Béguin Camille, Renaud Lise, Triquet Éric
Si la statuaire gréco-romaine en marbre est aujourd’hui appréciée pour sa blancheur, cela n’a pas toujours été le cas. Les Anciens avaient en effet pour habitude de peindre leurs statues. Les données archéométriques en faveur d’une polychromie originelle s’accumulent, obligeant à reconsidérer ces objets patrimoniaux sous un angle nouveau. Mais la patrimonialisation antérieure de leur blancheur rend délicat ce processus de réécriture. Peut alors s’observer, tant du côté des scientifiques, des conservateurs que des visiteurs, une forme de déni, que nous proposons de qualifier de déni patrimonial.
Mots clefs : Polychromie antique, déni patrimonial, étude de réception, muséologie, représentations collectives
Between whiteness and colors : is the antique marble statuary facing an heritage denial ?
Nowadays Greek and Roman marble statuary is appreciated for its whiteness, but traces of colours, more or less preserved, attest that the Ancients used to paint the statues. Accumulating archaeometrical data in favour of an original polychromy force us to reconsider those patrimonial objects from a new perspective. But the secular valorisation of their whiteness makes difficult a patrimonialization of the colour, for scientists, curators and visitors alike. There is a form of denial, which we propose to describe as heritage denial.
Keywords : Ancient polychromy, heritage denial, visitor survey, museology, social representations
(Manfrini, 2009 : 28)
À l’origine, la statuaire antique en marbre était peinte et non pas blanche. Pourtant la couleur ne fait pas partie des représentations collectives de ce patrimoine. Plusieurs universitaires témoignent de cette situation : « traditionnellement, l’Antiquité évoque peu un monde en couleurs » puisque nous en avons « habituellement » une « perception achromatique, en noir et blanc » (Grand-Clément, 2005) ; dans la culture occidentale, « la blancheur des statues grecques antiques semble être un marqueur symbolique et identitaire puissant » (Manfrini, 2009) ; en somme, « à ce jour, la blancheur du marbre reste la caractéristique essentielle de la sculpture et de l’architecture antiques gréco-romaines [et] cette conception est devenue l’un des piliers de l’identité culturelle occidentale [1] » (Østergaard, 2010 : 78).
Si les couleurs ne sont généralement plus visibles à l’œil nu, l’étude de la surface des marbres et des textes antiques atteste de leur existence. La connaissance de cette polychromie originelle n’est pas une découverte récente, bien que la mise au jour de nouveaux corpus à partir des années 1970 [2], corrélée au perfectionnement d’outils d’examens et d’analyses physico-chimiques, ait permis le renouvellement des recherches sur les couleurs des statues marmoréennes.
Considérant que les savoirs liés à un objet patrimonial peuvent évoluer, qu’il est amené à circuler et se transformer au fil du temps (Navarro, 2015), est-il pour autant aisé de reconsidérer la statuaire antique en couleur ? Autrement dit, le patrimoine étant une construction sociale non figée, est-il possible de réécrire [3] celui-ci en couleur ?
Nous posons l’hypothèse d’une complexité de ce processus de réécriture. Notre étude révèle en ce sens que ce processus peut donner lieu à une forme de déni, que nous proposons de qualifier de « patrimonial », et ce pour deux raisons. D’une part, l’objet de la réécriture est patrimonial, ce qui implique qu’il ne s’agit pas tant de maintenir une croyance que de conserver des valeurs patrimonialisées (socialement ancrées et partagées), liées pour une bonne part à la blancheur des objets. D’autre part, cette forme de déni concerne les trois catégories d’acteurs qui font exister l’objet patrimonial : ceux qui le certifient (les scientifiques), ceux qui le conservent et le communiquent (les musées), ceux qui l’actualisent (les visiteurs). Notre article vise à montrer comment ce déni peut s’exprimer et à en analyser les mécanismes. Pour ce faire, les deux premières parties s’appuient sur des études préalables montrant que la réception de la polychromie de la statuaire antique a très tôt fait débat chez les scientifiques et que la médiation muséale de cette polychromie pose encore aujourd’hui des difficultés. La troisième partie s’intéresse ensuite aux discours de visiteurs de musées, recueillis dans le cadre d’une étude de réception d’une reconstitution polychrome expérimentale, proposée par l’exposition toulousaine Rituels grecs, une expérience sensible (Musée Saint-Raymond, 2017-2018). Il ressort de cette analyse que le déni patrimonial peut se manifester selon différentes modalités : la couleur peut-être niée ou occultée au profit du maintien de valeurs déjà patrimonialisées, mais aussi acceptée sans pour autant que ces valeurs disparaissent.
Dans une récente interview donnée au New Yorker, Marco Leona du Metropolitan Museum of Art affirme que la polychromie de la statuaire antique est comme le secret le mieux gardé, qui n’en a pourtant jamais été un (Talbot, 2018) [4]. En effet, il n’a pas été nécessaire d’attendre le développement d’outils et d’approches archéométriques pour mettre au jour cette pratique antique. Celle-ci a été longtemps ignorée puis redécouverte, principalement au XIXe siècle, grâce à une intense activité archéologique sur le territoire grec. L’étude des vestiges in situ complète alors les données issues des textes antiques. Pourtant, malgré la multiplication des témoignages littéraires et matériels, la polychromie de la statuaire ne semble pas s’être imposée comme une évidence. Comment en est-on donc arrivé à « un tel déni de polychromie » (Jockey, 2007 : 40) ?
