histoire militaire et de l’histoire tout court, qui rend l’historien tributaire au plus haut point du témoignage du combattant et de sa propre capacité à l’exploiter dans une perspective de connaissance [2]. Il est symptomatique sous ce rapport que l’un des pionniers en la matière n’ait pas été un historien mais… un professeur de lettres, un spécialiste de la critique littéraire ; et qu’il n’ait pu progresser dans cette voie sans précisément jeter les bases d’une méthodologie de la critique du témoignage.
Jean Norton Cru naît en 1879 à Labatie d’Andaure, canton de Saint-Agrève, en Ardèche. Son père est un pasteur d’origine paysanne ; sa mère, anglaise, appartient à une famille de médecins et d’ingénieurs ; d’où son prénom double, franco-anglais. L’influence de sa mère a été cependant déterminante sur sa formation intellectuelle et religieuse, comme on le verra encore.
Entre 1883-1890, Cru séjourne en Nouvelle-Calédonie, sur l’île de Maré, où son père exerce son ministère religieux. Il n’y suit aucun enseignement primaire ; ses camarades de jeu sont les petits Kanaks de son âge. En 1890, retour en France. Au terme d’une année d’école primaire, il entre comme interne au lycée de Tournon. Ses études secondaires se déroulent sans éclat particulier. Seul événement notable de ces années-là : l’affaire Dreyfus, qui lui fait saisir de quelle injustice et de quel mensonge l’idéologie nationaliste peut être capable. En 1899, il réussit son baccalauréat ès lettres.
Entre 1899 et 1903, il séjourne un an en Angleterre comme assistant dans une école, avant d’effectuer trois ans de service militaire au 140e RI (régiment d’infanterie) de Grenoble. Libéré de son service militaire, Cru s’occupe de la ferme parentale (1903-1908). Simultanément, il prépare et réussit son brevet d’instituteur (il est instituteur à Loriol pendant un an), puis son certificat d’aptitude à l’enseignement de l’anglais dans l’enseignement primaire supérieur (il enseigne l’anglais à l’école primaire supérieure d’Aubenas), enfin son certificat secondaire d’anglais qui lui permet d’être nommé au lycée d’Oran en 1908. Cette même année 1908, il se marie. En 1909, il obtient un poste de professeur associé de littérature française au Williams College de Williamstown (Massachusetts), dans lequel enseigne déjà son frère Robert Loyalty Cru.
A la déclaration de la guerre en août 1914, il s’embarque immédiatement pour rentrer en France et s’y faire mobiliser. D’octobre 1914 à février 1917, il passe ainsi vingt-sept mois au front au sein du 250e RI puis du 321e RI, tout d’abord comme caporal puis comme sergent (à partir de février 1915). Il s’agit de régiments de territoriaux, en principe non destinés à être envoyés au front mais qui y seront cependant engagés en permanence, y compris dans des secteurs particulièrement meurtriers. Ainsi Cru participe-t-il aux opérations en Argonne au printemps 1915, ainsi qu’à la bataille de Verdun en juin 1916 où six cents hommes sont mis hors de combat en une seule journée sur les deux bataillons de son régiment : le nombre de mort est tellement important que Cru, pourtant alors simple sergent, fait fonction d’officier plusieurs jours durant. Il est à nouveau engagé à Verdun en janvier 1917, où presque tous les hommes de sa section ont les pieds gelés.
C’est cette expérience directe du combat et plus largement de l’existence du simple soldat dans la tranchée, par tous les temps et dans n’importe quelles circonstances, avec ce qu’elle implique de souffrance physique et plus encore morale, qui tout à la fois va lui servir de guide et de critère de jugement dans ses œuvres futures. C’est elle qui le rendra si intransigeant à l’égard de toute espèce de mensonge ou d’affabulation à ce sujet.
De février 1917 à décembre 1917, il est détaché comme interprète successivement auprès de 51e DI (division d’infanterie) britannique, puis auprès de la 1ère DI états-unienne. A partir de décembre 1917, il est instructeur à l’école des interprètes à Biesles près de Langres, chargé de leur enseigner non seulement la langue anglaise mais la civilisation nord-américaine. A partir de là, Cru n’est plus un combattant ; mais ses nouvelles fonctions lui font connaître les arrières immédiats de nombreux autres secteurs du front.
A partir de septembre 1918, il est envoyé aux Etats-Unis comme conférencier dans une mission de propagande destinée à convaincre l’opinion publique du bien-fondé de l’intervention états-unienne dans la guerre européenne. Il est démobilisé le 31 août 1919 ; et il redevient professeur de littérature française au Williams College à Williamstown où il achèvera sa carrière professionnelle. Il rentrera en France au moment de sa retraite, en 1946 pour y décéder trois ans plus tard en juin 1949, dans sa 70e année, d’une hémorragie cérébrale.
