L’identité est un concept riche et multiple, qui se comprend au croisement du singulier et du collectif. Elle met en jeu différentes notions : représentation, appartenance, groupe, soi, autrui, etc. Entre reconnaissance et (re)construction, entre comparaison, conformité et différenciation, l’identité, selon les champs scientifiques, s’appréhende tantôt comme processus, tantôt comme produit. À cet égard, elle intéresse l’ensemble des disciplines des sciences humaines et peut être abordée de différents points de vue : sociologique, psychologique, mais aussi philosophique, historique, linguistique, discursif ou encore littéraire.
Plusieurs axes de recherche peuvent être empruntés (la liste n’est pas exhaustive) :
L’identité demeure un principe pluriel mais complexe. À cet égard, l’article de Rogers Brubaker dans les Actes de la recherche en sciences sociales rappelle les difficultés à délimiter le terme : « Qu’entendent les universitaires lorsqu’ils parlent de l’« identité » ? Quel travail conceptuel et explicatif ce terme est-il supposé accomplir ? Cela dépend du contexte dans lequel il est employé et de la tradition théorique à laquelle se rattache l’emploi en question. Le terme est grandement – ou plutôt, pour un concept analytique, désespérément – ambigu. Mais un petit nombre d’emplois clés sont identifiables. » (2001, p. 71). Parmi les utilisations faites du concept d’identité, il est possible, en suivant la voie tracée par Brubaker, de s’attacher à en dégager divers « emplois-clés ».
Si les principales formes de constructions identitaires demeurent stables dans les différentes approches théoriques, l’identité, en tant que concept, doit en revanche systématiquement être précisée. Mais, loin de se cantonner à cette clarification, il s’agirait d’aller plus loin en s’attachant à questionner la dimension fictive de l’identité. Ainsi, d’autres manières d’appréhender le concept et/ou le processus peuvent être présentées. Du code génétique au groupe de référence, les usages faits de cette notion sont variés, en lien avec la diversité des représentations qui y sont attachées. Cela peut par exemple être le cas d’une étude au croisement de la littérature et de la sociologie, qui analyserait la facture avec laquelle les œuvres littéraires, selon qu’elles relèvent du genre romanesque, dramatique et autobiographique, conjuguent interrogation identitaire, travail de fiction et/ou illusion référentielle.
L’identité qualifiée de « fictive » permet d’aborder la notion selon différents angles. Cela peut être, par exemple, la prise en compte de la dimension de l’identité imaginaire, non réelle. Se retrouveront alors les identités « narrées », « masquées » (en particulier le motif théâtral du masque, qui peut être interprété à la lumière des théories de Goffman), « inventées », mais aussi celles qualifiées de « virtuelles ». Comment les individus vont-ils transformer/construire/représenter leur identité à l’aide d’un support, qu’il soit numérique, vidéographique, papier, etc. ? De quelle manière les présentations de soi vont-elles être modifiées par la possibilité offerte de se présenter autrement ? Dans le même ordre d’idées, comment un acteur social, un romancier, un artiste en viennent-ils à créer un double d’eux-mêmes, un personnage qui leur fasse référence (un « avatar ») ou qui, au contraire, exprime des non-dits soumis à une forme de censure sociale ? Du héros de roman aux figures théâtrales, en passant par le pacte autobiographique de Rousseau dans Les Confessions, la littérature montre différentes possibilités narratives, fictionnelles ou au plus proche du réel, qui cherchent à rendre compte de l’identité. De la création de personnages virtuels des jeux (en ligne, de rôle, etc.) aux troubles de la personnalité, les « doubles », comme expression ou mise en scène de soi, semblent être des réponses à la question identitaire. Ce premier axe favorise les approches d’une identité re-créée, ré-inventée, qu’elle apparaisse comme un substitut, une prolongation ou une rupture vis-à-vis de l’identité personnelle.
Un second angle d’approche permet de s’attacher aux identités mises en place par convention, à celles qui sont soumises à diverses conditions. Comment l’individu va-t-il adapter ou modifier l’image qu’il renvoie de lui-même en fonction de la situation ? On ne saurait ici oublier les analyses menées par Erving Goffman sur Les rites d’interactions (1967) et La mise en scène de la vie quotidienne (1973) : la situation va favoriser l’enclenchement de nouvelles manières de s’exposer. Comment l’identité personnelle – ou sociale – va-t-elle pouvoir être modulée en fonction de certains types de conventions ? « Jouer un rôle » apparaît alors comme une façon d’exposer une autre identité, qui viendra combler les « manques » d’une identité comprise comme étant « réelle », ou tout du moins, première. L’identité peut alors être projetée ou espérée, selon les situations vécues par l’acteur social. Il s’agit ici de se positionner par exemple dans la lignée des travaux de Vincent de Gaulejac. Ce second axe vient en complément du premier en ce qu’il permet de prendre en compte la question du contexte et des lieux de création des identités.
