Blatgé Marion

Objectiver sa position à la sortie du terrain : l’exemple d’une enquête parmi les déficients visuels

 




 Résumé

C’est à l’occasion d’une fin d’enquête sur l’expérience des personnes déficientes visuelles qu’a émergé une interrogation profonde sur notre positionnement de chercheure. L’étape de sortie de terrain, à l’instar de celle de la négociation d’un “droit d’entrée”, apparaît aussi indispensable à la réalisation de l’enquête que riche d’enseignements sur le plan de l’analyse sociologique. L’étude de ce temps de l’enquête est féconde en deux points. En premier lieu, elle nous renseigne sur le terrain, en ce qu’elle dévoile les conséquences de la présence d’un observateur extérieur. En second lieu, elle est source de réflexivité pour le chercheur, puisque la sortie du terrain est une transition entre l’engagement de l’enquêteur et la distanciation, indispensable au travail de conceptualisation sociologique.

Mots clés : réflexivité, ethnographie, distanciation, observation participante, handicap

 Abstract

Getting out of the field and thinking the researcher’s stance : the example of a survey among visually impaired people.

The end-phase of a fieldwork focusing on the socialization of visually impaired people within associations dedicated to their care fostered deep interrogation on the researcher’s stance. This article presents the strong hypothesis that getting out of the field is as essential as negotiating an “entrance fee”, both to enable the investigation and to conduct sociological analysis. Studying the survey’s period is beneficial in two aspects. Firstly, it informs on the grounds of the research by revealing tracks of the presence of an observer. Secondly, it is a source of reflexivity for the social scientist, since during this phase coexist the empirical and the abstract dimensions of sociology.

Keywords : reflexivity, ethnography, distance, participating observation, disability

 Introduction

Loin des manuels explicitant un ensemble de savoir-faire transposable d’une enquête à l’autre, les écrits ayant trait à la réflexivité du sociologue s’engagent à comprendre en quoi le chercheur est l’instrument du travail de terrain [1]. Au vu de cette posture, saisir qui est le sociologue et comment il travaille constitue une part de l’analyse sociologique. Ainsi, la production de données qualitatives, issues de l’entretien approfondi ou de l’observation, se conçoit comme une relation sociale à part entière : entrent en jeu, dans l’analyse, les caractéristiques sociales propres aux enquêteurs et aux enquêtés, indispensables à la compréhension de cette relation d’enquête. Loin d’être écartées de la démarche scientifique, les difficultés de l’enquête deviennent des matériaux de la recherche – au même titre que les entretiens approfondis ou les comptes-rendus d’observations – et prennent place dans l’analyse sociologique dont elles constituent un support.

À cette première approche de ce qu’est la relation d’enquête s’ajoute une réflexion propre aux temporalités du travail de terrain. Chaque étape de l’enquête s’assortit d’une position particulière du sociologue, l’évolution du chercheur au fil de son travail de terrain alimentant cette entreprise de réflexivité.

Sont ainsi distingués trois temps de l’enquête : la négociation d’un droit d’entrée, l’ajustement d’un poste d’observateur et, enfin, la sortie de terrain (Peneff, 1992 : 244-253). Cette distinction pointe un enjeu d’importance : les temps de l’enquête ne sont pas réductibles au simple recueil des données ; les événements prenant place en début et en fin d’enquête – en apparence quasi insignifiants – constituent des matériaux sociologiques porteurs de sens et dignes d’analyse. Or, si la négociation du terrain fait l’objet de réflexions stimulantes, notamment dans le champ de la sociologie de la santé, invitant à prendre en compte les conditions de l’accès au terrain dans l’analyse (Darmon, 2005 ; Derbez, 2010), rares sont les travaux s’intéressant à cette sortie du terrain. Ce relatif désintérêt est d’autant plus notable que la thématique de la restitution des résultats d’enquête fait, quant à elle, l’objet de réflexions méthodologiques relativement approfondies [2]. Ce temps particulier de la recherche est dès lors très peu visible ; comme si la relation d’enquête s’effaçait d’elle-même à la fin d’un travail de terrain pour ne réapparaitre que lors de l’éventuelle restitution des résultats aux enquêtés, souvent décrite comme un moment potentiellement conflictuel (Roselli, 2011).

C’est à l’occasion d’une enquête menée dans le cadre d’une thèse de sociologie que s’est posée à nous cette difficulté à clore le travail de terrain (Blatgé, 2012). Ayant pour objet la socialisation de personnes déficientes visuelles [3] au sein d’associations dédiées à leur prise en charge, ce travail s’est appuyé sur une enquête qualitative au long cours, combinant observation participante et entretiens approfondis. La fin de cette enquête s’est révélée être une phase d’interrogation sur nos divers positionnements de chercheure. Nous faisons ici l’hypothèse que cette étape de sortie de terrain, à l’instar de celle de la négociation, est aussi inéluctable dans la réalisation d’une enquête que riche d’enseignements sur le plan de l’analyse sociologique. « Réussir sa sortie  » (Peneff, 1992 : 252) n’a dès lors rien d’évident, sur le plan professionnel et personnel pour le sociologue. En premier lieu, cette phase clôture l’enquête pour le chercheur, qui ne sait dans quelles conditions il pourra retourner sur le terrain pour vérifier ses données. En second lieu, une observation de longue durée auprès d’un groupe génère des solidarités et des amitiés, qu’il n’est pas aisé d’interrompre. La sortie de terrain rappelle ainsi avec acuité la singularité de l’enquête ethnographique. Cette phase s’avère particulièrement féconde pour approfondir la réflexion sur la tension entre « engagement et distanciation » (Elias, 1995), qui s’exacerbe dans la configuration d’un travail de production de données ethnographiques. Si la fin de l’enquête constitue un des temps de la distanciation entre le chercheur et son objet, elle dépasse le seul détachement, puisque c’est d’une séparation entre le sociologue et son terrain dont il s’agit.

