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Hamel Jacques

Expériences de retour aux enquêtés en sociologie. Brèves réflexions théoriques et pratiques

 




 Résumé

La réflexivité semble aujourd’hui de mise en sociologie. Les théories formulées en son nom doivent en d’autres mots alimenter la connaissance des individus et des groupes ayant bien voulu collaborer aux enquêtes qui leur ont donné corps. Si le « retour aux enquêtés » se traduit dans bien des cas par la simple diffusion publique des résultats de recherche et des explications acquises sur cette base, force est de constater que des entreprises destinées à cette fin ont été mises au point dans l’orbite sociologique. Le présent article s’emploie à les présenter et à en montrer la pertinence et la fécondité, mais également à en souligner les difficultés et les problèmes. Il envisage sur l’élan des expériences de retour aux enquêtés mobilisant de nouveaux moyens, comme le Web, susceptibles de retourner la théorie explicative à ceux et celles qui ont contribué à la faire naître.

Mots clés : réflexivité • intervention sociologique • auto-analyse provoquée et accompagnée • restitution

 Summary

Reflexivity now seems indispensable in sociology. The theory formulated by sociologists should enrich the knowledge of persons and groups who contributed to their investigation. Methods have been developed for this purpose in sociology. This article aims to present and demonstrate its relevance and fertility, but also highlight the difficulties and problems,

The article finally discusses new media could disseminate the results of sociological analysis as Web.

Key words : reflexivity • sociological intervention • self analysis • output

 Introduction

Conséquence de la modernité [1], la valeur réflexive de la sociologie apparaît désormais de mise dans la discipline [2]. En effet, plus que jamais, les théories formulées en son nom doivent trouver écho chez les individus et groupes susceptibles d’en tirer bénéfice. Elles doivent en d’autres mots alimenter la connaissance des individus et des groupes ayant bien voulu collaborer aux enquêtes qui leur ont donné corps. Si le « retour aux enquêtés » se traduit dans bien des cas par la simple diffusion publique des résultats de recherche et des explications acquises sur cette base, force est de constater que des entreprises destinées à cette fin ont été mises au point dans l’orbite sociologique, comme les méthodes proposées par Bourdieu et Touraine sur lesquelles on se penchera dans les prochaines pages.

Le présent article s’emploie en effet à présenter et à montrer la pertinence et la fécondité de ces méthodes, mais également à en souligner les difficultés et les problèmes qui soulèvent la question suivante : la théorie produite avec la collaboration des enquêtés a-t-elle d’emblée valeur explicative du fait qu’elle obtient la faveur des enquêtés qui ont mis l’épaule à la roue ? La question importe, on le verra, à l’heure où — au Québec comme ailleurs en Amérique — les enquêtés se voient octroyés des droits et pouvoirs en la matière. Après en avoir considéré un certain nombre, il sera fait état d’expériences de retour aux enquêtés propres à révéler les paradoxes engendrés par les obligations éthiques dorénavant faites aux chercheurs à l’égard des individus qui acceptent de collaborer à leurs enquêtes.

 Le « retour aux enquêtés » et la réflexivité à l’ère de la modernité

La modernité a donc pour conséquence, selon Giddens, que « l’objet a appris à penser en termes sociologiques » [3]. En effet, la modernité se révèle à cet égard « profondément et intrinsèquement sociologique » du fait que les théories élaborées par les sociologues servent de plus en plus de boussole aux individus et aux groupes pour pouvoir évoluer en société à la lumière de l’explication de ses secrets ressorts.Les théories sociologiques, dans ces conditions, « vont et viennent continuellement par rapport à leur objet » [4].

En cette ère moderne, les individus et les groupes sont sensibilisés et se montrent de surcroît très sensibles à certaines théorisations sociologiques, lesquelles en décomposant les modes de vie largement façonnés par la religion, la famille, la classe sociale, bref les institutions sociales jadis capables de les leur imposer de l’extérieur, fait en sorte que désormais « les individus construisent, articulent et mettent en scène leur trajectoire individuelle » [5]sur la base de leur propre connaissance de la vie sociale. Sous le coup de ce « processus d’individualisation » à l’œuvre de nos jours, « dans tous les domaines de la vie, les individus se veulent autonomes, ils veulent faire leurs propres expériences, décider eux-mêmes sans se laisser contraindre par les autres, qu’il s’agisse de leurs parents, de leurs amis […] ou des pouvoirs publics qui sont regardés comme de simples outils qu’on peut utiliser et mettre à profit pour se forger soi-même » [6].L’individualisation s’entend ici comme « l’aspiration des individus à se définir eux-mêmes » [7] et, par conséquent, « renvoie à l’autonomie croissante des individus à former leurs propres connaissances » [8] pour évoluer de leur propre chef dans l’orbite sociale.

L’individualisation à l’œuvre dans les sociétés actuelles contribue donc à rendre les individus responsables de ce qu’ils sont et de ce qu’ils font et, par conséquent, ceux-ci peuvent bénéficier des explications sociologiques afin de tirer leur épingle du jeu en étant grâce à elles aptes à agir par eux-mêmes. Sous ce chef, la sociologie acquiert un « rôle de soin en proposant une psychologie vraisemblable visant à aider les individus à surmonter les épreuves qui les constituent » [9]. La réflexivité sociologique est par conséquent « moins centrée sur la société comme totalité qu’elle n’est centrée sur les individus eux-mêmes dont la subjectivité est tenue pour une auto-construction sociale  » [10].

La théorie sociologique n’est certes pas la seule connaissance à acquérir dans ces conditions une valeur réflexive. Les connaissances produites par les politologues, les anthropologues et les autres chercheurs en sciences sociales se révèlent également utiles à cet effet, comme du reste celles produites par les journalistes qui, maintes fois, contribuent à répercuter les théories sociologiques traduites en termes faciles d’accès. En effet, on tend à l’oublier, le journalisme comme la culture de masse font souvent office de caisse de résonnance aux théories développées dans les cercles universitaires et intellectuels [11].

