Si le paysage fait partie des concepts classiques de la géographie, la prise de distance vis-vis des dimensions naturalistes et esthétiques est récente. En intégrant une dimension sociale, il impose l’enquête comme outil et pose alors au chercheur la question du retour des résultats vers les enquêtés. Mais les conditions d’exercice de la recherche académique y étant souvent peu propices, l’organisation de ce retour peut parfois nécessiter un changement de posture. Cet article met en scène une posture de recherche qui, s’appuyant sur un objet (les paysages du quotidien) et un outil (l’enquête photographique, inspirée de la photo elicitation interview), fait de l’interface avec le monde de l’action une clé fondamentale de la préméditation du retour vers l’enquêté. Il s’agit ici de présenter et discuter les différentes formes qu’a pu prendre ce retour lors de deux opérations de recherche impliquée, du retour inhérent à la méthode d’enquête elle-même aux dispositifs de restitution mis en œuvre.
Mots clés : Géographie, aménagement, recherche impliquée, photo elicitation interview, paysage du quotidien, participation habitante.
If landscape is one of the classical concepts of geography, its emancipation of naturalistic and aesthetic dimensions is very recent. Thinking it through a social dimension requires to implement a process of inquiry and therefore questions the researcher about the return of results to the respondents. But research practices rarely offer the opportunity to drive it and it can sometimes require a change in research posture. This article deals with a specific research posture which, connected to the action and based on an object (landscapes of everyday life) and a tool (survey photography, inspired by the photo elicitation interview), is a key to implementing a planned return to the respondents. The aim of this paper is to present and discuss the different forms of return implemented in two experiments of action research conducted within the town of Pau.
Key words : Geography, urban planning, action research, photo elicitation interview, daily landscape, resident participation.
Si la question du retour vers l’enquêté est au cœur des démarches sociologiques et anthropologiques du fait du réflexe réflexif [1] très tôt introduit dans ces champs scientifiques, elle ne fait qu’émerger dans le champ de la géographie [2]. Il ne s’agit pas d’un désintérêt ou d’une absence d’éthique, mais sans doute d’une posture qui a conduit le géographe à considérer que les questions qu’il se pose sont très éloignées des préoccupations des individus, quand bien même ceux-ci seraient impliqués dans la recherche, leur discours en constituant le matériau.
La recherche géographique sur la question du paysage n’échappe pas à cette tendance, d’autant que cet objet est longtemps resté l’apanage de spécialistes qui seuls détenaient les clés de la lecture paysagère (la « vue raisonnée » de l’école vidalienne) et/ou de l’évaluation esthétique dans une approche artialisée initiée par Alain Roger [3]. Les diverses renaissances du concept de paysage, telles que les analyse Yves Luginbühl [4], sont restées globalement objectivantes, même dans la dimension appliquée du concept portée par les paysagistes dans le cadre des « projets de paysage ». Ainsi, le paysage en tant qu’objet de recherche ne nécessitait pas d’enquête et ne demandait donc pas de convoquer l’avis de ceux qui le vivent et le façonnent, l’essentiel de l’expertise revenant au chercheur. Ce n’est que récemment que l’intérêt pour une approche sensible du paysage s’est imposé, un paysage vernaculaire, pour reprendre le titre traduit de l’ouvrage de John Brinckerhoff Jackson [5]. Ce passage a conduit à aborder le paysage par d’autres biais que celui de la perception pour ouvrir notamment la boîte noire des représentations et des pratiques dont l’accès passe par de nouveaux outils. Dès lors, l’enquête s’impose, l’implication de l’enquêté prend du sens et la posture du chercheur doit nécessairement changer.
Ce changement est d’autant plus important que, pour ce qui nous concerne ici, la cible n’est pas le paysage remarquable, renvoyant à des catégories esthétiques classiques, telles que le sublime ou le pittoresque dans une dimension essentiellement artialisée du paysage, mais le paysage ordinaire, celui vécu quotidiennement par des individus qui ne le voient plus. Comment pénétrer alors dans la conscience de ces habitants pour saisir la manière dont ils vivent leur paysage quotidien ? C’était là l’objectif d’une thèse [6], pour laquelle a été mise au point et éprouvée une méthode d’enquête photographique qui détient la faculté de faire émerger ce vécu paysager ordinaire. Comme dans la plupart des recherches de ce type, formatées par leur dimension académique, ces enquêtes n’ont pas fait l’objet d’un retour spécifique vers les individus enquêtés. En effet, les standards des discours accompagnant ce genre de production interdisent, la plupart du temps, une écriture « universelle » qui mêlerait reconnaissance institutionnelle et retour vers l’enquêté. Il ne s’agit pas ici de prendre position sur les modalités d’évaluation de la recherche, mais simplement de prendre acte de la nécessité de multiplier les discours pour parler au public que l’on vise. Or, force est de constater que l’organisation de la recherche ne laisse pas vraiment de place à ce temps de restitution. Mais si aucun retour n’a été pensé et organisé dans le cadre de la thèse, nous avons pourtant pu observer que la méthode d’enquête elle-même laissait la place à une forme de retour en amenant le participant vers une posture réflexive susceptible de lui révéler ses propres représentations paysagères. Le premier temps de notre propos consistera ainsi en une présentation de cet outil spécifique qu’est l’enquête photographique, en témoignant de la manière dont il met en scène ce premier niveau de retour, individuel, vers l’enquêté.
Mais cette forme de retour, non intentionnelle de la part du chercheur, reste malgré tout impromptue voire incidente. Le chercheur est pourtant tenté de s’en contenter. En effet, d’une part rien ne se joue, pour lui, du point de vue de son statut ; d’autre part le retour est encore peu considéré, en géographie, comme décisif pour la recherche elle-même. Un changement de posture peut alors constituer la condition nécessaire à l’organisation préméditée d’un retour plus collectif. Ainsi, dans les expériences que nous souhaitons relater ici, le retour vers les enquêtés a bénéficié, grâce à l’inscription de la recherche dans une logique de connexion avec l’action, d’un statut particulier qui a permis de le faire exister. Il ne s’agissait ni de répondre à une simple préoccupation éthique (restituer pour restituer), ni de faire de ce retour l’objectif central de la recherche. Mais il devait trouver sa place au sein du dispositif de recherche en vue d’en faire connaître les analyses aux enquêtés, de les mettre en débat et d’autoriser une réappropriation de ces discours de leur part.
