Cet article a pour ambition d’interroger la représentation du féminin en contexte postcolonial et d’examiner les singularités culturelles et historiques du genre telles qu’elles se manifestent dans l’expression littéraire. Celle-ci se révèle comme un espace privilégié des négociations qui s’opèrent dans la formulation complexe de l’identité, où les catégories de “genre”, de “postcolonialité” et de “culture” ne cessent de se croiser et de se chevaucher. L’article repense le genre dans un contexte d’identités hybrides, sur le terrain du sous-continent indien et de sa littérature, terrain qui a par ailleurs donné naissance et nourri certains travaux fondamentaux sur la question postcoloniale, sur le genre en contexte non-occidental et sur son traitement par la critique occidentale. Il vise enfin à souligner la pertinence d’une lecture contextualisée et non pas globale du sujet, du genre, de l’histoire et de la culture au prisme du texte littéraire. S’y élabore une “sémiotique indigène” qui indissocie les articulations féminines des permutations sociales, et historiques.
Mots-clés : femmes – postcolonial – Inde – littérature - histoire
Towards an indigenous semiotics of gender. Gender and cultural singularities in a postcolonial context
This article is concerned by the representation of womanhood in a postcolonial context. It aims at examining the cultural and historical specificities of gender performed in literature, as a space where the complexity of identities is negotiated, and where the categories “gender”, “postcolonial” and “culture” are necessarily entangled. It thus aims at rethinking gender in the situation of cultural hybridity that is South Asian context which, besides, gave birth and nurtured many seminal discussions on the postcolonial issue, on gender in a non-Western context and its treatment by Western critics. This article finally aims at underlining the significance of historicizing and locating the subject, gender, history and culture through the prism of literature, which formulates an “indigenous semiotics” which relates feminine articulation to the social, racial and historical permutations.
Keywords : women – postcolonial – India – literature – history
Cet article a pour ambition d’interroger la représentation du féminin en contexte postcolonial et d’examiner les singularités culturelles et historiques du genre telles que manifestées dans l’expression littéraire comme espace privilégié des négociations qui s’opèrent dans la formulation complexe de l’identité, où les catégories de genre, de postcolonialité et de “culture” ne cessent de se croiser et de se chevaucher. Au prisme du contexte de l’Inde postcoloniale, cet article vise ainsi à repenser les « politiques identitaires » du genre par un décentrement du point de vue, et à réinterpréter l’intersectionnalité comme « identification des points d’intersection du racisme et du patriarcat » (Crenshaw, 2005 : 54) dans la singularité de son contexte et de l’ensemble des éléments (sociaux, politiques, historiques, géographiques et culturels) qui le composent. De fait, si l’approche intersectionnelle théorisée par Kimberlé Williams Crenshaw contribue à saisir la complexité de l’oppression, il est essentiel de localiser cette oppression pour en déterminer la nature, de même que les piliers culturels qui en sont la base. Plus encore que la situation coloniale qui suppose une confrontation raciale, la situation postcoloniale permet de penser l’hégémonie culturelle comme mode de domination, qui à la fois nourrit et se nourrit des dominations genrées.
Dans son article « Une représentation littéraire du subalterne : un texte d’une femme du tiers-monde », Gayatri C. Spivak (2009a : 421) souligne la complexité à saisir le « sujet subalterne genré », qui circule, comme elle l’écrit, « entre les similarités et les différences ». À partir d’une lecture de la nouvelle « La donneuse de sein » (Stanadayini, 1979) de la romancière et militante bengalie Mahasweta Devi, Spivak montre les limites des visées universalisantes de différentes lectures féministes face au destin tragique de Jashoda, « mère de métier », qui voue ses seins opulents à la ribambelle des notables du village avant de mourir d’une tumeur mammaire abandonnée de tous. L’on peut certes identifier dans l’histoire de Jashoda une métaphore de l’exploitation du corps féminin dans les sociétés patriarcales, où la condition féminine est condition de prolétaire du genre, privé de discours et d’histoire et soumis à un système hiérarchique arbitraire et violent. Mais si l’on peut soumettre ce texte à une lecture féministe matérialiste, celle-ci demeurera néanmoins amplement insuffisante face à l’évidente trame historique qui traverse la nouvelle, à une violence plus aliénante encore qu’elle se manifeste par une plaie purulente à l’endroit des mamelles de la louve Jashoda. La nationalisation du féminin et du corps féminin, soumis à l’exploitation, à la guerre, à la métaphore et à la mythification, se trouve de fait incarnée dans l’abondance d’images (celle de Kali, la grande déesse ; de Bharat Mata, la mère-patrie ; de Kamadhenu, la vache d’abondance, etc.) qui saturent la nouvelle, indissociable de son contexte. On ne peut dès lors faire l’économie de ce contexte, de cette « Inde après la décolonisation » dont, écrit Spivak (2009a : 426), Stanadayini est la parabole selon Mahasweta Devi.
