Filiod Jean-Paul, Necker Sophie
À partir de terrains français et belges, nous interrogeons les manières d’interpréter des comportements d’enfants-élèves en contexte de résidences d’artistes en école maternelle. Inscrite dans le cadre d’une recherche collaborative, notre méthodologie combine la vidéo et l’entretien. L’élaboration d’une manière particulière de considérer l’évaluation nous a conduits à solliciter le croisement des points de vue d’adultes sur des filmages de situations d’atelier où artistes et enfants-élèves travaillent ensemble. Dans cet article, nous faisons ressortir les tensions entre ce que donnent à voir les pratiques artistiques en école dite “maternelle” et la nature des évaluations possibles en milieu scolaire. Les propos entendus touchent, dans certains cas, à l’étiquetage. Nous montrons que les comportements associés à celui-ci sont interrogés, du fait de notre dispositif méthodologique : une valorisation plutôt positive émerge depuis les points de vue des acteurs, pour des comportements généralement considérés comme inappropriés en contexte scolaire. Ce renversement évaluatif incite alors à discuter les enjeux de définition de cette école appelée “maternelle”, mais aussi “pré-élémentaire”.
This paper discusses ways of interpretation of children-pupils behavior while they work with artists. This collaborative research lead in France and Belgium uses the combination of video and interviews with the aim of crossing different points of view on realities caught by the video. This leads to a certain way of defining evaluation. It focusses on tensions between what can happen in artistic practices in so called “nursery schools” and the nature of the evaluations in school context. Some descriptions and words said by the social actors (teachers, artists…) focus on labelling some children-pupils. The analysis shows how certain behaviors leading usually to labelling are questioned through the methodological procedure : crossed points of view give a rather positive valuation to behaviors considered as inappropriate in school context. This evaluative reversal invites then to discuss about definition stakes about the so called “nursery school”, also called “pre-school”.
Les pratiques artistiques à l’école font l’objet d’un certain nombre d’interrogations, parmi lesquelles la question de leur évaluation [1]. Notre contribution relève de ce questionnement, mis en œuvre dans le cadre du projet européen cARTable d’Europe [2] (septembre 2011 - juin 2015). Elle prend appui sur deux terrains : le « programme de résidences d’artistes en école maternelle » Enfance Art et Langages (Lyon, France, créé en 2002) et l’« opération » Art à l’école du Centre Dramatique de Wallonie pour l’Enfance et la Jeunesse (Strépy-Bracquegnies, Belgique, créée en 1982) [3].
Cette recherche s’inscrit dans le prolongement de nos travaux respectifs, de nature qualitative et centrés sur les enjeux des partenariats professionnels dans des contextes d’éducation artistique en milieu scolaire (Filiod, 2008, 2010, 2012a ; Necker, 2008, 2009, 2010). L’élaboration d’une manière particulière de considérer l’évaluation nous a conduits à solliciter le croisement des points de vue d’adultes sur des filmages de situations d’atelier où artistes et enfants-élèves [4] travaillent ensemble. Notre méthodologie combine la vidéo et l’entretien, individuel et collectif, selon une modalité « collaborative » (Desgagné, 1997 ; Bednarz, 2013 ; Necker & Filiod, 2014). L’image animée y est support des échanges et moyen d’élucider certaines énigmes concernant des comportements d’enfants-élèves.
L’analyse des débats tenus dans les entretiens collectifs a fait émerger des tensions, parfois des controverses, entre ce que donnent à voir les pratiques artistiques en école dite “maternelle” et la nature des évaluations possibles en milieu scolaire. En effet, des propos entendus sur nos terrains – « élève en difficulté », « enfant créative », « bon » ou « bonne élève » – touchent la question de l’« étiquetage » (Becker, 1985 ; Grimault-Leprince & Merle, 2008), dont nous savons qu’il peut commencer dès les premiers temps du cursus scolaire (Joigneaux, 2009). Or, nous verrons (section 2) que les comportements associés à cet étiquetage (inversion des formulations et formes attendues, lenteur, réserve, retrait, prolifération de l’expression et des productions…) sont interrogés, du fait du dispositif méthodologique mis en place : une valorisation plutôt positive émerge depuis les points de vue des acteurs, pour des comportements généralement considérés comme inappropriés en contexte scolaire. Inappropriés, car les analyses socio-historiques de Foucault (1975) et Vincent (1980) ne semblent pas avoir perdu leur actualité, si on considère que le « programme institutionnel » (Dubet, 2002) n’est pas si déclinant qu’on le pense, du fait de politiques scolaires marquées, depuis le début des années 2000, par un recentrage sur les « apprentissages fondamentaux » et la triade lire-écrire-compter (Perrenoud, 2006 ; Chartier, 2013). Dans ce contexte, l’institution scolaire, même si elle connaît, de ce point de vue, des variations selon la localité, attend de l’école maternelle qu’elle soit un socle pour assurer ces fondamentaux (Brougère, 2002 ; Carrefours de l’éducation, 2010). Les enjeux de définition de cette école appelée “maternelle”, mais aussi “pré-élémentaire”, étroitement liés aux enjeux de l’évaluation, seront discutés en section 3, à partir du terrain de l’éducation artistique en maternelle.
Avant ces développements, nous détaillons notre approche de l’évaluation et les raisons de notre choix méthodologique, qui sera également explicité.