Ces expériences ont été rendues possible du fait de circonstances particulières liées notamment à l’évolution de la question du paysage dans les politiques publiques en France et en Europe. En effet, la convention européenne du paysage, signée à Florence en 2000 et mise en application en France depuis 2006, a imposé aux acteurs publics de s’intéresser aux paysages ordinaires qui constituent le cadre de vie quotidien des populations habitantes. En parallèle, l’injonction de durabilité les a également incités (par la loi) à intégrer les habitants dans les prises de décisions. Cette conjonction d’éléments a poussé les acteurs publics, souvent démunis face à ces deux missions, à chercher des outils susceptibles de les aider. C’est ainsi que l’enquête photographique telle que nous l’avons mise en œuvre a constitué le vecteur d’un retour organisé vers les enquêtés, condition sine qua non de la participation des habitants, souhaitée par les acteurs publics partenaires, dans les processus de décision concernant les projets d’aménagement. Le second temps de notre propos sera consacré aux modalités de construction de cette interface et à la présentation des opérations de recherche au sein desquelles ce retour vers les enquêtés a pu être concrètement organisé de façon préméditée.
Au-delà de la mobilisation, le retour, au sein de ce dispositif, devait permettre à l’individu enquêté de resituer son expertise individuelle, acquise durant l’enquête elle-même, au sein d’un collectif. Se pose alors la question des genres de discours à développer lors de ce retour pour passer de cette conscience individuelle, à la prise de conscience de l’existence d’une expertise collective sur ce paysage partagé. Le dernier temps de notre propos sera l’occasion de présenter une analyse des modes de restitution mis en œuvre dans ce contexte singulier, considérant que, pour ce qui nous préoccupe ici, c’est bien là que réside l’intérêt essentiel de ces expériences.
Ce premier point vise à présenter les principes méthodologiques de l’enquête photographique (associant la photographie au recueil du discours) et à témoigner de la manière dont sa mise en œuvre induit de fait un premier niveau de retour vers l’enquêté, par sa capacité à positionner l’individu dans une posture réflexive quant à son propre rapport à son paysage quotidien.
L’enquête photographique, telle que mise en œuvre par X (auteur), est fondée sur les principes de la photo elicitation interview [7]. Cette méthode d’enquête, issue du courant de l’anthropologie et de la sociologie visuelles nord-américaines, vise à mener l’entretien de recherche sur la base d’un support photographique considéré comme susceptible de provoquer/susciter des réactions verbales et émotionnelles chez la personne interviewée. Ce point est d’autant plus important que, comme nous le précisions en introduction, il s’agissait de saisir un vécu paysager ordinaire qui, inscrit dans les temps et les lieux de la vie quotidienne, peut se développer au gré d’actes et de gestes routiniers dont la production n’est pas forcément volontaire et réfléchie. Caractériser ce vécu paysager ordinaire supposait donc de mettre en œuvre une méthode d’enquête susceptible de faire émerger des pratiques et des représentations paysagères non nécessairement conscientisées par l’individu ou, pour faire référence à Giddens, pouvant se manifester en dehors de toute « conscience discursive » [8].
L’enquête photographique, telle que nous la mettons en œuvre, est conçue en deux temps. Le premier temps consiste en la production d’un corpus photographique. Il est réalisé par le participant lui-même, en l’absence de l’enquêteur, avec pour consigne de proposer un portrait photographique de son quotidien paysager [9]. Une fois les clichés réalisés, un second temps consiste en la réalisation d’un entretien individuel, sur la base du corpus photographique ainsi produit. L’objectif de cet entretien est de permettre au participant de justifier la réalisation de chacun des clichés et au chercheur de faire émerger, à cette occasion, les systèmes de pratiques et de représentations constitutifs de la manière dont l’individu vit les paysages qu’il côtoie quotidiennement.
Il existe bien des avantages, largement décrits par les « frequent photo elicitation researchers » [10] et sur lesquels nous ne nous étendrons pas ici, à utiliser un support photographique pour mener à bien un entretien de recherche. Proposée en tant que support de discussion, l’utilisation de la photographie facilite la conduite de l’entretien en stimulant l’expression verbale de l’enquêté souvent plus efficacement qu’une simple question. De plus, la présence des clichés entre l’enquêteur et l’enquêté favorise l’instauration d’une relation triangulaire qui se substitue au face-à-face inhérent à une situation d’entretien classique et en amoindrit les éventuels effets inhibiteurs pour le participant. Mais ce qui nous intéresse ici réside plus particulièrement dans la capacité de cette technique d’enquête à amener le participant à adopter une posture réflexive concernant son propre rapport à son paysage quotidien et ce préalablement à la réalisation de l’entretien.
L’acte de photographier, lorsqu’il est directement opéré par la personne interrogée, présente l’avantage de se constituer en véritable outil d’aide à la réflexion, et ce à un double niveau. Il suscite tout d’abord la mise en œuvre, de la part du participant, d’une nécessaire réflexion préalable à la réalisation des clichés, qui peut (doit) l’amener à mieux discerner un vécu paysager dont il ne mesurait pas forcément l’importance voire l’existence. C’est là le premier niveau de réflexion (pré-photographique) induit par le dispositif méthodologique. En constituant une occasion concrète de se projeter dans son paysage quotidien, le fait d’avoir à réaliser une série de photographies permet en effet à l’individu de saisir (au sens de comprendre et interpréter) voire de faire émerger (au sens de révéler) un système de représentations et de pratiques paysagères qui, inscrites dans un vécu quotidien plus machinal qu’intellectualisé, avaient pu demeurer jusqu’alors de l’ordre du non-dit ou du non-conscientisé. Ajoutons ensuite à cela, la nécessité, pour le participant, de devoir présenter et argumenter le corpus photographique produit, qui l’incite à penser, en l’absence du chercheur, la mise en mots de son rapport à son paysage quotidien afin de proposer, lors de l’entretien, un discours organisé et cohérent. C’est là le second niveau de réflexion (post-photographique) induit par la méthode. Au final, la situation d’enquête produite par un tel dispositif n’est plus alors vécue comme celle d’un habitant profane face à un chercheur expert, mais, bien au contraire, comme celle d’un habitant qui, fort de sa posture réflexive, est devenu expert de sa propre existence face un chercheur profane devant un objet dont la maîtrise est passée du côté de l’habitant.
