Kushtanina Veronika, Balard Frédéric, Caradec Vincent, Chamahian Aline
D’un point de vue médical, le déni et l’anosognosie sont décrits comme symptomatiques de la maladie d’Alzheimer et désignent le refus inconscient ou l’incapacité neurologique à reconnaître ses troubles ou leur évolution. Notre analyse compréhensive d’entretiens semi-directifs avec vingt personnes malades propose, au contraire, de prendre au sérieux leur interprétation de la situation et de l’éclairer par leur contexte de vie. Tout d’abord, nous mettons en regard l’évolution du score médical (le MMSE) avec la perception de l’évolution des troubles par les personnes malades, pour constater leurs divergences. Puis, nous analysons comment la perception de l’évolution des troubles des enquêtés s’inscrit dans leur expérience biographique. Un type de trajectoire négative – une vie “altérée” – s’oppose alors à deux types de trajectoire subjectivement positifs – une vie “améliorée/retrouvée” et une vie “inchangée”. Un quatrième type – une vie en “en sursis” – constitue un cas intermédiaire.
Mots-clés : maladie d’Alzheimer, sociologie compréhensive, déni, anosognosie, expérience de la maladie
Are people with Alzheimer’s disease living in denial ? Lessons from a comprehensive sociology research
From a medical point of view, denial and anosognosia are described as symptomatic of Alzheimer’s disease and are defined as one’s conscious refusal or one’s neurological incapacity to recognize one’s disorders or their evolution. This article, based on twenty semi-structured interviews with people with Alzheimer’s disease, adopts a comprehensive perspective that tries to take into account their interpretation of the situation through the lens of their life context. Firstly, we compare the measurement of the Alzheimer’s disease evolution through a medical tool (MMSE) with the perception from our informants to state their discrepancies. Then, we analyse how the interviewees’ perception of the evolution of their disorders join their biographical experience. One negative trajectory – “an altered life” - opposes here two subjectively positive kinds – “an improved/regained life” and “an unchanged life” with a fourth intermediate type – “a suspended life”.
Keywords : Alzheimer’s disease, comprehensive sociology, denial, anosognosia, experience of disease
Si les revues de littérature de la fin des années 2000 (Inserm, 2007 ; Clément, Rolland, 2008) faisaient le constat d’une faible présence de la sociologie dans les études sur la maladie d’Alzheimer en France, depuis, un ensemble de recherches ont vu le jour. Elles ont porté sur la construction sociale de la maladie d’Alzheimer (Ngatcha-Ribert, 2012), le suivi médical et médicosocial des personnes atteintes (Béliard, 2012, 2018 ; Brossard, 2013 ; Fernandez et al., 2014 ; Le Galès, Bungener, 2015), le vécu des proches (Béliard, 2010 ; Davin, Paraponaris, 2014 ; Miceli, 2013) et leur accompagnement des personnes malades (Le Bihan et al., 2014 ; Kenigsberg et al., 2013).
L’aspect le moins développé pour le moment, en France, est l’analyse de l’expérience des personnes malades. Quelques recherches se sont cependant engagées dans cette voie, en adoptant une perspective interactionniste (Brossard, 2017 ; Le Bihan et al., 2012) ou compréhensive (Chamahian, Caradec, 2014 ; Caradec, Chamahian, 2017). Ces travaux ont dégagé les processus interactionnels qui structurent l’« expérience sociale » de la maladie d’Alzheimer (Brossard, 2017) ainsi que les enjeux constitutifs de l’« épreuve » du vieillir avec la maladie (Caradec, Chamahian, 2017). Ils ont aussi mis en évidence la pluralité des manières de vivre la maladie et souligné que, pour les personnes malades situées à un stade précoce, ce vécu est souvent moins dramatique que ne le laissent supposer les représentations courantes, très sombres, de la maladie d’Alzheimer. À l’instar de plusieurs travaux anglo-saxons (Beard, 2004 ; Hulko, 2009 ; MacRae, 2008 ; Cotrell, Schulz, 1993), ces recherches témoignent de la possibilité et de l’intérêt de prendre appui sur les témoignages des personnes malades.
Les travaux sociologiques sur l’expérience de la maladie d’Alzheimer viennent interroger les discours médicaux [1]. C’est le cas, en particulier, de l’idée selon laquelle les personnes malades vivraient dans le déni ou souffriraient d’anosognosie. En effet, alors que l’étiologie de la maladie d’Alzheimer est toujours l’objet de débats scientifiques, les approches médico-psychologiques considèrent que les principaux critères cliniques sont l’altération de la mémoire, « le déni de la maladie et l’altération de la pensée » (Charazac, 2012). Ce phénomène a été observé lors de l’annonce du diagnostic (Gély Nargeot et al., 2003) et lors des consultations médicales, moments au cours desquels les personnes malades manifesteraient de « l’indifférence et [du] déni » (ibid.). Le déni et l’anosognosie constituent des catégorisations médicales qui ont pour fonction de classer des comportements hétérogènes dans des étiologies spécifiques afin de permettre un langage commun, une nosographie exploitable pour le soin des patients. Or, plusieurs travaux (McGann et al., 2011 ; Fainzang, 2015) ont montré que cet « étiquetage » des patients pouvaient conduire à réduire la complexité des situations ou encore négliger les rapports de pouvoir entre médecins et patients. De son côté, la sociologie compréhensive repose sur l’idée selon laquelle les propos recueillis lors des entretiens de recherche ont un sens pour les personnes malades qui les expriment (Charmaz, 1990), y compris lorsque celles-ci sont atteintes de troubles cognitifs (Cotrell, Schulz, 1993). Partant du principe qu’il convient de prendre au sérieux le discours des personnes malades, cette approche refuse de les rabattre sur des interprétations en termes de déni ou d’anosognosie (Chamahian, Caradec, 2014). Sans nécessairement les prendre pour argent comptant, elle s’efforce de restituer la logique des propos tenus, de différencier les postures qu’ils traduisent et de les replacer dans les contextes de vie présents ou passés qui permettent de les éclairer. Ainsi, le fait que certaines personnes refusent le diagnostic de maladie d’Alzheimer ne doit pas être considéré comme une “erreur” ou un déni de la maladie, mais nécessite que l’on cherche à comprendre ce qui fonde ce refus : par exemple, le fait que la maladie ne remette pas en cause ce qui est au cœur de leur existence. De même, lorsque certaines personnes s’affirment non malades au motif que leurs troubles ne sont pas pour elles le signe d’une maladie (Chamahian, Caradec, 2014), il convient d’observer comment cette interprétation peut être confortée par les proches (Charmaz, 1990 ; Béliard, 2012).