En octobre 1989, la revue Esprit publiait ce propos de Patrick Viveret, fondateur de l’Institut pour l’évaluation des politiques publiques, dans le cadre d’un échange avec le sociologue Jacques Donzelot : « La difficulté, du fait d’une dominante managériale dans la représentation de l’évaluation, c’est effectivement que la plupart des gens y voient un jugement sur les personnes, donc l’équivalent d’un contrôle hiérarchique. Prendre le problème par ce bout-là et selon la logique de mérite qui serait défini d’après les critères hiérarchiques de contrôle, cela ne peut que créer une menace supplémentaire pour les agents du secteur public. Dans le domaine scolaire, […] la perception était belle et bien celle-là. Or, l’évaluation des politiques publiques entraîne l’absolue nécessité de distinguer les formes de l’évaluation de celles du contrôle. L’évaluation ne peut fonctionner que si les acteurs considèrent qu’elle est davantage un atout pour eux-mêmes qu’une menace. Il ne faut surtout pas commencer dans ces conditions par une approche de type ’évaluation des personnes’ mais par des approches collectives d’évaluation ou d’auto évaluation. » (Donzelot & Viveret, 1989 : 43)
Depuis, l’évaluation ne manque pas de faire débat, en France (Thélot, 2008 ; Hadji, 2012) ou ailleurs (Demailly, 2006), comme en témoigne encore la récente Conférence nationale sur l’évaluation des élèves [6]. « L’évaluation de l’éducation », rapportée à une véritable « économie » (Chatel, 2001), est le plus souvent envisagée sous le registre du contrôle, de la vérification, de la mesure, de la notation, de la gestion (Rocquet, 2005 ; Zerbato-Poudou, 2007), registre à l’œuvre à l’échelle sociétale (Cahiers internationaux de sociologie, 2011).
Ce registre, dominant au point de constituer une « culture de l’évaluation » (Barrère, 2010), implique l’appréciation d’un écart entre réponse attendue et réponse observée. Ce qui n’est pas sans poser problème lorsque l’éducation artistique s’invite dans les pratiques : la complexité peut être au rendez-vous (Maestracci, 2006 ; Necker & Filiod, 2014), la diversité des valeurs en matière d’éducation artistique aboutissant rarement au consensus (Goodman, 1996 : 82). En didactique des arts plastiques et visuels, par exemple, l’art comporte une dimension exploratoire impliquant de « laisse[r] l’esprit ouvert à l’inattendu et donc à l’improvisation. […] Non seulement le devenir de l’expérience proposée aux élèves restera ouvert, mais la pratique produira de la compétence ailleurs, hors de tout secteur prévisionnel » (Gaillot, 1997 : 100).
Il nous est donc apparu stérile d’opter pour le principe d’une évaluation univoque, sur un mode positiviste, dont le point culminant est sans doute les « évaluations de masse » en vigueur dans le système éducatif français depuis 1989 (Chatel, 2001 : 48-58) [7]. La pluralité des points de vue sur l’éducation artistique et ses éléments que sont l’art, la culture et l’éducation, nous invite plutôt à recourir au caractère fondamentalement interprétatif des sciences sociales (Passeron, 1991), notamment l’anthropologie (Olivier de Sardan, 2008). Cela signifie que l’évaluation consistera moins à vérifier si des hypothèses sont confirmées ou des objectifs atteints, qu’à construire une appréciation la plus fine possible d’une réalité dont on est convaincu qu’elle est plus complexe qu’on ne le croit.
Ainsi avons-nous fait communiquer des observations centrées sur des expériences où interagissent enfants-élèves et artistes en résidence, avec une manière non docimologique de définir l’évaluation, afin d’ouvrir un dialogue avec les professionnels. Cela nous a conduits à privilégier une confrontation des points de vue sur un même phénomène. Nous nous sommes ainsi mis en accord avec l’étymologie d’évaluer : ex valere, qui peut signifier l’extraction d’une valeur à partir de la réalité, ou le fait de donner une valeur à partir d’une position extérieure. Dans ce sens, la logique collaborative proposée génère une posture qui s’appuie alors sur l’idée de faire confiance aux savoirs portés par les acteurs concernés par les réalités interrogées à partir d’une même question : que disent des acteurs différents, travaillant sur un même lieu avec les mêmes enfants-élèves, de situations de travail avec un(e) artiste ? À nous de mettre en jeu ces savoirs par un dialogue à la fois constructif et critique entre acteurs et chercheurs. Observer à plusieurs la même scène ou pratique provoque des faisceaux de commentaires, questionnements, analyses, interprétations, remises en question… vus par le chercheur comme des atouts, mobilisables pour élucider l’expérience d’éducation artistique.
Notre démarche a opéré par une succession d’étapes :
• Filmage d’une séance de travail par le chercheur.
• Visionnage de ce film par le chercheur et chaque acteur travaillant habituellement avec cette classe. Travail individuel de recueil d’extraits jugés significatifs (les collaborateurs ne doivent pas échanger à ce sujet pendant cette phase).
• Entretien individuel (EI) avec chaque acteur, sur la base des données filmées.
• Analyse des données des EI, en identifiant les extraits sélectionnés, leur nature et les discours associés. Comparaison entre les extraits et discours des différents acteurs, en vue d’une sélection pour l’étape suivante.
• Entretien collégial (EC) à partir de cette sélection, afin de faire émerger des analyses, des interprétations, d’identifier ce qui fait consensus ou dissensus. En certaines occasions, d’autres acteurs (enseignant(e)s, Atsem [8]…) ont pu participer à cet EC.
• Analyse des données et mise en commun franco-belge.
Pour la première édition de cARTable d’Europe (2011-2013), nous avons travaillé avec quatre écoles (deux belges, deux françaises), chaque chercheur œuvrant à un champ géographique. Pour la seconde édition (2013-2015), nous avons travaillé en partie en duo, en Belgique, dans deux écoles. En France, une troisième école a été sollicitée pour collecter de nouvelles données et enrichir la réflexion. Pour les besoins de cet article, nous mobilisons, en outre, une observation réalisée dans une école lyonnaise accueillant une musicienne en résidence.