Nous nous attacherons ici à expliciter ce temps particulier de l’enquête. L’intérêt de l’analyse de la sortie de terrain ne se révélant pleinement qu’à l’aune de l’énonciation des conditions d’enquête, nous livrerons les facteurs motivant cette étape, ainsi que les modalités de notre propre sortie de terrain. Dans un champ de recherche marqué par le militantisme, tel le handicap, la sortie de terrain apparaîtra révélatrice non seulement de différentes postures du chercheur en rapport à son objet d’étude, mais aussi du positionnement du sociologue au sein de sa communauté scientifique.

 Une sortie de terrain enchâssée dans les conditions d’enquête

Le temps de la sortie du terrain n’est en rien isolé. Il est au contraire en totale interdépendance avec les étapes antérieures. Les enjeux de cette sortie ne se dévoilent qu’à l’aune des conditions mêmes de l’enquête. En précisant le cadre de cette dernière, nous mettrons ainsi l’accent sur les points saillants de la recherche.

L’enquête qualitative qui a nourri mon travail doctoral (Blatgé, 2012) s’est déroulée de manière intensive pendant une période de quinze mois, du printemps 2005 à l’été 2006. Elle a reposé sur trois monographies réalisées au sein d’associations distinctes. Deux de ces associations sont gestionnaires d’institutions fermées, réservées à la formation professionnelle des personnes déficientes visuelles ; la troisième propose aux personnes des services plus ponctuels d’aide à la recherche d’emploi. Le récit se concentrera sur les prémices de ces trois terrains.

Si le récit d’enquête est une opération délicate – qui consiste à expliciter une démarche longue et tâtonnante et à procéder, pour une part, à une reconstruction du sens et des difficultés a posteriori –, il est nécessaire de montrer dans quelles conditions le sociologue prend part aux activités in situ et comment il manifeste son engagement, la fin d’une enquête ne pouvant se comprendre qu’en revenant sur cette participation initiale. L’accès aux différents terrains, dont je n’étais pas familière au premier abord, a nécessité différentes formes de négociations. Les premiers contacts avec ceux qui deviendront, au fil du temps, les sujets de l’enquête se sont révélés décisifs. Ils sont en effet cruciaux lorsqu’il s’agit d’institutions fermées dans lesquelles le sociologue ne peut accéder sans une autorisation explicite de la hiérarchie. L’analyse de ces différentes négociations dégagera les traits structurants des conditions d’enquête.

Un triple terrain

Le travail de terrain débute en mars 2005, au sein d’une association – renommée association A –, gestionnaire d’un centre de formation professionnelle situé en région parisienne [4]. À la suite d’un contact par voie électronique présentant mon projet de recherche à une des responsables de service, je suis rapidement reçue par la psychologue clinicienne, dirigeant le service en charge du suivi psychosocial des personnes en formation. Il ne m’est offert, dans un premier temps, qu’un accès limité au terrain ; je suis ainsi autorisée à réaliser uniquement des entretiens auprès des professionnels et des personnes en formation. Les entretiens se tiennent au sein des locaux associatifs, mais je n’ai pas l’autorisation de réaliser des séquences d’observation. Les professionnels rencontrés lors des premiers contacts – en l’occurrence la psychologue clinicienne, puis un travailleur social – justifient cet accès restreint par la relative fragilité psychologique des personnes déficientes visuelles accueillies.

Un second terrain s’ouvre en avril 2005, au sein d’une association que je nommerai association B, située à Paris. L’activité associative se limite dans ce cas à des services en matière de recherche d’emploi ; il ne s’agit pas d’une institution fermée. Cependant, l’activité de cette association est fortement liée à celle des centres de formation professionnelle : les salariés et les bénévoles y travaillent en étroite collaboration avec les professionnels du centre A. À bien des égards, l’association B s’avère moins professionnalisée que le centre A, une grande partie de l’activité associative est réalisée par des travailleurs bénévoles, l’organisme ne comprenant que trois salariés à temps partiel. Lors de ma première rencontre avec les salariés de l’association, je négocie, relativement aisément, mon “droit d’entrée” en me proposant d’être bénévole régulièrement. Si je présente oralement mon statut d’étudiante, aucun projet de recherche écrit ne m’est demandé. Ce changement de mode d’entrée sur le terrain a des conséquences sur le recueil des données ; entre autres, une plus grande liberté d’observation du fait de cette immersion dans le quotidien de l’association B. Par ailleurs, grâce aux contacts réguliers avec cette association, il m’est proposé, dès l’automne 2005, de réaliser du bénévolat au sein du centre A, en échange d’un accès très élargi au terrain. Les réticences initiales à ma présence, exprimées par certains salariés, se dissipent au cours de ces premiers mois de recherche. Ce qui justifiait la restriction d’accès de départ n’est plus évoqué devant moi dès l’instant où ma présence au sein du centre A est devenue effective.