Si cela renvoie bien évidemment à l’éternel questionnement sur les effets (positifs ou négatifs) d’une enquête sur l’enquêté lui-même, c’est également là que se situe, à notre sens, le premier niveau de retour vers l’enquêté induit par ce type de dispositif : chaque enquêté sort de l’enquête informé sur lui-même. Mais ce premier retour n’est pas totalement satisfaisant, notamment au regard de cet irrépressible besoin, éprouvé par l’enquêté, de se situer par rapport aux autres, d’avoir accès à l’analyse conduite par le chercheur pour replacer son expertise individuelle au sein d’une pensée collective. C’est là le second niveau de retour vers les enquêtés qu’il convient d’envisager. Si les conditions du premier travail de recherche conduit à partir de cette technique d’enquête (une thèse de Doctorat) n’avaient pas envisagé la mise en œuvre de ce second niveau de retour, nous avons souhaité par la suite développer un dispositif susceptible de dégager le temps et les moyens nécessaires à son organisation. Pour ce faire, nous avons imaginé que ce retour pouvait être intégré dans l’opération de recherche, en associant l’utilisation scientifique de l’enquête et de son traitement à une forme d’utilité sociale dans le champ de l’action, avec laquelle il convenait de trouver une interface.
Si le temps de la recherche académique ne favorise pas l’élaboration consciente et préméditée d’un retour vers les enquêtés, un changement de posture de recherche peut l’imposer. Il ne s’agit pas ici de faire un point théorique sur les différentes postures hybrides déjà largement théorisées, débattues et conceptualisées (recherche-action, recherche appliquée, observation participante). Nous souhaitons simplement tenter une montée en généralité d’une posture très pragmatique qui consiste, pour le chercheur, à mettre en œuvre un dispositif de recherche ménageant une interface avec l’action. Cette interface, constituée ici d’une part par le paysage ordinaire et l’intérêt que lui portent les pouvoirs publics, d’autre part par l’enquête photographique elle-même, présente l’intérêt d’intégrer la préméditation possible d’un retour vers l’enquêté. En outre, cette démarche s’inscrit dans la culture de notre laboratoire de recherche (nom du laboratoire de recherche) qui poursuit une quête permanente de connexion avec le monde de l’action. Elle témoigne aussi d’une volonté d’implication du chercheur dans la vie de la cité et de la systématisation d’une réflexion concernant la production du « savoir savant ».
La convention européenne du paysage, signée à Florence en octobre 2000 et mise en application en France depuis le 1er juillet 2006, constitue le document fondateur de la prise en compte officielle, par les acteurs publics locaux, des paysages dits ordinaires. En effet, dès son préambule, ce texte attire l’attention des acteurs et citoyens européens sur la place que ces paysages occupent dans la qualité de vie des populations habitantes. « Le paysage… est partout un élément important de la qualité de vie des populations : dans les milieux urbains et dans les campagnes, dans les territoires dégradés comme dans ceux de grande qualité, dans les espaces remarquables comme dans ceux du quotidien… ». Par sa ratification, cette convention devient injonction (et parfois, il est vrai, prétexte), mais sa mise en application effective plonge les acteurs publics chargés de la mettre en œuvre dans l’inconnu.
En effet, prendre en considération les paysages du quotidien nécessite de comprendre ce en quoi ils peuvent contribuer à la qualité du cadre de vie et donc d’identifier les valeurs qui leur sont attribuées. Or, saisir les valeurs attribuées à des paysages banals voire banalisés, que certains spécialistes pourront juger laids (lotissements, campagne périurbaine, etc.) relativement aux normes et codes esthétiques socialement et culturellement admis [11], implique de prendre au sérieux les regards que leur portent les populations habitantes. Mais, dans ce registre, on atteint assez vite les limites des outils techniques existant dans l’action publique. Comment intégrer alors cette dimension ? Comment planifier les changements (urbanisation, infrastructures, etc.) en prenant en compte cette nouvelle donnée ? Telles sont les premières questions qui interpellent les acteurs publics. Les éléments de connaissance que la recherche est susceptible d’apporter pour comprendre la manière dont les habitants vivent ces paysages ordinaires constituent ainsi les premiers leviers de l’interface. Avant même l’outil dont nous avons parlé, c’est bien l’objet paysage ordinaire qui donne une légitimité à notre approche.
La seconde injonction faite aux acteurs publics concerne la participation citoyenne, ce que certains nomment démocratie participative. Les élus locaux prennent ainsi peu à peu conscience que les projets qu’ils portent ne seront durables (y compris politiquement !) que s’ils ont été débattus et négociés avec ceux qui vont les vivre. Cette évolution en est encore à ses balbutiements, mais des chercheurs/consultants fabriquent des outils et théorisent cette participation (forum-hybrides [12] par exemple), trouvant un écho dans les milieux politiques locaux et faisant ainsi émerger une forme d’expertise en participation.
Une pression supplémentaire pèse donc sur l’acteur public et donne du crédit à l’enquête photographique telle que nous la mettons en œuvre. En effet, la capacité de cet outil à mobiliser les enquêtés d’une part et à leur permettre de devenir experts de leurs propres expériences paysagères ordinaires d’autre part, est susceptible d’engendrer un engagement citoyen moteur de démarche participative. C’est sur la base de cette hypothèse que nous avons considéré que l’association de l’objet et de l’outil pouvait constituer une interface efficace pour rapprocher le chercheur de l’acteur certes, mais aussi l’acteur de l’habitant et l’habitant du chercheur, chacun étant en quelque sorte garant et responsable du degré d’investissement de l’autre, le retour vers les habitants enquêtés constituant un élément primordial de l’efficience de cette relation triangulaire.