En définitive, différents traits de la trajectoire personnelle de Cru l’ont sinon prédisposé à accomplir son œuvre, du moins en ont favorisé l’entreprise. A commencer par ses origines familiales qui l’ont placé à cheval sur deux nationalités, en le mettant ainsi à l’abri des aveuglements du nationalisme. Il faut également mentionner l’incidence de la partie de son enfance passée en Nouvelle-Calédonie, qui lui ont laissé un solide goût de l’indépendance d’esprit et du non-conformisme ; il confessera plus tard : « Témoins est dû au petit primitif de Maré qui survit en moi, qui a survécu aux tentatives de conformisme au lycée, au régiment, à Aubenas, à Williams, au front. » [3] Enfin Cru aura paradoxalement bénéficié de son statut d’outsider en tant qu’intellectuel, non engagé dans une institution académique et n’ayant par conséquent pas à payer le prix (notamment en termes de conformisme intellectuel) d’une carrière académique.
Elle se réduit à deux ouvrages : Témoins [i] et Du témoignage [4] qui est pour l’essentiel un condensé du précédent.
L’idée d’une étude critique des témoignages sur la guerre naît chez Cru alors même qu’il est encore au front et qu’il lit certains de ces témoignages parus dans le cours même de la guerre. D’emblée, il est frappé par la fausseté et l’affabulation qui prévaut dans un grand nombre d’entre eux, surtout ceux qui ont la faveur du public ; par exemple Le Feu d’Henri Barbusse, prix Goncourt en 1916. A quoi il oppose immédiatement le Sous Verdun de Maurice Genevoix, paru au cours de cette même année, qui n’aura pourtant pratiquement pas d’écho. Naît alors l’idée de faire un sort à ce qu’il appelle déjà, dans les lettres à sa famille, « la légende de la guerre » pour rendre hommage et justice aux souffrances authentiques et au courage vrai des combattants.
Mais ce n’est qu’en 1923, à la suite d’un voyage-pèlerinage à Verdun effectué en août 1922, qu’il entreprend une lecture méthodique et systématique des témoignages parus sur la Première Guerre mondiale et dont il avait déjà lu un grand nombre alors qu’il était encore dans les tranchées. L’ouvrage est achevé en 1928. Il était prévu qu’il soit publié avec l’appui de la Carnegie Endowment for International Peace, une fondation pacifiste états-unienne. S’agissant d’une œuvre destinée à paraître en France, il est cependant nécessaire qu’elle recueille l’assentiment du comité français de cette fondation. Or, l’ouvrage achevé, Charles Gide (à ne pas confondre avec André Gide) oppose son veto, l’œuvre étant manifestement trop contraire aux idées convenues sur la guerre.
En 1928-1929, Cru prend une année sabbatique pour rentrer en France et faire le tour des éditeurs. Il se heurte à une suite de refus ; tous les éditeurs lui demandant de rectifier les jugements émis sur la valeur de témoignage des auteurs maisons. En désespoir de cause, il décide de publier l’œuvre à compte d’auteur.
L’ouvrage s’ouvre sur une longue « Introduction générale » (soixante pages), dans laquelle Cru expose la genèse de son œuvre, se livre une brève recension critique des principaux récits de guerre antérieurs à 1914 et s’en prend aux principales idées fausses courantes sur la Première Guerre mondiale. Puis, dans une « Introduction spéciale », il expose les principes généraux de sa méthode, qui le conduit à la classification des témoignages en cinq catégories : les journaux, les souvenirs, les réflexions, les lettres et les romans. L’ensemble couvre la quasi-totalité (à quelques rares exceptions près) des témoignages de combattants parus sous forme d’ouvrages autonomes à Paris entre 1915 et 1928.
Suit l’analyse de quelque trois cents témoignages classés selon ces cinq catégories. Pour chaque récit, Cru procède strictement de la même manière. Il commence par rédiger une notice biographique sur l’auteur, retraçant sa trajectoire socioprofessionnelle antérieure et (éventuellement) postérieure à la guerre. Surtout, il indique précisément les différentes unités (corps d’armée, divisions, brigades, régiments) auxquels le témoin a successivement appartenu, ainsi que les différents théâtres d’opération sur lesquels il a été engagé, quand (à quelles dates précises) et à quel titre (grade, fonction) il l’a été. Et il indique aussi les autres unités (régiments) dont se composait la division ou les divisions auxquelles l’auteur a successivement appartenu, de manière à pouvoir procéder à des rapprochements et des comparaisons entre les différents témoignages.