Des premiers corpus étudiés au Louvre à l’orée du XIXe siècle jusqu’aux découvertes spectaculaires de l’Acropole en 1886, la réalité de la polychromie de la statuaire antique a été source de controverses. L’historienne de l’art Sophie Schvalberg (2014 : 47-48) fait état du refus de cette réalité ou plus subtilement, de l’« omission délibérée » dont ont fait preuve les archéologues, artistes et académiciens, car selon elle, la polychromie « les gêne plus qu’elle ne les intrigue ». Contemporain de ces débats, l’archéologue et historien de l’art Maxime Collignon fait état, à travers l’anecdote suivante, du refus d’accepter la polychromie de la statuaire chez ses pairs :
« Un archéologue, adversaire résolu de la théorie nouvelle [celle de la couleur appliquée à la statuaire], parcourait la Grèce, très décidé à ne rien voir qui put contrarier ses idées. Un de ses élèves monté sur une espèce d’échelle, explorait la corniche d’un temple, et le dialogue suivant s’engageait entre eux : “trouvez-vous des traces de couleur ? - Oui - Descendez bien vite”. À moins d’employer la même méthode, il est bien difficile de douter aujourd’hui que les Grecs aient peint leurs statues. C’est là une question de fait, et les arguments de pure esthétique ou de sentiment ne sauraient prévaloir contre des témoignages multipliés » (Collignon, 1898 in Schvalberg, 2014 : 267)
Les spécialistes eux-mêmes ont donc été les premiers à occulter les vestiges colorés qui ont persisté sur les œuvres. Précisons que la polychromie de la statuaire ne demeure qu’à l’état de trace plus ou moins bien conservée. Sa perte s’explique en partie par l’absence d’entretien des œuvres au fil des siècles comme par l’usure du temps. Mais un second facteur relève davantage de l’intentionnalité humaine. Pour ne plus voir, il suffit d’effacer. Des nettoyages ont longtemps été pratiqués, à l’aide de techniques corrosives telles que des acides et des brosses à récurer, dans le but de faciliter le moulage des œuvres (Marijnissen, 2000) ou de récupérer sous les tâches de couleurs la surface uniforme du marbre (Bourgeois, 2012). Ainsi le rejet de la couleur ne s’exprime pas uniquement dans le discours des acteurs, mais aussi par la transformation des sculptures elles-mêmes : ces dernières ont été rendues matériellement conformes à un idéal de blancheur. La construction de cet idéal est antérieure au XIXe siècle. Elle remonte à la Renaissance lorsque les intellectuels et artistes, en opposition à un Moyen Âge coloré, prennent pour modèle ces statues blanchies, puis à la seconde moitié du XVIIIe siècle, moment où les artistes copient et produisent “d’après l’antique” selon le modèle ultime du néo-classicisme, porté en partie par Johann Joachim Winckelmann à travers son Histoire de l’art dans l’Antiquité (1764). Les découvertes archéologiques du XIXe siècle, moment où se constitue d’ailleurs l’archéologie comme discipline, sont donc difficilement acceptées car elles bousculent le modèle jusqu’ici établi [5].
À la fin du XIXe siècle, il devient difficile d’un point de vue archéologique de contester les preuves apportées par les vestiges matériels eux-mêmes. Pourtant, d’un point de vue esthétique et au regard du modèle antique pour l’art contemporain, les couleurs de la statuaire sont acceptées seulement à la marge, voire rejetées. Ce rejet est présent dans les discours ambiants de l’époque qui opposent sculpture polychrome et sculpture monochrome à travers un ensemble de dichotomies (Schvalberg, 2014) : sculpture versus peinture, grand art versus art industriel, polychromie naturelle versus artificielle, raison versus émotion, noble gravité versus bariolure, immobilité de la pierre versus apparence de la vie, éternité versus brièveté, etc. Ces oppositions subjectives, qui ne découlent pas de critères scientifiques mais qui relèvent d’une histoire du goût, semblent tout de même prendre une place dans la discipline naissante qu’est l’archéologie, autant que dans un débat esthétique qui anime les artistes, académiciens des beaux-arts et critiques d’art.
Les nettoyages abusifs des œuvres comme les discours chromophobes ne sont plus d’actualité chez les scientifiques, à présent unanimes. Des « résiliences blanches », pour reprendre l’expression de Philippe Jockey (2013 : 281), demeurent toutefois dans l’étude des œuvres et leur conservation. Par exemple, alors que la polychromie du Parthénon est largement attestée, les campagnes de reconstitution et de restauration du monument continuent de promouvoir « ce blanc tant attendu et désiré » (ibid. : 283). Une autre résistance se manifeste en science des matériaux : les recherches physico-chimiques des marbres les plus blancs et les plus purs ne semblent pas prendre en compte le fait que ces marbres étaient de toute évidence recouverts de couleurs. Ces contradictions sont autant de paradoxes qui rendent compte du maintien d’une forme de déni de polychromie chez certains scientifiques. Il y a plus de dix ans, Philippe Jockey (2007 : 39) notait ainsi qu’« aujourd’hui encore, certains spécialistes refusent envers et contre tout d’accorder, dans leurs études, toute sa place à la polychromie des œuvres sculptées, en dépit de son évidence matérielle ». Jan Stubbe Østergaard (2017 : 169), ancien conservateur de la Ny Carlsberg Glypthotek de Copenhague et membre du réseau Tracking Colour Project, ajoute que si la recherche sur la polychromie de la statuaire gréco-romaine connait un développement important depuis les années 1980 et qu’un point de non-retour semble avoir été atteint, elle n’en demeure pas moins une « espèce en péril », par le fait que ce champ de recherche n’est pas enseigné comme il le devrait à l’université.
