Dans la partie thématique de son douzième numéro, la revue ¿ Interrogations ? se propose de revenir sur les transformations récentes de la condition salariale. L’usage de cette expression est délibéré. Il signifie que les contributions pourront ne pas se limiter à ce qui concerne le rapport salarial stricto sensu, défini par le statut de marchandise de la force de travail, qu’il s’agisse de son échange ou de son usage. Seront également bienvenues des contributions abordant plus largement les différents aspects des conditions d’existence des salariés. Dans cette perspective large, notre appel à contribution a retenu les pistes suivantes qui ne sont cependant pas exclusives d’autres possibles :
•Les inflexions et transformations de la condition salariale impulsées par la « mondialisation ».
•L’incidence sur la condition salariale du toyotisme, de l’automation de la production, de l’introduction et diffusion des nouvelles techniques de l’information et de la communication, de l’adoption d’organisation en flux tendus, du just in time, de la gouvernance de la production par le marché, etc.
•Les transformations de la condition salariale sous l’effet du démantèlement rampant de l’Etat-providence.
•Les salariés confrontés à l’affaiblissement des organisations traditionnelles (associatives, syndicales, politiques) de représentation et de défense du salariat.
•Le salariat en proie à l’individualisation des rapports sociaux.
•La pertinence des différents paradigmes prétendant rendre compte de la condition salariale en général face aux transformations actuelles de la condition salariale.
On conviendra que la condition salariale ainsi entendue a connu d’assez profondes inflexions et transformations au cours des dernières décennies. Celles-ci ont évidemment d’abord partie liée avec les tendances à l’œuvre au sein du capitalismecontemporain. En premier lieu avec ce qu’il est convenu d’appeler la mondialisation ou la globalisation, dont on feint aujourd’hui de croire qu’elle date du dernier quart de siècle alors qu’elle remonte à la fin du XVe siècle au moins. Elle produit en effet, d’une part, une formidable extension du salariat au niveau planétaire, signifiant la poursuite du processus d’expropriation des producteurs qui caractérise, selon Marx, l’accumulation primitive du capital. Elle s’accompagne, d’autre part, d’une mise en concurrence de plus en plus féroce de l’ensemble des travailleurs salariés au niveau mondial, conduisant notamment à la remise en cause des acquis (en terme de niveau de salaire, de garantie d’emploi, de perspective de carrière, de conditions de travail, de protection sociale, etc.) de la partie la plus vieille du salariat, concentrée dans les Etats (européens, nord-américains, japonais) les plus anciennement industrialisés. Et, inversement, des segments du salariat plus jeunes accèdent, non sans peine, à de pareils acquis dans les Etats dit émergents (Inde, Chine, ceux d’Asie du Sud-est, Mexique, Brésil, etc.). Nous accueillerons volontiers des articles saisissant cette première articulation, à la condition qu’ils renouvellent les analyses qui en ont déjà été développées.
Parmi les tendances à l’œuvre dans le capitalisme contemporain qui ont affecté la condition salariale figurent aussi, peut-être plus directement même, celles qui ont transformé les modes de produire et de consommer. Toyotisme, automation de la production, introduction et diffusion des nouvelles techniques de l’information et de la communication, flux tendus, just in time, gouvernance de la production par le marché, « dictature du consommateur », etc., les dénominations n’ont pas manqué depuis pour désigner ces bouleversements sinon pour les caractériser correctement. Les uns en célèbrent la vertu (ils accroîtraient l’autonomie individuelle et collective des salariés sur leur lieu de travail) tandis que d’autres, au contraire, en soulignent les effets pervers voire délibérés en termes de dégradation des conditions de travail dont la multiplication des suicides sur les lieux de travail serait la manifestation la plus spectaculaire en même temps que la plus dramatique. Il y a là encore matière à renouveler une littérature déjà abondante sur les formes contemporaines de l’emploi et du travail salarié, en faisant appel à une large gamme de sciences humaines et sociales (économie, sociologie, anthropologie, histoire, psychosociologie, etc.).
Les deux séries de tendances précédentes se sont accompagnées d’une « libéralisation » non seulement des marchés mais encore et plus largement de l’ensemble des rapports sociaux. Entendons par là un recul de leur réglementation et régulation par l’Etat au profit du marché précisément : tout est destiné à devenir marchandise pour être produit comme marchandise ; et ce qui ne l’est pas (encore) doit accepter au moins de se soumettre àla loi des marchés. Cela a conduit, à des degrés divers et à des rythmes plus ou moins rapides selon les pays et les secteurs, à un démantèlement de l’Etat-providence (ou Etat social), c’est-à-dire des institutions de protection sociale (de l’enfant, du chômeur, du malade, de l’invalide, de la personne âgée, etc.) de caractère étatique ou paraétatique. Ce démantèlement a également participé de et aux transformations en cours du salariat et offre, rétrospectivement, un regard sur la manière dont l’Etat-providence a contribué inversement à la constitution du salariat comme force sociale. Il ne sera donc pas illégitime de se proposer de revenir sous ce double angle sur les rapports entre salariat et Etat-providence. Une réflexion analogue pourrait d’ailleurs s’opérer en ce qui concerne l’évolution du droit du travail et du droit social plus généralement.