A ce stade de la réflexion, on retrouve deux sphères distinctes. D’un côté, un groupe de chercheurs de notre laboratoire dont la quête est avant tout la production scientifique normalisée et porte sur un objet : les paysages du quotidien. L’équipe maîtrise et développe un outil : l’enquête photographique, dont les principes permettent l’émergence d’une parole habitante raisonnée. De l’autre côté, les acteurs de la communauté d’agglomération Pau-Pyrénées (CAPP) souhaitent, afin de répondre aux injonctions règlementaires, d’une part mettre en œuvre une réflexion sur les paysages du quotidien pour maîtriser leurs actions, d’autre part adopter un réflexe participatif pour accompagner la mise en œuvre de leurs projets.
Tout était donc réuni pour que la connexion se réalise autour de cette interface et donne lieu à un échange « gagnant-gagnant » dans le cadre de deux expériences pour lesquelles le retour vers l’enquêté a été totalement prémédité. Cette préméditation faisait en effet partie des attendus des deux projets dans la mesure où l’hypothèse fondatrice des expériences reposait sur la capacité mobilisatrice de l’enquête et la possibilité qu’elle offrait de permettre la discussion des résultats avec les habitants dans le cadre de ce retour organisé. Cette discussion devait participer de la prise de conscience, de la part des enquêtés, de leur intégration dans une expertise collective dont il pouvait, par là, mieux maîtriser les contours. Ce temps de retour venait ainsi alimenter le processus de participation souhaité par les élus locaux.
Il ne s’agit pas ici de parler du contenu de ces expériences [13] mais simplement de présenter le contexte dans lequel elles se sont déroulées afin de comprendre les clés qui en émergent concernant les dispositifs de retour vers les enquêtés qui nous intéressent ici.
Une première expérience a été menée sur la commune d’Artigueloutan. Elle s’est déroulée en 2008 dans le cadre d’une recherche post-doctorale dont l’objectif était d’expérimenter la capacité de la méthode d’enquête photographique à sortir du champ strictement académique pour pénétrer dans le monde de l’action. Financée par la CAPP, le terrain d’application fut choisi parmi les communes les moins urbaines de l’agglomération et dont le maire était volontaire pour se prêter à l’expérimentation [14]. Ainsi, le contexte était à la fois opérationnel, dans la mesure où les acteurs locaux s’engageaient à nos côtés, mais n’avait pas pour objectif explicite l’intégration des résultats dans un projet d’aménagement particulier.
Le succès de cette première opération a conduit les partenaires à renouveler l’expérience dans un contexte plus opérationnel. La CAPP lançait, en 2009, un vaste chantier de création d’un Parc Naturel Urbain le long des berges du Gave de Pau (rivière traversant l’agglomération). Tout en confiant l’essentiel du travail de diagnostic paysager et de pré-projet à des bureaux d’études (paysagistes notamment), la CAPP souhaitait confronter les résultats de l’expertise technique aux regards des habitants sur les paysages en question. Ce nouveau contexte opérationnel présentait, pour nous, un intérêt scientifique indéniable. Il constituait tout d’abord l’occasion de tester l’adaptabilité de la méthode, du fait notamment du changement de registre géographique que le projet imposait : le passage d’un cadre communal au linéaire d’un cours d’eau au sein d’une agglomération [15]. Il nous donnait ensuite l’occasion de penser méthodologiquement le retour vers l’enquêté en l’intégrant tout au long du processus de recherche afin de le constituer en outil participatif.
En effet, si cette interface recherche/action nous offrait une scène légitime pour organiser ce retour, elle imposait aussi au chercheur de trouver le temps, les dispositifs et les genres de discours nécessaires et adaptés pour le mettre en œuvre. Cette adaptation ne signifie pas qu’il existe d’un côté un monde scientifique et de l’autre un monde profane. Mais il s’agit simplement de considérer que le monde scientifique académique, du fait des normes imposées par l’évaluation de sa production, doit nécessairement adapter son discours pour être audible par LE monde, curieux et ouvert aux analyses des chercheurs et qui souhaite les discuter sans passer par l’apprentissage des codes académiques. C’est sans doute sur ces points que les réflexions manquent et doivent aujourd’hui porter. En effet, si le chercheur est sans aucun doute le mieux placé pour parler de ce qu’il tire de ses enquêtes, il n’est en revanche pas forcément compétent pour imaginer les dispositifs pertinents en vue de la discussion des résultats avec un public auprès duquel il n’est pas habitué à restituer. Dans ce domaine, le chercheur à souvent tendance à bricoler, nous ne prétendons pas avoir fait autre chose.
Le dernier point de notre démonstration consiste précisément en un exercice réflexif sur les dispositifs de retour mis en place lors des deux expériences que nous avons menées. Au-delà de leur présentation préalable, nous proposerons un regard critique qui tentera d’évaluer leurs biais et leurs limites.
Ce troisième point a pour objectif de déconstruire les mécanismes du retour vers l’enquêté des résultats de la recherche, à travers les dispositifs mis en œuvre dans le cadre des deux opérations de recherche présentées ci-dessus. Il convient de considérer notre propos comme un retour réflexif sur une démarche qui dépasse le strict cadre de la recherche académique pour entrer dans un jeu de dialogue avec d’une part le partenaire institutionnel, d’autre part les habitants, que ceux-ci aient participé ou non à l’enquête. La dimension réflexive ne vise donc pas tant le regard que porte le chercheur sur lui-même en train de chercher, mais le regard qu’il porte sur lui-même en train de soumettre son analyse à un large public (enquêté ou non). La question fondamentale réside donc dans les dispositifs mis en œuvre et les genres de discours adoptés pour ce faire.
Les deux opérations-témoins sur lesquelles s’appuie notre propos étaient menées en partenariat avec la CAPP. Dans la mesure où l’objectif de mobilisation habitante constituait un élément fondateur de la démarche, nous sommes passés par des partenaires institutionnels pour engager la mobilisation de façon collective. Si la première expérience, circonscrite à un cadre communal, avait permis de solliciter la mairie pour inviter les habitants à une réunion publique, le caractère plus linéaire et intercommunal de la seconde imposait de choisir des partenaires différents et multiples (conseils de quartiers, MJC, structures associatives concernées géographiquement par le linéaire du Gave de Pau). Dans ce dernier cas, nous avons volontairement sélectionné des structures « non informées » relativement à la thématique environnementale ou patrimoniale afin d’accéder aux habitants dits « ordinaires » et éviter ainsi le recueil d’un discours relevant de l’expertise technique (les bureaux d’étude ayant été dépêchés pour réaliser une telle expertise). Passer par ces structures permettait en outre de relayer la mobilisation, une fois l’opération de recherche proprement dite terminée, la pérenniser et la diffuser auprès de l’ensemble de la population.
