Telles des divinités tutélaires, ils planent au-dessus de « nos » économies, de « nos » États, de nos vies en définitive. Leurs oracles, qui ont noms journalistes et économistes, nous en disent quotidiennement les humeurs. Car il leur arrive d’être confiants et même euphoriques, ou au contraire attentistes, fébriles, inquiets voire paniqués. Sévères, ils exigent du commun des mortels qu’ils se soumettent à leurs décrets et leur sanction est redoutée. Mais qui sont-ils ? « Les marchés » bien sûr ! Entendons : les marchés financiers et leurs opérateurs que sont les banques, les compagnies d’assurance, les fonds de placement, les fonds de pension, les fonds souverains, etc.
Pour qui veut comprendre de quoi il en retourne, ce qui est aujourd’hui d’une grande nécessité et urgence, le détour par le concept de capital financier, dont ces marchés et opérateurs ne sont que des manifestations, s’avère indispensable. Et, une fois encore, l’essentiel en a été dit par Karl Marx, en l’occurrence dans la section V du Livre III du Capital [1].
Nous savons que le capital, qu’il s’agisse de capital industriel (opérant à la fois dans le procès de production et le procès de circulation) ou de capital marchand (n’opérant que dans le procès de circulation) ne peut se reproduire qu’en s’accumulant. Or l’accumulation du capital fait croître sans cesse la quantité minimale de capital dont chaque capitaliste doit disposer pour entamer ou tout simplement poursuivre ses affaires. Cette quantité devient rapidement telle qu’elle excède ce qu’un seul individu ou même un groupe limité d’individus (par exemple une famille) peut réunir comme capital-argent par ses seuls moyens. Il lui faut alors nécessairement recourir au capital d’autrui, que ce soit sous la forme d’un emprunt pur et simple ou sous celle d’une association (par exemple la constitution de capital par actions).
Cette nécessité surgit souvent à l’occasion d’un élargissement de l’échelle de la production, lorsqu’il s’agit d’adjoindre un capital additionnel au capital déjà en fonction : le fonds d’accumulation constitué par thésaurisation de la plus-value s’avère insuffisant ou sa constitution prendrait trop de temps. Mais cette même nécessité peut aussi surgir lors de la constitution d’un nouveau capital ; c’est le cas dans les branches de production (mines, travaux publics, transports, sidérurgie, etc.) impliquant d’emblée des avances énormes de capital.
Mais, si la dynamique de la reproduction du capital rend nécessaire la formation du capital de prêt, elle la rend aussi possible. D’une part, le cycle du capital industriel s’accompagne nécessairement de l’accumulation de capital-argent latent, thésaurisé sous forme de fonds de réserve, de fonds de roulement, de fonds d’amortissement et de fonds d’accumulation, dans l’attente d’entrer en fonction dans le procès de reproduction. Et, avec l’élargissement de l’échelle de la reproduction du capital, s’accroît aussi la richesse sociale générale, y compris la partie de cette richesse destinée à la consommation individuelle : les revenus monétaires des différentes classes de la société augmentent et, avec eux, les réserves monétaires dont peuvent disposer au moins les classes supérieures et moyennes, excédents de leurs revenus monétaires sur leurs dépenses courantes de consommation.
C’est à cette double source (capital-argent latent et réserves monétaires) que s’alimente la constitution du capital de prêt. Deux institutions sont particulièrement chargées d’en capter les flux et de les transformer en stocks de capital de prêt mis à la disposition des capitalistes actifs, industriels ou commerçants. Il s’agit, d’une part, du système bancaire, recueillant sous forme de dépôts le capital-argent latent et les réserves monétaires ; ainsi le capital bancaire acquiert-il sa véritable fonction de médiation entre les prêteurs potentiels et les emprunteurs potentiels, ce faisant lui-même emprunteur auprès des premiers et prêteur auprès des seconds. À quoi s’ajoute, d’autre part, le marché financier, marché sur lequel les capitalistes (industriels et commerçants, mais aussi banquiers) peuvent lever du capital moyennant l’émission de titres de crédit (obligations) ou de propriété (actions). Ces deux institutions financières, la banque et la bourse, évitent notamment que le capital-argent latent, qui s’accumule en marge du procès de reproduction, ne reste en jachère, inemployé et improductif.