Un dernier terrain s’ouvre au début du printemps 2006, alors que je fréquente les institutions dévolues à la déficience visuelle de région parisienne depuis une année. À l’époque, je souhaite prolonger l’enquête en réalisant un troisième terrain, que je choisis éloigné géographiquement des deux premiers. Il s’agit, par ce biais, de m’extraire du milieu d’interconnaissance dans lequel je me suis insérée. En envoyant un projet de recherche dans différentes associations, j’obtiens rapidement un contact au sein de l’association C, gestionnaire d’un établissement de formation professionnelle réservé aux personnes déficientes visuelles (le centre C). Lors de ma rencontre avec le directeur de la structure, en février 2006, plusieurs facteurs semblent jouer significativement en ma faveur. En particulier, le fait d’avoir réussi à négocier un accès à une institution fermée l’étonne ; il insiste sur la perspicacité dont j’ai fait preuve pour accéder au centre A, qu’il juge peu ouvert aux observateurs extérieurs.

Le bénévolat a, de façon évidente, constitué un atout pour négocier mon droit d’entrée au sein de telles associations et des institutions qu’elles gèrent ; si j’ai pu accéder aux deux premiers terrains, c’est uniquement en proposant ce bénévolat régulier, mon statut d’étudiante en sociologie ne me conférant aucune légitimité dans ces lieux. Il est d’ailleurs significatif que les associations A et B aient une dimension caritative plus prononcée que l’association C. Les deux premières structures sont des associations axées sur la bienfaisance et la promotion d’un caractère communautaire. Par la présence d’une majorité de personnes non voyantes dans leur Conseil d’administration, ces associations entendent représenter les personnes déficientes visuelles tout en leur proposant un certain nombre de services, ayant trait aux loisirs adaptés. Bien qu’elles bénéficient de financements publics, les associations A et B font très régulièrement appel, par le biais de leurs publications, à la générosité privée, sous forme d’appel au don ou de bénévolat. Ainsi, au sein de l’association B, les bénévoles, qui, dans leur majorité, sont des personnes déficientes visuelles, représentent une main d’œuvre décisive. En ce sens, l’association C, en se situant comme une association gestionnaire d’établissements, se distingue nettement des deux autres. La négociation de ces différents terrains renseigne, au-delà de la simple habileté de l’ethnographe, sur les traits d’autorité qui structurent ces espaces (Darmon, 2005). Le bénévolat comme préalable à un accès élargi au terrain est un signe fort spécifiant les types d’associations étudiés ; il renseigne notamment sur la légitimité en cours dans des associations au caractère caritatif affirmé.

Louise Durand, accompagnatrice de l’enquête

À l’issue de cette phase de négociation, c’est un poste d’observation que le sociologue doit s’aménager. Au cours de mon enquête, l’aménagement s’est opéré grâce à une relation privilégiée avec la chargée d’insertion de l’association B, que je nommerai ici Louise Durand. La fréquentation très régulière de ce lieu, au sein duquel j’effectue à la fois du bénévolat et des observations participantes, est la condition déterminante de mon rapprochement avec cette salariée. À de nombreuses reprises, elle dépasse son rôle d’enquêtée en me proposant des contacts ouvrant sur des observations faites à ses côtés. Dès lors, son statut au sein de mon enquête est particulier, puisqu’elle revient très régulièrement dans les comptes-rendus d’observation. La relation particulière que nous avons entamée assez tôt dans l’enquête m’a également incitée à analyser ma propre position d’enquêtrice.

Louise Durand est née en 1954 en Normandie, dans la Manche, où elle a effectué sa scolarité primaire et secondaire ; elle interrompt ses études en classe de seconde. À cette époque, la jeune femme ne rencontre pas de problèmes de vue. Après avoir exercé différents postes relativement précaires (animatrice de centre de vacances, secrétaire médicale, employée aux écritures), notamment en région parisienne, elle se marie et s’installe avec son époux dans le Calvados. C’est à la suite de la naissance de son fils unique qu’elle perd la vue ; c’est d’ailleurs un événement qu’elle évoquera plus en détail avec moi presque quatre ans après notre première rencontre. Cet événement fut pour elle une rupture biographique majeure et ses problèmes de santé l’empêcheront de mener d’autres maternités, à son grand regret. J’ai réalisé avec elle deux longs entretiens : un au printemps 2005 et l’autre à l’automne 2007. Durant le premier entretien, elle a évoqué librement de nombreuses thématiques et elle s’est montrée satisfaite de les voir reproduites dans le mémoire de DEA que je lui ai transmis à l’automne 2005.Au cours des années, Louise Durand a véritablement accompagné l’enquête ; elle a facilité les rencontres avec les enquêtés en me présentant systématiquement lors des séquences de bénévolat. Elle m’a permis de rencontrer certaines personnes ayant fréquenté auparavant l’association et ayant retrouvé un emploi. D’un point de vue général, Louise m’a aidée à suivre des enquêtés durant ce temps long de l’enquête en me fournissant des contacts sans cesse actualisés. Par ailleurs, elle m’a introduite auprès de différents dirigeants associatifs à la retraite, notamment ceux de l’association dont elle était salariée, ce qui m’a permis de réaliser des entretiens sur l’histoire de cette organisation, mais également d’accéder aux archives.