“Inde” et “décolonisation” : voilà au prisme du féminisme s’ajouter deux facteurs fondamentaux qui conditionnent la lecture de Stanadayini. Car si le féminin s’y charge du chapelet mythologique du sous-continent indien, il se charge de même d’un contexte historique singulier né de la cohabitation entre deux cultures, d’une situation d’antagonisme, d’assimilation de l’altérité et de cristallisation des identités nationales, linguistiques et culturelles. Là résident à la fois les similarités et les différences : Mahasweta Devi écrit l’exploitation du corps féminin dans un contexte où il s’agrège à l’exploitation du Nord sur le Sud, du colonisateur sur le colonisé, de l’occident sur le tiers-monde, et aux réponses non moins violentes à cette exploitation – la cristallisation des identités nationales, religieuses et de genre. De fait, si Spivak souligne la pertinence et même l’urgence d’une lecture intersectionnelle du sujet, du genre, de l’histoire et de la littérature, elle souligne de même la complexité d’une telle approche, la complexité et la multiplicité des systèmes d’oppression qui déterminent la représentation et le discours du sujet.
De même, cet article a pour ambition de repenser le genre dans un contexte d’identités « hybrides » (Bhabha, 2007 : 148) [1] sur le terrain du sous-continent indien et de sa littérature, terrain qui a par ailleurs donné naissance et nourri certains travaux cruciaux sur la question postcoloniale [2], sur le genre en contexte non-occidental et sur son traitement par la critique occidentale [3]. À partir d’une réflexion sur la généalogie et les enjeux du féminisme postcolonial, en écho mais également en marge des discours sur l’intersectionnalité, je montrerai que cette démarche appelle une indispensable “localisation” du genre, fondé sur un imaginaire collectif, sur des modèles traditionnels et mythologiques mais également sur une histoire spécifique. Cette localisation permettra de souligner la complexité de ces modèles et de déjouer les représentations archétypales, amplement héritées des discours orientalistes, de la femme et de l’homme “du tiers-monde”. Enfin, je montrerai la façon dont la colonisation a pu cristalliser les questions de genre comme enjeux symboliques de l’identité nationale, pour faire, paradoxalement, émerger le concept d’“ambivalence” au cœur de l’identité indienne contemporaine.
Cet article vise ainsi à souligner la pertinence d’une lecture contextualisée et non pas globale du sujet, du genre, de l’histoire et de la culture, au prisme du texte littéraire où s’élabore « une sémiotique indigène qui relie les signes à leur ascendance et leur espace spécifiques », et « indissocie les formes d’articulations féminines aux permutations sociales, raciales et conceptuelles de notre histoire » (Satchidanandan, 1999 : 39-40). Au regard de textes littéraires narratifs et poétiques d’Inde du Nord écrits en langues vernaculaires (hindi et ourdou), de la période nationaliste (années 1920-1940) à la période contemporaine, cet article vise à interroger cette sémiotique indigène du genre, ce langage culturel du genre qui s’élabore en miroir de son contexte de production et de ses singularités, et permet d’identifier « les zones de pouvoir et les zones de résistance qui constitue le texte littéraire » (ibid. : 35). Les choix lexicaux, les métaphores, les discours et les configurations actancielles enseignent ainsi la façon dont se négocient les désignations et les représentations de genre, indissociables d’un imaginaire culturel du féminin et du masculin modelé par une histoire de l’hybridation et de l’interstice. Les caractéristiques poétiques des textes permettront en outre de déjouer les stéréotypes et les essentialismes au cœur de la représentation du sujet subalterne, d’en souligner la complexité et le caractère dynamique.