Il n’est donc guère étonnant de constater que des sociologues, comme Alain Touraine et Pierre Bourdieu, pour ne citer que ces auteurs, se soient employés à créer chacun à leur façon les moyens, pour ne pas dire les méthodes capables de donner à leurs théories le pouvoir réflexif acquis du retour de l’explication produite sous ce chef, celui de la théorie sociologique, dans les groupes ou chez les individus qui, de près ou de loin, ont bien voulu participer à leurs enquêtes sur divers sujets.

 L’intervention sociologique d’Alain Touraine

Le théoricien des mouvements sociaux qu’est Touraine, désireux de fonder une méthode associable à la recherche-action, crée en 1975 l’intervention sociologique dans le cadre de ce qu’il appelle à l’époque la sociologie permanente. L’expression désigne l’entreprise qui, à ses yeux, cherche continuellement à formuler la théorie sociologique dans le feu des luttes sociales de l’heure, mettant à contribution ses propres acteurs, avec à la clé l’intention de féconder leur action collective grâce à la théorie mise au point sur cette base et lui permettre ainsi de se muer en un mouvement social : une action qui, en faisant tache d’huile, permet d’orienter la société dans sa totalité.

En bref, la théorie de Touraine veut qu’un acteur collectif, directement mêlé à la lutte sociale de l’heure [12], en vienne progressivement à se concevoir comme acteur social dès qu’il perçoit son action comme étant susceptible d’infléchir la société, de l’orienter sur la base des valeurs et du projet politique qui prend corps dans la foulée. Dans cette voie, il devient capable d’identifier son (ou ses) adversaire(s), avec lequel il doit rivaliser pour s’arroger le pouvoir de donner le cap à la société [13].

Dans cette perspective, l’intervention sociologique se conçoit comme une méthode réflexive du fait qu’elle consiste en l’auto-analyse de la lutte sociale que veulent entreprendre ses propres acteurs en compagnie d’une équipe de sociologues. Ainsi, dans le cadre d’une série de rencontres auxquelles ils consentent à participer activement, les acteurs sociaux sont d’abord invités à relater fidèlement les faits et gestes liés à leur action collective puis, quand le besoin de l’analyse sociologique se manifeste dans leurs rangs, ils sont conviés à formuler sur le vif la théorie susceptible de l’expliquer sous l’optique sociologique. Les sociologues réunis en équipe, après avoir entendu la description de leur action collective, vont à cette fin s’efforcer de les familiariser avec la théorie sociologique, celle des mouvements sociaux, dans l’intention de les rendre aptes à jumeler les notions théoriques à la connaissance pratique qu’ils ont de leur action afin d’en faire eux-mêmes l’analyse sur le vif sous l’œil aguerri des sociologues.

L’analyse de la lutte sociale à laquelle ils sont mêlés va au préalable s’élargir à la présence de leurs adversaires et de leurs alliés afin de pouvoir envisager l’action collective des acteurs dans ses tenants et aboutissants et de neutraliser les visions militantes et idéologiques découlant de leur propre engagement dans cette lutte sociale. La méthode, on le constate, ressemble à une espèce de partie de ping-pongen vertu de laquelle la théorie sociologique retourne d’office vers les acteurs sociaux afin que, dans leur esprit, celle-ci puisse éclairer leur action collective, laquelle peut désormais être fécondée par l’explication acquise sur cette base et ainsi se muer idéalement en un mouvement social sur le coup de la théorie élaborée dans cette intention.

La restitution de la théorie, voire de l’explication, aux acteurs sociaux enclins à vouloir comprendre leur action sur ce registre, celui de la sociologie, est donc immédiate : elle s’opère dans le feu même de l’analyse conduite avec leur collaboration. Sous ce chef, la méthode va plus loin puisque l’intervention sociologique requiert en fin de compte la conversion des acteurs sociaux présents à l’hypothèse soumise au terme de l’analyse pour que la théorie sociologique ait véritablement valeur explicative. Bref, à ce stade, la théorie vaut si elle trouve écho chez les acteurs de la lutte sociale qui, de ce fait, peuvent l’orchestrer pertinemment pour qu’elle se mue en mouvement social au sens où le conçoit Touraine. La conversion, écrit notre auteur, « ne se juge pas uniquement sur l’acquiescement d’un groupe à une hypothèse présentée à un moment donné par le chercheur. Ce qui valide l’hypothèse est la capacité du groupe d’orienter son expérience passée, présente et à venir en fonction de l’hypothèse présentée » [14].

Le retour aux enquêtés se révèle donc ici le point névralgique, voire le pivot, de la méthode qui donne son droit à l’intervention des sociologues dans une lutte sociale. En cela, son auteur, Touraine, fait preuve d’audace en voulant donner à la théorie sociologique son pouvoir réflexif. En effet, l’explication, soumise à l’approbation des participants à l’intervention sociologique, peut dès lors nourrir la connaissance pratique de qu’ils sont et font en leur qualité d’artisans d’une action collective dorénavant susceptible de se muer en mouvement social. Sur l’élan, ils deviennent des acteurs sociaux enclins à se concevoir comme sujets capables de penser, d’évaluer et d’agir par eux-mêmes [15], étant ainsi en phase avec l’individualisation à l’œuvre dans les sociétés d’aujourd’hui. En cela, l’intervention sociologique représente un exercice qui relève moins de « l’individualité elle-même que d’un effort pour la conquérir » [16].