Après quoi, il donne les références bibliographiques des œuvres du témoin qu’il a retenues et examinées, ainsi qu’une description bibliographique de ces dernières : plan, situation des passages sélectionnés, mentions des lieux et des dates des événements censés être relatés, etc. Il relève aussi éventuellement les passages supprimés par la censure ; et il les rétablit chaque fois que cela est possible.
Il passe enfin à l’évaluation critique des œuvres, argumentée et le plus souvent illustrée par la citation de passages considérés comme particulièrement représentatifs. Evaluation toujours relative aux autres éléments du corpus dont les œuvres examinées peuvent être rapprochées et auxquels Cru renvoie méthodiquement.
L’ouvrage s’achève par une série de « Tableaux comparatifs et récapitulatifs » : classement des auteurs par ordre de valeur, par année de naissance, par profession, par régiments, par divisions, par périodes de la guerre et théâtre d’opérations, par date de publication, etc. Ces tableaux montrent que les quelque trois cents témoignages examinés par Cru couvrent tous les âges, tous les types d’unités de l’armée de terre, toutes les périodes des cinquante-et-un mois qu’a durés le conflit, tous les secteurs du front ; ce qui assoit le crédit de ses conclusions [5]. Ils permettent aussi une lecture sélective de l’œuvre, destinée à servir de matériau aux futurs historiens de la Grande Guerre.
En dépit des conditions difficiles de son édition, l’ouvrage ne passe pas inaperçu de la critique. Les appréciations sont cependant variables. L’ouvrage est soutenu par des critiques ou auteurs célèbres en leur temps : Albert Thibaudet, André Lalande, Julien Benda, etc., ainsi que par plusieurs parmi les témoins jugés les plus fiables par Cru, notamment Maurice Genevoix, mais aussi par quelques rares historiens, aussi bien français (Jules Isaac, Pierre Renouvin qui avait cependant refuser de le publier) qu’états-uniens. La plupart des critiques manifestent cependant leur incompréhension du sens et du but de l’ouvrage ; ou bien ils sont malveillants, témoignant que l’ouvrage dérange en ce qu’il s’en prend à des auteurs en vue et en cours ainsi qu’à des idées reçues. Enfin certains parmi les auteurs pris par Cru en flagrant délit de falsification (Barbusse et Dorgelès notamment) tentent de le discréditer, en l’écrasant du poids de leur notoriété littéraire ou en le couvrant d’injures.
En 1930, Gallimard accepte de publier une version abrégée de l’ouvrage précédent sous le titre Du témoignage. Il s’agit de répondre à la demande du public de disposer d’un ouvrage moins volumineux et moins coûteux, moins complexe aussi dans son maniement. C’est aussi pour Cru l’occasion de répliquer à un certain nombre de critiques soulevées par l’ouvrage précédent.
Ce second ouvrage se compose de cinq chapitres, permettant à Cru de présenter de manière plus synthétique les résultats de sa volumineuse enquête littéraire. Les titres successifs en sont : « L’histoire militaire et les témoins » ; « Les légendes » ; « Les témoignages » ; « Littérature et témoignage » ; « De la connaissance de l’homme par la guerre ». C’est essentiellement dans le chapitre 4 que Cru répond à un certain nombre de ses critiques.
Ce second ouvrage a été traduit en allemand et publié en Allemagne. A l’arrivée des nazis au pouvoir, les exemplaires restants seront saisis et brûlés. Il a également été traduit et publié en Norvège. Une traduction anglaise a été apprêtée mais n’a pas été publiée.
Les deux ouvrages tombent dans un oubli à peu près complet aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Du témoignage devra attendre 1967 pour être réédité par Jean-Jacques Pauvert. Quant à Témoins, l’œuvre majeure de Cru, elle ne sera republiée par les Presses Universitaires de Nancy qu’en 1993 puis à nouveau en 2008, en étant alors accompagnée d’un appareil critique et d’un dossier rassemblant la plupart des comptes-rendus suscités par la première édition. Ce qui signifie clairement que Cru n’est pas parvenu à obtenir la reconnaissance qu’il attendait du public et, plus encore, des historiens travaillant sur la Première Guerre mondiale à l’exception notable des historiens du CRID 14-18, dont Frédéri Rousseau, auteur du seul ouvrage disponible sur Cru. Je réserve l’analyse des raisons profondes de cette médiocre réception à un autre article, pour me pencher ici exclusivement sur les principes et les résultats de son travail historiographique.