Cependant, quelle que soit la forme qu’il revête, le capital de prêt ne peut se réaliser comme capital, comme valeur en procès, qu’en se conservant et en s’accroissant : qu’à la double condition non seulement de refluer intégralement, au bout d’un certain temps, entre les mains de son propriétaire (le prêteur) mais de refluer en ayant été engrossé d’une survaleur. Prêté comme A, il doit refluer comme A’ = A + ΔA. Ce qui n’est possible que pour autant que le capitaliste actif, capitaliste industriel ou négociant capitaliste, qui a emprunté ce capital pour le faire fonctionner comme tel dans le procès de reproduction, rétrocède à son propriétaire (le prêteur), avec le capital-argent qu’il lui a emprunté, une partie du profit qu’il a réalisé grâce à lui. Le profit moyen de l’entrepreneur capitaliste, industriel ou négociant, se fractionne ainsi lui-même en deux, donnant naissance d’une part au profit d’entreprise qui seul lui reste (en tant qu’entrepreneur mettant effectivement en œuvre le capital dans le procès de reproduction), d’autre part à un intérêt que s’approprie le propriétaire du capital de prêt.
A - A’, tel est donc le mouvement caractéristique du capital de prêt. Ainsi, avec ce dernier, apparaît une forme du capital qui se conserve et s’accroît en marge des procès de production et de circulation du capital. Certes, pour que le capital prêté rapporte un intérêt, il faut bien qu’il soit employé comme capital (industriel ou marchand) dans le procès de reproduction et y qu’il y forme du profit. Mais c’est là une médiation qui disparaît totalement de son mouvement propre de capital de prêt, qui se réduit à l’échange A - A’, de l’argent contre une somme d’argent supérieure : « Nous avons ici A - A’, de l’argent produisant de l’argent, une valeur se mettant en valeur elle-même, sans aucun procès qui serve de médiation aux deux extrêmes. » [2]
Dans ce mouvement, la nature et l’origine de la plus-value (sous la forme de l’intérêt) sont complètement occultées, puisque tout rapport avec le procès de production a disparu. Si bien que, sous la forme du capital de prêt, la valeur semble réellement pourvue d’un pouvoir magique de se valoriser par elle-même, d’engendrer par elle-même une survaleur. En conséquence, avec la formation du capital de prêt, un degré supplémentaire est franchi dans le fétichisme capitaliste, dans l’apparence irrationnelle d’un auto-engendrement du capital.
« C’est donc dans le capital porteur d’intérêt que ce fétiche automate est clairement dégagé : valeur qui se met en valeur elle-même, argent engendrant de l’argent ; sous cette forme, il ne porte plus les marques de son origine (…) L’argent acquiert ainsi la propriété de créer de la valeur, de rapporter de l’intérêt, tout aussi naturellement que le poirier porte des poires. » [3]
Avec le développement du capital de prêt, du capital porteur d’intérêt, l’argent apparaît capable d’engendrer de l’argent par lui-même. Tout semble se passer désormais comme s’il suffisait en quelque sorte d’avancer de l’argent pour obtenir en retour une somme supérieure d’argent. C’est ce fétichisme de la valeur sous sa forme de capital financier qui va donner naissance au capital fictif.
Dès lors, en effet, tout élément, de quelque nature qu’il soit, qui assure à son détenteur un revenu régulier, va passer, du point de vue de celui qui le possède, pour un capital dont ce revenu constituerait en somme l’intérêt. Tel est le principe de la capitalisation.
« On appelle capitalisation la constitution du capital fictif. On capitalise n’importe quelle recette se répétant régulièrement en calculant, sur la base du taux d’intérêt moyen, le capital qui, prêté à ce taux, rapporterait cette somme ; par exemple, si la recette annuelle est de 100 £ et le taux de 5 %, les 100 £ seraient l’intérêt annuel de 2 000 £ et ces 2 000 £ passent pour la valeur-capital du titre de propriété qui, juridiquement, ouvre droit aux 100 £ annuelles. » [4]
On peut ainsi attribuer une valeur-capital à n’importe quel titre de propriété, propriété de capital (actions) mais aussi propriété foncière, ou à n’importe quel titre de crédit (créance commerciale, créance bancaire, hypothèque, titre de la dette d’État, etc.) rapportant un revenu déterminé à son détenteur, en l’autorisant à prélever régulièrement (sous différentes forme : intérêt, dividende, rente, etc.) une part de la richesse sociale.