Plus qu’une informatrice privilégiée, Louise Durand est une partenaire de l’enquête, une alliée de terrain, jouant souvent le rôle de médiatrice ; elle me permet d’accéder plus librement et plus aisément à certains enquêtés, rendant ma présence au quotidien sur le terrain plus fluide. Le statut des différentes personnes rencontrées et fréquentées sur le terrain n’est pas sans ambiguïté ; dès lors, l’enquête doit se comprendre comme une relation engageant plusieurs parties. Les liens tissés ne sont en aucun cas unilatéraux (Peneff, 2009). Porter un regard élargi sur la relation d’enquête devient particulièrement éclairant. L’analyse sociologique peut alors dévoiler le rôle de certains enquêtés, rôle qui peut s’apparenter à celui d’informateur ou de collaborateur durant le terrain. La relation entre le sociologue et certains enquêtés peut avoir une incidence décisive sur la conduite de l’enquête et, donc, sur la teneur des matériaux recueillis [5], à l’instar de la relation que j’ai nouée avec Louise Durand.

L’analyse sociologique doit à la fois tenir compte de l’existence de ces relations privilégiées, mais également de leur nature. Ces rapports n’échappent pas aux caractéristiques sociales des uns et des autres. Ainsi, il est évident que celles de l’enquêteur font écho ou non à celles des personnes enquêtées. Par exemple, le sexe et l’âge de l’enquêteur et de l’enquêté apparaissent comme des traits structurants de la relation d’enquête (Fournier, 2006). Le fait d’être une jeune femme face à une femme d’un âge plus avancé, mère d’un fils unique ayant sensiblement le même âge que moi, a joué dans ma relation à Louise Durand. Au fil de l’approfondissement de cette relation d’enquête, je l’ai vue s’enquérir de certains de mes problèmes quotidiens, en se montrant parfois préoccupée.

En quelque sorte, ma place d’observatrice extérieure au sein de ces lieux associatifs est le fruit d’une élaboration commune. Au sein du centre A et de l’association B, les relations d’enquête sont marquées par une réelle proximité, nourrie par une présence régulière et les liens tissés avec Louise Durand. Dans ces configurations, la construction d’une distance avec mon objet d’enquête n’a en rien été évidente.

 Des écueils possibles d’une participation longue sur le terrain à l’indispensable sortie

La force de mon engagement s’explique par différents facteurs, qui ont notamment trait au rapport entretenu avec l’objet d’étude lorsque je débute l’enquête. Ainsi, ma position initiale de personne non concernée par la déficience visuelle a joué avec force. Il existe en effet un présupposé implicite selon lequel tout chercheur s’intéressant aux situations de handicap est impliqué d’un point de vue personnel ou militant (Winance, 2001 : 9). Cette posture est notamment alimentée par le courant des « disability studies » qui a pour ambition de mettre la recherche sur les situations de handicap au service d’une entreprise militante. À la fois théorie et méthodologie, les « disability studies » font la promotion d’un savoir partagé sur le handicap. La question posée est alors celle de l’habilitation à conduire des recherches sur ce thème. Dans cette optique, seul un écho intime serait à même de mettre le chercheur en empathie avec les enquêtés. Bien que peu développées en France, ces recherches militantes posent la question de la légitimité du chercheur s’intéressant aux questions de handicap (Albrecht, Ravaud, Sticker, 2001). Dès lors, le chercheur dit “valide” ne bénéficie pas de ce surcroît de légitimité. En débutant l’enquête, je me trouve en position de décalage et mon investissement est circonscrit à un cadre relativement scolaire. C’est donc pour dépasser un manque d’assurance initial auprès de mes interlocuteurs, mais également pour me montrer digne de l’intérêt qu’ils me portent, que je me suis engagée dans cette entreprise de connaissance, en faisant mienne la pratique de l’enquête ethnographique.

Cette démarche m’a, entre autres, portée à adopter certains des savoirs des enquêtés, en particulier leur langue, que l’on peut qualifier d’« indigène » [6]. Ainsi, la transcription, puis la relecture des entretiens approfondis font transparaître des évolutions nettes dans mon vocabulaire ; au cours de l’enquête, je suis amenée à emprunter de plus en plus le vocabulaire et les expressions des enquêtés. Entretiens approfondis et séquences régulières d’observation participante font de moi une initiée par ma maîtrise de la langue indigène. Les différentes dénominations de la déficience visuelle et de ses outils me deviennent familières : le “voyant” s’oppose au déficient visuel, l’écriture et la lecture “en noir” se distinguent du braille. Je dispose par ailleurs de connaissances sur certaines techniques propres aux personnes déficientes visuelles. Les techniques dites de compensation font l’objet de toute mon attention : je m’intéresse aux techniques de locomotion, comme la canne blanche, ainsi qu’aux outils informatiques réservés aux personnes déficientes visuelles, à l’instar des plages braille [7] et des logiciels de synthèse vocale. La démonstration de ces savoirs et savoir-faire m’est d’ailleurs fort utile ; cette maîtrise relative me confère une assurance supplémentaire lors de la réalisation des entretiens approfondis. À cela s’ajoute le fait qu’elle rend plus aisées mes interactions avec l’ensemble des enquêtés, notamment durant les séquences d’observations.