Tout le travail critique de Cru s’adosse à deux présupposés, qu’il explicite d’emblée et qu’il revendique avec force. Selon le premier, à quelques rares exceptions près, la science historique ne nous a pas, pour l’instant, enseigné ce qu’est la guerre contemporaine – entendue ici au sens restreint de la bataille, de l’affrontement armé direct sur le terrain. Tout simplement parce que cette science est elle-même pétrie de tout une « légende de la guerre », de ce que on pourrait nommer un imaginaire guerrier ou héroïque, qui constitue en fait une véritable falsification de la réalité de la bataille. Cru énonce ce premier présupposé dès les premières lignes de Témoins :
« L’histoire militaire a été jusqu’ici inférieure aux autres histoires. Elle l’a été parce qu’elle s’occupe de faits spéciaux que les témoins, les chroniqueurs, les historiens du temps, tous ceux dont les écrits sont nos seuls documents se sont ingéniés à dénaturer par esprit de patriotisme, de gloriole, de tradition. » [6]
Selon le second présupposé dont part Cru, les seuls à détenir la vérité sur ce qu’est la guerre (toujours entendue au sens de la bataille) sont les combattants, car eux seuls peuvent témoigner de sa réalité. A une expresse condition cependant : en croire leurs yeux et faire confiance à leurs tripes, c’est-à-dire prêter crédit à leur expérience immédiate et porter honnêtement témoignage de ce qu’ils ont vu et vécu, y compris et surtout lorsque cela dément précisément toute « la légende de la guerre », tout l’imaginaire guerrier ou héroïque qui leur avait été précédemment enseigné.
Il y a là un renversement complet de perspective par rapport à la conception classique qui fait du combattant en tant que témoin direct un non-savant. Pour Cru, contrairement à ce que laisse entendre par exemple Stendhal dans La Chartreuse de Parme ou, plus exactement à ce qu’on a voulu lui faire dire selon Cru, ce n’est pas Napoléon qui est capable de nous faire comprendre ce qu’a été Waterloo mais c’est bien Fabrice :
« Aux historiens, ces témoignages apprendront que toute histoire militaire vue de haut, conçue comme une partie d’échecs, faite d’après les documents d’état-major et sans les témoignages des vrais acteurs, de ceux qui portent et subissent les coups, est une agréable illusion où l’on croit pouvoir construire un ensemble, lequel est fait de détails, sans connaître l’essence même de ces détails. » [7]
On devine immédiatement que ce second présupposé n’implique nullement d’accréditer n’importe quel témoignage. Il commande au contraire de se montrer extrêmement circonspect à l’égard de tout témoignage, toujours suspect a priori de falsifier en tout ou en partie la réalité de la guerre sous le choc du traumatisme de la bataille et sous le fard et le poids des représentations guerrières et héroïques. D’où précisément le projet de Cru : entreprendre une critique méthodique et systématique des témoignages existant pour y séparer le « bon grain » (les éléments de vérité) de « l’ivraie » (les mensonges et les affabulations). Ce qui suppose la mise au point d’une méthode rigoureuse.
Les présupposés précédents obligent Cru à se montrer extrêmement rigoureux tant dans la constitution de son corpus de témoignages que dans le traitement qu’il va leur réserver. La constitution de son corpus répond à deux principes essentiels qu’il expose et qu’il justifie. En premier lieu, il s’agit de s’en tenir aux seuls récits de combattants à l’exclusion de tout autre écrit sur la guerre. Du combattant, Cru donne une définition restrictive. Est défini comme combattant toute personne, quelle que soit sa fonction, qui a fait l’expérience directe du feu et du front. Ce qui exclut les civils mais aussi les militaires non combattants. Cela conduit Cru à ne retenir que des récits émanant de combattants ayant eu au plus le grade de capitaine, à deux exceptions près.
Cru adopte par contre une définition large du récit. Toute forme de témoignages est acceptée par lui. Cela le conduit certes à exclure les œuvres de pure fiction : poésie de guerre et théâtre de guerre ; mais il accepte les romans de guerre car « ces romans ne sont que des souvenirs personnels à peine déguisés » [8]. Il est cependant conduit à regretter le plus souvent la médiocre qualité documentaire de ces romans de guerre.
Par ailleurs, ses principes commandent à Cru de s’en tenir aux seuls récits qu’il puisse confronter à sa propre expérience de combattant. Cela le conduit à se limiter à des auteurs presque exclusivement français (à l’exception de sept Belges), ayant été engagés essentiellement sur le front occidental (il retient néanmoins huit auteurs engagés aussi sur les opérations en Serbie et dans les Dardanelles) et uniquement à des récits sur des opérations terrestres.