La valeur-capital de ces titres, leur valeur en leur qualité de capital, est purement fictive ; et ils constituent eux-mêmes des capitaux fictifs. Cela est bien évident lorsque ce titre ne représente pas un capital réel. Par exemple, dans le cas d’une créance sur l’État, d’un titre de la dette d’État. En effet, l’argent prêté par ses créanciers à l’État n’est, en règle générale, nullement utilisé par ce dernier comme capital. Au contraire, il est purement et simplement dépensé par l’État comme revenu, pour financer les différentes fonctions qu’il remplit et doit remplir au sein de la société capitaliste ; il est par conséquent définitivement perdu pour l’État et ne refluera jamais vers lui, contrairement à ce que fait tout capital. Dans ces conditions, le principal et l’intérêt reviennent au propriétaire de la créance sur l’État non pas comme refluent un capital et son profit mais tout simplement parce que cette créance lui donne droit à une part de la fraction de la richesse sociale que l’État s’approprie par l’intermédiaire de l’appareil fiscal.
Mais la valeur-capital d’un titre n’est pas moins fictive dans le cas où ce titre représente un capital réel, par exemple dans le cas d’actions (de parts de capitaux socialisés) ou d’obligations (de titres de crédit émis par des capitaux empruntant directement sur le marché financier).
« (…) ce capital n’existe pas deux fois, une fois comme valeur-capital des titres de propriétés, des actions, la seconde fois en tant que capital investi réellement ou à investir dans ces entreprises. Il n’existe que sous cette dernière forme, et l’action n’est qu’un titre de propriété ouvrant droit, au prorata de la participation, à la plus-value que ce capital va permettre de réaliser. » [5]
Ces actions ou obligations sont tout au plus des « duplicata du capital réel », qui existent à côté de lui, des « chiffons de papier » [6] et qui n’ont par eux-mêmes aucune valeur et qui ne constituent en rien un capital. Dans tous les cas donc, leur valeur-capital, obtenue par capitalisation des revenus qu’ils génèrent, constituent un capital tout aussi fictif que celle des créances sur l’État (ou sur des particuliers).
Ce qui va donner une apparence de réalité au capital fictif, c’est le mouvement autonome qu’acquiert la valeur de ces titres sur le marché financier. La capitalisation les dote en effet d’une valeur de marché qui va permettre de les transformer en marchandises, de les rendre négociables – et de garantir aussi du même coup leur parfaite liquidité (la capacité pour leurs détenteurs de les reconvertir en argent). Valeur de marché qui est déterminée, selon le principe de la capitalisation, à la fois par les revenus réels ou potentiels que ces titres rapportent ou sont censés rapporter ainsi que par le taux d’intérêt moyen courant. Valeur autour de laquelle va osciller leur prix de marché, en fonction du rapport entre leur offre et leur demande sur le marché boursier : « Le mouvement autonome de valeur de ces titres de propriété - pas seulement des bons d’Etat, des actions aussi - renforce l’illusion qu’ils constituent un véritable capital à côté du capital qu’ils représentent ou du droit qu’ils peuvent établir. Ils se transforment en marchandises dont le prix est fixé selon des lois propres. » [7] Le mouvement de ces prix sur le marché financier apparaît d’autant plus autonome que ce marché est éminemment spéculatif. Plus qu’aucun autre marché, il est fondé sur des anticipations incertaines qui donnent lieu, par conséquent, à des mouvements erratiques. Cela s’explique, d’une part, parce que la valeur de capitalisation des titres est calculée non pas sur les revenus passés qu’ils ont rapportés mais sur les revenus escomptés dans l’avenir (du moins pour ceux de ces titres dont les revenus sont variables). D’autre part, cette même valeur de capitalisation est fonction de l’évolution des taux d’intérêt, qui dépend de multiples facteurs, liés notamment à la dynamique d’ensemble de l’économie capitaliste, ce qui la rend pour partie imprévisible. Dès lors, la valeur de ces titres se prête admirablement à toutes les manoeuvres spéculatives destinées à la