Dans ce contexte, le principe de la réunion publique a particulièrement bien fonctionné pour recruter des volontaires susceptibles de se prêter au jeu de l’enquête photographique. Le panel a ensuite été complété par un recrutement plus diffus (boîtage, cercles d’affinité etc.). Outre la participation à l’enquête, l’objectif de ces réunions était de préparer les enquêtés à l’ensemble du dispositif, y compris les différentes réunions de restitution. Ainsi, dès le départ, le participant était informé de l’accès qu’il aurait à l’analyse que nous allions proposer. De la même manière, si le caractère « scientifique » de la démarche était mis en avant par l’intermédiaire de notre statut de chercheur et du laboratoire CNRS auquel nous appartenions, le principe de partenariat avec l’institution publique n’était pas occulté et donnait même lieu à une discussion sur l’utilité de la réalisation d’un tel travail et à la prise de conscience de l’utilité de la recherche.
Nous avons constaté que le caractère chronophage de la méthode a pu dissuader certains candidats. Néanmoins, nous avons également remarqué que l’éventualité d’une utilisation des résultats par les partenaires les séduisait, se traduisant par une attente plus forte et surtout par une prise de conscience de l’importance que pouvaient avoir les restitutions ultérieures. Le contexte a ainsi eu un effet indéniable de responsabilisation des habitants, qui ont très tôt eu le sentiment que l’enquête disposait d’un sens qui dépassait le seul cadre de la recherche académique menée.
Nous ne reviendrons pas ici sur l’effet que produit l’enquête sur l’enquêté, qui constituait l’objet de la première partie de notre propos. Néanmoins, nous rappellerons que, tout en initiant la mobilisation de l’enquêté, l’enquête suscite chez lui le désir de comprendre et d’être associé aux futures restitutions dont il mesure la portée et les enjeux pour l’action. Il est également utile d’ajouter que, souvent préalablement frileux du fait de l’investissement nécessaire imposé par la démarche, le volontaire, non seulement ne compte pas le temps passé à réaliser les photos, mais est également capable d’en parler pendant plusieurs heures sans s’inquiéter du temps passé. Le caractère désinhibant de la photographie est ici largement vérifié. Mais cet investissement induit une attente encore plus grande quant aux résultats.
La restitution des résultats constitue le moment phare de l’opération et le temps fort du retour collectif. Elle est attendue par les enquêtés et par les partenaires institutionnels. Lors de la seconde opération portant sur les berges du Gave de Pau, il a été nécessaire d’organiser des réunions intermédiaires dans chacune des structures qui avaient accompagné le démarrage du projet dans la mesure où elles devaient ensuite pouvoir relayer la mobilisation. Ce passage nous obligeait à cibler géographiquement les résultats pour faire valider les analyses par les enquêtés eux-mêmes et leur apporter des éléments sur l’espace qu’ils avaient en partage, dans la mesure où la restitution finale devait porter quant à elle sur l’ensemble du linéaire du cours d’eau au sein de la CAPP. La richesse des discussions lors de ce retour intermédiaire a conduit à faire évoluer sensiblement certaines analyses et témoigne d’un premier effet du retour sur la recherche elle-même.
Pour la première expérience, nous avons organisé la restitution à la mairie, en soirée, pour toucher le plus grand nombre de personnes. La restitution de la seconde a eu lieu, quant à elle, dans un amphithéâtre de l’université afin de « délocaliser » le débat dans un lieu jugé neutre par les partenaires. Ces réunions étaient ouvertes aux enquêtés, invités personnellement, mais aussi, plus largement, à l’ensemble de la population informée par voie d’affichage et de boîtage (pour la première opération) et par voie de presse (pour la seconde). Les partenaires étaient également présents. Concernant ce dernier point, si la première expérience n’a nécessairement concerné que le maire et son conseil municipal face à leurs administrés, le caractère plus sensible et géographiquement plus large de la seconde, a amené un parterre d’élus plus dense.
Ces séances étaient construites sur le même schéma et ménageaient trois temps successifs et trois genres de discours.
Le premier temps introductif mobilisait un premier genre de discours incarné par des posters (un par thèmes retenus) reprenant l’ensemble des photos, accompagnées des paroles habitantes et agencées en fonction de l’analyse que nous en avions faite. Cette exposition, qui accueillait les participants, avait pour objectif de permettre à chacun de se retrouver et de se situer dans l’analyse avant même la restitution. Cette formalisation devait permettre à chaque enquêté de se reconnaître en tant qu’individu (en repérant ses propres photos), tout en lui montrant qu’il participait d’un collectif. Ce passage du « je » au « nous » constitue une étape indispensable de la prise de conscience, pour l’habitant, de sa capacité d’expertise. Pour les non participants, ces posters étaient l’occasion de se situer a posteriori relativement au collectif et ainsi, éventuellement et inconsciemment, de l’intégrer.
Le second temps consistait en un exposé d’une petite heure mettant en scène les catégories de l’analyse, à travers une projection illustrée par des photos et des paroles d’habitants. Plus classique, ce genre de discours permettait de faire émerger les grandes catégories, expliciter les résultats et susciter le débat. Il était aussi, et paradoxalement, important pour les élus qui découvraient ce jour-là les résultats de l’enquête [16].