Quant à la méthode qu’applique Cru dans l’analyse des récits eux-mêmes, elle est un curieux et original mélange de méthode objective et de méthode subjective, qui l’amène à prendre quelques distances avec les principes et les règles de la critique historique habituelle. La méthode objective consiste essentiellement pour Cru à vérifier si le témoin a effectivement pu être témoin de ce qu’il raconte : a-t-il pu assister ou prendre part aux faits qu’il relate ? A cette fin, il confronte le récit du témoin à toutes les sources documentaires disponibles sur les positions et les mouvements des différentes unités dans le secteur considéré et aux dates indiquées, sur les opérations qui y ont eu lieu, sur leurs résultats connus, etc. Cela revient donc à confronter le récit aux cartes d’état-major, aux ordres de marche des unités, aux journaux d’opérations des régiments, etc.
De là, l’intérêt des éléments rassemblés dans la notice biographique constituée par Cru sur chaque auteur examiné concernant les lieux et les dates de sa présence au front, sa fonction et son grade, etc. C’est ce qui lui permet, souvent, de récuser tel ou tel récit qui se donne pour un témoignage direct, alors que Cru parvient au contraire à montrer que l’auteur du récit n’a pas pu être témoin direct de ce qu’il rapporte, qu’il a donc recueilli, rassemblé et probablement arrangé les témoignages de tiers. C’est aussi ce qui lui permet de confronter les différents témoignages les uns aux autres, dans la mesure où il dispose quelquefois de plusieurs témoignages différents sur ce qui s’est passé ou ne s’est pas passé dans tel secteur du front à telle date.
La méthode subjective consiste pour Cru à vérifier le contenu du témoignage examiné, à évaluer sinon la vérité du moins la vraisemblance des éléments d’information qu’il contient sur les faits, les gestes, les sentiments, les pensées, etc., des combattants, qu’il s’agisse du narrateur ou de tiers. Le critère dont se sert ici Cru est triple. D’une part, il confronte chaque témoignage à la réalité de la guerre contemporaine, essentiellement afin d’éliminer ce qu’il appelle les éléments de « légende de guerre », les récits et éléments de récit que la réalité de la guerre contemporaine rendent invraisemblables ou même franchement impossibles. J’en donnerai quelques exemples un peu plus loin.
D’autre part, il confronte chaque témoignage à l’ensemble des autres témoignages identiques (portant sur les mêmes lieux et dates) ou similaires (même type de situation ou situations équivalentes). C’est ainsi que l’ensemble des trois cents ouvrages a fait l’objet, de sa part, d’une première lecture exhaustive, accompagnée d’annotations et de commentaires, puis d’au moins une seconde lecture destinée à procéder aux confrontations des témoignages entre eux.
Enfin, il confronte chaque témoignage à sa propre expérience, mais une expérience désormais enrichie de l’assimilation de celle de tous les autres témoins dont il a lu les récits. Cru justifie son recours à sa propre expérience comme critère de critique historique en ces termes :
« A moi aussi l’expérience toute nue d’un combattant, quelque intelligent qu’il soit, serait un critérium insuffisant. Mais l’expérience qui me sert de base est plus qu’une expérience personnelle (…) Mon expérience de critique est une expérience de combattant incessamment enrichie, étendue, élargie par quinze années de lectures assidues, lectures commencées dans la tranchée et qui me permirent d’observer la guerre avec un esprit plus averti que mes camarades. » [9]
Cette démarche érigeant l’expérience personnelle en critère de vérité est une conséquence directe des présupposés dont Cru est parti, et notamment de l’idée que le combattant seul possède en définitive, grâce à son expérience directe du combat et à l’expresse condition qu’il reste fidèle à son expérience, sinon la vérité sur la réalité du combat, du moins précisément les critères permettant d’établir quels sont les éléments de témoignage à retenir pour construire cette vérité.
Au-delà de son examen critique des quelques trois cents récits retenus par lui et de leur hiérarchie en six catégories, s’ordonnant depuis les témoignages de toute première importance jusqu’au témoignage n’ayant aucune valeur, Cru ne parvient qu’à relativement peu de conclusions générales. Tel n’était d’ailleurs pas son objectif : modeste, il réservait ce soin aux futurs historiens, son ambition se limitant à apprêter des matériaux utilisables par ces derniers.