Сette posture de la sociologie compréhensive nous conduira, tout d’abord, à nous intéresser au décalage entre la manière dont les personnes malades et la médecine appréhendent l’évolution des troubles, dans le prolongement de plusieurs travaux sociologiques sur la maladie d’Alzheimer qui révèlent des écarts entre les « définitions de la situation » (Thomas, 2004) des différents acteurs : entre médecins et patients (Brossard, 2013 ; Fernandez et al., 2014), entre personnes malades et leurs proches (Caradec, Chamahian, Balard, 2019), ou encore, au sein de la famille (Béliard, 2010). Pour comprendre ce décalage, nous distinguerons deux aspects de l’expérience de l’évolution de la maladie. Le premier a trait à l’évolution subjective des troubles : les personnes malades ont-elles le sentiment que leurs troubles s’aggravent ou, à l’inverse, qu’ils se stabilisent ou s’atténuent ? Le second aspect, plus large, concerne la perception de leur situation actuelle, leur « définition de la situation », replacée dans le flux du temps biographique de leur existence : comment considèrent-elles leur existence présente, en lien avec le passé et l’avenir ? Nous nous appuyons ici, d’une part, sur les travaux de M. Bury qui analyse une maladie chronique comme une rupture biographique engageant une « rupture des comportements et des suppositions allant de soi », une « révision de sa biographie et de sa conception de soi » ainsi que des ressources permettant de panser ces ruptures (Bury, 1982 : 169). D’autre part, les analyses de l’historien R. Koselleck nous seront précieuses. Celui-ci affirme que le présent et le passé ne peuvent être subjectivement envisagés qu’en lien l’un avec l’autre et que les projections dans l’avenir ne se font qu’en fonction du temps présent et de l’expérience antérieure. L’annonce du diagnostic d’Alzheimer peut ainsi représenter une rupture par rapport au passé tout en remettant en cause l’avenir tel qu’il a été imaginé (Campéon et al., 2014). Et Koselleck propose, pour saisir les tensions entre passé, présent et projections dans l’avenir, le binôme conceptuel expérience-attente, l’expérience étant définie comme « le passé actuel » et l’attente comme « le futur actualisé » (Koselleck, 1990 : 311).
Nos analyses s’appuient sur une seconde vague d’entretiens compréhensifs (Kaufmann, 2008) auprès de personnes malades qui ont déjà été rencontrées 18 à 24 mois auparavant, alors qu’elles avaient été diagnostiquées depuis 6 mois à 2 ans [2] (Chamahian, Caradec, 2014). Dans le cadre de cette seconde vague, financée par le Conseil départemental du Nord, nous avons pu revoir 21 personnes [3] (9 femmes et 12 hommes). Dans la plupart des cas (18 sur 21), les entretiens se sont déroulés hors de la présence des proches, ce qui a été un parti pris de cette recherche afin de libérer la parole des personnes atteintes (un autre entretien a été réalisé avec un proche). Ils ont porté sur la vie quotidienne, la trajectoire de la maladie, les représentations de la maladie et les aides reçues [4]. Les entretiens ont duré en moyenne 45 minutes [5]. Au moment de la seconde vague, 4 personnes malades ont moins de 60 ans (entre 53 et 56 ans), 6 ont entre 60 et 69 ans, 6 ont entre 70 et 79 ans, enfin, 5 entre 80 et 85 ans. Les profils sociaux sont diversifiés : 9 personnes exercent ou ont exercé des métiers de cadres ou professions intellectuelles supérieures ; 5 ont eu des professions intermédiaires ; 7 sont ou ont été ouvriers, employées ; un a été agriculteur. Enfin, deux femmes ont été au foyer. Nous avons également eu accès aux dossiers médicaux de nos interlocuteurs ce qui nous a permis de cerner l’évolution de leur maladie saisie par les indices médicaux, notamment le MMSE [i]. En première vague, les personnes rencontrées se situaient à un stade léger ou modéré de la maladie (15-28/30 de MMSE). En seconde vague, nos interlocuteurs demeurent au stade modéré pour la plupart et léger, pour certains, de la maladie (de 11 à 30/30 de MMSE).
Dans une première partie de l’article, après être revenus sur les notions de déni et d’anosognosie, nous mettrons en regard l’évolution de la maladie du point de vue médical avec la perception de l’évolution des troubles par les personnes malades. Les parties suivantes permettront d’inscrire la perception de l’évolution des troubles dans le vécu global des personnes interviewées. Nous présenterons alors les quatre manières qu’ont nos enquêtés de percevoir leur existence actuelle dans le flux du temps biographique : une vie altérée ; une vie en sursis ; une vie améliorée/retrouvée ; une vie inchangée.
Dans la littérature médicale, la maladie d’Alzheimer se caractérise par une tendance à la baisse des capacités cognitives (Inserm, 2007). Cette baisse est mesurée à travers le MMSE. Ce test comprend 30 questions visant à évaluer les repères spatio-temporels (date, ville, étage, etc.), la mémoire immédiate et à court terme, le calcul mental, la compréhension des consignes orales et écrites ainsi que la capacité à reproduire une figure géométrique [6]. Dans cette partie, après un retour sur les conceptions médicales du déni dans la maladie d’Alzheimer, nous mettrons en regard les changements du MMSE de nos enquêtés avec leur perception de l’évolution de leurs troubles.
Pour décrire l’absence ou la conscience partielle des troubles, la littérature médicale utilise différentes terminologies. Selon Antoine et al. (2003 : 571), « anosognosia, lack of awareness, unawareness, lack of insight, denial [7] sont les plus souvent utilisées. Ce qui détermine le terme employé tient au positionnement théorique et pratique des cliniciens : denial fera référence à un mécanisme de défense, anosognosia, à un champ de travail neurologique, unawareness à la mise en perspective de ce symptôme avec la conscience de soi… Cette diversité sémantique reflète un manque de consensus sur la définition même de l’anosognosie ».
Le terme anosognosia est utilisé par Fredericks pour la première fois en 1985. Il vise à décrire un phénomène neurologique qui résulte d’une maladie ou d’un traumatisme du cerveau. Le concept de déni, quant à lui, provient de la psychanalyse et désigne un « mécanisme de défense consistant à supprimer une perception extérieure déplaisante […] le patient sait qu’il est malade mais il se conduit comme s’il l’ignorait » (Charazac, 2012 : 40). Il se manifesterait lorsque les ressources d’adaptation du sujet sont dépassées, ou constituerait en lui-même une stratégie d’adaptation (coping). Pour Charazac (2012 : 39), « l’anosognosie désigne l’incapacité de prendre connaissance de quelque chose et le déni signifie le refus de cette connaissance. Mais en clinique, ils n’apparaissent jamais sous une forme aussi pure ». Nos observations nous conduisent à postuler que le lexique employé dépend en partie de la spécialité médicale du soignant, qui oriente sa conception de la maladie. Ainsi, neurologues et gériatres tendent à parler d’anosognosie tandis que psychiatres et psychologues évoquent plutôt le déni ou les troubles de la conscience. En revanche, même les neurologues peuvent se saisir du terme de déni lorsqu’il s’agit des proches des personnes malades refusant d’admettre les troubles (Béliard, 2018).