Représentations et identité fictive doivent être pensées de manière conjointe, dans une optique pluri- et trans-disciplinaire. Les différentes façons d’analyser, de comprendre et d’appréhender le phénomène identitaire, et en particulier celui qui est lié à une exposition de soi en dehors de conventions habituellement normées, doivent favoriser la délimitation de cette notion. Les différents lieux d’expression de l’identité fictive (nouvelles technologies, littérature, jeux, etc.), comme les enjeux liés à cette forme d’exposition (création d’un nouveau « moi », sentiment de liberté, etc.) sont autant de points permettant de saisir la diversité du social, des manières de se présenter à autrui et du vivre-ensemble. L’identité se construit par intégration (de normes, de valeurs, etc.), par ouverture à l’altérité, mais également par rejets et négociations. Dès lors, prêter attention à une forme particulière de représentation de l’individu en lien avec le social (un groupe, une communauté, etc.) autorise la compréhension, en creux, des conditions favorisant l’émergence de nouvelles formes d’identités. De même, le processus d’identification est effectif pour les autres acteurs sociaux : il est alors possible de s’interroger sur les caractéristiques d’une stigmatisation, qui peut également relever d’une forme de fiction. Ces questions relatives à une approche « fictive » invitent aussi à questionner les conditions possibles de réalisation de nouvelles présentations de soi.
Une troisième orientation consiste à analyser la construction identitaire comme une constante fiction, puisque la création et le maintien de toute identité sont soumis à un champ de tension permanent, entre altérité et changement. En effet, à l’échelle d’un groupe, comme d’un individu, les diverses altérations subies vont transformer la perception (de soi) et la manière de se présenter (aux autres) : c’est un constant va-et-vient entre des changements subis, imposés de l’extérieur, et d’autres qui sont acceptés et réinterprétés comme étant constitutifs d’une nouvelle identité. En ce sens, la fiction se situe au niveau de l’impossibilité à maintenir sur le long terme une identité unique et unifiée et, plus encore, dans l’apparence affichée d’y parvenir ou d’y être parvenu.
Un quatrième point pouvant faire l’objet de réflexion se retrouve en transversalité des trois premiers : la place de l’autre (qu’il soit lecteur, locuteur, joueur en ligne, « psy » etc.) dans la construction de l’identité. Les articles interrogeant le rôle d’autrui comme témoin, miroir ou participant de la construction ou du processus identitaire, sont les bienvenus. Si l’identité de soi est une question complexe, l’identité d’autrui l’est peut être encore davantage. Quel rôle jouons-nous, volontairement ou non, dans l’identité des autres ? Que l’identité soit fictive, fantasmée ou projetée, le regard porté au mouvement de va-et-vient entre soi et autrui semble prometteur.
Une autre dimension de l’identité fictive qui pourrait être interrogée a trait au rôle des médias. Par exemple, quelles stratégies sont mises en œuvre par la presse sportive pour construire les figures de champions ? Quels sont les enjeux d’une construction identitaire du héros sportif ? En outre, le questionnement de la réception de ces représentations, c’est-à-dire l’identification aux champions, est également envisageable.
Un dernier « emploi-clé » qui peut être fait de l’identité fictive est la prise en compte du concept même d’identité, l’interrogation sur ses présupposés et les raisons de son adoption et de son succès, pouvant aller jusqu’à sa remise en cause. Celui-ci n’est-il pas aussi fictif ? La position qu’il occupe, en tant que paradigme majeur en sciences sociales, est-elle justifiée ? N’existe-il pas une forme d’illusion dans le consensus qui consiste à présenter l’identité comme une notion allant de soi ? Ne faudrait-il pas, au contraire, insister sur la pluralité (conceptuelle, sémantique, etc.) du terme ? Voire s’interroger sur l’effet d’éviction des concepts concurrents tels que ceux de différence, de contrariété, de contradiction, d’antagonisme, de pluralité, que produit la promotion du concept d’identité ?
Ce quinzième numéro de la revue ¿ Interrogations ? propose ainsi de s’attacher aux questions de l’identité fictive, en ce que celle-ci autorise une représentation nouvelle de l’individu mais aussi des groupes et des collectivités, dans des lieux et cadres particuliers. La pluridisciplinarité est une manière d’atteindre cet objectif, en mêlant différents points de vue et différentes approches. L’identité étant une notion plurielle, les explications à y apporter doivent aussi répondre à cette diversité.
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Le Comité de Rédaction
Comité de rédaction, « AAC n°15/16 - Identité fictive et fictionnalisation de l’identité », dans revue ¿ Interrogations ?, Appels à contributions en cours [en ligne], https://revue-interrogations.org/AAC-no15-Identite-fictive-et (Consulté le 21 décembre 2024).