La conversion, étape ultime de l’intervention des sociologues, soulève toutefois de sérieuses difficultés. Il peut arriver, par exemple, que les acteurs entérinent la théorie qu’on leur soumet « pour des raisons autres que liées à son contenu, qu’ils soient séduits, sous le charme, sensibles à la rhétorique, ou bien encore, simplement, impressionnés par le statut social ou la qualité d’“intellectuel” de celui qui leur propose des idées, un raisonnement, une analyse de leur problème » [17].Touraine s’est vu forcer de reconnaître à ce sujet « que le succès public d’une hypothèse ne garantit en rien sa valeur scientifique » [18].

Force est d’autre part d’admettre que, fidèle à la méthode, et à son parti-pris de retourner la théorie aux enquêtés, l’approbation publique de la théorie que requiert la conversion semble nettement insuffisante pour la déclarer valide en tant qu’explication sociologique. Il faut à cet effet que « l’acteur fasse quelque chose de ce qu’il vient d’approuver et d’accepter, qu’il fasse travailler à son propre compte les propositions des chercheurs » [19]. Or, à ce sujet, Dubet ne manque pas de noter que, tout compte fait, l’intervention sociologique « n’engendre pas forcément d’effets perceptibles et les acteurs concernés retrouvent très rapidement les catégories de l’action » [20], celles de leur connaissance pratique de l’action collective qu’ils épaulent en tant qu’acteurs sociaux. Inversement, « quand les chercheurs sont invités à passer du côté de l’action, à donner des conseils, il n’est pas certain qu’ils aient acquis une compétence particulière » [21] du seul fait qu’ils sont directement intervenus auprès des acteurs sociaux ou que leur méthode, l’intervention sociologique, leur ait permis « de créer les conditions d’une relation directe et interpersonnelle avec les acteurs » [22].

 L’auto-analyse provoquée et accompagnée de Bourdieu

L’intervention sociologique, on le constate, cherche à restituer la théorie sociologique aux individus soudés à une action collective en leur qualité d’acteurs d’un groupe social désireux d’instiller un mouvement social. Son étude de la Misère du monde conduit pour sa part Pierre Bourdieu à vouloir communiquer la théorie sociologique aux individus qui ont bien voulu y collaborer en accordant une entrevue sur les « malheurs » qui les acculent à une « position de misère » [23]. L’entreprise se révèle toutefois ici plus modeste. En effet, il ne s’agit nullement d’élaborer délibérément la théorie sociologique en groupe, ni de vouloir changer la société sous le coup de l’explication acquise sur cette base. La « méthode » que propose Bourdieu se borne à l’entrevue semi-dirigée connue depuis longtemps en sociologie, mettant en présence deux interlocuteurs : l’enquêteur et l’enquêté. Le jeu des questions et réponses doit toutefois s’orchestrer de manière à ce que l’enquêté, en répondant à son vis-à-vis, en vienne à comprendre sa « misère » en prenant acte sur le vif de la théorie qui lui permettra de l’expliquer en termes de position sociale. Le face à face s’organise afin que l’enquêteur retourne immédiatement vers l’enquêté la théorie sociologique grâce à laquelle ce dernier peut envisager sa misère comme « position de misère » qui l’explique sous le mode de la théorie.

La clé de l’entreprise tient au principe soumis audacieusement par Bourdieu de placer en face à face un enquêteur et un enquêté correspondant en théorie à une position sociale identique ou analogue dans l’intention de créer l’égalité sociale entre eux. En bref, selon notre auteur, si l’un et l’autre occupent théoriquement la même position sociale, 1) l’enquêteur ne peut être — volontairement ou non — en position de supériorité, 2) l’enquêté ne se sent nullement menacé par les questions de l’enquêteur, 3) il lui fait d’emblée confiance et 4) l’enquêteur comprend ses réponses en toute connaissance de cause puisque ses dispositions et pensées se moulent sur la position sociale qui leur est commune.

La table est donc mise pour que l’enquêteur puisse « réfléchir » la théorie vers l’enquêté, la lui refléter afin qu’il puisse dès lors expliquer lui-même sa misère en termes de position sociale, en devenant progressivement familier avec la théorie de Bourdieu conçue comme une espèce de géométrie sociale en vertu de laquelle les individus évoluant dans l’orbite sociale se représentent comme des points unis par des liens qui traduisent des rapports de domination. En répondant aux questions de l’enquêteur, l’enquêté en vient de fil en aiguille à concevoir la mobilisation de ses ressources et pouvoirs faisant théoriquement office de capital selon des dispositions correspondant en théorie à l’habitus. Il devient ainsi apte à établir dans son esprit la position sociale qui, sous cette optique, explique sa misère. Il acquiert dans cette voie la connaissance requise pour être « autonome », penser et agir par lui-même, à l’échelle de sa propre personne, afin de pouvoir juguler la domination dont il fait l’objet et qui l’accule à une « position de misère » [24].

L’enquêté sujet à la misère ne peut en effet que tirer profit de cet éclairage que lui procure la théorie sociologique, puisqu’il peut désormais l’expliquer, sans être devenu sociologue du même coup. L’exercice est également bénéfique à l’enquêteur sociologue, car grâce à ce jeu de miroir qu’est l’entrevue conçue dans cette perspective, l’enquêté, par ses réponses, lui fait prendre conscience de sa propre position sociale et, de ce fait, lui permet de donner à l’analyse qu’il conduit au fil de ses questions la couleur de l’objectivité. Dans ces conditions, « l’enquêteur ne peut davantage oublier qu’en objectivant l’enquêté, il s’objective lui-même… » [25]

L’entrevue sociologique devient donc ici auto-analyse du fait que l’enquêteur s’oblige à « retourner » sur le vif l’explication sociologique qu’il produit de concert avec l’enquêté. La théorie sociologique a dans ce cadre une valeur réflexive immédiate pour les deux parties en présence, l’enquêté comme l’enquêteur. La « réflexion » réciproque de la théorie s’illustre schématiquement comme suit.