Le troisième temps ménageait un débat entre les participants, les chercheurs et les partenaires. Lors de ce moment, il était symptomatique de voir que, si les résultats eux-mêmes étaient débattus, l’interpellation s’adressait surtout aux acteurs publics. La première expérience a été, sur ce point, très riche et a révélé ce que l’enquête et sa restitution faisaient à l’enquêté. En effet, les deux premiers moments (posters et exposé) ont réellement créé une conscience collective, la révélation que, par le truchement de l’analyse des données de l’enquête, leurs paroles individuelles s’agençaient en une vision collective du paysage quotidien et des attentes, quand bien même des points de friction émergeaient. Ainsi, le chercheur se positionnait, de fait, en marge de l’échange, ce dernier consistant désormais en une interpellation du maire par un collectif d’individus devenus experts de leur paysage communal. La mécanique n’a pas fonctionné ainsi lors de la restitution de la seconde opération. Sans doute la configuration de la salle (un amphithéâtre), le lieu (l’université) et la personnalité plus intimidante des « officiels » (député-maire, adjoints, techniciens…) ont pu inhiber les participants. Le chercheur est ainsi resté un personnage central vers lequel se dirigeaient les questions et remarques, même si celles-ci révélaient un contenu du même type que lors de l’opération précédente. Le chercheur devenait alors un miroir susceptible de refléter le questionnement destiné aux acteurs locaux [17].
Les deux séances ont duré plus de deux heures intenses et souvent passionnées, révélant la capacité médiatrice du paysage pour aborder des questions qui dépassent largement le strict cadre de ce qu’on a l’habitude de considérer comme du paysage.
Le bilan que l’on peut tirer de ces deux opérations et des conditions dans lesquelles le retour vers l’enquêté s’est déroulé, concerne trois publics : le chercheur, l’enquêté et l’acteur public.
Concernant le chercheur, ce type d’expérience permet de le faire participer à la vie de la cité au-delà de la simple expertise à laquelle il est souvent cantonné. De surcroît, il permet de trouver un cadre pour faire avancer les hypothèses qui alimentent sa recherche. En effet, l’objectif du chercheur reste l’utilisation du matériau recueilli dans le cadre d’une production scientifique répondant aux exigences de l’évaluation de la recherche. Il y a sans doute beaucoup à faire quant à l’analyse des effets du retour sur la production académique elle-même, mais il s’agit là d’un autre débat et surtout d’un autre chantier à ouvrir. Il est tout de même possible d’ajouter sur ce point que le retour permet de donner du crédit à l’analyse destinée à la production académique, ne serait-ce que dans la révélation de la pertinence d’une approche sensible du paysage.
Concernant l’enquêté, les échanges que nous avons eu a posteriori avec nombre d’entre eux ont révélé plusieurs dimensions de l’effet du retour. La première pourrait se traduire en termes de montée en compétence citoyenne. Formulés par eux-mêmes ou rapportés par les acteurs publics partenaires, les propos recueillis confirment que l’enquête et l’implication lors des restitutions consécutives ont rendu les enquêtés « plus citoyens ». Ainsi, le maire d’Artigueloutan, acteur de la première expérience, révèle que depuis notre passage, lorsqu’il y a une réunion publique et quel que soit le sujet, les participants à l’enquête sont toujours mobilisés. On pourrait bien évidemment considérer que leur implication citoyenne nous précédait, dans la mesure où ils avaient déjà fait acte de venir lors de la toute première réunion publique de présentation de la démarche. Si cette remarque vaut certainement pour une majorité, on trouve, à la marge, quelques habitants nouvellement impliqués, des habitants qui pouvaient d’ailleurs ne pas avoir fait l’enquête mais avaient assisté à la restitution et s’étaient reconnus dans les catégories dégagées.
La seconde dimension concerne plus directement les regards portés sur les paysages et le regain d’attention dont ils sont l’objet. Les causes de cette prise de conscience paysagère sont à chercher dans la réflexivité induite par l’enquête elle-même, premier niveau de retour dégagé ici (cf. première partie) et non dans l’organisation d’un retour spécifique. Ce que ce dernier type de retour institue, c’est davantage une montée en généralité de cette conscience paysagère et la révélation de son caractère partagé. Cela ne signifie pas que l’analyse des enquêtes débouche sur un consensus général et une pensée unique sur le paysage. Au contraire, certaines rugosités apparaissent, sans toutefois parler de conflits dans les expériences en question. Elles montrent cependant qu’il existe des points de vue différenciés (sur l’idée de nature par exemple) et des préoccupations distinctes. L’habitant se forge alors son propre regard au sein du collectif et, sans forcément adhérer à la totalité du propos, prend conscience de ces différences. De fait, il n’en sort pas indemne et son implication dans une autre expérience de ce type, pour laquelle il serait vraisemblablement volontaire, ferait sans doute basculer son propos dans une dimension plus experte et moins sensible. Un retour sur les effets du retour pourrait d’ailleurs constituer une bonne perspective pour prolonger le débat.
En ce qui concerne l’acteur public partenaire, nous limiterons notre propos à l’objectif de participation qui était attendu et qui renvoie directement à l’organisation du retour vers les enquêtés. Sur ce point, le retour a des effets qui semblent moins prévisibles. L’émergence d’une expertise habitante, de surcroît maîtrisée par l’habitant lui-même, place en effet l’élu, mais aussi le technicien, dans une situation délicate dont il n’avait pas, selon les dires du maire d’Artigueloutan, totalement conscience au départ de l’opération. Provoquer des attentes dans la population et donner à celle-ci les moyens de les identifier, impose, pour l’élu, d’être en capacité de répondre à des situations parfois mal anticipées. Ainsi, la réussite de l’expérience repose sur un portage politique sans faille et une assistance technique interne efficace pour éviter une déstabilisation des acteurs dont la responsabilité pourrait incomber au chercheur. Il est donc indispensable d’une part d’avoir affaire à des élus rompus au débat public et soucieux de la libre parole, d’autre part de les prévenir de la situation à laquelle ils s’exposent. Dans cet esprit, nous pensons que le contexte formel de la relation est important. En effet, le fait que ce soient des chercheurs appartenant à un laboratoire, liés avec les acteurs publics par une convention qui garantit leur indépendance, autorise leur libre parole. Pour nous, ce contexte, accepté par les partenaires, permet d’éviter une confusion des genres qui transformerait le chercheur en expert [18]. Il permet, pour le clerc que nous prétendons être, de ne pas démissionner, pour reprendre l’expression d’Alain Caillé [19].