Unités | Artistes | Enseignants | Atsem | Chercheurs | |
---|---|---|---|---|---|
Belgique | 4 classes | 2 danseurs chorégraphes
1 auteure comédienne |
4 | - | 1 |
France | 4 écoles (10, 7, 6, 3 classes) | 1 photographe
1 plasticienne marionnettiste 1 danseurs chorégraphe 1 musicienne |
7 | 3 | 1 |
Tableau 1. Récapitulatif du terrain (2011-2015)
Dans cette logique de « coproduction de connaissances » (Filiod, 2012b), les questions accompagnant ces observations (en EI et en EC) sont : Qu’y a-t-il de significatif dans ce qu’on observe ? De quoi est-ce significatif ? Ce qui est relevé comme significatif a-t-il à voir avec certaines valeurs et certaines normes ? Les échanges proposés donnent-ils lieu à des controverses faisant ressortir des manières différentes de concevoir l’École, l’éducation, l’enfance, la petite enfance, l’art ? Ces conceptions différentes apparaissent-elles compatibles ou non ? Les échanges proposés permettent-ils de tendre vers un consensus ou non ?
Parmi les extraits jugés significatifs, nombreux ont été retenus pour les connaissances qu’ils apportent sur des enfants-élèves. Dans ces cas, la description des images insiste sur tel ou tel enfant-élève considéré comme inactif, concentré, ou encore engagé, présent, éprouvant de la lassitude, du plaisir, s’exprimant, décidant, construisant un projet, coopérant, sachant faire ou non, s’affirmant… Les connaissances issues de ces extraits peuvent renforcer la connaissance que l’on avait de l’enfant-élève, en positif ou en négatif : un tel agit « en bébé », comme en classe ; tel autre a des difficultés ou fait des associations pertinentes… Ou, inversement, elles donnent à voir les enfants-élèves différents : telle sourit alors qu’elle a toujours le visage fermé, tel est en retrait alors qu’il participe bien plus activement en classe.
Les résultats que nous déclinons dans les trois sous-sections suivantes ne sont pas issus d’une comparaison de quantités au bout de laquelle ne seraient présentées que les occurrences majoritaires, au discrédit d’occurrences estimées marginales parce que minoritaires. En accord avec la méthode, ces résultats renvoient tous à des enjeux éducatifs que le travail collégial chercheurs-acteurs et le travail des chercheurs seuls ont fait ressortir comme importants. Ainsi la mise en jeu d’une pluralité d’usages d’un objet (instrument de musique, mots…) a-t-elle à voir avec une mise en valeur de la singularité des enfants-élèves (première sous-section). Une singularité qu’on retrouve dans les comportements de réserve et de retrait de certains enfants-élèves (deuxième sous-section), ou dans la temporalité particulière qu’on repère chez certains enfants-élèves étiquetés, à partir de leur comportement en classe, comme étant « en difficulté » (troisième sous-section).
Les extraits retenus sont nombreux où des enfants-élèves découvrent des matériaux, cherchent, trouvent des façons d’en user. Ainsi, une musicienne laissa explorer la prise en main d’instruments par les enfants-élèves pour qu’ils trouvent par eux-mêmes une ou des modalités de jeu. Au contact du balafon, clavier à percussion fait de lames de bois qui résonnent grâce à des calebasses agrémentées de mirlitons, les enfants-élèves cherchèrent un certain temps comment s’en servir. Plusieurs fois, l’artiste fut tentée de leur donner la « solution » (EI). Mais, les voyant utiliser l’instrument de différentes manières : à l’endroit, à l’envers avec les doigts, les mains, elle prit le parti de ne pas induire le mode de jeu « classique » (EI). Un résultat les intéressa et devint une modalité fréquente d’utilisation : à l’envers. Les calebasses devenaient de petits tambours, aux sons variés du fait de leurs tailles différentes. La situation évolua : un enfant-élève, ne parvenant pas à le faire sonner avec ses mains, essaya l’instrument à l’endroit. L’artiste proposa alors de le faire avec des baguettes. Les enfants-élèves entendirent une nouvelle sonorité qui devint le mode de jeu adopté par tous.
Ainsi arriva-t-on à un usage de l’instrument attendu par l’artiste, mais après que les enfants-élèves ont exploré d’autres façons de le faire résonner. Retourner l’instrument, faire émerger des sons avec les doigts ou les mains, autant d’actions qui mettent les enfants-élèves face à une pluralité d’usages possibles, parmi lesquels une manipulation traditionnelle, habituelle. La connaissance que nous avons, par ailleurs (observations directes, entretiens), de la démarche engagée par cette musicienne au sein de l’école, atteste de la prise en compte des potentialités sonores issues de la pluralité d’usages des instruments. Les œuvres co-construites avec les enfants-élèves font la part belle au choix des sons par les enfants-élèves eux-mêmes, l’artiste montrant par là son intention de porter attention autant à la pluralité des formes esthétiques qu’à celle des formes d’expression singulière des êtres.
Cet intérêt pour la singularité au sein d’un espace d’expression plurielle se rencontre aussi dans des contextes plus littéraires. Lors du premier atelier dirigé par une auteure comédienne, celle-ci demanda de dessiner l’histoire d’une blessure. L’atelier suivant, alors que le reste de la classe travaille à un collage, elle sollicite des enfants-élèves, un à un, pour que chacun raconte l’histoire de son dessin. Sous la dictée, elle prend en note le récit. En vue de l’EI, l’artiste sélectionne l’extrait filmé du récit de Léo racontant, en mots et gestes, comment, sur une route, il est tombé de vélo et a, avec son « crâne », « cassé la pierre » (dixit Léo [9]). L’artiste explique au cours de l’EI, avoir choisi l’extrait pour l’« intention poétique » qu’elle décèle dans la combinaison et la répétition de mots et de gestes : décrivant les conditions de sa chute, Léo, avec la main et le bras, dessine les bosses multiples du chemin emprunté, accompagnant ses gestes de mots : « ça monte, ça descend, ça monte, ça descend ». Le fait qu’« il répète avec les mots […], comme il répétait avec le geste », cela crée, selon l’auteure comédienne, « un langage singulier », « un truc poétique », « un petit poème », « une composition musicale ».