Réflexivité et entretien sociologique

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Or, à ce chapitre, Bourdieu a dû déclarer forfait en cours de route. Il s’est en effet aperçu que la réflexion de la théorie entre enquêteur et enquêté ne pouvait nullement naître de la mise en présence des interlocuteurs occupant théoriquement des positions sociales identiques ou analogues. Il note à ce propos :

« Une des raisons majeures de cet échec réside sans doute dans l’accord parfait entre l’interrogateur et l’interrogé qui laisse jouer en toute liberté la tendance des enquêtés à dire tout (comme la plupart des témoignages et des documents historiques), sauf ce qui va de soi… Toute interrogation se trouve donc située entre deux limites sans doute jamais atteintes : la coïncidence totale entre l’enquêteur et l’enquêté, où rien ne pourrait être dit parce que, rien n’étant mis en question, tout irait sans dire ; la divergence totale, où la compréhension et la confiance deviendraient impossibles [26]. »

Si la connivence fondée sur leur position sociale commune vient compromettre la richesse des entrevues du fait que l’enquêté et l’enquêteur s’expriment à mots couverts ou à demi-mot, force est d’admettre que la lecture des transcriptions d’entrevue offertes au regard public oblige à reconnaître que la valeur réflexive de l’auto-analyse provoquée et accompagnée est pratiquement nulle. En effet, en les lisant, les verbatim ne montrent aucun signe d’éblouissement de la théorie sociologique. Rien ne laisse croire que les enquêtés sont devenus d’office enclins à expliquer leur misère en termes de position sociale.

Voilà pourquoi Bourdieu rectifie le tir après avoir fait aveu d’échec. Le « retour aux enquêtés » tient plus modestement à rendre public le verbatim des entrevues jumelé immédiatement à l’explication sociologique. Les lecteurs peuvent donc dans ces conditions apprécier sur pièce l’analyse produite par l’enquêteur et saisir comment la théorie éclaire la misère relatée par chacun des enquêtés dans le cadre d’entrevues. Bref, en les publiant l’une à la suite de l’autre, la transcription de l’entrevue et l’analyse produite sur cette base montrent en acte le retour de la théorie. Au vu de ces pièces au dossier, on est donc fondé à penser que l’analyse prend corps sur la base de cette formule qui, sous forme d’équation, donne acte à la théorie de Bourdieu conçue comme une sorte de géométrie sociale :

CAPITAL∫HABITUS => POSITION / CHAMP

Force est toutefois de constater que l’analyse s’opère en toute clandestinité. Leverbatim de chaque entrevue a beau être jumelé à l’explication qui en est tirée à la lueur de la théorie, impossible de savoir précisément comment la misère décrite en entrevue correspond exactement à telle ou telle position sociale sur le plan théorique. Les lecteurs de LaMisère du monde, parmi lesquels les individus qui ont bien voulu collaborer à l’enquête dirigée par Bourdieu, doivent accepter l’explication avancée dans chaque cas comme argent comptant faute de voir à l’œuvre la théorie sociologique.

 Comment concevoir le retour aux enquêtés ?

Le retour aux enquêtés, on le voit, ne représente pas une mince tâche. Si Bourdieu fait preuve d’audace et d’imagination à ce chapitre, la communication de la théorie sociologique aux enquêtés sujets à la misère reste somme toute conventionnelle. Bien qu’il s’emploie sans relâche à combiner la description qu’ils en ont faite de vive voix à l’explication élaborée sous forme théorique, les enquêtés doivent la comprendre tant bien que mal par leurs propres moyens faute d’être familiers avec la perspective sociologique.

Les difficultés sur lesquelles bute Bourdieu, comme Touraine, sont en définitive celles de tout sociologue désireux de communiquer la connaissance théorique élaborée au nom de leur discipline aux individus qui se sont pliés de bonne grâce à leurs enquêtes. L’attitude est louable à tous égards car elle tranche avec celle des chercheurs qui préfèrent voir leurs théories circuler en vase clos. Or, au Québec du moins, élaborer la théorie sociologique en circuit fermé, sans se soucier des enquêtés, apparaît de nos jours difficilement concevable avec les droits et les pouvoirs qui leur ont été consentis par les instances politiques ou publiques responsables du financement de la recherche. En effet, depuis une quarantaine d’années, les enquêtes et recherches scientifiques conduites de ce côté-ci de l’Atlantique sont soumises à des règles de plus en plus contraignantes tant en ce qui a trait à la collecte des données qu’à leur analyse.Les sociologues, comme les autres chercheurs en sciences sociales, doivent donc s’obliger à réfléchir sur le sujet afin de respecter les droits et pouvoirs des enquêtés qui, de nos jours, font loi.

Au Québec, par exemple, la Commission d’accès à l’information force les sociologues désireux d’entreprendre des enquêtes de terrain à signer des ententes formelles les obligeant d’abord à ne jamais entrer directement en contact avec les enquêtés, par téléphone ou par courriel, pour les inviter à collaborer à leurs recherches. Les institutions susceptibles de divulguer aux chercheurs les informations nominatives dont ils ont besoin à cet effet se voient confier cette responsabilité : prévenir les personnes éventuellement ciblées qu’elles seront prochainement sollicitées par courrier pour collaborer à une enquête, à laquelle elles sont toutefois libres de collaborer ou non. Ces personnes peuvent déjà à ce stade prier leurs institutions de bien vouloir signifier aux chercheurs leur refus de collaborer ou de retirer les informations nominatives les concernant des banques de données susceptibles d’être transmises aux chercheurs.