Plusieurs facteurs ont contribué à évincer la couleur dans la patrimonialisation de la statuaire : l’usure du temps, les nettoyages, la fabrication de moulages dont la blancheur dépasse celle des originaux, etc. Ces facteurs contribuent à produire une image patrimoniale achromatique. Cette image circule, sous différentes formes, et contribue à la constitution d’une culture visuelle assimilant statuaire antique et blancheur du marbre. Or, l’image du patrimoine — sa re-présentation (Tornatore, 2012) — est constitutive du processus de patrimonialisation : « le patrimoine a besoin d’images et de mots pour exister » (Rautenberg, 2008 : 16). Ce qui fait notamment le succès patrimonial d’un objet plutôt qu’un autre, c’est la constitution d’un imaginaire public par la diffusion de son image. Au XIXe siècle, la circulation d’une image achromatique s’explique aussi par les moyens techniques à disposition : la photographie en noir et blanc et les contraintes de l’imprimerie en couleurs entravent la diffusion d’une statuaire polychrome. Ces contraintes techniques expliquent la persistance des débats chez les scientifiques car « admettre le caractère polychrome de la plastique grecque nécessite un contact visuel direct : la couleur est une donnée sensible qui passe par les images plus que par les mots » (Grand-Clément, 2005 : 143). Aujourd’hui, il faut prendre en compte l’ensemble des supports médiatiques pour comprendre la circulation d’une représentation patrimoniale : « ce sont les cartes postales, les émissions télévisuelles, les expositions de musées, les films, etc. qui fabriquent ces images qu’il nous est impossible d’ignorer. Bref, notre société produit une profusion d’emblèmes patrimoniaux, qui sont autant de clichés, de stéréotypes auxquels nous réagissons pour les intégrer ou les rejeter. […] la question est plutôt que la production sociale d’images anticipe nos images patrimoniales individuelles » (Rautenberg, 2008 : 18).
L’exposition est le média qui nous intéresse puisqu’elle porte le discours des institutions muséales — de beaux-arts ou d’archéologie — qui conservent et présentent la statuaire gréco-romaine. Nos recherches antérieures (Béguin, 2016) ont fait ressortir trois principales caractéristiques de la médiation française de la polychromie de la statuaire, reflétant la délicate patrimonialisation de la couleur. Premièrement, les couleurs présumées originelles des œuvres se donnent à voir majoritairement lors d’expositions temporaires, donc dans une forme qui fixe moins durablement les choses, alors que les expositions permanentes des musées français omettent bien souvent cette caractéristique. Par ailleurs, la médiation élaborée pour ces expositions temporaires n’intègre que rarement les parcours permanents des musées, une fois l’événement expiré. En France, plusieurs expositions temporaires dédiées intégralement ou partiellement à ce sujet se sont succédées : Le trésor des Marseillais (2013, musée d’archéologie méditerranéenne, Marseille), La victoire de Samothrace (2015, musée du Louvre, Paris), Les couleurs de la Koré (2015, musée des beaux-arts, Lyon), En couleurs, la sculpture polychrome en France 1850-1910 (2018, musée d’Orsay, Paris). Mais, et c’est là notre second point, lorsque la couleur n’est pas le sujet principal de l’exposition temporaire, elle ne s’y donne pas toujours à voir. Ainsi dans celle qui succéda à la campagne de restauration de la Victoire de Samothrace — campagne qui révéla par luminescence infrarouge la présence de bleu égyptien sur les ailes et le bas du manteau — la modélisation numérique de l’œuvre acéphale et sans bras, reconstituée avec ses membres manquants et à son emplacement originel, reste blanche. Ce qui nous amène à une troisième caractéristique de la médiation des parcours permanents : au sein de ces parcours s’expose bien souvent une médiation visuelle au service de la forme originelle des objets, telles les maquettes et les reconstitutions graphiques au trait, sans que cette dernière ne fasse état d’une polychromie originelle. Certes, le caractère hypothétique de ces reconstitutions formelles repose sur des données plus importantes, mais il n’empêche que l’absence de reconstitutions polychromes contribue à entretenir la circulation d’une image achromatique des sculptures antiques.
L’approche esthétisante de la statuaire, privilégiée pendant plusieurs siècles et depuis largement étudiée par les historiens et archéologues (Grand-Clément, 2018), est un héritage dont il est difficile de se défaire aujourd’hui. Cet héritage se manifeste dans les paradoxes précédemment cités. Surtout, cette approche a contribué à faire de ces statues non plus de “simples” objets archéologiques (des traces à étudier), mais des œuvres d’art à part entière. Pour comparaison, on imagine aisément qu’un tesson de céramique est la partie d’un tout — d’une amphore, d’une assiette —, qu’il s’agit d’un vestige auquel il manque quelque chose. À l’inverse, une statue de marbre blanchie et formellement fragmentaire se suffit à elle-même et est appréciée en tant que telle. Cette vision esthétisante circule dans divers écrits et notamment en littérature. L’écrivaine Marguerite Yourcenar (1983 : 62) énonce à propos des sculptures antiques, qu’il s’agit d’une statue « si bien brisée que de ce débris nait une œuvre nouvelle ». Il ne lui manque rien et, même si elle était formellement entière, ses couleurs d’origine ne lui manqueraient pas pour que nous puissions la considérer comme une œuvre d’art.