« Le crâne qui casse la pierre » : de telles formules inversées en regard d’une norme réaliste (une pierre peut casser un crâne, pas l’inverse) ne sont pas rares chez les enfants-élèves, mais le contexte d’éducation artistique, la présence d’une auteure sensible à la poésie, y compris dans ses formes les plus simples en apparence, donne une valeur particulière à l’expression. Ce que confirmera l’EC, pendant lequel l’artiste rapprocha la forme répétitive du récit de Léo du texte de la poétesse Gertrude Stein, Le Monde est rond [10] : « C’est un super beau texte, […] qu’elle a écrit pour les enfants. […] elle fait tout le temps des répétitions comme ça […] on sent dans son écriture qu’il y a une espèce d’imitation du langage des enfants et c’est vrai que quelque part, je fais ça un petit peu. Quand j’écris, j’imite la poésie que, eux, font spontanément ». La légitimité attribuée au propos “à l’envers” de Léo – le crâne qui casse la pierre – est ainsi justifiée par une mise à quasi égalité de cet enfant-élève (qui est avant tout « enfant » pour cette artiste) avec deux adultes légitimés par leur position sociale d’artiste.
L’enseignante, qui identifie cet extrait comme « un beau moment de partage », fera varier son interprétation au sein même de l’EI, pendant lequel elle indique que Léo, qui « aime bien parler », « fabule ». S’appuyant initialement sur une norme réaliste, elle remet en question la véracité du discours de Léo, pour finalement en envisager la plausibilité : « Mais bon, ici, ça peut être plausible aussi. Pourquoi pas ? ». En EC, l’enseignante entend les référents culturels de l’artiste et envisage différemment le récit de Léo. La véracité des faits ne fait plus valeur, l’esthétique et la forme de la production lui sont préférées. L’enseignante souligne alors le sens du « détail » et de la « description » de Léo, son « côté artistique ». Les échanges autour du récit de Léo montrent la pluralité des cadres et valeurs, des normes à partir desquels une légitimité est attribuée ou non à un comportement, et le possible cheminement, pour une même personne.
Ainsi, en focalisant l’attention, non sur le résultat final auquel la pluralité aboutit, mais sur les formes émergeant de la pluralité des comportements individuels des enfants-élèves, les acteurs valorisent la singularité.
Comme nous venons de le voir, la pluralité des formes et des usages, permise par certaines modalités de conduite des ateliers, met au jour des expressions d’enfants-élèves que les acteurs é-valuateurs repèrent comme significatives. Ces derniers insistent également sur le fait que l’expression de l’enfant-élève n’est manifeste qu’à la condition d’avoir laissé son rythme se déployer. La composante temporelle de l’atelier est alors un enjeu.
Un extrait filmé d’un atelier montre l’installation de l’espace de danse (un carré délimité par du scotch au sol) en début d’atelier : pour l’artiste, c’est « un temps où il y a une action qui se passe dans l’espace, mais il y a plein d’autres actions qui se passent dans la périphérie ». Ce danseur chorégraphe ne souhaite pas « avoir le contrôle sur tous les enfants », mais « être avec deux enfants, un enfant, trois ou quatre enfants en train de faire une petite action », « observer un enfant un peu plus dans son temps », « le rendre responsable aussi d’une action » et « voir comment, lui, il va gérer cette action » (EI). Interrogé sur le « ralenti » induit par ce choix, l’artiste répond par une autre approche du temps : « si on part du principe qu’on construit le temps, voilà on prend le temps qu’il faut. Donc, c’est même pas une question de ralenti, c’est de prendre le temps dont ils ont besoin ». L’artiste s’« accorde », « essaie de suivre le temps d’Alice, de Rachel et d’Héloïse ». Alors, « le temps se dessine » et « se tisse », « d’une autre façon ».
L’enseignante revient sur cette façon de faire de l’artiste, repérant l’attitude qu’il adopte vis-à-vis d’Alice, une élève au rythme différent : « en train de mûrir », « qui fait des essais, des tentatives ». Il « lui laisse le temps de faire ce chemin », dit-elle (EC). Une façon de faire qu’elle estime éloignée des pratiques de classe : « Au bout d’un moment, quand on en a 28 [enfants-élèves], on ne peut pas attendre 20 minutes… “Attends ma chérie, ça ira mieux la prochaine fois !”. Mais les autres sont là, ils attendent, ils sont en train de faire les cascadeurs derrière, mais Alice, elle sait que [l’artiste] va lui laisser cette possibilité ».
Ainsi n’a-t-il pas été rare de voir les acteurs é-valuateurs extraire des scènes de début d’activité artistique où l’on voit des enfants-élèves qui ne s’y engagent pas, restant en retrait. Dans la quasi totalité des cas, ils ne sont pas rappelés à l’ordre par les adultes. À partir de cette vidéo où un danseur chorégraphe travaille avec des enfants-élèves de petite section et leur enseignante, un consensus enseignante-Atsem-artiste a existé dès les EI, à propos de Dyhlan, enfant-élève plutôt spectateur : « à la danse, on voit vraiment, au début, il se mettait toujours en retrait, voire à côté, à s’asseoir sur le banc, à rester à côté. Et, c’est vrai que, moi, je les laisse au début, quand je vois que c’est… que c’est trop difficile pour eux : “OK. Prends le temps d’observer, prends le temps de…”. Et petit à petit, on les voit rentrer dans la danse et y a des moments, lui, dans la séance, où il fait rien, mais il est dedans » (enseignante, EI).
Pour l’artiste, « C’est un temps nécessaire », qu’il constate ailleurs : « Dans les autres classes ou dans d’autres écoles, j’ai aussi affaire à des mômes qui, à un moment donné, on a l’impression qu’ils sont pas là. C’est un temps d’analyse. […] ils prennent énormément de temps. Et moi, je veux pas interférer là-dedans » (EC). Les images montrent Dyhlan réaliser – trois fois, assez espacées sur une durée d’environ 12 minutes – cette mise en retrait : « il a besoin d’observer les gestes. En plus, il regarde même les copains, “Est-ce qu’ils font pareil ?”. Donc, je pense, il faut un petit temps d’adaptation » (Atsem, EC).