Ensuite, l’invitation à collaborer doit faire l’objet d’une lettre officielle dans laquelle — outre les objectifs de l’enquête, l’identité des chercheurs et l’éventualité de recevoir un coup de téléphone pour prévoir l’entrevue — sont énumérés les droits et les pouvoirs qui leur sont consentis [27] :

1). Le droit de refuser de vive voix à collaborer à l’enquête ;

2). Le droit de déterminer à leur convenance le moment et le lieu de l’entrevue ;

3). Le droit d’exiger de rendre anonyme leur identité et toute information susceptible de la retracer ;

4). Le droit de mettre fin à l’entrevue si requis ;

5). Le droit à la confidentialité des informations jugées compromettantes ou sensibles ;

6). Le droit de regard sur les résultats de l’enquête ;

7). Le pouvoir de gommer les résultats susceptibles de permettre à une tierce personne de les identifier ;

8). Le pouvoir de contester les résultats de l’enquête devant les autorités compétentes (comme les ombudsmans des universités) ;

Et, dans certains cas :

9). Le pouvoir de réclamer un droit d’auteur sur les informations susceptibles d’apporter aux chercheurs des bénéfices monétaires ;

10). Le pouvoir de recourir à des instances juridiques.

Si les personnes ciblées acceptent de collaborer de leur plein gré, en décidant par exemple d’accorder une entrevue, avant même que celle-ci ne débute, elles seront à nouveau invitées à lire et à signer des formulaires de consentement éclairé dans lesquels — grosso modo — sont réitérés les droits et les pouvoirs qui viennent d’être énumérés. L’enquêté en obtiendra copie, contresignée par l’enquêteur, tandis que ce dernier en conservera la version originale. L’expérience pratique de l’auteur de ces lignes montre que, sauf en de rares exceptions, ce préambule se révèle parfaitement inutile. Les enquêtés parcourent habituellement du coin de l’œil les documents qu’ils ont à entériner officiellement, sans porter véritablement attention à leur contenu, et apposent leur signature sans rechigner. Souvent, c’est au terme de l’entrevue qu’ils découvriront qu’ils bénéficient notamment du droit de regard sur les résultats de l’enquête que leur octroie l’entente formelle qu’ils ont signée ! Sur le coup, toujours sous le signe de la cordialité, les parties en présence conviennent des modalités en vertu desquelles s’organisera le retour de l’information sur l’enquête pour laquelle la collaboration a été acquise. Or, faute de pouvoir compter sur les ententes formelles, muettes à ce sujet, les enquêteurs doivent proposer de leur propre chef les moyens requis à cette fin, par exemple : En offrant leur « carte professionnelle » indiquant leurs coordonnées — postales, téléphoniques et électroniques — utiles pour les rejoindre à tout moment ; En leur suggérant de les rejoindre par courriel afin de manifester leur intention de recevoir les premières analyses, les textes des articles et des communications produits en cours de route ; En leur proposant de visiter le site Internet conçu expressément par les chercheurs pour diffuser publiquement le fruit de leur travail ; En leur mentionnant la possibilité d’organiser un ou des forums publics sous l’égide de leur institution, de leur entreprise, de leur syndicat ou de leur association si cette éventualité soulève l’intérêt et fait boule de neige. Le présent auteur s’est prêté au jeu bien avant l’édiction des règles déontologiques en vigueur aujourd’hui. À ses yeux, il va de soi que les participants aux enquêtes sociologiques ont le droit de savoir ce qu’il advient des informations qu’ils ont livrées dans le cadre d’entrevues, par exemple. Les enquêtes conduites en sociologie, comme en sciences sociales, sont d’autre part financées par les fonds publics, principalement les organismes qui, au Québec comme ailleurs, soutiennent la recherche scientifique. Les résultats produits sous leur égide sont de ce fait difficilement sujets à la propriété privée, hormis le droit d’auteur et de propriété intellectuelle en vigueur dans l’orbite intellectuelle et universitaire. La possibilité de connaître le fruit des enquêtes relève donc pratiquement d’un « droit », formel ou non, consenti de bonne grâce aux individus qui y ont collaboré de près ou de loin.