La principale conclusion générale à laquelle il parvient est que bon nombre de témoignages examinés sont pollués et pervertis par la présence en eux de ce qu’il appelle « quelques idées fausses sur la guerre » – tel est le titre du chapitre V de Témoins. Ces idées sont en fait autant de clichés, d’image d’Epinal, de lieux communs, de tropes de l’imaginaire guerrier et héroïque traditionnel. Leur énumération et leur critique vont nous fournir l’occasion d’entamer l’examen de ce dernier. Je les range ici dans un ordre de falsification et d’affabulation croissant.
Premier trope : « La guerre est lutte ». Cru montre au contraire que, dans la guerre contemporaine, menée avec des moyens et des armements mécaniques, la guerre n’a plus rien d’une lutte mettant aux prises des individus, dont l’un peut répliquer aux coups portés par l’autre : elle ne met plus face à face que bourreau et victime échangeant périodiquement leur rôle :
« Par exemple, l’artillerie de tranchées allemande tire sur l’infanterie française ; celle-ci ne peut pas songer à riposter ; ses fusils, ses grenades ou mitrailleuses sont inutiles contre les crapouillots ; elle n’a qu’à s’abriter si elle le peut, il lui faut subir passivement l’agression. Si cependant l’artillerie de campagne française a repéré l’emplacement des crapouillots ennemis, elle peut à son tour lui infliger une cruelle correction sans qu’ils aient la moindre possibilité de lui répondre. L’artillerie lourde ennemie pourra prendre à partie les 75 et si elle connaît leur position, elle peut les massacrer en toute tranquillité. On pourrait encore faire intervenir de l’artillerie à grande distance, des avions de bombardement, des avions de chasse, etc. et chaque fois on aura un bourreau et une victime impuissante, surtout si le bourreau a des données exactes. » [10]
Ce que Cru nous fait ici comprendre, c’est que la réalité de la guerre contemporaine impose le plus souvent au simple combattant l’expérience d’une radicale aliénation, au sens de la perte de toute maîtrise de la situation qui est la sienne et du sort qui est le sien. Le plus souvent, le simple combattant est incapable de décider de son sort par lui-même, par ses qualités de combattant (son expérience du combat, son savoir-faire militaire, sa force physique et morale, son courage ou son sens de la discipline collective, etc.) Cela tient à deux caractères essentiels de cette guerre. D’une part, sa massification : c’est une guerre de masses, qui oppose des hommes en masses – et c’est au niveau de la masse (des grandes unités militaires : divisions, corps d’armée, armée et, au-delà, des nations, incarnées dans des Etats et des gouvernements, et de leurs alliances) que la lutte s’est déplacée. D’autre part, sa mécanisation : il s’agit d’une guerre mécanique, qui met en jeu des armements mécaniques, de moyens mécaniques de défense et d’attaque, qui sont sans commune mesure avec les qualités ou propriétés d’un simple individu. Si affrontement il y a, c’est entre de tels moyens mécaniques qu’il a lieu. Il est à peine besoin de souligner combien la valeur de ces remarques, faites par Cru sur la base de l’expérience de la Première Guerre mondiale, n’a fait que se renforcer depuis.
Deuxième trope : « Les bons soldats sont courageux, les mauvais soldats ont peur ». A quoi Cru réplique : « Tous les soldats sans exception ont peur et la grande majorité fait preuve d’un courage admirable en faisant ce qu’il faut faire en dépit de la peur. » [11] Dans la guerre contemporaine, la peur est nécessaire, au double sens où elle est inévitable et où elle est salutaire : c’est à la peur que le soldat doit de rester éventuellement en vie. Au demeurant, il s’agit là d’une peur d’un type bien spécifique : celui qu’éprouve l’homme face au danger à la fois inéluctable et imparable. En conséquence, au front, le courage change lui aussi complètement de sens. Il consiste non pas à braver le danger en comptant sur sa force et son adresse pour le surmonter. Il consiste tout simplement à rester sur place et à continuer à se battre, en dépit du fait que l’on sache que la mort est l’issue la plus certaine et qu’il ne dépend pratiquement pas de nous d’y échapper.
Là encore, on retrouve la même idée : l’expérience la plus profonde du combattant de la Grande Guerre est celle d’une radicale invalidation des vertus physiques et morales individuelles, que l’imaginaire guerrier et héroïque exalte précisément en permanence. Et cette invalidation date très exactement de l’invention de l’arme à feu : « Dès qu’un soldat malingre peut abattre de loin un guerrier fort, habile et brave, c’en est fait de l’antique notion de courage, celui que j’appelle le courage d’Achille. » [12]
Troisième trope : la charge, le choc, le corps à corps. Selon Cru, dans la guerre moderne et plus encore dans la guerre contemporaine, la charge n’aboutit jamais au choc et au corps à corps. Car, de deux choses l’une : ou bien la charge échoue bien avant d’atteindre l’ennemi, en étant anéantie par le feu défensif de ce dernier ; ou bien la charge réussit, et c’est que l’ennemi a été à son tour anéanti, qu’il a fui ou qu’il s’est rendu. Ainsi lorsque, à la suite d’une attaque, les assaillants parvenaient à investir la tranchée ennemie, il n’y restait plus que des morts, des blessés qui n’étaient plus en état de se défendre ou des vivants prêts à se rendre et nullement disposés à combattre. Et tous les récits de corps à corps sanglants dans les tranchées, dont les romans et films de guerre ont usé et abusé, ne sont que pures fictions.