En EC, le chercheur constate le consensus des trois é-valuateurs, mais leur fait remarquer que les verbes utilisés ne sont pas les mêmes : pour l’artiste, l’enfant-élève « analyse », pour l’Atsem, il « observe », pour l’enseignante, « il apprivoise. Ou il se fait apprivoiser. Enfin, c’est un peu les deux ». La concordance de trois verbes a priori distincts dans leur signification montre qu’on peut considérer que l’enfant-élève est pris dans une activité de perception, ou dans un rapport à l’action, ou dans une recherche de compréhension de ce qu’on lui propose ou lui demande de faire. Elle signifie également la possibilité de décrypter l’engagement d’un enfant-élève bien qu’il ne bouge pas, qu’il ne s’engage pas dans des mouvements corporels alors que la situation le demande.
Le choix unanime fait par les acteurs é-valuateurs de ces scènes où Dyhlan est en retrait sans l’être vraiment, tient en particulier au fait que cet enfant-élève a connu et connaît des situations « difficiles ». L’enseignante : « quand il a fait ses visites médicales à la PMI [protection maternelle et infantile], la nounou me dit “Mais, il a rien dit”. Alors que je sais qu’il parle, parce que moi, il me parle des fois, mais… » (EI). Ce rapport entre les situations vécues par des enfants-élèves (au sein de classe, de l’école ou/et en dehors) et la valorisation positive de certains de leurs comportements en situation d’atelier artistique a souvent été mis en exergue, dans les écoles belges et françaises.
Ainsi, côté belge, cet enfant-élève, dont le comportement est retenu par l’artiste et l’enseignante : « Ça, ça m’a surprise… Positivement, en plus, parce que je trouve que c’est un enfant fort effacé. […] Et là, je l’ai vu… content, parce que… il faut le faire, dans une grande salle… tout seul… fermer les yeux. […] il se met dans cet état d’isolement… dans le groupe : “Je me sens tellement bien là que je peux fermer mes yeux, il va rien m’arriver. Et je vais avancer. Et puis, je vais m’amuser à m’ouvrir et à… découvrir où je suis. Donc, je me sens bien dans le groupe, je me sens bien dans l’espace. J’ai assez confiance pour fermer mes yeux et avancer” » (enseignante, EI). « C’est une exploration sensorielle, donc il ferme les yeux, donc il commence à goûter un peu son espace interne aussi » (danseur chorégraphe, EI). Dans une autre résidence, une enseignante remarque l’interaction privilégiée d’une enfant-élève avec l’artiste, pointée comme levier de métamorphose : « J’aime bien la séquence où Maïté est vraiment suspendue aux yeux de [l’artiste]. […] Y a vraiment quelque chose, moi, je trouve, qui se passe dans son regard. Elle est émerveillée, elle a ses yeux qui rient. C’est une enfant qui est très triste, c’est une enfant qui n’a pas toujours une vie familiale très épanouissante. […] j’ai remarqué, c’est une enfant qui peut être complètement triste, éteinte dans son regard » (EI).
Côté français, dans un atelier conduit par une marionnettiste, Anissa est reconnue par son enseignant « comme elle est en classe », « pas active », « déconnectée », « elle regarde et attend » (EI). Les débats avec le chercheur pendant l’EI et avec les participants à l’EC atténuent cependant ces éléments de l’é-valuation par l’enseignant, qui disait : « si je la connaissais pas, j’aurais dit “Ben oui, elle est tranquille cette fille, elle est calme, elle est posée, elle prend son temps, c’est bien”. Et moi, voilà, j’interprète comme ça “elle est perdue, elle sait pas quoi faire, elle regarde les autres” » (EI). Pourtant, la manière dont Anissa attend, observe autour d’elle, « est un comportement qu’on recherche aussi en classe. On lutte un peu contre les élèves qui, tout de suite, en présence du matériel, se jettent dessus, ils font, ils font, ils font et ils ne réfléchissent pas » (enseignant, EI). Disant qu’Anissa « fait des choses », « crée aussi quelque chose », l’enseignant pourrait s’accorder avec l’artiste, l’Atsem et deux autres enseignantes, toutes constatant (EC) qu’Anissa prend son temps : pour choisir les matériaux, composer le visage de sa marionnette, écrire le nom de celle-ci, couper un fil en guise de cheveux.
Dans cette scène-ci, retenue par tous les acteurs, Anissa détend le fil qu’un autre enfant-élève avait tendu, sur ordre de l’artiste. Les raisons de ce changement de forme ont été discutées dans l’EC, avec deux interprétations : 1) elle rapproche le fil d’elle pour que ce soit plus pratique ; 2) elle met le fil en forme de cheveux comme il sera sur la marionnette. Favorables à la seconde, une enseignante dit « C’est incroyable, hein ! » et une autre « Elle se projette ». « C’est une belle interprétation », dit l’artiste qui n’avait pensé qu’à la première. Un consensus a pu s’installer, probablement car on devine quelque chose de cognitif dans cette mise en continuité de la forme réelle des cheveux. Ainsi l’étiquetage d’« élève en difficulté » fut reconsidéré. Il fut même mis en balance avec l’analyse du comportement d’une autre enfant-élève, Lise, « créative », de « niveau scolaire […] très bon » (enseignant, EC), mais tout autant « en difficulté » au regard de sa « relation aux autres » (enseignante, EC) : elle intervenait, en effet, assez souvent directement sur les productions de ses camarades. Une autre enseignante (EC) rappela alors la présence du « Devenir élève » dans les programmes de l’école primaire (MEN, 2008), suggérant qu’une lecture des images filmées selon ce critère donnerait lieu à d’autres catégorisations que celles qui avaient cours jusqu’à présent.