Les trois précédentes séries de transformations ont sans doute concouru à l’affaiblissement considérable des organisations traditionnelles du salariat, au premier rang desquelles les syndicats, qu’on a pu constater dans les pays industriels développés. Organisations dont il faut rappeler qu’elles n’étaient pas seulement vouées à la défense du salariat ainsi qu’à l’amélioration des conditions d’existence de ses membres mais qu’elles ont joué un rôle majeur dans la construction des identités collectives au sein du premier tout comme dans la socialisation des seconds – si bien que leur affaiblissement retentit négativement sur les uns et les autres comme l’ont montré Dominique Andolfatto et Dominique Labbé. Cependant, ce dernier phénomène ne saurait se réduire à ces deux causes majeures et relève également de l’épuisement mais aussi du renouvellement de formes de mobilisation, de modes d’organisation et de références idéologiques qui datent pour la plupart du début du XXe voire de la fin du XIXe siècle, et qui n’ont pas su se renouveler. Là encore nous attendons des contributions originales sur les causes et les effets de cet affaiblissement des structures collectives du salariat.
Le salariat contemporain est également travaillé par cette tendance lourde que serait, à en croire l’abondance de la littérature sociologique qui lui est consacré, l’individualisation des rapports sociaux : l’affirmation de l’individu comme « premier moteur » (pour parler ironiquement comme Aristote) de la dynamique sociale et, partant, celle d’une individualité autoréférentielle. Il s’agirait ici de montrer en quoi cette tendance lourde constitue un facteur spécifique de transformation du rapport salarial sans pour autant négliger le fait qu’on puisse considérer qu’elle s’alimente elle-même aux tendances précédentes (mondialisation, transformations des modes de produire et de consommer, « libéralisation », affaiblissement des structures collectives du salariat).
Enfin, les amateurs de querelles entre paradigmes trouveront sans doute à satisfaire leur passion en examinant dans quelle mesure les transformations en cours de la condition salariale conduisent à arbitrer entre les modèles théoriques qui se concurrencent pour rendre compte de celle-ci dans sa globalité. A l’expresse condition que la discussion s’appuie sur la prise en compte de ces transformations et que l’arbitrage se fasse en fonction de la capacité comparée des paradigmes examinés à en rendre compte. Ce sera là l’occasion de revenir, en particulier, sur la question de l’articulation entre rapports de classe, rapports de sexe et rapports de génération, voire rapports internationaux et interethniques. Les propositions d’articles répondant au précédent appel à contribution doivent être adressées à M. Alain Bihr, coordinateur du numéro 12, avant le 15 novembre 2010 et à l’adresse électronique suivante : alain[point]bihr[at]club[tiret]internet[point]fr. Il va de soi que ces articles devront être rédigés aux normes de la revue.
En dehors de ces articles, la Revue ¿ Interrogations ? accueille volontiers des articles pour ses autres rubriques. Ces articles ne dépendent pas de l’appel à contribution en cours, par conséquent, ils peuvent traiter de tout autre thème. Pour cette même raison, ces articles ne sont soumis à aucun délai quant à leur réception.
La rubrique « Des travaux et des jours » est destinée à des articles présentant des recherches en cours dans lesquelles l’auteur met l’accent sur la problématique, les hypothèses, le caractère exploratoire de sa démarche davantage que sur l’expérimentation et les conclusions de son étude (cette partie étant ainsi propice à la présentation des thèses de doctorat). Ces articles ne doivent pas dépasser 20 000 signes.
La rubrique « Fiches techniques » est destinée à des articles abordant des questions d’ordre méthodologiques (sur l’entretien, la recherche documentaire, la position du chercheur dans l’enquête, etc.) ou théoriques (présentant des concepts, des paradigmes, des écoles de pensée, etc.) dans une visée pédagogique. Ces articles ne doivent pas non plus dépasser 20 000 signes.
La revue publie également des « Notes de lecture » dans lesquelles un ouvrage fera l’objet d’une approche critique, la note pouvant ainsi constituer un coup de cœur ou, au contraire, un coup de gueule ! Une approche critique ne sous-entend pas que toutes les failles d’un ouvrage soient dénoncées mais bien que le Comité de Rédaction attend des auteurs une analyse documentée des apports ou des manques de l’ouvrage. Dans ce cadre, les notes ne peuvent en aucun cas être de simples quatrièmes de couverture. Tout texte ne respectant pas ces attentes sera refusé. Cette note doit rester dans la limite des 10 000 signes.
Par ailleurs, les auteurs peuvent nous adresser leur ouvrage pour que la revue en rédige une note de lecture à l’adresse suivante : Revue ¿ Interrogations ?, 36 rue Mégevand, 25000 Besançon. Cette proposition ne peut être prise comme un engagement contractuel de la part de la revue.
La rubrique « Varia », par laquelle se clôt désormais tout numéro de la revue, accueille, comme son nom l’indique, des articles qui ne répondent pas aux différents appels à contributions ni aux rubriques précédentes.
Comité de rédaction, « AAC n°12 – Quoi de neuf dans le salariat ? », dans revue ¿ Interrogations ?, Appels à contributions en cours [en ligne], https://revue-interrogations.org/AAC-no12-Quoi-de-neuf-dans-le (Consulté le 3 décembre 2024).