Dans Les limites de l’interprétation, Umberto Eco (1994 : 189) pointe la tension entre vestige archéologique et œuvre d’art : « Le sentiment probablement partagé par tous devant la Vénus de Milo nous montre combien le nœud entre esthétique et archéologie est inextricable : nous serions très embarrassés si on retrouvait ses bras et si on les remettait à leur place. Désormais, la Vénus est “belle” telle quelle est, et, telle qu’elle est, nous la considérons comme une œuvre internationale d’un Auteur Modèle qui est la somme de la personnalité d’un artiste, de la magie du temps et de l’histoire de la réception de l’œuvre » [6]. Il montre ainsi combien la patrimonialisation est conditionnée par une approche esthétisante de la forme et combien celle-ci conditionne nos perceptions de ces objets à la fois archéologiques et artistiques.
Quant à l’historien de l’art Ernst Gombrich (2006 [1950] : 78) il ajoute, à propos de la couleur plus précisément, que « pour nous le grain et la patine d’un beau marbre ont quelque chose de si merveilleux que l’idée ne nous viendrait jamais de le peindre. […] Si peu qu’il reste d’une sculpture grecque originale, on peut prendre tant de plaisir à la regarder qu’on en oublie tout ce qui manque ». Cette illusoire intégrité formelle et chromatique de la statuaire devient alors un argument qui vient s’ajouter au caractère hypothétique des résultats de la recherche pour justifier la difficile pérennisation d’un discours muséal sur la couleur.
Les discours de promotion d’expositions dont l’objectif est de faire état de la polychromie originelle des œuvres semblent prendre la mesure de cet argumentaire. Ils se positionnent par rapport à celui-ci voire le mobilise pour valoriser la déconstruction des représentations à laquelle ces expositions invitent. La phrase introductive de la vidéo promotionnelle de l’exposition lyonnaise Regard sur une œuvre. Les couleurs de la Koré [7] inscrit la présentation de la polychromie dans une logique de rupture et anticipe un effort de projection de la part des visiteurs : « quand on admire cette statue, difficile d’imaginer … qu’elle était peinte de couleurs vives il y a 2600 ans ! ». Les textes de la vidéo promotionnelle de l’exposition Transformations. Classical sculpture in colour [8] mettent en avant les valeurs attribuées à la blancheur des objets : « white : the sublime », « white : intellectuality » et « white : classical antiquity, western identity ». Enfin, on peut lire dans le dossier de presse de l’exposition toulousaine Rituels grecs, une expérience sensible [9] que l’« on a souvent une idée erronée de la Grèce antique, perçue comme un univers aseptisé, paré de marbres blancs ». Ainsi transparaît l’importance des représentations collectives dans l’élaboration du propos de l’exposition, comme s’il s’agissait pour les institutions muséales d’opter pour une approche par la révélation.
Dès lors, que se passe-t-il lorsque les visiteurs sont en présence d’un dispositif opérant la médiation de la polychromie antique des marbres ? Pour apporter des éléments de réponse, une étude de réception a été menée autour d’une partie de l’exposition toulousaine Rituels grecs, une expérience sensible [10]. Cette étude a été réalisée dans le cadre d’une recherche doctorale en sciences de l’information et de la communication, portant sur la médiation muséale de la polychromie de la statuaire antique [11]. La méthodologie de recueil de données (l’entretien semi-directif) a été construite de manière à ce que le visiteur interviewé puisse s’exprimer ouvertement. Les visiteurs interviewés (trente-cinq) ont été choisis aléatoirement et interrogés devant le dispositif, à la fin de leur visite.
Le recueil puis l’analyse de leurs discours a permis d’identifier des récurrences discursives qui reflètent la difficulté à considérer la dimension polychrome de ces objets patrimoniaux. La représentation d’une Antiquité blanche semble en effet se maintenir, soit par la négation de la réalité chromatique évoquée par le dispositif de médiation étudié, soit par la cohabitation discursive de deux réalités antagoniques, l’une blanche et l’autre colorée.
L’étude a porté sur la réception d’une création expérimentale réalisée spécialement pour l’exposition (fig.1) [12]. Il s’agit d’une stèle funéraire colorée créée de toutes pièces à partir de différentes sources matérielles, iconographiques et textuelles. Comme le titre du cartel l’indique, il s’agit d’une « création » car l’objet ne s’appuie pas sur un vestige authentique, il n’en est pas la restitution. Sa réalisation est « expérimentale » car des scientifiques ont eu recours à des matériaux utilisés dans l’Antiquité, selon les recettes qu’ils ont pu reconstituer [13]. La démarche de l’archéologie expérimentale permet aux archéologues de retrouver, par la pratique, les gestes qui ont présidé à la réalisation des vestiges qui leur sont parvenus. Elle permet de mieux comprendre le travail des artisans, de vérifier des hypothèses et de proposer des restitutions de l’état originel des objets. Concernant la mise en couleur de la stèle expérimentale, les liants et les pigments utilisés sont ceux dont l’existence est attestée pour l’époque archaïque (noir de vigne, terre de sienne, ocre rouge, blanc de plomb, cinabre, malachite, ocre jaune, bleu égyptien, laque de garance).