À quelles réflexions nous invite l’interrogation, par des professionnels mis en situation d’é-valuateurs, de l’étiquetage de certains enfants-élèves ? Nous répondrons à cette question en trois points, interdépendants. Nous nous intéresserons d’abord aux enjeux d’évaluation situés au cœur de l’action, en termes d’écart à l’énoncé initial de l’activité. Puis nous mettrons en valeur la tension entre deux définitions de ce niveau du cursus scolaire qu’on appelle le plus souvent “maternel”, le moins souvent “pré-élémentaire”. Enfin, nous interrogerons les enjeux d’appropriation de nos résultats par les acteurs, à la fois sur le parcours des enfants-élèves et les logiques institutionnelles.
Nos résultats montrent que l’interrogation de l’étiquetage, notamment celui qui concerne les enfants-élèves dits « en difficulté », provient à la fois de la valorisation positive de la singularité des enfants-élèves, de celle des formes esthétiques produites et du temps qu’il faut pour que cette singularité émerge et soit identifiée. Si l’usage de l’image animée contribue à cette interrogation, nous ne négligerons pas le fait que nombre d’arguments donnés par les é-valuateurs mettent en rapport ces valorisations positives avec la manière spécifique que les artistes ont de conduire les ateliers. Une des hypothèses que nous retenons et qui mériterait d’être réinvestie dans des recherches ultérieures, est celle qui s’appuie sur le constat d’un recours, très fréquent chez les artistes, à la catégorie de « proposition ».
Celle-ci définit l’énoncé initial de l’activité et se distingue de la « consigne », catégorie du vocabulaire enseignant très fréquemment utilisée sur nos terrains, et souvent contestée du côté des artistes. Sans doute parce qu’ils y voient une définition trop attachée aux “règles”, aux “tâches” à “exécuter”, au “but” à “atteindre”, registre sémantique proche de celui qu’on trouve dans les dictionnaires de l’éducation et de la pédagogie [11]. Ce qui se joue dans l’écart plus ou moins grand au contenu de l’énoncé initial (nous ne disons ni consigne, ni proposition, à dessein), c’est : l’énergie d’un mouvement ; la complexité de la tâche assumée ; le jeu avec les contraintes ; la prise de risque d’un engagement sensoriel total ou au contraire la mise en retrait pour se donner le temps de réfléchir à l’énoncé ou de voir les autres faire, jusqu’à l’immobilité [12].
Cependant, si notre terrain valorise la « coopération » dans les ateliers, les modalités d’interactions entre artistes et enfants-élèves caractérisées par une économie des interventions d’adultes, et le « temps » donné ou pris pour faire ou ne pas faire la « proposition » ne s’opposent pas à la « consigne ». Car, d’une part, les artistes sont assignés à « une position minimale de conducteur d’activité » (Filiod et al., 2007 : 16), et d’autre part, ils adoptent souvent, voire revendiquent, le principe de « contrainte », conformément à certains de leurs univers artistiques de référence [13]. Et encore, les ateliers ne se caractérisent pas par l’absence de règles ou de normes : elles existent, mais sont souvent différentes du contexte de la classe. Dans ce sens, les manières de conduire les ateliers n’éludent ni l’exigence, ni l’évaluation, qui fait justement l’objet d’appréhensions et de conceptions distinctes lorsqu’on s’intéresse à cette école qui accueille des enfants-élèves de moins de 6 ans.
Le fait d’utiliser, dès la première année d’école, des tableaux dont les lignes sont des compétences à acquérir et les colonnes des degrés d’acquisition (acquis ; en cours d’acquisition ; non acquis) fait ressembler l’école “maternelle” à une sorte d’« école pré-élémentaire ». Cette expression figure dans un rapport du Sénat (Sénat, 2007), de même dans les formulaires d’inscription scolaire de quelques communes. Peu de chercheurs semblent l’adopter (même si on en trouve une trace dans un article déjà ancien : Miffre, 1980), ce qui peut paraître paradoxal : les chercheurs sont en effet souvent les premiers inventeurs de néologismes, repris ensuite dans la langue commune [14].
L’expression « école pré-élémentaire » souligne l’inscription définitive de cette « première école » dans l’école primaire [15]. Mais l’expression « école maternelle » conserve une prégnance qui peut signifier un refus de cette inscription définitive, ce refus pouvant lui-même sous-entendre que l’on doit laisser beaucoup de place au développement progressif des compétences des enfants-élèves, avec l’expressivité et la créativité comme horizons et supports. La pratique artistique apparaît alors comme un moyen d’entretenir cette conception, nos résultats sur le « temps » à accorder aux enfants-élèves identifiés comme plutôt « en difficulté » scolaire en sont une illustration significative.
La tension entre ces deux termes, qui renvoient à deux conceptions assez différentes de cette « première école », ne sont pourtant pas contradictoires au point qu’on penserait que, à terme, l’un triompherait de l’autre.
En effet, les pratiques observées dans ces contextes de résidences d’artistes résonnent en analogie avec les formes cognitives de l’éducation artistique, qu’on les appelle « perception », « production » et « réflexion » (Gardner, 2008) ou « voir », « faire » et « interpréter » (Bordeaux, 2004). Ces formes cognitives n’ont toutefois pas besoin des résidences d’artistes pour exister a minima dans ces écoles : il suffit d’un peu de dessin, de peinture “à la manière de” (Mirò, Klee, Harring…), d’une visite dans un musée, d’une discussion au retour de celle-ci, pour que l’enseignant se rassure quant à la réponse aux « programmes », qui incluent, et ce, depuis que des programmes existent en école maternelle (1995), les actes de « percevoir », « imaginer », « créer », « sentir » [16].
On pourrait s’en tenir à ces quelques pratiques minimales, selon l’idée que les enfants-élèves auront bien le temps, plus tard, d’approfondir leurs connaissances, de parfaire leur éducation artistique ; comme si, après tout, nous n’étions “qu’en maternelle”.