La transcription et la relecture des entretiens ont, par la suite, joué le rôle d’une auto-analyse. Ces phases de travail successives me mettent en situation de réflexivité. Je peux m’observer dans ma qualité d’enquêtrice et mesurer la portée de mon engagement dans la démarche d’enquête. Le travail de terrain peut d’ailleurs s’aborder sous l’angle d’une socialisation progressive plutôt que sous celui d’un accès direct au point de vue de l’autre (Roulleau-Berger, 2004). Au fil de l’enquête et de cette entreprise d’apprentissage, je perds la curiosité initiale caractéristique des premiers mois de la recherche. Si cette socialisation me plonge dans un quotidien et un lot d’expériences fortes, il n’en demeure pas moins que ma position de fin d’enquête relève d’un certain excès de zèle, qui tarit progressivement l’acuité du regard d’une observatrice extérieure. Lors de la négociation du troisième terrain, c’est avec une certaine maladresse que j’insiste sur les connaissances précédemment développées.

Extrait de mon journal de terrain, février 2006 :

Je rencontre pour la première fois le directeur du centre de formation C. Ce dernier est un enseignant en masso-kinésithérapie, qui exerce en institut spécialisé ainsi que dans des formations classiques.Dès la fin de sa présentation de la formation dispensée par le centre C, je m’informe directement sur le nombre de postes informatiques adaptés et lui demande où se situe l’internat au sein de l’institut. Je m’intéresse également à la présence d’éventuels travailleurs sociaux au sein du centre C.Le directeur du centre C me répond qu’ici, contrairement aux institutions de la région parisienne que j’ai pu fréquenter, l’équipe de direction a une démarche dite inclusive et enjoint les étudiants à être autonomes dans leur vie quotidienne : c’est pour cette raison qu’ils ont fermé l’internat et que la présence des travailleurs sociaux est limitée. Je lui réponds, gênée, que je suis habituée à une institution fermée dotée d’un internat et de travailleurs sociaux, proposant aux étudiants des animations sportives et culturelles.

Cet épisode me fait prendre conscience de mon niveau de socialisation au sein de ces lieux associatifs. Si je tiens, à cet instant, à prouver au directeur du centre que je connais bien les associations dévolues aux personnes déficientes visuelles, j’ai, dans une certaine mesure, perdu mon aptitude à m’étonner. Cette lassitude déteint sur mon travail de recueil des données durant l’enquête dans le centre C ; mes notes de terrain se tarissent nettement à partir du printemps 2006 et je perçois les entretiens comme de simples confirmations de données déjà recueillies. C’est ainsi qu’un an après l’amorce de mon enquête [8], alors que j’ai réalisé une quarantaine d’entretiens approfondis et une cinquantaine de journées d’observation participante [9], la sensation d’avoir fait le tour de la question va croissant. La saturation n’est pas loin. Elle signale habituellement au sociologue la fin de son terrain. Au-delà de ce signal, l’enquête ethnographique s’avère peu productive ; les enquêtés livrant en effet de moins en moins de données supplémentaires. Le signal de saturation offre ainsi une garantie méthodologique forte, cette phase correspondant à la vérification des données (Olivier de Sardan, 1995). Par contre, poursuivre l’enquête au-delà de ce sentiment de saturation laisse présager différents écueils liés à une forme d’engagement poussé du chercheur qui confine à l’exotisme ou au militantisme.

Lors de mon enquête, le principal écueil envisageable était celui de l’enfermement dans une forme d’originalité. En ce sens, cette difficulté de l’enquête révéla un enjeu puissant : celui de la production de données qualitatives sur les personnes handicapées. Le risque de l’exotisme est réel dans le champ du handicap et il est susceptible de se répandre dans la littérature scientifique. Il est en effet aisé de produire des données étonnantes sur un objet hors de la ’norme de la validité’. Prendre ses distances avec le terrain, en clôturant l’enquête, c’est avoir pour ambition de rendre son analyse intelligible aux initiés comme aux novices, aux experts comme aux profanes. Dans son travail doctoral portant sur les personnes atteintes de déficience motrice, Myriam Winance insiste sur la tentation de ce qu’elle qualifie de « voyeurisme académique  » (Winance, 2001 : 17). Rien de plus tentant que de produire des analyses étrangères aux enquêtés, en complet décalage avec leur réalité. Il suffit d’insister sur le caractère hors norme des parcours de vie ou encore du rapport au corps des personnes handicapées. On prend alors le risque de proposer une analyse qui fait de l’expérience de la déficience une expérience hors du commun, en évacuant de l’analyse sociologique des variables comme le genre, l’âge ou encore l’appartenance de classe. À l’inverse, le travail de remodelage de mes matériaux ethnographiques a été réalisé dans l’optique de restituer avec justesse et précision les observations, en explicitant les pratiques sociales en cours dans ces associations sans les essentialiser.