La partie explicative du cartel de la stèle précise que « les stèles funéraires représentant le défunt étaient systématiquement peintes, même lorsqu’elles étaient sculptées. Elles étaient ointes d’huile parfumée et ornées de bandelettes de tissu, au moment des funérailles ou lors des cérémonies d’hommage au défunt ». Par un travail interprétatif d’extrapolation, le visiteur est invité à imaginer de façon plus fidèle l’état originel des trois stèles authentiques placées à droite du dispositif (fig.2). La stèle expérimentale et son cartel sont censés favoriser un autre point de vue sur les objets originaux : par le texte qui précise que toutes les stèles étaient peintes même lorsqu’elles étaient sculptées et par l’image qui donne à voir un exemple de mise en couleur antique sur marbre, fait d’une gamme chromatique variée et des teintes vives. Deux facteurs peuvent toutefois contribuer à rendre ce travail interprétatif délicat. Premièrement, le motif de la création expérimentale est uniquement dessiné et peint, il n’est pas sculpté comme le sont ceux des stèles originales. Or c’est bien sur les objets en relief qu’il est difficile de concevoir une polychromie originelle (à l’image de la statuaire), comme le précise d’ailleurs le cartel de la stèle expérimentale par l’accentuation « même lorsqu’elles étaient sculptées ». Deuxièmement, aucune mention de couleur n’est faite sur le cartel des stèles originales, ce qui pourrait amener le visiteur à douter du caractère systématique de la peinture.
L’entretien semi-directif a été privilégié et mené face à l’ensemble des stèles (fig.2). Seuls les visiteurs ayant marqué un arrêt devant la stèle expérimentale pendant leur visite ont été interrogés [14]. Cet arrêt — facilement identifiable car le dispositif clôturait le parcours et que nous étions stationnée en observation à la sortie de l’exposition — pouvait être de nature et de durée variable : une attention prolongée ou un rapide coup d’œil sur l’objet et son cartel. Il était en effet important que le visiteur se soit au préalable arrêté devant la stèle expérimentale car l’entretien a été construit de manière à ce que le visiteur puisse avoir l’occasion d’aborder de lui-même le sujet de la couleur. L’entretien ne visait en effet pas à évaluer l’efficacité du dispositif de médiation mais avait pour objectif de mettre à l’épreuve la possibilité de transférer et d’associer la polychromie de façon plus globale à d’autres objets antiques.
Dans un premier temps, nous demandons au visiteur comment il s’imagine la nécropole antique afin de voir s’il intègre ou non la couleur dans sa représentation. Nous poursuivons sur la lecture du cartel de la stèle colorée pour identifier si le visiteur relève de lui-même la mention « systématiquement peinte » et s’il extrapole alors cette information aux objets authentiques exposés à côté. Nous lui demandons enfin de décrire les couleurs originelles possibles qu’il imagine sur un des objets authentiques choisi au préalable (fig. 3) pour identifier la nature du transfert pouvant être fait.
Trente-cinq visiteurs ont été interrogés dans le cadre de vingt-et-un entretiens (en binômes ou trinômes) d’une durée moyenne de vingt-et-une minutes [15]. L’âge moyen des interrogés est de 47 ans et notre échantillon se caractérise par une répartition sexuée peu équilibrée, semblant représentative du profil des visiteurs de l’exposition [16] : 71% de femmes et 29% d’hommes. Trois visiteurs sont jugés experts puisqu’ils déclarent avoir une connaissance de l’art antique par le biais de leurs études et de leur métier. Cinq autres visiteurs ont une connaissance approfondie de par leurs études (mais sans poursuite professionnelle), seize sont considérés familiers de l’art antique de par leurs hobbies, leurs voyages ou leurs proches et enfin, onze visiteurs déclarent n’avoir aucune connaissance particulière de l’art antique.
Pour traiter les éléments discursifs recueillis, une analyse de discours qualitative a été menée selon deux axes différents. Le premier nous a permis d’identifier comment les deux réalités, polychrome et achromatique sont qualifiées : sont-elles assimilées, dissociées, comparées [17] ? Les qualificatifs employés, l’usage de comparatifs et les champs lexicaux mobilisés pour chacun des deux états (polychrome et sans couleurs) constituent les indicateurs de notre analyse. Nous étions également attentifs à une éventuelle omission de la couleur lorsque le visiteur s’exprimait sur les objets originaux. Le deuxième axe nous a permis d’étudier le positionnement énonciatif du locuteur : le jugement de valeur qu’il porte sur la stèle expérimentale qui lui est proposée (modalités appréciatives) ou le degré d’adhésion qu’il accorde à l’énoncé (modalités épistémiques). In fine, cinq stratégies discursives ont été identifiées : des stratégies que nous qualifions de dévaluation, d’omission, d’euphémisation, de défiance et de cohabitation. Nous considérons les logiques discursives identifiées comme étant des stratégies, qu’elles soient conscientes ou inconscientes, dans la mesure où nous faisons l’hypothèse qu’elles constituent pour les visiteurs un moyen de réajuster leur propos au cours de l’entretien et d’évacuer la tension liée à une situation proche de la dissonance cognitive [18].
Les différentes stratégies identifiées peuvent être regroupées en fonction de deux modalités d’existence de déni : de la négation de la polychromie (modalité de déni regroupant les quatre premières stratégies) à la cohabitation de deux réalités polychrome et achromatique (modalité de déni de la dernière stratégie). Plusieurs stratégies peuvent coexister au sein d’un même discours, mais précisons d’emblée que celle qui prédomine est la stratégie dite de cohabitation.