faire varier (à la hausse ou à la baisse) pour encaisser, au passage, des profits spéculatifs, sous forme de ce qu’on nomme habituellement et improprement des « plus-values ». Ce faisant, non seulement la spéculation sur le marché financier conforte l’apparence de cette fiction que constitue la valeur de capitalisation des titres ; mais encore elle dote réellement le capital fictif d’un mouvement propre qui consiste à gagner de l’argent en achetant et en vendant des « chiffons de papier » (des titres de propriété et de crédit). La forme de ce mouvement est donc A - (t) - A’. Les parenthèses qui entourent t sont destinées à signifier qu’il s’agit là d’une valeur fictive, obtenue par capitalisation du revenu rapporté par ou escompté sur le titre t. Une certaine somme d’argent A est avancée pour acheter un titre à son prix de marché (t), pour le revendre en réalisant au passage un profit spéculatif, une « plus-value » boursière, ΔA = A’ - A, procédant d’une hausse de sa valeur de marché ou simplement de son prix de marché, sur la base d’une augmentation (réelle ou escomptée) des revenus qu’il rapporte ou d’une baisse (réelle ou escomptée) des taux d’intérêt. Il est à peine besoin de faire remarquer que, sous cette forme, le fétichisme du capital est accompli : l’apparence d’une capacité de la valeur à se mettre en valeur par sa simple circulation est ici à son comble du seul fait que ce qui est ainsi mis en circulation, ce ne sont plus des valeurs réelles mais des valeurs purement fictives, celles de simples « chiffons de papier ». C’est l’indice que l’on est parvenu à l’apogée de l’autonomisation de la valeur.
En définitive, la fiction du capital fictif est triple. En premier lieu, ce capital ne fonctionne pas, ni directement ni indirectement, dans le procès de reproduction et il n’est pas destiné à y fonctionner. Et, pourtant, l’argent ne peut se transformer réellement en capital que dans et par la médiation du procès de production, la médiation de son échange contre de la force de travail, seul facteur capable de conserver et d’accroître la valeur antérieurement formée. En deuxième lieu, les valeurs par la circulation desquelles le capital fictif se conserve et se valorise sont des valeurs purement fictives, obtenues par capitalisation de revenus la plupart du temps seulement potentiels. Le capital fictif est donc le moment où la valeur semble s’émanciper totalement des contraintes et des limites du procès de reproduction du capital, où elle semble se détacher de sa propre substance, le travail social, où elle semble pouvoir mener une vie propre dans un monde à part, l’univers de la finance. C’est donc aussi le moment où elle cesse d’être procès réel de valorisation pour n’être plus que procès fictif de valorisation – mais dont les effets sont bien réels pour celui qui poursuit et réussit de telles opérations financières. En troisième lieu, ce capital est fictif en tant qu’il se valorise sans aucune création (formation) de valeur. C’est dire que sa valorisation ne peut se fonder que sur la redistribution d’une valeur déjà créée, qu’elle est, du point de vue de la création de valeur, une opération stérile. Autant dire que le marché boursier sur lequel a lieu la valorisation du capital fictif est un jeu à somme nulle : ce qui est gagné par les uns est nécessairement perdu par les autres, les « plus-values » enregistrées d’un côté se payant de « moins-value » de l’autre. Ou plutôt, il serait un jeu à somme nulle s’il n’était pas constamment alimenté par les apports en argent frais assurés par l’arrivée de nouveaux « joueurs » et l’avance de nouveaux capitaux fictifs, compensant le retrait d’autres joueurs, ruinés ou non, et la destruction d’anciens capitaux fictifs. Cependant, le capital fictif n’en est pas moins apparemment du capital, au sens où il est une forme possible de valorisation (de conservation et d’accroissement) de la valeur. Bien plus, il apparaît comme la forme supérieure du capital, celle dans laquelle ce dernier réalise apparemment toutes ses exigences : - C’est de l’argent qui engendre de l’argent sans avoir à passer par la médiation, toujours problématique et