Dans le contexte de la maladie d’Alzheimer, la proportion de personnes faisant état d’anosognosie est évaluée entre 23 et 75% des échantillons considérés (Antoine et al., 2003) selon la méthode utilisée pour évaluer ce symptôme. Ces résultats montrent la difficulté à définir ces notions ainsi qu’à mesurer les symptômes, qui sont non seulement mouvants dans le temps mais aussi extrêmement dépendants du type de discours tenu par les personnes malades. En effet, l’anosognosie n’est pas un état stable et binaire mais un spectre large d’attitudes de la personne malade à l’égard de sa maladie.
Compte tenu du flou qui entoure ces notions de déni et d’anosognosie, nous nous proposons d’orienter l’analyse sociologique sur les expériences de la maladie, en adoptant une posture émique. Pour cela, nous allons comparer l’évolution de la maladie, mesurée en termes médicaux, et les perceptions qu’en ont les personnes malades.
La moyenne de perte en indice MMSE dans notre corpus (-3,7 en 18-24 mois) correspond à la moyenne basse constatée par des études à grande échelle qui ont enregistré des pertes moyennes allant de 1,8 à 6,7 points par an (Inserm, 2007 : 256). Afin d’appréhender les évolutions de la maladie du point de vue de l’indice MMSE, nous nous sommes d’abord appuyés sur les catégorisations médicales. D’une part, les médecins distinguent les stades de la maladie : léger (score de 21 à 30/30) ; modéré (11-20/30) et déclin cognitif sévère (au-dessous de 11/30). D’autre part, ils considèrent les pertes allant jusqu’à 2 points comme insignifiantes. Nous avons pu ainsi dégager trois types de trajectoire au sein de notre corpus entre les deux vagues :
Le codage des perceptions de l’évolution des troubles s’est fait de la manière suivante. En cas de présence de discours explicites sur l’évolution récente des troubles, les récits ont été classés soit comme des “discours de stabilisation” (ces personnes déclarent que leur maladie est stabilisée ou n’évolue pas), soit comme des “discours d’amélioration” (ces personnes disent aller mieux, avoir moins de troubles) ou bien encore comme des “discours de dégradation” (qui consiste à dire d’avoir plus de troubles, de se sentir moins à l’aise dans les tâches de tous les jours). Pour les récits ne contenant pas de discours explicite sur l’évolution récente des troubles, nous avons construit deux catégories en fonction de la place accordée à ces derniers : “pas de changement évoqué - faiblesse des troubles” et “pas de changement évoqué - importance des troubles”.
Comme le montre le tableau en annexe, qui met en regard les évolutions au MMSE et le codage de la perception de l’évolution de leurs troubles par les enquêtés, ce sont, de manière surprenante, les perceptions non-négatives de l’évolution récente des troubles qui dominent dans notre corpus (15/20) : “discours d’amélioration”, “discours de stabilisation” et “pas de changement évoqué – faiblesse des troubles”. De surcroît, les perceptions des troubles vont souvent à l’encontre des dynamiques de l’indice MMSE : les personnes qui ont connu des pertes en termes de MMSE les plus importantes (10 points et plus) ne relatent pas de changement récent, voire insistent sur la faiblesse des troubles ; ceux et celles qui parlent d’une amélioration ont connu des pertes légères (2-4 points) tandis que les deux seules personnes qui produisent un discours de dégradation ont connu une stabilité du score de MMSE ou une perte légère (3 points).
Ces constats pourraient alimenter la thèse du déni et de l’anosognosie au motif que l’évolution des troubles saisie par le MMSE montre qu’à mesure que les troubles cognitifs augmentent, déni et anosognosie s’accroissent chez la personne malade qui soit ne perçoit plus sa dégradation, à l’inverse des dégradations faibles perçues par les personnes les moins “atteintes”, soit refuse d’admettre les changements inhérents à l’évolution de la maladie. Mais une autre hypothèse nous semble plus pertinente d’un point de vue de sociologie compréhensive. L’analyse des discours montre que les personnes expriment leur ressenti au regard de ce qui fait sens dans leur vie (Charmaz, 1990) et non en fonction d’une échelle de mesure de la mémoire et de la cognition portant sur des éléments “extérieurs” à leur vie quotidienne – calcul mental ou reproduction de figures géométriques. Nos informateurs développent leurs propres automesures de la maladie en se basant, par exemple, sur leur aptitude à organiser leur quotidien en minimisant les aides extérieures.
Pour comprendre comment les personnes interprètent l’évolution de leur maladie et expliquer le fait que celle-ci se fasse en décalage avec ce qui est mesuré par le MMSE, nous avons élaboré une typologie des expériences de la maladie [9] en fonction de la manière dont elles se trouvent inscrites dans le flux du temps biographique des personnes malades : la manière dont elles perçoivent globalement leur existence actuelle, la situent par rapport à leur passé et se projettent dans l’avenir. Le rapport au passé est saisi selon la présence ou pas d’une rupture biographique (Bury, 1982) : cette mise en récit oppose ceux qui disent vivre comme avant et être la même personne à ceux qui indiquent que leur vie n’est plus la même et ne savent plus qui ils sont. La perception du présent interroge la satisfaction exprimée par la personne concernant sa vie actuelle entre ceux qui disent « vivre bien » et ceux qui affirment avoir une vie dont ils ne sont plus satisfaits. Enfin, le rapport à l’avenir, le « futur actualisé » (Koselleck, 1990), consiste à se dire confiant voire serein en pensant que la maladie n’aura pas de conséquences dramatiques ou, au contraire, à se projeter dans une dégradation très importante de sa santé et de son mode de vie. Les deux premiers types sont marqués par une forte présence de la maladie, des troubles et de leur évolution dans la vie quotidienne, avec cependant une orientation temporelle différente : dans le premier cas, le présent est vu comme dégradé (“une vie altérée”) ; dans le second, le futur est perçu comme menaçant (“une vie en sursis”). Dans les deux autres types, les troubles sont relativisés, ce qui va de pair avec une perception positive de son mode de vie. Ce qui les différencie a trait à la mise en regard du présent avec le passé, qui peut se faire soit sur le mode d’un changement plutôt positif (“une vie améliorée ou retrouvée”), soit sur le mode de la continuité (“une vie inchangée”).