La logique discursive la plus facilement observable est la dévaluation de la couleur dans le discours de nombreux visiteurs : appliquée à la statuaire, la couleur n’apparait pas comme naturelle, noble, ni même utile. L’utilisation du qualificatif « kitsch » est par exemple récurrente : «
Mais puisque les visiteurs poursuivent leur discours sur le registre des valeurs (d’un point de vue esthétique), il nous faut ici comprendre que la difficulté ne réside pas uniquement dans l’exercice d’une projection mentale. Il semble en réalité plus difficile d’accepter que d’imaginer un monde antique en couleur. Le visiteur peut alors exprimer son refus de considérer l’existence d’une statuaire polychrome : «
D’autres visiteurs omettent la couleur dans leur réponse, mettant ainsi de côté le discours chromatique porté par la stèle expérimentale. L’omission s’observe notamment lorsqu’il est demandé au visiteur de décrire comment il se représente la nécropole. Il peut alors faire abstraction de la couleur voire accentuer la blancheur des objets. Notons que dans l’exemple ci-après, l’interrogée n’intègre pas de couleurs dans sa description de la nécropole alors qu’elle avait fait part en amont de son intérêt pour la création expérimentale : «
Même principe pour l’exemple suivant, dans lequel l’interrogé met en avant le caractère contradictoire des informations fournies par la stèle expérimentale (couleurs) et par les objets originaux (blancheur) : «
La logique d’omission est d’autant plus explicite lorsqu’il est question de projeter mentalement des couleurs sur une des stèles originelles (fig. 3). Pour mieux se représenter ce phénomène, nous avons matérialisé a posteriori le discours des visiteurs en colorisant numériquement l’objet (fig. 4 à 9). Nous observons plusieurs cas de figure dont deux répondant à une logique d’omission : soit le visiteur colore l’intégralité ou presque de la stèle, mais dans un camaïeu de beige, blanc, ou gris (fig. 4, 5, 8 et 9) soit il n’en colore qu’un ou deux éléments dans des couleurs vives (fig. 6 et 7). Dans le premier cas, certains interrogés se rendent compte d’eux-mêmes qu’ils omettent la couleur, comme Nicole qui explique après sa description : «
En euphémisant le discours porté par la stèle expérimentale, les visiteurs concernés semblent minimiser l’importance de la polychromie des objets antiques et son caractère systématique. La stratégie d’euphémisation consiste concrètement en la reformulation de l’adverbe « systématiquement » mentionné dans le cartel de la stèle. Cette mention, importante puisque c’est elle qui indique au visiteur que les objets authentiques étaient également peints, peut être soulignée explicitement par l’interrogé pour être aussitôt rejetée :
«
Plus généralement, les visiteurs concernés reformulent la première phrase du cartel en substituant à l’adverbe « systématiquement » différents modalisateurs. Ainsi à la question qui leur est posée « vous vous imaginez ces objets colorés ? » a été relevé l’usage d’adverbe (« éventuellement ») et de locution adverbiale (« peut-être »), de verbe (« devoir »), de mode de verbe (conditionnel) ou encore d’intonation (interrogative). Par exemple :
«
«
«
Liée en partie à la logique d’euphémisation, la stratégie de défiance consiste à questionner les informations du cartel, voire à mettre en doute la validité la recherche scientifique. L’information dans l’exposition est peut-être à vérifier, les musées comme les chercheurs peuvent se tromper et ils s’en rendront éventuellement compte a posteriori :
«
«
«
À travers ces discours, il semblerait que le visiteur puisse adhérer à ce qui lui convient. Parce que l’image est « à géométrie variable, elle nous laisse libre de choisir notre degré d’adhésion aux récits qu’elle raconte » (Lambert, 2013 : 42). Toutefois, si les visiteurs peuvent nier, reformuler le discours de l’institution ou omettre la couleur dans leur propos, l’approfondissement de l’analyse révèle souvent une situation plus complexe : la possibilité d’une statuaire antique polychrome est envisagée, sans que celle-ci puisse exclure une version achromatique. Ainsi les visiteurs peuvent-ils faire cohabiter une “Antiquité blanche” et une “Antiquité colorée”.
Un des indicateurs d’une logique de cohabitation est l’expression d’une complémentarité entre l’objet de médiation et l’objet authentique. Concrètement, plusieurs visiteurs soulignent l’utilité de la stèle polychrome, car elle permet de se rendre compte des couleurs tout en évitant de toucher à l’objet authentique :
«
Certes, il est évident que l’objet originel ne peut être restauré, ne serait-ce que pour des raisons de déontologie de la restauration. Mais le fait de souligner l’importance de conserver l’objet originel en l’état exprime selon nous une volonté – un besoin ? – de conserver des valeurs (patrimoniales et esthétiques) liées à la représentation d’une Antiquité blanche.
Un second indicateur de cette cohabitation correspond aux contradictions internes au discours. Si l’on devait schématiser, plusieurs formulations types se dégagent : je sais bien que c’était peint, mais quand même, elles sont belles comme ça, je les préfère ainsi ; j’ai bien compris qu’il y avait de la couleur et j’y ferai maintenant attention, mais quand même, sur celles sculptées, je pense qu’il n’y en a pas besoin car il y a déjà du détail ; ou encore, je sais bien qu’il y avait beaucoup de couleur, mais quand même, ça devait être assez sobre car je préfère cette idée. L’extrait qui suit en est un exemple :
«
Ce type de formulation n’est pas sans rappeler le titre du premier chapitre de l’ouvrage de Mannoni (1969), « Je sais bien, mais quand même », dont la formulation fait justement état d’une situation de déni dans lequel l’individu se trouve lorsqu’il l’énonce. Comme l’explique Dominique Boullier (2004 : 34), « l’opérateur “je sais bien, mais quand même” permet précisément de rendre compte du maintien simultané et non conflictuel de la “conscience de la construction” et du “naturel du construit” ». Sur notre terrain, la couleur n’apparaît donc pas systématiquement rejetée, mais deux réalités peuvent exister et cohabiter sans se recouper, sans se superposer, ce que l’on peut résumer ainsi : j’accepte cette réalité polychrome, mais d’un autre côté, la réalité achromatique se suffit aussi à elle-même.