Ensuite, comme dans toute situation pour laquelle le citoyen se mobilise, il est fondamental que les attentes soient prises en considération. Certains enquêtés doutaient de la prise en compte effective des éléments de l’analyse lors de l’opérationnalisation du projet de valorisation des berges du gave de Pau. Or, comme le soulignait justement la chargée de mission de la CAPP qui avait suivi nos travaux, le temps du projet est parfois long et conduit à des périodes de latence qui peuvent frustrer les habitants. Dans cet esprit, des commissions de réflexion ont été mises en place pour permettre de maintenir la dynamique durant les temps morts du projet. Mais là encore, ces réunions chronophages mettent à l’épreuve la mobilisation citoyenne et sont susceptibles de décourager les volontés participatives. Nous faisons néanmoins l’hypothèse, en partie vérifiée par le maire d’Artigueloutan, que ces enquêtés resteront mobilisés dans d’autres batailles de la participation.
La question du retour vers l’enquêté des résultats de la recherche fait partie des boîtes noires des sciences sociales et la géographie n’échappe pas à cette occultation. Un temps réflexif, sans pour autant faire de cette réflexivité l’objet central de notre recherche, est sans doute utile pour mieux comprendre les postures que nous adoptons en tant que chercheurs. Nous avons ainsi souhaité ici mettre en scène une posture de recherche, s’appuyant sur un objet (les paysages du quotidien) et un outil (l’enquête photographique), qui fait de l’interface avec le monde de l’action une clé fondamentale de la préméditation du retour vers l’enquêté.
Le premier concerne l’outil (l’enquête photographique), préalablement mis au point pour comprendre la manière dont les habitants vivent (pratiquent et se représentent) leurs paysages quotidiens. Il témoigne d’une réelle capacité à faire émerger un habitant réflexif, expert de son propre vécu paysager. Cette réflexivité constitue indéniablement un premier niveau de retour, très personnel et introspectif, qui peut conduire l’enquêté à une véritable prise de conscience.
Le second point pose l’objet et l’outil comme des éléments d’interface possibles entre la recherche et l’action. Ainsi, les réponses que nous pouvons apporter aux questions que se posent les acteurs publics, quant à la mise en application des principes de la convention européenne du paysage et des injonctions de participation citoyenne, constituent des clés fondamentales de la rencontre.
Le troisième élément réside dans la préméditation du retour imposée par le contexte d’interface. A partir du moment où la recherche se fixe comme objectif, en lien avec la demande des partenaires, de mobiliser les habitants autour de leur vécu paysager, il est indispensable de passer d’une réflexivité individuelle induite par l’enquête, à la prise de conscience d’une capacité d’expertise collective, nécessitant des dispositifs de restitution plus larges et organisés.
L’importance de ce dernier point est particulièrement prégnante dans la seconde opération que nous avons menée. Dans ce cas, nous avons pu aller au-delà de ce retour collectif, en donnant la possibilité aux habitants de porter eux-mêmes leur propre discours. Ainsi, lors d’une réunion publique ultérieure, destinée à faire connaître les résultats à un public n’ayant pas participé à l’enquête et faire percoler les résultats à l’échelle du territoire, certains enquêtés, venus écouter ce discours déjà connu, sont allés jusqu’à prendre la parole pour répondre à des questions qui nous étaient destinées. Cette anecdote témoigne de la capacité de l’enquêté, devenu expert d’un vécu paysager collectif, à défendre une position et tenir un argumentaire devant un auditoire « profane ». On pourrait aller jusqu’à penser que le chercheur peut alors s’effacer.
● Bigando Eva, La sensibilité au paysage ordinaire des habitants de la grande périphérie bordelaise, Thèse de géographie, G. Di Méo (dir.), Université de Bordeaux 3, 2006
● Blanc Maurice, (dir.), Pour une sociologie de la transaction sociale, Paris, L’harmattan, 1991
● Bourdieu Pierre, Science de la science et réflexivité, Paris, Editions Raisons d’agir, 2001.
● Caillé Alain, La démission des clercs : la crise des sciences sociales et l’oubli du politique, Paris, Éd. La Découverte, 1993.
● Callon Michel, Lascoumes Pierre, Barthe Yannick, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Seuil, 2001
● Chauvier Eric, Contre Télérama, Paris, Allia, 2011.
● Chivallon Christine, « Les modalités de la conduite d’un travail réflexif », in Discours scientifiques et contextes culturels, Chivallon Christine et al. (dir.), Talence, MSHA, 1999, p. 11-16.
● Collier John, Collier Malcolm, Visual anthropology : photography as a research method [1967], Albuquerque, University of mexico press, 1986
● Certeau (de) Michel, L’invention du quotidien - 1- l’art de faire, Paris, Gallimard, 1990
● Giddens Anthony, La constitution de la société : éléments de la théorie de la structuration, Paris, Presses universitaires de France, 1987
● Harper Douglas, « Talking about pictures : a case for photo elicitation », Visual Studies, V.17, n°1. 2002, p. 13-26
● Jackson John B., A la découverte du paysage vernaculaire, Arles, Acte Sud, 2003
● Luginbühl Yves, « Pour un paysage du paysage », Economie rurale, n°297-298, 2007, p. 23-37
● Marié Michel, Les terres et les mots, une traversée des sciences sociales, Paris, Méridiens Klincksieck, 1989
● Michelin Yves, « Des appareils-photo jetables au service d’un projet de développement : représentations paysagères et stratégies des acteurs locaux de la montagne thiernoise », Cybregéo, V.65, 1998
● Nadaï Alain, « Degré zéro. Portée et limites de la théorie de l’artialisation dans la perspective d’une politique du paysage », Cahiers de géographie du Québec, 51, n°144, 2007, p. 333-343
● Ragouet Pascal, « Des géographes face à l’exercice réflexif : regards d’un sociologue », in Discours scientifiques et contextes culturels, Chivallon Christine et al.(dir.), Talence, MSHA, 1999, p. 313-327
● Roger Alain, Nus et paysages : essai sur la fonction de l’art, Paris, Aubier, 1978
● Roqueplo Philippe, « L’expertise scientifique, consensus ou conflit ? » in La terre outragée, les experts sont formels !, J. Theys et B. Kalaora (dir.), Paris, Autrement, 1992, p.157-169
[1] P. Bourdieu, Science de la science et réflexivité, Paris, Editions Raisons d’agir, 2001.