Les cinq personnes qui vivent ce type d’expérience mettent les troubles et les pertes au cœur de leur récit. Ce sentiment d’une altération de l’existence présente doit être mis en relation avec deux aspects de leurs discours : l’importance accordée aux troubles et la référence à la maladie comme rupture biographique (Bury, 1982) dès le début de celle-ci.
Le présent de ces personnes est douloureux à cause de la maladie et des changements dans leur vie qu’elle a induits. L’idée de manque et d’ennui est omniprésente. C’est le cas pour M. Stellaire (56 ans, ouvrier à la retraite) :
« - Bon, moi je voulais voir avec vous, comment vous trouvez la vie aujourd’hui ? Est-ce que vous êtes bien ? Est-ce que vous êtes heureux ?
- Heureux ? Oui. Mais bien, non. [courte pause] Il me manque trop de choses ».
Le présent est ainsi profondément insatisfaisant. Mme Lavande (82 ans, femme au foyer) et Mme Lys (68 ans, enseignante à la retraite), l’une au foyer l’autre à la retraite au moment du diagnostic, ont renoncé à leurs activités associatives et ont vu leur sociabilité se réduire considérablement. Mme Colchique (53 ans, aide-soignante en arrêt de travail) et M. Stellaire ont dû renoncer à leur activité professionnelle du fait de la maladie. De plus, Mme Colchique ne peut quasiment plus prendre soin de son frère handicapé et M. Stellaire voit sa ménagerie disparaître car il ne peut plus s’en occuper. La maladie présente donc pour ces personnes une expérience qui vient « rompre les structures de la vie quotidienne » (Bury, 1982 : 169). Mme Lys fait même part d’une remise en cause de sa « perception de soi » (Bury, 1982 : 169) : « Je suis plus trop… pas très à l’aise. C’est pas très bien pour moi, quoi. Enfin, je suis plus très sûre de moi… j’ai un peu… je suis pas très sûre, quoi » (Mme Lys). Du fait de ce présent douloureux, les projections dans l’avenir sont soit inexistantes pour les plus jeunes dans ce groupe, soit marquées par l’inquiétude, le fatalisme voire même l’aspiration à la mort pour Mme Lavande, la plus âgée de ceux qui partagent cette expérience : « J’ai fini de vivre » ; « ça me fait rien de partir – comme je suis là, que je peux rien faire. [pause] Autant partir ».
Si ce type d’expérience regroupe la majorité de ceux et celles qui ont connu les baisses de leur score au MMSE les plus importantes de notre corpus et qui obtiennent les scores les plus bas dans la vague 2, on ne peut parler de déterminisme. Un élément, en effet, différencie l’expérience des personnes réunies dans ce type des autres personnes ayant connu la même dynamique de MMSE : l’importance qu’elles accordent à l’impact de la maladie sur leur vie en termes de pertes (codage “pas de changement évoqué – importance des troubles”).
Ces pertes semblent assez récentes : trois personnes sur cinq parmi celles qui partagent ce type d’expérience ont perdu 9 points et plus en score MMSE depuis la vague 1. De même, pour les 5, les proches parlent des débuts plus ou moins faciles et d’une accentuation récente des troubles. Comment alors comprendre le fait que les personnes malades ne relatent pas de changement récent ?
On pourrait donc supposer une forme de déni ou d’anosognosie concernant la dimension temporelle de la maladie : le malaise ressenti se conjugue à une impression de continuité. Cependant, si on adopte la posture compréhensive, on se rend compte que si ces cinq personnes perçoivent et soulignent l’importance de leurs troubles, les changements récents qu’elles ont pu connaître ne sont pas pour elles significatifs. En revanche, elles mettent toutes en avant la rupture biographique (Bury, 1982) plus ancienne que représente l’avènement de la maladie et ses conséquences dans leur parcours de vie : « Pouf… ça fait quand même dix ans que je suis… que je suis pas bien » (Mme Lavande), ce qui correspond au début des troubles constatés par ses proches. De même, pour M. Stellaire, la rupture ne date pas d’aujourd’hui :
« - Ça fait longtemps que vous oubliez ou c’est…
- Non, depuis… Enfin, depuis le temps que c’était diagnostiqué, votre truc » (M. Stellaire).
Mme Colchique, qui a travaillé dans le milieu médical, est la seule dans ce groupe à parler d’une dégradation récente de son état. Elle fait partie des rares informateurs à accorder de l’importance aux mesures médicales comme indicateurs de progression de la maladie. Elle suit minutieusement l’évolution des tests, ce qui rend son présent d’autant plus douloureux : « C’est là que je suis en colère parce que je trouve que le traitement, puis… puis rien, c’est… je prendrais rien, ça serait pareil, hein ». Cependant, avec le temps et l’implication des professionnels (psychologue, sophrologue), elle arrive à prendre une distance avec cette rupture et relate une certaine amélioration récente de son mode de vie : après l’arrêt définitif (précoce et imprévu, donc pénible) de son activité professionnelle, elle a pu trouver des activités sportives et artistiques et elle connaît un certain apaisement grâce à la sophrologie. Mais cette amélioration relative ne lui permet pas de tirer un bilan positif de son expérience : « Ben, j’avais une vie quand même plus… plus active, si vous voulez, quand, on vous annonce que vous avez tout perdu, vous vous dites : “À quoi je suis bonne, maintenant, hein ?” ». Le diagnostic et la cessation de l’activité professionnelle qu’il a entraînée demeurent une rupture biographique irrémédiable pour elle. Ainsi, pour ces personnes, les évolutions récentes de la maladie repérées par les tests médicaux sont invisibilisées par la rupture biographique qu’a constitué le début des troubles ou le diagnostic. Notons ici que, parmi ceux qui partagent cette expérience, seul M. Stellaire est en couple et lui, qui « était toujours parti », selon son épouse, voit son espace de vie réduit à son domicile (il ne peut plus conduire). Mme Lavande, Mme Colchique et Mme Lys vivent seules et, malgré une certaine présence des proches, construisent seules leur « temps vécu » (Dubar, 2014) de la maladie. La rupture biographique installée au début des troubles marque ainsi une réduction du monde social et une forme de cloisonnement dans une temporalité individuelle.