 Regard critique sur des expériences de retour aux enquêtés

Sous cette perspective, il nous a semblé opportun de prendre des initiatives propices à diffuser plus largement les résultats des enquêtes menées dans les années 1990 sur le développement de l’économie à l’œuvre dans les entreprises francophones au Québec [28] et plus récemment, en 2009, sur les valeurs des étudiants inscrits dans les collèges et universités [29]. Au terme de la première enquête, sans être contraints de le faire en vertu de règles déontologiques, émergentes en 1990, les chercheurs soucieux de communiquer la théorie susceptible d’expliquer les « pratiques économiques » décrites par leurs informateurs clés ont décidé d’organiser à cette fin des échanges avec eux sous forme de « séminaires », en ayant soin au préalable de leur envoyer par la poste un texte expurgé en partie du jargon théorique [30] qui toutefois leur a été présenté de vive voix. À la demande des informateurs, les séminaires devaient se dérouler successivement dans leur localité et dans les murs de l’université. Les rencontres se sont révélées propices et fécondes à tous égards et se sont déroulées sous le signe de la cordialité et de la bonne humeur contagieuse. L’effort requis pour lire le texte a été consenti de bon gré par tous : chacun avait « fait le devoir demandé par le prof ». Au fil de leur lecture, ils avaient pris soin de noter en marge du texte les inexactitudes, les erreurs, les lacunes et leurs suggestions. Ils ont pour la plupart sourcillé à la vue de références bibliographiques comportant le mot « marxiste », comme dans Horizon, trajets marxistes en anthropologie [31], associable dans leur esprit au communisme dont ils pouvaient difficilement accabler les chercheurs du fait qu’ils leur semblaient « honnêtes et sympathiques ». Ils n’ont toutefois pas tardé à faire bloc pour rejeter la théorie qui, paradoxalement, donnait corps à la description de leurs pratiques économiques, laquelle leur apparaissait sans faille et digne d’intérêt. Les informateurs ont fait la sourde oreille quand leurs vis-à-vis ont cherché à défendre la théorie capable d’expliquer en ne ménageant aucun effort de vulgarisation. La venue des informateurs à l’université a contribué à inverser la tendance. La tenue du séminaire « chez les savants » les a impressionnés sans que ceux-ci soient en cause. Le seul fait de déambuler dans des édifices « réputés et prestigieux » et dans la foule étudiante les a manifestement intimidés. La discussion sur la nouvelle version du texte, corrigé et amendé en fonction de leurs remarques, s’est avérée laborieuse même s’il s’agissait simplement de répéter l’exercice préalable. Toutefois, sans qu’ils y aient été contraints de quelque façon, les informateurs ne se sont cette fois-ci nullement montrés réticents à l’égard de la théorie, allant jusqu’à l’endosser au motif « de vous faire plaisir », comme l’a déclaré l’un d’entre eux. Sous le toit de l’établissement de « haut savoir » que représente sans doute l’université dans leur esprit, ils semblaient n’avoir pas d’autre choix que d’acquiescer à ce que leur présentaient les chercheurs qui, dans leurs meubles, retrouvaient leur autorité et leur pouvoir. L’enquête sur les valeurs des étudiants conduite entre 2005 et 2009 cherchait à cerner l’importance qu’ils confèrent au fait d’étudier, à leurs programmes d’études, à la culture étudiante et aux établissements auxquels ils sont inscrits dans l’intention de savoir si, sous ces différents chefs, ils affichent des valeurs instrumentales, fondées sur la congruence entre moyen et fin, ou des valeurs expressives axées sur la réalisation de soi [32]. Elle s’est d’abord fondée sur un sondage en ligne, puis sur une série d’entrevues conduites auprès d’un échantillon représentatif des répondants à ce questionnaire afin de sonder leurs valeurs en profondeur, nous donnant ainsi l’occasion de les rencontrer en face à face. Au terme de l’enquête, il nous a paru requis d’en communiquer les résultats, d’autant plus que nombre d’entre eux avaient manifesté leur intérêt à les connaître, sur le Web comme dans le cadre de l’entrevue. Il nous a donc fallu mettre au point les moyens de diffusion les plus susceptibles de les rejoindre. Le téléchargement de documents à partir d’un site expressément conçu à cette fin, hébergé sur le portail de l’institution, nous a semblé, à tort ou à raison, la meilleure voie pour restituer la théorie sociologique aux enquêtés. Les questions éthiques et déontologiques se sont alors posées avec acuité puisque la divulgation publique des résultats ne devait nullement compromettre les engagements conclus individuellement de respecter l’anonymat des participants (en particulier ceux qui avaient accordé une entrevue) et de ne pas les associer à des informations ou à des interprétations théoriques susceptibles de leur porter tort. Les mesures requises ont été prises à cet égard en respectant à la lettre les consignes émises par les instances responsables des règles éthiques. Or, paradoxalement, les enquêtés y ont dérogé sans hésitation en révélant des informations jugées confidentielles par les autorités compétentes — adresse électronique, renseignements individuels colligés par leurs collèges ou universités — et ne voyaient aucun mal à ce qu’elles soient consignées dans les « banques de données » utilisées couramment par les chercheurs. Ils voyaient également d’un bon œil que ceux-ci communiquent directement avec eux (par courriel ou téléphone) en enfreignant ainsi les ententes formelles qu’ils avaient eu soin de signer au départ. Ils s’expliquaient mal l’obligation qui leur était faite de détruire les informations nominatives dès l’entrevue réalisée alors qu’ils souhaitaient, pour la majorité d’entre eux, garder contact avec les chercheurs. La réaction la plus vive de leur part a trait toutefois à l’analyse qu’ils ont eu le loisir de parcourir. Elle les a déçus du fait qu’ils ne parvenaient pas à donner leur visage aux citations, ni aux interprétations élaborées sur cette base. Bref, l’analyse est venue abusivement gommer leur propre personne et leur « opinion personnelle », amalgamées sous ce chef en une explication anonyme inapte à les faire connaître, pas plus que celles de leurs semblables. Bourdieu avait décelé cette réaction à l’époque de son enquête sur LaMisère du monde en notant pertinemment que, à leur niveau, les individus en restent forcément à une « vision naïvement personnaliste de la singularité de leur personne sociale » tandis que, sous l’optique sociologique, cette dernière doit être obligatoirement conçue de manière à « mettre au jour des structures immanentes capables de ressaisir l’essentiel de ce qui fait l’idiosyncrasie de chacune de ces personnes » [33]. Il y voyait-là un réflexe des enquêtés au pouvoir des chercheurs et, plus largement, de la théorie sociologique seule capable d’établir la « vérité sur le monde social ». Or, chez nos enquêtés, leur réaction tient davantage à ce que la théorie les rend anonymes et vient mettre leur individualité entre parenthèses. À bien des égards, ils auraient voulu que l’analyse reconnaisse leur « valeur individuelle » dans l’élaboration de la théorie sociologique en les identifiant au besoin ou en révélant des informations en vertu desquelles il serait possible de les reconnaître. Sans ironie aucune, les chercheurs ont eu l’impression que, pour leur plaire ou faire montre de sérieux, certains enquêtés auraient souhaité que l’analyse se teinte pratiquement des couleurs de la téléréalité ! Françoise Zonabend note la même tendance en anthropologie chez les informateurs de terrain qui, pour plusieurs, espèrent de l’analyse produite en son nom un miroir et, par conséquent, « recherchent d’une certaine manière dans les textes ethnographiques le reflet d’eux-mêmes, tels qu’ils pensaient l’avoir donné ». Bref, ils cherchent « ce qu’ils croient ou veulent être » [34], en sorte que le chercheur en anthropologie ou en sociologie reste selon cette anthropologue une sorte de « décepteur du social » du fait qu’il « renvoie bien souvent une image à laquelle ses interlocuteurs ont quelque peine à s’identifier » [35]. En effet, les analyses produites sur le mode de l’objectivation viennent donner une vision désincarnée de ce que sont et font leurs interlocuteurs en concevant par exemple leurs valeurs « personnelles » sous la forme théorique propre à les objectiver afin de pouvoir les expliquer, comme c’est le cas ici. L’analyse sociologique heurte ou peut heurter l’enquêté en contredisant l’impression d’être « dépositaire d’une nature immanente qui fixe les règles et le déroulement du destin social » [36] conçu à son échelle comme unique et singulier. Dans la foulée, elle peut sembler battre en brèche le « sentiment d’avoir en soi un potentiel de ressources propice à la réalisation de soi, en dehors de tout déterminisme social » [37], né de l’ère moderne.