Dans de nombreux discours, on constate que l’individu semble tiraillé entre ce qu’il sait (dimension cognitive) et ce qu’il souhaite (dimension affective). Ce constat rejoint celui fait par Dominique Boullier, selon lequel la formule « je sais bien, mais quand même » « met bien en évidence les enjeux cognitifs et les enjeux désirants » (Boullier, 2004 : 37) et « ces clivages des perceptions voire des jugements font partie du travail constant de compromis entre mondes » (ibid.). Concrètement, nombreux sont les visiteurs qui affirment que le dispositif mis en place dans l’exposition toulousaine est « intéressant », qu’il est important de « savoir » que ces objets étaient peints, sans pour autant transposer l’information car ils disent « préférer » l’état de conservation actuel des objets originaux et ne semblent pas avoir « envie » de les considérer en couleurs :
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Au double constat d’un débat historique chez les scientifiques et d’une médiation muséale réservée aux expositions temporaires [19], s’ajoute le constat de la réception complexe d’une reconstitution expérimentale polychrome exprimée dans les discours des visiteurs. Cela nous amène à considérer le concept de « déni de réalité » comme offrant un cadre d’analyse pertinent pour comprendre et qualifier les discours – voire les actes – de ceux qui certifient, conservent et actualisent le patrimoine. En effet, des parallèles peuvent être faits entre les situations observées et la situation de déni de réalité telle que définie par Frédéric Lambert (2013 : 21) : « quand bien même la réalité s’affiche avec évidence, quand bien même les mots et les images en rendent compte avec honnêteté, si cette réalité ne me convient pas, si cette réalité m’empêche de croire avec ceux de ma communauté, alors je l’ignorerai ». Autrement dit, quand bien même la polychromie de la statuaire pourrait s’observer, quand bien même la médiation muséale en rendrait compte, si cette “version” colorée de la statuaire ne me convient pas, si cette couleur m’empêche de croire avec ma communauté, alors je l’ignorerai.
Comme l’explique Frédéric Lambert (2013 : 31), « croire, c’est aussi être poète, c’est se faire un monde comme on l’aimerait quand on sait qu’il ne répond pas toujours à nos attentes ». Ainsi dans la formulation « je sais bien que les statues étaient originellement peintes, mais quand même, elles sont plus authentiques sans couleurs » que nous proposons à partir de notre enquête auprès de visiteurs, faut-il comprendre que « le “je sais bien” s’exprime dès lors toujours dans un certain monde, dans un certain ordre de jugement », alors que « le “mais quand même” permet de gérer le pluralisme des mondes dans lesquels nous sommes engagés » (Boullier, 2004 : 37).
La caractérisation de cette forme de déni comme étant patrimoniale nous permet ainsi : i) de qualifier une réaction engendrée par la nécessaire réécriture de la statuaire antique en marbre, elle-même provoquée par l’accumulation des résultats de la recherche scientifique, ii) de ne pas opposer cette forme de déni à une “réalité”, mais de la lier davantage à des valeurs patrimonialisées, d’ordre symbolique, car il est nécessaire de prendre en compte la difficile transformation des représentations collectives, iii) de mettre l’accent sur le caractère collectif d’une forme de déni unissant les différents acteurs de la patrimonialisation (Davallon, 2006). Dans le cas étudié ici, les catégories d’acteurs communément établies sont en effet poreuses puisqu’ici scientifiques, conservateurs et visiteurs partagent un même bien patrimonial. Toutefois, si l’existence d’un déni patrimonial permet aujourd’hui d’expliquer la difficile réécriture de la patrimonialité de la statuaire, cela n’induit pas pour autant l’infaisabilité de cette dernière [20].
Patrimonialiser la polychromie originelle de la statuaire en marbre nécessite de réécrire des valeurs établies, demandant aux acteurs concernés d’interroger une représentation patrimoniale qui fait sens, qui relie des hommes entre eux, qui unit une société, qui véhicule une histoire, celle selon laquelle la pureté et la sobriété des œuvres, que nous avons choisies de conserver et de transmettre, reflètent l’élégance et la noblesse d’une civilisation, pilier d’une identité occidentale. Mais quelles seraient alors les conditions nécessaires à la patrimonialisation de la couleur de la statuaire ? De quelles significations et valeurs, transmises et actualisées de génération en génération, la couleur pourrait-elle être porteuse ?
Béguin Camille (2016), Quand les couleurs de la statuaire antique s’invitent au musée. Enjeux scientifiques et patrimoniaux de la médiation d’un patrimoine devenu polychrome, Mémoire de master en sciences de l’information et de la communication, sous la direction de Lise Renaud et d’Éric Triquet, Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse.
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[1] « To this day, the white of the marble remains the essential characteristic of Antique Greek and Roman sculpture and architecture […] this conception has become one of the mainstays of Western cultural identity » (Østergaard, 2010 : 78, notre traduction).
[2] Dont la “grande peinture” de Grèce du Nord. Voir sur ce point les études menées par Hariclia Brécoulaki (2006) sur les peintures funéraires de Macédoine.