La deuxième manière de percevoir son existence actuelle, une vie “en sursis”, concerne cinq personnes de notre corpus qui, tout en faisant le constat d’une préservation de leurs habitudes de vie essentielles – posture a priori rassurante –, sont surtout inquiètes pour l’avenir. Ainsi, M. Chicorée (67 ans, enseignant à la retraite) poursuit ses recherches littéraires, Mme Jasmin (78 ans, femme au foyer) entretient sa maison et son jardin, Mme Valériane (56 ans, ouvrière) continue de travailler, etc. La dimension douloureuse de leur vécu quotidien ne concerne pas l’expérience de la maladie actuelle, mais d’autres aspects de leur vie. Ainsi, Mme Jasmin pleure tous les jours en raison des conflits avec ses enfants, alors qu’elle est plutôt satisfaite par son état de santé. Comme nous allons le voir, ce qui caractérise cette expérience est le fait que l’avenir apparaît menaçant alors même que les troubles présents inquiètent peu. Et, si l’avenir fait si peur, c’est que la menace concerne leur identité.
Dans ce groupe, la perception d’une évolution positive – discours d’amélioration ou de stabilisation – domine. M. Colza (70 ans, chef d’entreprise à la retraite) est le seul à parler d’une évolution négative, mais tout en soulignant son caractère modéré, lent et réversible : « Ce que j’espère c’est comme ça évolue lentement, euh… je souhaite être rattrapé par le progrès de la médecine [rires] ».
Cependant, alors que le discours des troubles ressentis est plutôt absent de leur récit, le diagnostic de la maladie leur apparaît bien réel, et donc menaçant. En effet, ces personnes ont toutes intégré l’image de la maladie d’Alzheimer comme une maladie dégénérative. La maladie fait partie intégrante de leur vécu et c’est principalement du fait de la « projection de trajectoire » (Corbin, Strauss, 1988) qu’ils partagent. Si les proches participent toujours à la construction sociale d’une maladie chronique (Charmaz, 1990), les trois hommes de ce groupe ont une connaissance particulière de la maladie d’Alzheimer – leur mère a ou a eu cette affection. En outre, M. Cirse (71 ans) est médecin à la retraite et s’il peut mobiliser ses connaissances professionnelles pour mieux s’adapter aux troubles, elles lui apportent aussi la conscience de l’évolution probable. De ce fait, si le présent est généralement satisfaisant, une inquiétude profonde marque leur rapport à l’avenir, c’est ce qu’explique Mme Valériane : « Je vais dire, je n’ai pas vraiment changé de vie, plutôt une préoccupation pour l’avenir, c’est surtout pour le futur, je veux dire. C’est surtout ça qui me préoccupe, voir comment… qu’est-ce que je vais devenir. C’est surtout ça, quoi, qui me… préoccupe, quoi, si jamais… si ça va… si ça va, si ça se dégrade, quoi, je veux dire. C’est surtout ça qui m’inquiète ».
La maladie est vue comme une « menace » (M. Chicorée), elle est source d’« inquiétude » (Mme Valériane) et elle oblige à la « vigilance » (M. Colza). « Pour l’instant, ça va » : tel est le leitmotiv des récits de ceux qui partagent ce type d’expérience. La plupart (quatre personnes sur cinq) cherche à « faire face » à la maladie (Chamahian, Caradec, 2014) : elles s’efforcent de la combattre en participant à des protocoles de recherche ou encore en exerçant chaque jour leur mémoire (mots-croisés, prise de notes, etc.). C’est donc le diagnostic, et pas tant les troubles perçus, qui va construire un « horizon d’attente » (Koselleck, 1990) en rapprochant la personne atteinte d’une maladie chronique de la perspective de son décès (Bury, 1982 ; Corbin, Strauss, 1988 ; Ménoret, 2007) ou de la dépendance.
On peut se demander pourquoi ces personnes sont tellement inquiètes pour l’avenir. Si l’on est attentif à leur appartenance sociale et de genre, on peut noter que ce groupe réunit deux femmes de milieux populaires (une divorcée et une veuve) et trois hommes mariés de milieux favorisés.
Pour les deux femmes, Mme Valériane et Mme Jasmin, c’est leur autonomie qui est menacée par la maladie alors que cette autonomie est essentielle pour elles car elle constitue la condition sine qua non du maintien de leurs habitudes de vie. Mme Valériane est encore en activité et elle soutient ses enfants et sa mère en leur rendant des services et en les aidant financièrement. Elle est aussi très investie dans l’entretien de sa maison qu’en temps normal elle habite seule. Mme Jasmin vit seule depuis le décès de son mari et est très attachée à la maison qu’ils ont achetée ensemble et qui incarne leur réussite sociale.
En ce qui concerne les hommes, la maladie remet également en question leur identité – leurs capacités intellectuelles et leur statut social. Comme le dit M. Chicorée, le diagnostic « ça a fait un coup sur le crâne. […] j’ai compris que j’étais… fichu d’une certaine façon parce que… pour… pour quelqu’un qui travaille… avec sa petite cervelle grise, euh, forcément, c’était pas une bonne nouvelle d’autant plus ». Si les trois hommes ont pu grosso modo préserver leurs habitudes de vie, ils ont aussi dû faire des concessions et opérer des « déprises stratégiques » (Mallon, 2007) : M. Colza et M. Chicorée essaient d’éviter des discussions ou des réunions avec plusieurs participants qu’ils ont du mal à suivre. M. Cirse qui vit dans une communauté religieuse avec sa femme a renoncé aux activités, comme il dit, « intellectuelles » au sein de la communauté, se contentant désormais du rôle de responsable des poubelles. Ainsi, si l’essentiel de « la structure de la vie quotidienne » (Bury, 1982) est préservé, ceci se fait au prix de quelques concessions, ce qui accentue l’inquiétude pour l’avenir.
En se focalisant sur un avenir perçu comme menaçant, les personnes malades peuvent laisser penser à leur entourage qu’elles se désintéressent du présent et des troubles, ce qui peut parfois être perçu par leurs proches comme une forme de déni. Plusieurs conjoints se sont effectivement plaints de voir que leur proche malade disait s’inquiéter de l’avenir alors qu’eux–mêmes souffraient déjà de la situation présente. Notre analyse montre qu’il ne s’agit pas d’un déni des troubles présents ou du diagnostic, mais que leur regard est focalisé sur les menaces que la maladie porte à leur identité, ce qui les conduit à minorer et relativiser leurs troubles actuels. En même temps, ce décalage de perspective temporelle par rapport aux proches enferme les personnes malades dans un « temps vécu » (Dubar, 2014) individuel, ce qui accentue leur appréhension de l’avenir.