Un second écueil lié à un engagement du chercheur au-delà du seul temps de l’enquête, réside dans la possible confusion entre discours des enquêtés et analyse sociologique. Le travail d’analyse sociologique semble difficilement réalisable s’il est directement soumis à la volonté des personnes enquêtées. Rendre compte du point de vue indigène et l’analyser sociologiquement sont deux moments qui ne peuvent se confondre. En ce sens, recueillir des données et les interpréter d’un point de vue théorique constituent deux temps distincts (Weber, Ténédos, 2006 : 12). Cette temporalité du travail d’enquête et d’analyse sociologique revêt un enjeu méthodologique important. L’étape du désengagement et de la séparation est une condition nécessaire à l’analyse sereine et indépendante des matériaux d’enquête. Cette étape du désengagement est d’autant plus nécessaire que le champ du handicap est saturé par le militantisme. Si le mouvement des « disability studies » est peu développé en France, certaines analyses scientifiques – ayant notamment trait aux personnes sourdes et à la pratique de la langue des signes – se présentent comme des textes partisans. Ainsi en est-il des ouvrages d’Yves Delaporte qui revendique une grande proximité à son objet de recherche, à savoir les sourds pratiquant la Langue des Signes Françaises (LSF). Explicitant le statut de la LSF, l’ethnologue écrit ainsi « point n’est nécessaire d’être militant pour éprouver une vraie colère face à une situation aussi extravagante. La simple probité scientifique suffit.  » (Delaporte, 2002 : 11). Si ces écrits ne sont pas directement inspirés des « disability studies », l’ambition est bien, dans ce cas de figure, de mettre la recherche au service de la reconnaissance institutionnelle de la LSF.

Ainsi, le sentiment de saturation, combiné à la perspective de ces différents écueils, constitue visiblement un signal méthodologique fort, garantissant une validité relative des données. Éprouver ce signal a motivé ma décision de clôturer l’enquête, afin d’aller au-devant de différentes difficultés, liées à une trop grande proximité à mon objet de recherche. Reste le dernier acte de l’enquête. Sortir du terrain, c’est passer l’épreuve des relations d’enquête nouées au fil des mois.

 La sortie du terrain : un temps critique de l’enquête

Si l’expérience de fin d’enquête est partagée par nombre de sociologues de terrain, elle peut prendre différentes formes. Mon retrait des activités bénévoles des associations A et B est assez net, il se situe en juin 2006, dans un contexte particulier. La complexité de cette sortie de terrain tient à la définition de mon statut d’observatrice extérieure, notamment au sein de l’association B. La réalisation de la monographie qui y est consacrée a mobilisé la part la plus significative de mon temps durant l’année scolaire 2005-2006, marquée par le travail de recueil des données. La fin des terrains au sein des centres A et C a posé singulièrement moins de difficultés ; mes interlocuteurs émettant essentiellement le souhait de recevoir une restitution, sous forme d’envoi de la thèse. Si, au sein de ces deux lieux, gérés par des associations professionnalisées, je dispose d’un nombre conséquent d’interlocuteurs, au sein de l’association B, Louise Durand est ma principale interlocutrice et les séquences de bénévolat sont très régulières. Fin juin 2006, je cesse ma participation bénévole aux activités de l’association B. Analysant la relation d’enquête comme nouée autour d’affinités réciproques, l’idée de ne plus partager cette activité avec Louise Durand provoque chez moi un sentiment certain de malaise. En quelque sorte, mon départ la renvoie à un certain isolement dans sa pratique professionnelle.

Extrait du journal de terrain, janvier 2007 :

En janvier 2007, soit environ six mois après la fin de mes activités bénévoles au sein de l’association B, Louise Durand m’envoie par voie électronique ses vœux. Je lui téléphone pour lui présenter les miens, en m’excusant de ne pas l’avoir rappelée avant. Dans son courriel, elle me propose également de rencontrer le nouveau président de l’association B. Malheureusement, je ne peux participer à la rencontre qu’elle avait planifiée. Je lui propose donc de passer un vendredi après-midi en amenant de quoi goûter, ce que j’avais fait l’année dernière pour mon anniversaire. Ce vendredi après-midi, la conversation porte essentiellement sur le devenir des membres de l’association que nous suivions l’année dernière. Elle m’annonce que pour l’année 2006, l’activité de l’association a permis neuf embauches, ce qu’elle qualifie de résultats « exceptionnels ». Sur ces neuf personnes, j’en connaissais trois, qui participaient régulièrement aux rencontres collectives. Ces embauches se concentrent dans de grandes administrations ou entreprises qui mènent une politique de recrutement volontariste à l’égard des travailleurs handicapés.À la fin de cette rencontre, elle m’annonce également qu’elle n’a plus de bénévole cette année pour assurer l’accueil collectif des demandeurs d’emploi qu’elle suit. Pour ma part, je suis occupée par différentes activités et lui réponds que je ne pourrais la dépanner que de manière occasionnelle. Je sais en effet que sa fonction d’animation est en partie facilitée si un bénévole voyant est présent pour les réunions collectives. Durant mes séquences d’observation participante, j’assurais ainsi l’accueil physique des personnes dans les locaux en les guidant, et, durant les séances, je faisais régulièrement la lecture à haute voix puisqu’un certain nombre des adhérents à l’association ne lisaient pas le braille. Enfin, j’avais en charge l’émargement des participants et j’assistais Louise dans le rangement de la salle. Au cours de cette conversation, j’observe autour de moi les changements de son bureau et je remarque qu’elle a affiché sur le mur une carte postale que je lui avais envoyée durant mes vacances. Je note l’incongruité de cette carte postale affichée dans le bureau d’une personne non-voyante, dans une association que seules des personnes déficientes visuelles fréquentent. 