[3] L’approche du patrimoine à travers la question de l’écriture a été développée dans le numéro 14 de la revue Culture et Musées, sous la direction de Cécile Tardy. L’écriture du patrimoine s’inscrit « dans le cadre de la redéfinition d’une approche du patrimoine par la patrimonialisation (Davallon, 2006), qui permet de s’intéresser au processus d’un devenir patrimoine et non à un objet patrimoine qui serait déjà constitué comme tel » (Tardy, 2009 : 13). L’écriture y est « considérée comme une opération de contextualisation (Harris, 1993) qui rend visible, lisible et interprétable le patrimoine » (Tardy, op. cit.). Le patrimoine est ainsi défini comme « inséré dans des pratiques de communication qui le mettent en scène, le manipulent, l’élaborent, lui donnant son sens patrimonial » (ibid.).
[4] « Itʼs like the best-kept secret thatʼs not even a secret ».
[5] Sur ce sujet, nous renvoyons le lecteur à la synthèse qu’en a fait Adeline Grand-Clément (2005).
[6] Relevons ici la subjectivité de ces trois facteurs : une personnalité que nous projetons selon nos désirs sur une personne ou une société entière, les traces poétiques d’usure et de patine que nous affectionnons et les connotations que l’œuvre suggère. Ces facteurs font ressortir la nature construite de l’objet patrimonial et de la statuaire antique en particulier, objet qui ne nous est en rien légué naturellement par ses propriétaires originels.
[7] Une exposition proposée par le musée des beaux-arts de Lyon du 4 décembre 2015 au 29 février 2016. Vidéo en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=7-I7b3j5lmk (consulté le 16 avril 2019).
[8] Une exposition proposée par la Ny Carlsberg Glyptotek de Copenhague du 13 septembre au 7 décembre 2014. Vidéo en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=QARJIHMiMEM (consulté le 16 avril 2019).
[9] Exposition présentée du 24 novembre 2017 au 25 mars 2018 au Musée Saint-Raymond à Toulouse.
[10] L’exposition trouve sa genèse dans un projet de recherche pluridisciplinaire, visant à comprendre le régime polysensoriel des Grecs anciens (commissariat scientifique : Adeline Grand-Clément). Le propos de l’exposition est divisé en quatre thématiques, chacune prenant place dans des espaces distincts. Le visiteur, amené à découvrir les différents rituels qui régissent la vie des Grecs, découvre successivement le Mariage, le Sacrifice, le Banquet et les Funérailles. La muséographie consiste à présenter de manière complémentaire deux types d’objets, authentiques et expérimentaux, parfois augmentés d’éléments scénographiques destinés à les contextualiser. Le dispositif de médiation étudié, une stèle funéraire expérimentale, se situe dans la dernière thématique, à la fin de l’exposition.
[11] Recherche doctorale de l’auteure, Camille Béguin, en préparation depuis octobre 2016, sous la direction d’Éric Triquet et le co-encadrement de Lise Renaud, Avignon Université (école doctorale 537, Culture & Patrimoine), laboratoire Centre Norbert Elias (UMR-CNRS 8562). Recherche financée par la Fondation de l’Université d’Avignon (bourse Pierre Bergé).
[12] Crédits des illustrations : Camille Béguin.
[13] François Grand-Clément pour la taille de la stèle, Maud Mulliez pour la mise en couleur, Dominique Frère pour l’huile de myrte appliquée sur la stèle, Catherine Bataillon pour la teinture des bandelettes accrochées.
[14] Ce qui a été le cas pour l’essentiel des visiteurs observés.
[15] Dans les extraits d’entretien qui suivent, le prénom des visiteurs a été conservé.
[16] Une étude parallèle à la nôtre a été menée par l’équipe MICS (Médiations en Information – Communication Spécialisée) du Lerass (Laboratoire d’Études et de Recherches Appliquées en Sciences Sociales). Sur les 1073 visiteurs sondés par questionnaire, le ratio homme-femme est proche du nôtre : 65,4% de femmes, 34,6% d’hommes.
[17] Notons que les visiteurs sont interrogés dans le moment de la découverte, ou peu après celui-ci. Des entretiens menés a posteriori (un jour, une semaine ou un mois plus tard) produiraient probablement des résultats différents (informations mémorisées, points de vue adoptés, etc.).Cela mériterait également d’être exploré.
[18] Selon la théorie de Léon Festinger (1957), la dissonance cognitive résulte de la rencontre d’éléments cognitifs contradictoires (pensées, émotions, attitudes, etc.). L’individu concerné est alors conduit à réduire la tension engendrée par cette contradiction, selon différents mécanismes. Dans le cas présent, la rencontre de l’opinion “la statuaire blanche est patrimoniale” et de l’information “la statuaire était originellement peinte” provoque selon nous une telle situation de dissonance cognitive. Reste à identifier les mécanismes de réduction à l’œuvre.
[19] Constats que nous avons rappelés dans les deux premières parties en appui sur certains travaux d’historiens et archéologues (Grand-Clément ; Jockey ; Bourgeois ; Schvalberg ; Østergaard), et sur les résultats d’une recherche doctorale en cours.
[20] Il ne faudrait pas oublier les chercheurs qui œuvrent à une meilleure connaissance et reconnaissance de la polychromie de la statuaire antique, notamment en France : Brigitte Bourgeois, Adeline Grand-Clément, Philippe Jockey, Maud Mulliez…
Béguin Camille, Renaud Lise, Triquet Éric, « Entre blancheur et couleur : la statuaire antique face un déni patrimonial ? », dans revue ¿ Interrogations ?, N°28. Autour du déni, juin 2019 [en ligne], https://revue-interrogations.org/Entre-blancheur-et-couleur-la (Consulté le 11 décembre 2024).