Quatrième trope : la charge à la baïonnette. Selon Cru, la baïonnette était une arme inutile et dangereuse. Inutile parce qu’elle ne servait jamais (étant donné l’absence de corps à corps). Dangereuse parce qu’elle risquait surtout de blesser ou même de tuer les assaillants.
Cinquième trope : « Les monceaux de cadavres ». La présence de ce trope est, pour Cru, le meilleur indice du faux témoignage. Sa fausseté tient pour Cru à deux raisons. D’une part, son invraisemblance : si l’on répartit le long du front occidental la totalité des deux millions et demi de soldats de toute nationalité tués au combat sur ce front pendant les cinquante-et-un mois de guerre, on obtient un cadavre en moyenne tous les 1 080 mètres carrés (soit un carré de trente-trois mètres de côté). Même en tenant compte du caractère inégalement meurtrier des différents secteurs du front, on ne peut aboutir à des telles concentrations de cadavres en un même point et en un même instant qu’il puisse s’y former des monceaux ! D’autre part, la tactique de dispersion des unités, qu’elles soient en posture défensive (échelonnement en profondeur du réseau des tranchées) ou en posture offensive (échelonnement des vagues d’assaut). Ce qui conduisait nécessaire à disperser les combattants et par conséquent les morts sur le champ de bataille.
Sixième trope : « Les flots de sang ». Vieille image homérique selon Cru, mais qui n’a pas plus de réalité que les précédentes et qui est, là encore, un bon indice de faux témoignage. Pour différentes raisons : la dispersion des cadavres, le fait que les blessures mortelles ne sont pas nécessairement sanglantes, le fait que le sang est rapidement absorbé par la terre ou recouvert de terre par le bombardement incessant, etc.
Septième trope : les hauts faits, les actions héroïques, les actes de sacrifice. C’est là qu’on confine à la légende au sens le plus propre du terme : on a affaire à des récits fabuleux de situation qui relèvent du merveilleux quand ce n’est pas du fantastique. Cru en cite notamment deux qui ont connu une grande diffusion pendant et après la guerre et que l’on retrouve dans plusieurs des récits qu’il examine.
« Debout les morts ! ». Il s’agit d’une série de variations autour du même thème : des hommes blessés à mort, galvanisés par l’héroïsme, qui continuent à se battre ; voire des morts qui se relèvent pour se dresser face à l’ennemi sur le champ de bataille.
« La tranchée des baïonnettes ». Ainsi est désignée un lieu que l’on peut encore voir aujourd’hui sur le site de la bataille de Verdun, plus exactement sur le flanc sud-ouest du fort de Douaumont. Le 12 juin 1916, des soldats des 3e et 4e compagnie du 137e RI s’y seraient laissés ensevelir debout, dans leur tranchée, par les tirs de l’artillerie allemande, sans bouger et sans broncher. On y voit et on y montre encore le bout des baïonnettes sortant de terre…
Action totalement invraisemblable à de nombreux titres. Cru explique que c’était une pratique courante d’ensevelir les morts, sans distinction de nationalité, chaque fois que cela était nécessaire et possible, sur le champ de bataille dans des fosses communes, le plus souvent des trous d’obus et ou des sections de tranchée rendues inutilisables par le bombardement de l’artillerie. Et l’on marquait l’endroit comme on pouvait, par des croix confectionnées de bout de bois, des fusils crosses en l’air ou, tout simplement, des baïonnettes.