Dans ce contexte, il a été plus difficile de sortir du terrain que d’y entrer. Le caractère équivoque de ma position au sein de l’association B – bénévole, étudiante et chercheure – n’a pas facilité la fin de l’enquête. Le récit de cette fin d’enquête révèle ainsi les « coûts subjectifs et éthiques liés à la rupture avec le terrain » (Havard-Duclos, 2007). La formule de « désenchantement émotionnel  » (Elias, 1993 : 4) retranscrit avec justesse cet état psychologique particulier du chercheur à la fin de son enquête. Le temps du détachement est ainsi porteur d’un état d’esprit donné, distinct des autres temps de l’enquête (Beaud, Weber, 2003 :133).

 La sortie de terrain, révélatrice des différentes positions du sociologue

À l’instar des débuts de l’enquête, la clôture d’un travail de terrain constitue en soi un des matériaux de l’enquête, puisqu’elle renseigne sur les différentes postures du sociologue. Son analyse conduit à éclairer la relation du chercheur à son terrain ; elle révèle fréquemment les perceptions des enquêtés à l’égard du sociologue. Une réflexion approfondie sur la fin d’enquête permet également de pointer la position du sociologue au sein de son collectif de travail. Ma propre difficulté à sortir du terrain renseigne ainsi sur ce double positionnement du sociologue pratiquant l’enquête qualitative.

En premier lieu, la sortie de terrain met l’accent sur les conséquences de la participation du chercheur aux pratiques sociales qu’il observe, sur l’incidence de son engagement sur le terrain. Ainsi, l’activité bénévole que je mène parallèlement à l’enquête (notamment au sein de l’association B) a une incidence dans ces lieux. D’une part, une collaboration de travail régulière est née entre les salariés de l’association et moi. Les traces visibles de mon activité rendent mon départ d’autant plus difficile. Ainsi, dans le cas de l’association B, Louise Durand se retrouve sans appui humain pour recevoir collectivement les demandeurs d’emploi à la cessation de mon bénévolat. Ma sortie de terrain est donc assimilée par certains des enquêtés à une défaillance dans l’activité associative. Elle pose en réalité la question de l’organisation de l’activité au sein de l’association B, celle-ci étant en grande partie assurée par une main d’œuvre bénévole mal et non-voyante, qui est particulièrement volatile, puisqu’elle n’a pas d’engagement contractuel envers l’association. Par ailleurs, l’absence, au sein de l’association, de travailleur dit “valide”, salarié ou bénévole, pose problème puisque Louise rencontre des difficultés pratiques dans son activité d’accueil collectif des adhérents de l’association.

En plus de compléter les matériaux d’enquête, la sortie de terrain agit également comme un puissant révélateur de la position académique du chercheur. Ainsi, ma propre sortie renseigne sur le relatif isolement institutionnel qui est le mien durant cette période de la thèse. Les quinze mois d’enquête de terrain correspondent à la fin de mon année de DEA et à ma première année de thèse de doctorat. Bien qu’ayant obtenu une allocation de recherche, je n’ai ni enseigné, ni assisté régulièrement à des rencontres académiques durant cette période. Cette faible insertion a laissé la place à un très fort engagement dans le travail d’enquête. Daniel Bizeul note ainsi, à propos de sa recherche sur les militants du Front National, que c’est son isolement professionnel et académique qui explique le fait qu’il se soit laissé absorber par son objet d’étude, son enquête allant jusqu’à perturber significativement les relations avec son entourage (Bizeul, 2007). Pour ma part, les enjeux en termes de dilemme éthique se sont révélés moindres, puisque ce terrain n’est pas marqué par le militantisme politique. Néanmoins, c’est bien d’un engagement et d’une socialisation donnés que certains qualifieront d’« épreuves ethnographiques  » (Fassin, 2008 :10) dont il s’agit. La distanciation nécessaire à la sortie de terrain, puis à l’analyse des données, a un caractère négocié. Sa construction ne dépend pas uniquement de la relation entre enquêtrice et enquêtés, elle fait également intervenir des acteurs plus diffus. Ainsi en est-il des collègues sociologues, parfois circonspects quant à ma faible distance à l’objet, lors des premières présentations de mes travaux.

La fin de cette enquête relève donc d’une double négociation, faisant intervenir trois types d’acteurs : les enquêtés qui, pour certains, m’enjoignent à maintenir une présence ; les collègues qui insistent sur l’inévitable détachement et moi-même, prise entre ces deux injonctions. L’étape charnière que représente la fin de l’enquête peut donc s’entendre comme une « coconstruction de la distance  » (Broqua, 2009 : 116). La distance du chercheur à son objet s’exprime vivement lors de la sortie de terrain et elle s’interprète de manière multidimensionnelle : elle fait en effet intervenir nombre d’acteurs, dont les rôles sont plus ou moins diffus.

 Conclusion

Malgré les difficultés inhérentes à tout travail de recherche, mon enquête ethnographique auprès de personnes déficientes visuelles a nourri une expérience forte. Mon intérêt pour la thématique générale du handicap est né de et avec l’enquête, il a occupé une part importante de mon quotidien durant les mois de travail de terrain et il a perduré de manière singulière après. La sortie de terrain m’a permis de prendre la mesure de mes engagements, notamment dans le travail de terrain.