 En guise de conclusion

Les règles éthiques et déontologiques aujourd’hui de rigueur ont en toute hypothèse pris leur vigueur au gré de ce « processus d’individualisation » en vertu duquel les individus aspirent à se définir eux-mêmes en formant leurs propres connaissances au nom desquelles ils réclament des droits et des pouvoirs pour les partager de bonne grâce avec les chercheurs. Le retour aux enquêtés, sans s’y restreindre, peut dans certains cas s’établir en exigeant des droits d’auteur ou, grâce aux pouvoirs consentis à cet égard, en s’opposant ouvertement aux théories sociologiques pourtant destinées à expliquer sous le mode de la réflexivité, c’est-à-dire de la capacité à féconder les connaissances pratiques des individus et des groupes qui gravitent dans l’orbite sociale. La tendance a certainement contribué à rendre tatillonnes les instances bureaucratiques responsables des consignes éthiques et déontologiques imposées de gré ou de force aux sociologues comme aux autres chercheurs en sciences sociales. Toutefois, on l’a vu, les enquêtés, pour la majorité d’entre eux, font fi de ces droits et pouvoirs en signant par exemple des documents officiels sans se donner la peine d’en connaître le contenu exact, ni les implications pour eux-mêmes, au moment de répondre aux questions des chercheurs. Souvent, ces derniers ont l’impression que les obligations qui leur sont faites en matière éthique et déontologique risquent de compromettre la collaboration des individus qui voient la recherche scientifique d’un bon œil et qui se disent flattés de collaborer à l’entreprise conduite par des universitaires enclins à vouloir expliquer au moyen de la théorie. Ils se plient habituellement de bonne grâce au jeu sans forcément espérer de la théorie sociologique une connaissance utile pour leur permettre sur-le-champ de rendre raison de ce qu’ils sont et de ce qu’ils font. Les méthodes mises au point dans cette intention par des sociologues comme Touraine et Bourdieu, bien qu’opportunes sous bien des aspects, posent cependant des problèmes, comme on a pu le constater. Sans faire preuve de condescendance à leur égard, les individus sont-ils aptes à produire d’emblée des connaissances susceptibles d’expliquer en théorie ? Veulent-ils d’office considérer ce qu’ils sont et font à la lumière de la théorie sociologique quand ils décident de participer à leurs enquêtes ? Le retour aux enquêtés — la restitution des explications formulées grâce à leur précieuse collaboration — n’a donc rien de simple et ne se résout certainement pas aux obligations et aux règles déontologiques promulguées à ce chapitre afin de donner sa valeur réflexive à la sociologie.

 Annexe

La transition en acte dans une société dominée Étudiants, études et valeurs. Quel rapport ?
Financement Financement public Fonds québécois pour la recherche sur la société et la culture Financement public Conseil de recherches en sciences humaines du Canada
Méthodologie Récits de pratique Sondage en ligne + entrevues qualitatives
Enquêtés Employés, dirigeants et cadres Collégiens (CÉGEP) et universitaires
Échantillon Totalité des individus au service des entreprises ciblées entre 1945-1975 Sondage en ligne : 5 815 individus Entrevues : 125 répondants
Objet Cette enquête cherche à connaître exactement ce que représente l’économie en tant que pratique sociale et forme de connaissance chez les Québécois membres de deux entreprises francophones en voie de transition au gré de la mutation d’une économie dite « traditionnelle » à l’économie capitaliste gouvernée par les lois du marché international. Cette recherche vise à cerner les valeurs à l’œuvre dans les rangs étudiants à l’égard 1) de l’engagement dans les études supérieures, 2) du rythme des études, 3) du temps consacré aux études et de celui passé dans les établissements, 4) du calendrier des études et 5) de l’identité étudiante.

* Entretiens réalisés en 1990-1991 auprès de 74 personnes encore vivantes.

Notes

[1] A. Giddens, Les conséquences de la modernité, Paris, L’Harmattan, 1994.

[2] Sur le sujet, voir J. Hamel, « Réflexions sur la réflexivité », Information sur les sciences sociales, vol. 46, no 3, 2007, p. 471-485.

[3] A. Giddens, Les conséquences de la modernité, op. cit., p. 49.

[4] Idem.

[5] U. Beck, La société du risque, Paris, Aubier, 2001, p. 290.

[6] P. Bréchon et O. Galland, L’individualisation des valeurs, Paris, Armand Colin, 2010, p. 8.

[7] P.-Y. Cusset, Le lien social, Paris, Armand Colin, 2007, p. 80.

[8] P. Ester et al., The Individualizing Society. Value Change in Europe and North America, Tilberg, Tilberg University Press, 1993.

[9] F. Dubet, À quoi sert vraiment un sociologue ?, Paris, Armand Colin, 2011, p. 99

[10] Idem.

[11] Voir G. de Lagasnerie, L’empire de l’université. Sur Bourdieu, les intellectuels et le journalisme, Paris, Éditions Amsterdam, 2007.

[12] Comme à leur époque les étudiants, les écologistes, les femmes, les nationalistes, etc.