Une troisième manière de percevoir son existence actuelle, une vie “améliorée” ou “retrouvée”, concerne six personnes dans notre corpus et consiste à considérer que le présent est satisfaisant, car il se caractérise par une amélioration de son mode de vie. La période de référence par rapport à laquelle l’amélioration est constatée peut être un passé relativement récent, associé à l’annonce du diagnostic ou à une période de dégradation du mode de vie du fait des troubles. Mme Pavot (68 ans, styliste à la retraite) raconte qu’elle et son mari sont « très-très bien. Très heureux, tout va bien comme si j’étais pas malade du tout », alors qu’elle parle d’« agonie » en évoquant la période précédente. De même, M. Carillon (66 ans, homme politique à la retraite) dit avoir aujourd’hui « une vie normale » après avoir connu une période de crise liée à une perte de sociabilité et des habitudes de vie antérieures. L’amélioration peut aussi être constatée par rapport à un passé plus éloigné. Mme Violette (73 ans, puéricultrice à la retraite) fait référence à son enfance marquée par un grand handicap d’apprentissage, ce qui l’amène à relativiser les troubles d’aujourd’hui. Elle indique qu’elle oublie toujours moins que lorsqu’elle était jeune et ne se perd plus dans l’espace comme elle le faisait enfant. Il faut insister sur le fait que le sentiment « d’aller mieux » n’est pas une négation des troubles ou un déni mais une évaluation profane basée sur un référentiel temporel différent (Chamahian, Caradec, 2016). On peut considérer que ce sentiment d’une amélioration s’ancre notamment dans deux mécanismes : une transformation du contexte relationnel, devenu plus favorable, et un changement de perspective sur la maladie.
Pour comprendre cette perception favorable de leur existence actuelle, il convient tout d’abord de souligner l’importance du contexte relationnel dont ces personnes bénéficient : devenu plus protecteur du fait de l’implication du conjoint (Mme Pavot, Mme Violette, M. Erable), voire libérateur (Mme Brunelle).
Mme Pavot décrit le début des troubles comme une période où elle se voyait « dégringoler » : « J’avais pas envie de me laver, j’avais envie de rien. Envie de rien. Rien. De rien faire ». Aujourd’hui, elle se sent « ressuscitée », ce qu’elle associe à son nouveau traitement, sous forme de patch. Son époux nous oriente vers une autre piste interprétative. Il explique qu’avec le patch « on peut pas dire que ça évolue à une vitesse… hein, pas du tout. Le traitement lui réussit bien ». Mais il souligne que le temps décrit par Mme Pavot comme une « agonie » correspond à la période où elle avait pris une retraite anticipée tandis que lui était encore en activité : « Elle travaillait plus, donc, le midi, ben, elle mangeait pas. Un morceau de fromage comme ça, elle était… elle restait devant la télé à… en pyjama ». Avec la retraite de son époux, Mme Pavot a repris un mode de vie typique de jeune retraitée de milieu aisé avec des sorties et des vacances, surtout centré sur son couple : « On est très heureux. On s’entend à merveille. On fait un ménage du tonnerre. [rires] Et on a des enfants formidables. Que vouloir de mieux ? » (Mme Pavot).
Lors de la première vague d’entretiens, nous avions rencontré Mme Brunelle (77 ans, bibliothécaire à la retraite) dans une résidence service où elle occupait un studio avec son conjoint. Elle avait alors beaucoup parlé de ses troubles et des « âneries » qu’elle pouvait faire, mais aussi et surtout de la pression conjugale ressentie face à un conjoint dont elle compensait les difficultés motrices et qui était peu compréhensif face à ses troubles. Quand nous rencontrons Mme Brunelle pour la seconde fois, elle et son mari habitent une unité Alzheimer d’un EHPAD (établissement d’hébergement pour personne âgée dépendante). Elle explique qu’elle repose beaucoup sur les professionnels et s’étonne : « je ne comprends même pas qu’il y a encore des gens qui sont dans une situation dramatique alors qu’on peut se faire soigner, on peut faire ce qu’il faut pour que ça aille mieux ». L’unité lui a permis de construire des repères pour se déplacer en toute autonomie, un changement important par rapport à son mode de vie précédent, en résidence service, marqué par un renfermement sur le domicile en raison des difficultés éprouvées par Mme Brunelle à se repérer dans l’espace et sa peur de se perdre pendant une promenade. Le fait que l’unité Alzheimer soit fermée donne à Mme Brunelle une assurance et décloisonne son espace quotidien, lui offrant ainsi une possibilité de prendre une distance vis-à-vis de son époux, qu’elle qualifie de « pas facile », « exigeant » et « autoritaire ». Désormais, elle arrive à le contredire, ce qu’elle ne faisait pas avant : « Ça doit aller mieux, oui, oui. Oui, oui. Mais c’est-à-dire que j’ai peut-être euh… une réaction différente parce que maintenant, je lui dis carrément, je lui dis : “Écoute, t’arrêtes, moi j’estime que c’est comme ça, toi tu peux faire autrement, mais moi je veux que ça soit comme ça” ». Selon Mme Brunelle, dans cette « petite bagarre », la maladie d’Alzheimer « ça me permet de réagir, peut-être. De réagir davantage ». L’intervention du CMRR a dû être non négligeable, l’époux de Mme Brunelle explique que les médecins lui ont fait l’injonction d’être « cool » et « tolérant ». En outre, l’entrée en EHPAD a permis à Mme Brunelle de retrouver une plus grande sociabilité par rapport à son quotidien en résidence service essentiellement centré sur son conjoint. Finalement, la vie en EHPAD conduit Mme Brunelle à parler, elle aussi, d’une amélioration dans les troubles, ce que l’on peut relier à son impression globale d’aller mieux et le fait que depuis le déménagement, elle quitte plus souvent son mari, visiblement la seule personne dans son entourage qui attire son attention sur ses troubles.
L’implication des proches ou des professionnels vient ainsi panser l’éventuelle rupture biographique (Bury, 1982) puisqu’ils s’appliquent à reconstituer le mode de vie de la personne malade : M. Érable (61 ans, cadre) continue à travailler, Mme Violette et Mme Pavot partagent les loisirs avec leur mari, comme elles l’ont toujours fait. Mme Brunelle prend de la distance vis-à-vis de son mari grâce au contexte institutionnel. Le temps de la maladie se construit donc comme un temps commun ou « démocratique » (Dubar, 2014) et renforce l’implication des proches ou des professionnels dans le maintien de la « structure de vie quotidienne » (Bury, 1982).