L’enseignement fondamental de l’œuvre de Jean Norton Cru est que la faiblesse ou pauvreté épistémologique du témoignage est aussi au principe de sa force ou de sa richesse potentielle ; plus précisément : le témoignage contient en soi tout ce qu’il faut pour corriger ses propres défauts. Si tout témoignage est nécessairement partiel, il suffit de multiplier les témoignages, de les recouper les uns par les autres, de les confronter les uns aux autres pour en corriger mutuellement le caractère fragmentaire et, telles les pièces d’un puzzle qui finissent pas s’assembler, voir se dessiner le tableau d’ensemble dont se dégage la vérité que chaque pièce à la fois contenait pour partie et masquait en tant que partie. Si tout témoignage est nécessairement pétri de subjectivité, si son contenu de vérité s’en trouve altéré et quelquefois définitivement compris, c’est encore dans le témoignage que l’on trouvera les ressorts nécessaires (sinon toujours parfaitement suffisants – Cru recourt lui aussi à des sources d’informations extérieures, nous l’avons vu) pour corriger cette altération subjective de l’information : c’est en érigeant sa propre expérience de témoin (cependant confortée par celle d’autres témoin) en critère de recherche de la vérité que Cru parvient à séparer les grains de vérité contenus par les témoignages recueillis de l’ivraie de l’affabulation alimentée par l’imaginaire guerrier.
La rigueur intellectuelle de Cru est celle d’une démarche tout entière pétrie d’empirisme, adossée à la profonde conviction véhiculée par ce dernier que toute connaissance se laisse finalement dérivé de notre expérience, à l’expresse condition de s’en tenir aux faits que celle-ci nous enseigne. Condition qui suppose à son tour une rigueur morale qui consiste pour chacun à ne pas s’en laisser compter, à se former par lui-même un jugement sur la base de son expérience propre et à dire toujours ce qu’il sait être la vérité sur la base de sa propre expérience, fût-elle contraire à ce que les autres, sa famille, sa nation ou l’opinion commune colportent ou attendent qu’on dise. Rigueur morale qui n’est évidemment pas sans rapport avec l’éthique protestante dont Cru a hérité par tradition familiale. Solide empirisme d’un côté, exigeante éthique protestante de l’autre : s’il a laissé une œuvre en français, Jean Norton Cru apparaît en définitive comme fondamentalement inspiré par la tradition anglo-saxonne.
Il n’existe qu’une seule étude en français consacrée à Jean Norton Cru :
Rousseau Frédéric, Le Procès des témoins de la Grande Guerre. L’Affaire Norton Cru, Paris, Éditions du Seuil, 2003.
[1] Cf. entre autres M. Bloch, Apologie pour l’histoire ou métier d’historien [1949], Paris, Armand Colin, 1997 ; P. Veyne, Comment on écrit l’histoire, Paris, Le Seuil, 1971 ; J. Le Goff et P. Nora (dir.), Faire de l’histoire, I. Nouveaux problèmes, II. Nouvelles approches, III. Nouveaux objets, Paris, Gallimard, 1974.
[2] A contrario, il faut signaler les travaux du Collectif de recherche international et de débat sur la guerre de 1914-1918 (CRID 14-18), dit « Ecole de Craonne », qui s’est fait une spécialité de l’exploitation des témoignages de combattants de la Première Guerre mondiale. On trouvera une présentation de sa charte et une sélection de ses travaux et publications en ligne à l’adresse suivante : http://crid1418.org/
[3] Lettre de Jean-Norton Cru à ses sœurs du 11 mars 1932. Citée par Hélène Vogel dans Du témoignage [1930], Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1967page 157.
[i] Témoins. Essai d’analyse et de critique des souvenirs de combattants édités en français de 1915 à 1928 [1929], Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1993 et 2008.
[4] Du témoignage [1930], op. cit.
[5] Le corpus rassemblé est cependant loin de représenter toutes les classes, couches et catégories sociales mobilisées. La nature même des témoignages recueillis (le fait qu’il s’agisse d’écrits, qui plus est publiés) explique que la plupart des auteurs appartiennent aux couches les plus cultivées et aux combattants les mieux dotés de capital culturel et social. Cru lui-même en était conscient et appelait de ses vœux la sortie des carnets et correspondances conservés au fond des armoires de nombreux anciens combattants. Ce qui n’aura lieu qu’à partir des années 1960-1970, permettant un renouvellement important de l’historiographie de la Grande Guerre (cf. note 2).
[6] Témoins, op. cit., pages 1-2.
[7] Id., page 15.
[8] Id., page 11.
[9] Lettre de Cru à ses sœurs du 6 décembre 1929. Citée par Hélène Vogel dans Du témoignage, op. cit, pages 181-182.
[10] Témoins, op. cit., pages 27-28.
[11] Id., page 28.
[12] Id., page 39.
Bihr Alain, « Méthodologie de la critique du témoignage. Autour de l’œuvre de Jean Norton Cru », dans revue ¿ Interrogations ?, N°13. Le retour aux enquêtés, décembre 2011 [en ligne], https://revue-interrogations.org/Methodologie-de-la-critique-du (Consulté le 21 novembre 2024).