aléatoire, du procès de reproduction : par la médiation de la production et de la circulation de marchandises. Ce que le capital financier sous sa forme de capital de prêt ne parvient à réaliser qu’en partie, puisqu’il reste tributaire des reflux d’argent dans le procès de reproduction réel. - C’est aussi une forme du capital parfaitement fluide (les titres dans lesquels il s’investit sont tous négociables et interchangeables) et donc aussi parfaitement mobile, qui peut s’investir et de désinvestir en un clin d’oeil, le temps de passer un ordre d’achat ou de vente à la bourse, le temps d’un de ces signes ésotériques qu’utilisent les opérateurs boursiers autour de « la corbeille », le temps aujourd’hui de presser sur une touche d’ordinateur. Ainsi, lorsqu’on parle de capital fictif, il ne faut pas comprendre la détermination fictive de ce capital simplement, unilatéralement, dans son seul sens ordinaire de capital irréel, mais dialectiquement. Sa fiction est l’indice du degré d’abstraction concrète à laquelle est parvenue la valeur dans son mouvement d’autonomisation. En ce sens, qualifier de fictive l’économie financière fondée sur la circulation de titres et la spéculation sur leurs cours, ce n’est pas lui dénier toute réalité, bien au contraire. En particulier, via le capital de prêt dont elle est une composante essentielle, cette économie fictive est en mesure de se saisir de l’économie réelle (le procès de reproduction du capital), de la plier à ses exigences spéculatives, de la vampiriser même. Cette fiction (la plus extrême abstraction de la valeur) est donc en mesure de s’emparer de la réalité même du travail social. Et pourtant, cette économie de « chiffons de papier », dans laquelle on spécule essentiellement sur les variations de la valeur fictive de titres, est bien irréelle en un sens. Ce qui en témoigne, en définitive, ce sont les krachs périodiques qu’elle connaît, au cours desquels d’immenses fortunes en papier et sur le papier se dissipent comme des mirages en l’espace de quelques heures voire de quelques minutes. Car ces mêmes krachs nous rappellent sa totale dépendance, en dernière instance, à l’égard des mouvements de l’économie réelle (ceux de la production et de la productivité, des salaires et des prix, des taux de profit et des taux d’intérêt, etc.) et de ses limites. La forme suprême d’affirmation de l’autonomie de la valeur, le capital fictif, constitue donc aussi sa forme d’existence la plus précaire, la plus fragile, la moins consistante : celle où une simple rumeur (sur le taux de valorisation du capital réel, sur l’évolution des taux de profit, sur l’évolution des taux d’intérêt, etc.) suffit par exemple à la détruire. Ainsi, en poussant à bout le processus d’abstraction inhérente à la valeur, en se séparant aussi complètement que possible du procès de production qui lui donne naissance, le capital fictif ne fait qu’exacerber la contradiction qui marque ce processus de part en part. Sous cette forme où son autonomie à l’égard de sa propre substance, le travail social, semble totale, la valeur se résout véritablement en une fiction qui peut se dissiper à tout moment, dès lors que s’effondrent la croyance et l’illusion en son autonomie qui seules la maintiennent. Sous forme du capital fictif, la valeur est alors à l’image de ces personnages de dessins animés dont la course ne peut se poursuivre que tant qu’ils n’ont pas conscience qu’ils sont suspendus dans le vide.
[1] Cet article prolonge et complète les articles suivants antérieurement parus dans Interrogations : « Le concept de capital chez Marx » (n°9), « La critique de la valeur, fil rouge du Capital » (n°10), « Le capital comme pouvoir » (n°11). Il en présuppose les principaux éléments d’analyse qu’il ne peut reprendre ici.
[2] K. Marx, Le Capital [1894], Paris, Éditions Sociales, 1960, tome VII, p. 55.
[3] Id., p. 56.
[4] Id., pp. 128-129.
[5] Id., p. 129.
[6] Id., p. 139.
[7] Id., p.129.
Bihr Alain, « Le capital financier », dans revue ¿ Interrogations ?, N°13. Le retour aux enquêtés, décembre 2011 [en ligne], http://revue-interrogations.org/Le-capital-financier (Consulté le 21 décembre 2024).