L’impression d’aller mieux peut aussi être liée à un apprentissage de la maladie, qui consiste à ne pas dramatiser les troubles et le diagnostic, le temps écoulé depuis l’annonce du diagnostic jouant alors un rôle bénéfique. M. Érable explique que « les 5 premières années, c’était dur ». Ensuite, « je me suis dit : “Ben, on va y aller quand même et puis, on va arrêter de faire la gueule” », « et avec le temps, ben, je m’y suis fait. Et puis, ben, si j’arrive quelque part, le tout c’est de retourner à son travail et puis, de refaire ce qu’il faut faire ». Avec le temps, les personnes atteintes et leurs proches acquièrent une « expérience » de la maladie au sens de Koselleck (1990) : ils observent leur vie quotidienne et celles de leurs proches pour arriver parfois à des conclusions qui viennent moduler les représentations négatives qu’ils avaient auparavant. Comme l’explique l’épouse de M. Érable : « Moi je me disais : “Mince, aujourd’hui, il n’est pas autrement qu’hier” ». Finalement, grâce à toute une organisation mise en place par l’épouse, notamment pour préserver son époux en activité professionnelle, et grâce à l’expérience acquise, ce couple finit par avoir une image de la maladie « plus positive » (l’épouse). Pour M. Érable, la maladie d’Alzheimer n’est plus une raison pour s’arrêter de vivre : « C’est pas un accident. C’est pas comme celui qui a un accident et qui est amputé de moitié. Non, je pense qu’il faut d’abord vivre et penser à soi et penser à ceux qui sont avec nous ». Une telle révision de sa situation actuelle et des perspectives en termes de « projections de trajectoire » (Corbin, Strauss, 1988) de la maladie ou dans d’autres domaines de vie construit une dynamique subjectivement positive. Elle semble se répercuter sur la perception de l’évolution des troubles : M. Érable dit que sa maladie est « stabilisée ». Peut-être n’est-ce pas le cas de la maladie, au sens anatomopathologique ou clinique du terme, mais la situation de vie de M. Érable, elle, s’est stabilisée.
Dans ce groupe d’interviewés, les perceptions des évolutions récentes des troubles sont non-négatives (“discours d’amélioration”, “discours de stabilisation” et “pas de changement évoqué – faiblesse des troubles”). Le discours sur les troubles est absent, et même si les enquêtés font référence à la maladie, celle-ci reste à la marge de la vie quotidienne. Cette amélioration et le vécu en général sont vus de manière positive à tel point que le futur est envisagé sans inquiétude. Souvent contrastées par rapport aux discours de la première vague, ces narrations montrent comment le savoir-vivre avec la maladie se construit au fil du temps et avec l’aide des proches (Bury, 1982 ; Le Galès, Bungener, 2015), mais aussi comment le temps de la maladie est pluriel, comme tout temps social (Dubar, 2014), opposant la perspective médicale d’une maladie dégénérative aux temps vécus.
Le dernier type d’expérience, une vie “inchangée”, est aussi subjectivement positif. Ces personnes ont un vécu satisfaisant, avec des habitudes vues comme inchangées et sans manifester d’inquiétude pour l’avenir. Dans notre corpus, quatre personnes se rattachent à ce type, ce qui fait apparaître deux mécanismes qui expliquent que la vie apparaisse inchangée : le premier consiste à placer la maladie à la périphérie de l’existence et le second à en refuser le diagnostic.
Dans ces quatre cas, on constate un discours de stabilisation ou de stabilité (“pas de changement évoqué - faiblesse des troubles”) : « Ma maladie a été maîtrisée, quoi. Hein, elle ne progresse pas » (M. Verveine, 80 ans, enseignant à la retraite). Pour ces enquêtés, la maladie ne fait pas partie de leurs préoccupations quotidiennes. Ils se trouvent dans la perspective de « faire sans » la maladie (Chamahian, Caradec, 2014) et vivent comme si elle n’était pas là : « Faut pas y penser. Attention, faut… quand je dis “faut pas y penser”, euh… faut… faut pas vivre comme si de rien n’était. Mais je veux dire : il faut pas se faire de bile pour ça. Faut faire… faut presque vivre comme si de rien n’était. Et vous vivez mieux » (M. Chardon, 78 ans, géomètre à la retraite).
Si la plupart de ces enquêtés ne refusent pas le diagnostic, ils procèdent à une sorte d’opération cognitive le plaçant au second plan de leur existence. Ainsi, lorsque M. Chardon dit « faut presque vivre comme si de rien n’était. Et vous vivez-mieux », on peut considérer ce discours comme une stratégie d’adaptation basée non sur le déni, mais sur une démarche très pragmatique de sa part pour bien vivre. Sachant que la maladie est là, se focaliser dessus serait générateur d’angoisse et de mal être, tandis que porter son attention sur autre chose permet de vivre bien, même avec la maladie : « j’avais l’impression que ça ne se voyait pas. Et que par ce fait même je vis avec, avec facilité » (M. Vélar, 81 ans, agriculteur à la retraite).
Le présent est ainsi perçu dans une forte continuité avec le passé. Les troubles font partie du vieillissement “normal” et n’apparaissent pas particulièrement associés à la maladie. Comme l’indique M. Verveine, s’il est moins dynamique qu’avant, il faut l’incriminer à « peut-être un peu, la maladie aussi, mais… surtout à l’âge ». Il n’est d’ailleurs guère étonnant que cette expérience se rencontre principalement parmi les plus âgés de nos interlocuteurs (78 ans et plus).
Si les autres personnes partagent plutôt un doute sur l’implication de la maladie dans leur vie quotidienne, seul M. Joubarbe (85 ans, cadre à la retraite), celui qui a occupé la position socialement la plus élevée parmi elles, remet explicitement en cause l’existence de la maladie d’Alzheimer. Il le fait en donnant une explication qui s’apparente à une théorie du complot : « À mon sens, on qualifie trop rapidement [10]quelqu’un de malade d’Alzheimer. Qui n’a pas une perte momentanée de la pensée et quel est celui qu’il ne bafouille pas de temps en temps ? […] Donc, on a découvert une nouvelle maladie, on a mis en place d’immenses machines à gaz qui rapportent aux toubibs, qui rapportent aux fabricants de produits chimiques qu’on appelle les médicaments. »
Même s’ils peuvent paraître extravagants, les propos de M. Joubarbe ne doivent pas être renvoyés trop rapidement dans l’irrationalité ou le déni. Ils s’éclairent, en effet, d’une triple manière. Tout d’abord, les petits problèmes qu’il rencontre ne correspondent pas à l’image de gâtisme qu’il associe à la maladie d’Alzheimer. La réduction de la maladie d’Alzheimer à un « problème de mémoire » permet, en effet, « de s’en tenir à un problème limité, d’ordre intellectuel, et de tenir à distance l’idée d’une dégradation plus générale » (Béliard, 2012 : 15). Ces paroles sont, ensuite, en cohérence avec sa vision du monde, marquée par une grande méfiance vis-à-vis des institutions et une critique généralisée de la société d’aujourd’hui. C’est dans ce cadre qu’il dénigre fortement la catégorie médicale de “maladie d’Alzheimer”, une méfiance particulièrement présente dans les milieux sociaux favorisés (Béliard, 2012). De ce point de vue, ce qu’il dit de la maladie d’Alzheimer comme invention qui servirait des intérêts mercantiles n’est pas si éloigné de thèses défendues par des médecins de renom (Whitehouse, George, 2008 ; Saint-Jean, Favereau, 2018). Enfin, son refus de croire à la maladie est conforté, comme c’est souvent le cas pour les maladies chroniques (Charmaz, 1990) par son entourage, notamment sa compagne rencontrée en EHPAD, admirative de sa culture et sa mémoire.