Toutefois, les activités menées avec les artistes en résidence et le caractère collaboratif de la recherche ont fait émerger des situations, des comportements, des attitudes, qui valorisent des capacités des enfants-élèves. La nécessité de leur laisser le temps de s’exprimer, produire, construire, réfléchir, qui ressort de nos investigations partagées, est en phase avec les constats sur les changements de « l’enfance » et de « l’enfant » [17], avec la place reconnue d’un « enfant-sujet » au sein d’une société « démocratique » (Dubet, 2004 ; Ottavi, 2012) et avec les discours pédagogiques qui consacrent chaque jour l’« épanouissement » d’un enfant « autonome » et « acteur de ses apprentissages » dont on respecte le « rythme » (pour reprendre des expressions fréquemment utilisées). En montrant ce qui peut se passer dans le jeu entre l’énoncé initial de l’activité et l’activité en elle-même, nos recherches ont contribué, à leur manière, à affiner la connaissance des enfants-élèves et de ce dont ils sont capables, et à partager la possibilité d’une remise en question des étiquetages.
Les chercheurs sont le plus souvent de passage. Notre recherche était liée à un programme de deux fois deux ans, pour lequel nous avons mis à l’épreuve la méthode présentée dans cet article. Depuis la fin de cette recherche en contexte européen, une des recherches possibles à envisager consisterait à étudier la manière dont le regard, transformé pendant le temps de la recherche collaborative, se traduit en changement dans les pratiques professionnelles. Nous avons déjà repéré ces changements, sans avoir cherché, cependant, à savoir s’ils étaient générés par la présence de chercheurs dans le dispositif ou par l’existence même des résidences d’artistes (Filiod, 2008, 2012a ; Necker, 2008, 2009, 2010).
Pour autant, et même à défaut d’une étude longitudinale suivant la carrière scolaire des enfants-élèves ou leurs « parcours d’éducation artistique et culturelle » (MEN, 2015b), les professionnels avec lesquels nous avons travaillé ont les moyens, au moins théoriques s’ils se réfèrent aux résultats de la recherche nationale et internationale, de faire fructifier les regards acquis. Ces travaux de recherche sont aussi nombreux que divers et insistent sur deux types de finalité de l’évaluation : celle qui insiste sur les effets intrinsèques (compétences artistiques), celle qui insiste sur les effets extrinsèques (autres compétences). Ces finalités différentes se combinent avec trois conceptions de l’évaluation, qui coexistent en milieu scolaire : a celle centrée sur l’interrogation des valeurs en jeu dans l’opération ; b celle centrée sur la mesure d’un écart entre un objectif explicite et les résultats obtenus ; c celle mettant en valeur les potentialités éducatives et cognitives émergeant de l’activité (Lauret, 2014 : 14).
Dans le cadre d’une conception de type b, la plus fréquente, les professionnels pourraient être stimulés par certains effets positifs de l’éducation artistique plutôt bien repérés. Ainsi, en s’appuyant sur les nombreuses contributions aux Actes du Symposium international sur l’évaluation des « effets de l’éducation artistique et culturelle » (Collectif, 2008), sur les bilans internationaux et nationaux récemment établis par une étude de l’OCDE (2014) et Lauret (2014), on apprend que la pratique de la musique contribue à une meilleure maîtrise des mathématiques, la pratique du théâtre favorise la prise de parole et l’estime de soi, la pratique de la danse favorise le vivre-ensemble, la photographie favorise la discrimination visuelle, nécessaire autant au décodage des œuvres artistiques qu’à l’apprentissage de la lecture, etc. Tous ces travaux, confortés par le succès des neurosciences, sont de plus en plus accessibles, et tout professionnel peut s’en inspirer. Mais trois obstacles principaux s’offrent à lui.
Tout d’abord, les enquêtes sociologiques en matière de pratiques artistiques et culturelles rappellent le caractère déterminant du milieu social d’origine et de l’entretien de ces pratiques artistiques dans la famille et d’autres espaces d’apprentissage – musées, salles de spectacles… – (voir notamment Fleury, 2006 ; Coulangeon, 2010) sur le parcours artistique et culturel de l’enfant-élève (dans sa dimension scolaire comme non scolaire). Croire en un effet mécanique de l’introduction d’une pratique artistique sur l’amélioration des performances cognitives ou sociales est un leurre. Les efforts des professionnels de l’école risquent d’être vains si des relais n’existent pas au sein de ces autres institutions et instances de socialisation.
Ensuite, les professionnels se sentent-ils autorisés à privilégier l’éducation artistique dans le contexte fortement hiérarchisé de l’Éducation nationale ? Les priorités ministérielles, relayées par les inspecteurs de circonscription et les conseillers pédagogiques font souvent passer au second plan l’éducation artistique. Même si celle-ci est affichée comme priorité dans tous les discours politiques depuis 2012, elle pèse bien moins que, par exemple, l’aide individualisée à destination des élèves les plus en difficulté, censée réduire les inégalités scolaires et accompagner le recentrage de l’école sur les « fondamentaux ». En conséquence, évoquer l’éducation artistique doit encore s’accompagner d’une justification du bien-fondé de ces pratiques, et ce, dans un contexte de forte résistance de la forme scolaire traditionnelle. Dans l’exemple d’Anissa, l’enseignant, ravi de pouvoir la voir faire tant de choses qu’elle n’arrive pas à faire en classe, ne manqua pas de souligner la difficulté de prêter autant d’attention à un seul élève dans une classe de 30, quand l’atelier artistique étudié n’en comportait que 4. Cette remarque souligne une différence fondamentale entre « la classe » et « l’atelier », qui rappelle la prégnance de la « forme scolaire », au moins dans sa dimension spatiale.