[13] Sont ici résumés les trois principes en vertu desquels l’acteur collectif devient agent d’un mouvement social, principes associés aux trois lettres I, O et T que Touraine a largement développés dans ses écrits sur les mouvements sociaux : I correspond au principe d’identité (la capacité de se reconnaître comme force capable d’infléchir la société) ; O pour opposition, la capacité à identifier son ou ses adversaires et T, totalité pour désigner le pouvoir surgi de la combinaison des deux premiers principes.

[14] A. Touraine, « La méthode de la sociologie de l’action : l’intervention sociologique », dans Le retour de l’acteur, Paris, Fayard, 1984, p. 211.

[15] Voir A. Touraine, Un nouveau paradigme. Pour comprendre le monde d’aujourd’hui, Paris, Fayard, 2005, p. 201.

[16] A. Touraine, Penser autrement, Paris, Fayard, 2007, p. 167.

[17] M. Wieviorka, Neuf leçons de sociologie, Paris, Robert Laffont, 2008, p. 108.

[18] A. Touraine, « Les méthodes en sociologie : l’intervention sociologique », dans S. Moscovici et F. Buschini (dir.), Les méthodes des sciences humaines, Paris, Presses Universitaires de France, 2003, p. 133.

[19] M. Wieviorka, op. cit., p. 109.

[20] F. Dubet, Sociologie de l’expérience, Paris, Seuil, 1994, p. 248.

[21] Ibid., p. 249.

[22] M. Wieviorka, op. cit., p. 109.

[23] C’est-à-dire une « position inférieure et obscure à l’intérieur d’une univers privilégié… auquel [on] participe juste assez pour éprouver un abaissement relatif » (P. Bourdieu (dir.), La misère du monde, Paris, Seuil, 1993, p. 11)

[24] Bourdieu tient des propos parfaits pour décrire le dispositif dont il est fait état ici : « Autrement dit, je pense que c’est à condition de s’approprier les instruments de pensée, et aussi les objets de pensée que l’on reçoit, que l’on peut devenir un petit peu le sujet de ses pensées ; on ne naît pas le sujet de ses pensées, on en devient le sujet, à condition, entre autres choses — je pense qu’il y a d’autres instruments ; il y a la psychanalyse, etc. —, de se réapproprier la connaissance des déterminismes » (P. Bourdieu et R. Chartier, Le sociologue et l’historien, Marseille, Agone, 2010, p. 40-41)

[25] Ibid., p. 908.

[26] Ibid., p. 909.

[27] Pour connaître ces ententes, formulées aux États-Unis et ailleurs, et les controverses qu’elles suscitent, voir « Codifier l’engagement ethnographique », dans D. Cefaï, L’engagement ethnographique, Paris, Éditions de l’EHESS, 2010, p. 493-546 (lire également « L’expérience ethnographique, l’enquête et ses publics », p. 547-598).

[28] Sur la base de deux entreprises jugées représentatives et situées dans deux régions associables sur le plan théorique aux propriétés du développement d’une économie sujette à la domination extérieure, britannique et américaine. Sur le sujet, voir notamment J. Hamel, « La transition en acte dans une société dominée », Information sur les sciences sociales, vol. 32, no 1, 1993, p. 147-170.

[29] Pour connaître ces deux recherches, voir l’Annexe du présent article.

[30] Sur les réactions de la part des enquêtés à la lecture des résultats des travaux des enquêteurs, voir P. Schwartz-Shea et D. Yanow, « Reading and Writing as Method : In Search of TrustworthyTexts », dans D. Yanow, S. Ybema et F. H. Kaamsteeg (dir.), OrganizationalEthnography : Studying the Complexity of Everyday Life, Londres, Sage, 2009, p. 56-82 ; D. Bizeul, « Les sociologues ont-ils des comptes à rendre ? Enquêter et publier sur le Front national », Sociétés contemporaines, n°70, 2008, p. 95-113 ; C. Kobelinsky, « Les situations de retour » dans A. Bensa et D. Fassin (dir.), Les politiques de l’enquête, Paris, La Découverte, 2009, p. 185-204 ; X.Dunezat, « Travail militant et/ou travail sociologique ?Faire de la sociologie des mouvements sociaux en militant », dans D. Naudier et M. Simonet (dir.), Des sociologues sans qualités ?, Paris, La Découverte, 2011, p. 80-97.

[31] M.Godelier, Horizon, trajets marxistes en anthropologie, Paris, Maspero, 1973.

[32] Voir J. Hamel, G. Doré et C. Méthot, Étudier, un moyen ou une fin ?, Montréal, INRS-Urbanisation Culture et Société, 2008 et des mêmes auteurs « Studying and being a student : How are thesevalued by Today’sYouth. The Perspective of french language sociology on the issue », Journal of Youth Studies, vol. 14, no 2, 2011, p. 233-245.

[33] P. Bourdieu (dir.), La misère du monde, op. cit., p. 916.

[34] F. Zonabend, « De l’objet et de sa restitution en anthropologie », Gradhiva, no 16, 1994, p. 10.

[35] Idem.

[36] D. Naudier, « La restitution aux enquêté-e-s : entre déontologie et bricolages professionnels ? », dans F. S. Laurens et F. Neyrat (dir.), Enquêter de quel droit ? Menaces sur l’enquête en sciences sociales, Broissieux, Éditions du Croquant, 2010, p. 94.

[37] Ibid., p. 94-95.

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Pour citer l'article


Hamel Jacques, « Expériences de retour aux enquêtés en sociologie. Brèves réflexions théoriques et pratiques », dans revue ¿ Interrogations ?, N°13. Le retour aux enquêtés, décembre 2011 [en ligne], http://revue-interrogations.org/Experiences-de-retour-aux-enquetes (Consulté le 30 décembre 2024).



ISSN électronique : 1778-3747

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