Le déni et l’anosognosie sont des catégorisations médicales couramment utilisées pour décrire la non reconnaissance (volontaire ou non) des troubles liés à la maladie d’Alzheimer. En pathologisant un comportement, elles “fabriquent” des symptômes qui deviennent tout à la fois des signes et des manifestations qui prouvent la maladie. Ce procédé a pour effet de réduire la vie et le vécu temporel des personnes malades à l’évolution biologique de la maladie. Or, nos données montrent que si l’on déconstruit « l’illusion d’un temps unique » (Dubar, 2014), on constate que les personnes malades vivent dans des temporalités plurielles. En effet, la trajectoire de leur maladie n’implique pas seulement l’évolution de la symptomatique, mais aussi et surtout le travail effectué par eux-mêmes et leurs proches et les changements dans la vie quotidienne que celui-ci implique (Corbin, Strauss, 1988).
Le vécu de la maladie est ainsi repositionné dans une temporalité différente de celle des professionnels dont la “date au diagnostic” constitue le point de référence. D’un point de vue de sociologie compréhensive, les attitudes décrites ne relèvent pas d’un déni, mais constituent des comportements sociologiquement interprétables des individus confrontés à une épreuve et face à laquelle ils mobilisent les ressources disponibles. Ces ressources sont l’implication de l’entourage et la possibilité de construire un « temps démocratique » (Dubar, 2014) autour de la maladie, en palliant les troubles et en mettant de la sorte à distance le discours médical. Ainsi, pour les personnes atteintes, il n’est pas tant question de la nature des troubles (oublis, pertes de savoir-faire, etc.) que de leur intervention dans leur quotidien ou plutôt de la possibilité de les tenir à sa lisière. Les types de vécu plutôt positifs de la maladie – une vie “retrouvée” ou “inchangée” - se construisent clairement à distance du discours médical. À l’inverse, les expériences d’une vie “altérée” et “en sursis” intègrent le discours médical et sa temporalité unique, contribuant ainsi à la construction d’une « rupture biographique » (Bury, 1982), effectuée ou anticipée.
Notre recherche confirme que la distribution sociale des expériences et des « théories diagnostiques profanes » est plus complexe que le clivage entre les milieux sociaux favorisés et populaires (Béliard, 2012 ; Béliard, Eideliman, 2014). Notre corpus met davantage en lumière un jeu sophistiqué entre le milieu social, l’âge, l’implication de l’entourage et la connaissance familiale et professionnelle préalable de la maladie.
Nos analyses s’appuient sur vingt cas. Nous avons dû exclure un informateur qui a refusé de parler de son vécu de la maladie.
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[1] Un thème “classique” en sociologie de la santé lorsqu’il s’agit des maladies chroniques de type “physiologique” (Bury, 1982).
[2] Lors de cette première vague (2012-2013), financée par la Fondation Plan Alzheimer, 27 personnes malades, diagnostiquées comme étant atteintes de la maladie d’Alzheimer et informées du diagnostic, ont été rencontrées, contactées par l’intermédiaire du Centre Mémoire de Ressources et de Recherches (CMRR) du CHU de Lille. L’échantillon a été constitué sur la base de personnes situées au stade léger de la maladie (et plus rarement modéré), puis il a été diversifié à partir des variables sociodémographiques classiques.
[3] En vague 2, nous avons cherché à recontacter l’ensemble du corpus de la vague 1, généralement par l’intermédiaire du proche repéré en vague 1. Une dame qui a connu un changement de proche de référence a été rencontrée de nouveau lors de sa visite de suivi au CMRR. Les raisons de l’attrition dans notre échantillon sont un déménagement, une dégradation de l’état de santé de la personne malade et/ou du proche aidant et une perte de contact avec le CMRR (décès possible).
[4] Bien que nos interlocuteurs n’aient que rarement gardé de souvenirs du premier entretien, ils étaient contents d’avoir un espace de parole sans contrainte temporelle ni le regard de leurs proches.
[5] Malgré des difficultés à trouver leurs mots, bien perceptibles chez certains de nos interlocuteurs, tous les entretiens ont donné à voir comment la personne vit la maladie au prisme de son quotidien, ne serait-ce que pour exprimer un malaise, un mal-être ou une perte de certitude dans sa vie. Une seule personne a refusé de parler de son vécu la maladie, en soulignant juste que c’était pénible pour ses proches. Ainsi, nos analyses portent sur 20 récits. Si les entretiens avec les personnes les plus atteintes étaient souvent plus courts et parfois (mais pas toujours) plus difficiles, il ne s’agissait en aucun cas d’établir une cohérence de discours, mais bien au contraire de le recueillir tel quel et de tenter de comprendre a posteriori ce qui se présentait comme des incohérences au départ en recoupant avec l’entretien de la vague 1 et les récits des proches.
[i] Mini-Mental State Examination, le test neuropsychologique le plus utilisé à l’échelle internationale pour détecter des troubles cognitifs, mais aussi très controversé (Brossard, 2014). Il sera présenté plus en détail plus loin dans le texte. Précisons juste que parmi différents tests possibles, c’est celui auquel ont été soumis tous nos interlocuteurs à chaque visite au CMRR. Le MMSE est ainsi utilisé par les médecins comme « un point de repère quantifié tous les six mois » (Béliard, 2018 : 209).
[6] https://cnfs.ca/agees/tests/mesurer-l-etat-cognitif/mini-mental-state-examination-mmse (consulté le 05/09/18).
[7] « anosognosie, manque de conscience, inconscience, manque de conscience des troubles, déni », notre traduction.
[8] Cf. l’annexe.
[9] Cf. l’annexe.
[10] Les mots particulièrement appuyés par le narrateur sont soulignés.
Kushtanina Veronika, Balard Frédéric, Caradec Vincent, Chamahian Aline, « Les personnes malades d’Alzheimer vivent-elles dans le déni ? Enseignements d’une recherche de sociologie compréhensive », dans revue ¿ Interrogations ?, N°28. Autour du déni, juin 2019 [en ligne], https://revue-interrogations.org/Les-personnes-malades-d-Alzheimer (Consulté le 21 décembre 2024).
ISSN électronique : 1778-3747