Enfin, la modalité c d’évaluation – et dans une certaine mesure la a –, si elle a été identifiée par de très nombreux professionnels comme utile et pertinente, se heurte à une tendance majoritaire de l’évaluation, qui est de type b : celle du contrôle et de la vérification, le plus souvent chiffrée, les référents principaux étant les évaluations sommative (Merle, 2014) et diagnostique (MEN, 2015c). Dès lors que cette conception c implique une démarche de recherche et d’observation, cela demande aussi un dispositif institutionnel mettant en accord les acteurs de l’école, ceux de la circonscription, des chercheurs, et aussi des parents d’élèves, ce qui permettrait de travailler les relations École-Famille sur d’autres versants – notamment cognitif – que le seul versant social et institutionnel.
Au bout du compte, notre recherche pourrait avoir l’allure d’une parenthèse dynamique et stimulante dans un cadre institutionnel trop contraignant pour que de réelles innovations y soient conduites. Cependant, s’intéresser aujourd’hui de manière empirique à l’École et aux formes éducatives qui s’y déploient nous installe dans une tension entre la forme scolaire, existant dans d’autres espaces éducatifs que l’école, et les écarts à celle-ci. La diffusion de pédagogies “alternatives” ou “nouvelles” et leur injection, même discrète, dans une école encore “traditionnelle”, ainsi que les rapports entre éducation formelle, non-formelle et informelle, donnent à voir une forme scolaire soumise à de la variété et à des variations (Maulini & Montandon, 2005). Ces variations colorent les réalités locales, la démarche d’é-valuation que nous avons proposée pouvant y trouver une place et nourrir, pour les chercheurs comme pour les autres acteurs, l’analyse des pratiques professionnelles et des carrières scolaires des enfants-élèves.
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[1] Autrement, 2000 ; Collectif, 2008 ; Lauret, 2014 ; OCDE, 2014.
[2] Dans le cadre des Partenariats Comenius Regio du Programme pour l’Éducation et la Formation Tout au long de la Vie.
[3] Entre guillemets, les dénominations officielles.
[4] Cette catégorie permet d’intégrer le double statut – générationnel et scolaire – des êtres concernés (Filiod et al., 2007 : 10 ; Necker & Filiod, 2014 : 98) et nous semble appropriée dans le contexte du premier niveau du cursus scolaire. Elle n’a, à notre connaissance, jamais été utilisée comme telle, malgré quelques réflexions sur l’articulation entre « métier d’élève » et « métier d’enfant » (Sirota, 1993) ou sur les rapports dialectiques entre « enfant », « élève » et « apprenant » (Recherches en didactiques, 2011).
[5] Dans la suite du texte, nous utiliserons la césure é-val… lorsqu’il s’agira de parler des acteurs producteurs de l’évaluation, au sens où nous la définissons dans cette section.
[6] Voir : www.conference-evaluation-des-eleve…
[7] Les contextes politiques successifs et l’amplification médiatique des propositions gouvernementales ne permettent pas toujours un débat serein sur la question. Nous pensons à la polémique sur le diagnostic de déviance sur les enfants de 3 ans suite au rapport de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale publié en 2005 (Neyrand, 2006), ou encore aux évaluations nationales en primaire dont les résultats étaient transférés depuis les écoles jusqu’au ministère de l’Éducation nationale, « remontée » abandonnée en 2013, pour que l’évaluation devienne plus formative et centrée sur les élèves (MEN, 2013). Sans oublier, bien sûr, le débat sur le maintien ou non des notes chiffrées.
[8] Agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles.
[9] Comme pour les exemples suivants, le prénom est un pseudonyme.
[10] Stein G. (2011 [1939 ]), Le Monde est rond. Noville-sur-Mehaigne : Esperluette éditions.
[11] En voici deux exemples : « Ordre donné pour faire effectuer un travail. Énoncé indiquant la tâche à accomplir ou le but à atteindre » (Raynal & Rieunier, 2005 : 90) ; « Énoncé oral ou écrit qui amène l’élève à exécuter une tâche et qui précise, entre autres, les caractéristiques de l’écrit à produire » (Legendre, 2005 : 287).
[12] Les comportements de ce type intéressent aussi des recherches sur l’Éducation physique à propos de l’apparente absence d’activité. Les débats opposant regard négatif et regard positif sont « caducs » : « […] le non-mouvement peut être performant. Il n’est pas l’apanage des activités alternatives, privilégiant les sensations à la production des activités de rendement. » (Bordes, 2010 : 98). Du point de vue de notre recherche collaborative, mais aussi de l’éducation artistique et de l’école maternelle, le débat n’est pas caduc, il semble qu’il ne fait que commencer.
[13] Pensons à l’Oulipo et à ses dérivés (Oupeinpo pour la peinture, Oumupo pour la musique, etc.). Voir aussi Nouvelle revue d’esthétique, 2012.
[14] Il en va ainsi, par exemple, de l’attribut « monoparentales », associé au mot « familles », qui était réservé, avant que les chercheurs inventent l’adjectif, aux ménages comportant deux parents.
[15] La formule « première école » est de Jean-Pierre Chevènement (MEN, 1986 : 8-9), ministre de l’Éducation nationale entre 1984 et 1986. Quant à la confusion entre « école élémentaire » et « primaire », elle est énoncée autant par des hommes ou femmes politiques que par des citoyens. Voire par des chercheurs : ainsi dans la tribune « Il faut sauver la maternelle » (Collectif, 2014), les auteurs parlent de « logique de “primarisation” » pour dire combien la maternelle a été « peu à peu envahie par le modèle de l’école élémentaire ». De manière plus rigoureuse, il aurait fallu parler de « logique d’élémentarisation ». Sur les tensions entre écoles « maternelle » et « pré-élémentaire », entre « pré-scolarisation » et « scolarisation », voir aussi Garnier, 2009.
[16] Les derniers programmes de l’école maternelle placent, parmi les cinq domaines d’apprentissage organisant les enseignements, « Agir, s’exprimer, comprendre à travers les activités artistiques ». Ce domaine doit permettre « de développer les interactions entre l’action, les sensations, l’imaginaire, la sensibilité et la pensée » (MEN, 2015a).
[17] James & Prout, 1997 ; Le Débat, 2004 ; Kerlan & Loeffel, 2012.
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