[2] P. Ragouet, « Des géographes face à l’exercice réflexif : regards d’un sociologue », in Discours scientifiques et contextes culturels, C. Chivallon et al.(dir.), Talence, MSHA, 1999, p. 313-327.
C. Chivallon, « Les modalités de la conduite d’un travail réflexif », in Discours scientifiques et contextes culturels, C. Chivallon et al. (dir.), Talence, MSHA, 1999, p. 11-16.
[3] A. Roger, Nus et paysages : essai sur la fonction de l’art, Paris, Aubier, 1978.
Voir aussi la critique de cette approche : A. Nadaï, « Degré zéro. Portée et limites de la théorie de l’artialisation dans la perspective d’une politique du paysage », Cahiers de géographie du Québec, V.51, n°144, 2007, p. 333-343
[4] Y. Luginbühl, “Pour un paysage du paysage”, Economie rurale, n°297-298, 2007, p. 23-37.
[5] J. B. Jackson, A la découverte du paysage vernaculaire, Arles, Acte Sud, 2003
[6] E. Bigando, La sensibilité au paysage ordinaire des habitants de la grande périphérie bordelaise, Thèse de géographie, G. Di Méo (dir.), Université de Bordeaux 3, 2006. L’objectif de cette thèse était de faire émerger la sensibilité à leur paysage quotidien d’une soixantaine d’habitants de deux communes périurbaines situées à la périphérie de l’agglomération bordelaise et d’en analyser les modalités d’expression et de fonctionnement. Pour plus d’informations, la thèse est disponible [en ligne] http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00148440 (consultée le 16 novembre 2011)
[7] J. Collier et M. Collier, Visual anthropology : photography as a research method [1967], Albuquerque, University of mexico press, 1986
D. Harper. « Talking about pictures : a case for photo elicitation », Visual Studies, V.17, n°1. 2002, p. 13-26.
[8] A. Giddens, La constitution de la société : éléments de la théorie de la structuration, Paris, Presses universitaires de France, 1987.
[9] Pour la réalisation de ce portrait photographique, l’enquêté devait suivre une grille de six questions simples, adaptée à chaque situation et lui permettant d’aborder plusieurs thèmes liés au paysage. Cette grille est elle-même adaptée d’un travail réalisé par Yves Michelin à partir d’appareils photos jetables mais destiné à des acteurs locaux (Y. Michelin, « Des appareils-photo jetables au service d’un projet de développement : représentations paysagères et stratégies des acteurs locaux de la montagne thiernoise », Cybregéo, V.65, 1998). Pour plus d’information sur les questions elles-mêmes, voir la thèse (op.cit.) et les rapports concernant les deux expériences relatées dans cet article, disponibles à l’adresse suivante [En ligne] http://web.univ-pau.fr/  ;ftesson1/tesson/Recherche_Paysage.html (consultée le 16 novembre 2011)
[10] D. Harper, op. cit.
[11] Citons, pour exemple, un article récent publié dans l’hebdomadaire Télérama entérinant le discrédit paysager des banlieues et périphéries urbaines à travers des propos préjugeant de leur « laideur », ainsi que la réponse courroucée faite par l’anthropologue Eric Chauvier (E. Chauvier, Contre Télérama, Paris, Allia, 2011.) qui dresse un tableau de la réalité quotidienne de ces zones périurbaines contemporaines.
[12] M. Callon, P. Lascoumes et Y. Barthe, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Seuil, 2001
[13] Pour plus d’informations sur le contenu et les analyses, se référer aux rapports disponibles en ligne (op. cit.)
[14] Il s’agissait de faire réaliser à 25 habitants un portrait photographique de leur commune selon une grille préalable et de les soumettre à un entretien semi-directif sur la base des photos ainsi réalisées.
[15] Tout en considérant que le parti pris qualitatif adopté par la méthode nécessitait de ne pas démultiplier le nombre des participants, il était néanmoins indispensable de choisir un panel d’enquêtés répartis de manière homogène sur l’ensemble du linéaire du cours d’eau, en ciblant à la fois des habitants riverains et certains usagers spécifiques du Gave de Pau. Se sont ainsi prêtés au jeu de l’enquête photographique une quarantaine d’individus, pour la plupart, habitants-riverains répartis en trois secteurs distincts, et pour certains, usagers plus spécifiques (kayakistes).
[16] En effet, si un rapport leur avait été remis au préalable, la plupart des acteurs publics partenaires ont découvert notre analyse le jour de cette restitution. Cette remarque ne concerne pas la première opération dans la mesure ou la maire d’Artigueloutan avait été totalement associée à la démarche et connaissait parfaitement le dossier au moment de sa restitution.
[17] On peut sans doute voir ici une manifestation du rôle du chercheur comme « tiers passeur » tel que l’imagine Michel Marié (M. Marié, Les terres et les mots, une traversée des sciences sociales, Paris, Méridiens Klincksieck, 1989, 214 p.) et plus globalement l’illustration de postures adoptées dans le cadre de la sociologie de la transaction sociale (M. Blanc (dir.), Pour une sociologie de la transaction sociale, Paris, L’harmattan, 1991)
[18] M. de Certeau, L’invention du quotidien - 1- l’art de faire, Paris, Gallimard, 1990, 350 p. Voir aussi Ph. Roqueplo, « L’expertise scientifique, consensus ou conflit ? » in La terre outragée, les experts sont formels !, J. Theys et B. Kalaora (dir.), Paris, Autrement, 1992, p. 157-169.
[19] A. Caillé, La démission des clercs : la crise des sciences sociales et l’oubli du politique, Paris, Éd. La Découverte, 1993
Bigando Eva, Tesson Frédéric, « Quand la recherche se connecte à l’action et fait du retour vers l’enquêté une condition de l’interface – à propos d’une démarche d’enquête sur les paysages du quotidien », dans revue ¿ Interrogations ?, N°13. Le retour aux enquêtés, décembre 2011 [en ligne], http://revue-interrogations.org/Quand-la-recherche-se-connecte-a-l (Consulté le 21 décembre 2024).