La notion de fin d’enquête correspond à un temps durant lequel la tension s’exacerbe entre engagement et distanciation. L’étape du détachement que nous avons ici explorée constitue en effet la transition entre l’engagement de l’enquêteur et la distanciation du scientifique, la participation du chercheur à son objet et sa séparation physique à l’égard de son objet d’étude. Autrement dit, la sortie est un temps de passage entre l’enquête et l’étude sociologique, temps durant lequel la dimension empirique de la recherche sociologique s’efface au bénéfice de l’analyse proprement dite. La dimension « empirico-conceptuelle  » (Lemieux, 2010 : 388) de la sociologie prend alors tout son sens, l’équilibre entre ses deux dimensions constitutives s’élaborant parfois dans la tension.

L’analyse de la sortie du terrain nous semble particulièrement féconde pour révéler les différentes postures du chercheur et les tensions qui en découlent. Elle est un indicateur de l’activité passée de l’enquêteur sur les lieux de l’enquête, elle révèle en quoi la seule présence d’un étranger a pu perturber les activités quotidiennes des enquêtés. La fin de l’enquête constitue également un temps privilégié d’auto-analyse pour le chercheur, puisque c’est durant cette phase que cohabitent avec force l’enquêteur et le théoricien. Il s’agit donc d’un temps durant lequel la part de chacune des activités du sociologue se dévoile, un déséquilibre pouvant apparaître entre l’activité d’enquête et celle de conceptualisation. Ainsi, s’il est pertinent de faire débuter l’enquête avant son début effectif, en analysant les différentes négociations nécessaires à l’entrée du chercheur sur son terrain, il nous semble tout aussi approprié de clore l’enquête après sa fin. Les interactions générées lors de l’étape de sortie du terrain sont particulièrement riches d’enseignements, puisqu’elles permettent de proposer une analyse la plus complète possible des conditions de recueil des matériaux d’enquête.

 Références bibliographiques

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Notes

[1] On se réfère ici aux analyses sociologiques qui font de la relation d’enquête un matériau de la recherche sociologique (Beaud, Weber, 2003 ; Bizeul, 1998).

[2] Différentes analyses insistent sur l’exercice difficile que peut représenter cette restitution à l’égard des personnes enquêtées (Chateigner, 2009 ; Kobelinski, 2008 ; Naudier, 2010 ; Weber, 2008).

[3] Ce terme désigne les personnes aveugles et malvoyantes.

[4] Nous parlons d’associations lorsque nous évoquons les structures organisationnelles et de centre pour désigner les lieux de formation gérés par celles-ci.

[5] Les relations d’amitié avec certains des enquêtés peuvent constituer ainsi un véritable filtre au travail de recueil des données de terrain. Ce filtre est particulièrement présent dans l’enquête de Nicolas Rénahy, qui étudie un groupe de jeunes ruraux de son village natal, dont il devient l’ami. Le prisme de l’âge et du sexe a une incidence décisive sur l’analyse sociologique qu’il propose, qui porte plus particulièrement sur la situation des jeunes hommes ruraux (Rénahy, 2005).

[6] Pour reprendre les écrits de Florence Weber, si le terme « indigène » fait référence à la tradition exotique, il doit être entendu telle « une commodité de langage qui (me) permet de désigner une position dans l’analyse. Tout discours analysé, toute représentation analysée est un discours indigène. Tout un chacun est un indigène en puissance : il suffit qu’on le prenne à son tour comme objet d’observation et d’analyse. » (Weber, 2001 : 22).

[7] Il s’agit d’un périphérique d’ordinateur permettant l’affichage éphémère en braille des caractères présents à l’écran.

[8] Si les récits détaillés d’enquêtes dans des institutions médico-sociales dévolues aux personnes handicapées sont relativement peu nombreux, on peut néanmoins dégager de l’analyse de travaux récents que l’observation participante constitue une méthode privilégiée, cette dernière se réalisant principalement sur le long cours (voir Dargère, 2012 ; Dupont, 2012).

[9] J’ai réalisé par la suite des entretiens informels afin de vérifier des données. L’ensemble de ces matériaux a été complété par une analyse fine de la littérature grise sur le sujet (publications associatives, témoignages et écrits professionnels sur l’accompagnement des personnes déficientes visuelles).

Articles connexes :



-Immanence, dévoilement et réflexivité. Faire de la sociologie à partir d’une implication militante sur le lieu professionnel, par Chaar Nada, Pereira Irène

-Construire des espaces de réflexivité pour analyser et transformer les pratiques professionnelles : un travail de légitimation, par Demoulin Jeanne, Tribout Silvère

-L’impression de familiarité rompue en anthropologie : de l’initiation au savoir. L’exemple d’un atelier de théâtre en Seine Saint-Denis, par Chauvier Eric

-Réflexivité et militantisme : antonymie ou analogie ? – Réflexivité et expertise militante au sein de la Ligue de l’enseignement, 1959-1990, par Lancien Anne

-La réflexivité dans les dispositifs d’accompagnement : implication, engagement ou injonction ?, par Le Goff Jean-Louis

Pour citer l'article


Blatgé Marion, « Objectiver sa position à la sortie du terrain : l’exemple d’une enquête parmi les déficients visuels », dans revue ¿ Interrogations ?, N°18. Implication et réflexivité – I. Entre composante de recherche et injonction statutaire, juin 2014 [en ligne], https://revue-interrogations.org/Objectiver-sa-position-a-la-sortie (Consulté le 21 novembre 2024).



ISSN électronique : 1778-3747

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