La question du genre en contexte postcolonial suit un itinéraire tourmenté qui s’inscrit dans l’histoire polémique de l’ethnocentrisme de certains discours académiques occidentaux et de leurs visées universalistes. La deuxième vague de la critique féministe occidentale, préoccupée par l’identification des ramifications des structures patriarcales visant à l’oppression des femmes en tant que groupe solidaire, visant donc à reconnaître un « ennemi principal » élaborant un type d’oppression unique [4], a été rapidement sujet à discussion à l’intérieur même de ses rangs. De fait, la désignation d’un « ennemi principal » unique a pour conséquence d’une part de gommer les spécificités (sociales, raciales, culturelles, sexuelles) de cette oppression mais également et consécutivement de nier toutes les autres formes d’oppression croisées et connectées. Le groupe des Black Feminists dénonce ainsi l’élitisme universalisant de ces discours, produit par et pour la femme blanche, de classe moyenne et hétérosexuelle [5]. Une telle critique est de fait primordiale puisqu’elle contribue à penser l’identité dans son hétérogénéité, à nier l’universalisme et surtout les catégories, y compris celle du groupe opprimé. La sororité revendiquée par exemple par la grande vague féministe des années 1970, appelant à la solidarité dans une lutte commune contre l’oppression, tient à ce titre non seulement du fantasme, mais d’une négation des différences amplement discutée par les féministes de la deuxième vague. Cette remise en question vise certes à promouvoir un féminisme racialement, socialement et sexuellement conscient, qui a pour ennemi principal la somme des systèmes d’oppression des pays occidentaux. Néanmoins, elle vise également à la construction d’un féminisme postcolonial, d’un discours féministe “postcolonialement” conscient qui tienne compte de l’articulation entre oppression de genre, oppression de classe/caste/race, mais également oppression géographique et historique comme prolongement des discours impérialistes ou orientalistes. En s’attaquant par exemple au French Feminism à travers l’exemple de l’écriture de Des Chinoises par Julia Kristeva (1974) comme paradigme de la femme opprimée du tiers-monde, Gayatri Spivak (1981 : 157) dénonce une conception de la femme réductrice et universalisante et une essentialisation de l’Autre typiquement orientaliste, une « naturalisation transformée en privilège » qu’est la posture de la « femme blanche ».
Le vaste questionnement suscité par l’universalisme et l’ethnocentrisme de certains discours féministes, dont les pratiquants, écrit Ann du Cille (1996 : 100), « continuent à considérer la “blancheur” comme tellement naturelle, normative et non-problématique que l’identité raciale est une propriété exclusivement réservée au non-blanc », a permis de repenser les catégorisations arbitraires établies par les discours féministes et d’étendre la quête de la spécificité à une dimension extra-européenne. Celle-ci incite dès lors à intégrer de façon systématique les facteurs sociaux, culturels, géographiques et historiques à toute réflexion sur les femmes, leurs représentations et le patriarcat. Chandra Talpade Mohanty (2003) invite à un « féminisme sans frontières », qui passe à la fois par une « décolonisation du féminisme » et une « reconnaissance des différences », des frontières. Elle dénonce la façon dont l’écriture féministe occidentale colonise l’hétérogénéité de l’expérience de la « femme du tiers-monde », et insiste sur la nécessité d’une déconstruction de l’image érigée par les discours issus de l’humanisme occidental. Parallèlement, Julie Stephens (1989) décortique les « Feminist fictions » (ces « fictions de l’Autre » identifiées par E. Said dans les discours orientalistes) élaborées par les anthropologues féministes occidentaux et indiens sur la « femme du tiers-monde » en contexte traditionnel, soumise à un régime patriarcal immuable et associée aux qualités typiquement “féminines” de la douceur, la passivité et la soumission. Elle identifie ainsi une caractéristique frappante dans ce type de discours : un universalisme du féminin qui en nie les spécificités culturelles. Autrement dit, écrit Julie Stephens (1989 : 110), quand il s’agit des femmes, « c’est la nature qui prévaut à la culture ».
Ce qu’il me semble fondamental de souligner dans ce type de discours est la mise en parallèle qu’il produit entre oppression coloniale et oppression masculine, non pas en tant que collusion mais dans le processus de réification de l’Autre qui en est l’une des manifestations. L’Autre dès lors est réduit au silence, à “être dit”. Tel est d’ailleurs le propos de Gayatri C. Spivak (2009b) dans le mémorable « Can the Subaltern Speak ? » où elle interroge la capacité d’action et de discours (agency) des femmes dans un contexte où la reproduction du discours hégémonique (masculin, colonial) invalide leur subjectivité. Le féminisme postcolonial défendu avec conviction par Spivak ou Mohanty, par exemple, réside dans une reconnaissance nécessaire de l’hétérogénéité des femmes – et non de “la femme” – en tant que sujets de leur propre histoire et de leur propre discours, hétérogénéité sabotée par certains discours féministes ethnocentristes qui reproduisent un discours orientaliste.
Les deux questions que pose la représentation de la femme du tiers-monde sont d’une part l’essentialisation de sa féminité et l’homogénéité au cœur de cette fiction du féminin, et d’autre part, l’identification et la définition du patriarcat. Ces deux axes, inextricablement liés à la question postcoloniale, se distinguent néanmoins par la nature du rapport qui les lie à celle-ci : si la question du patriarcat entend le postcolonial comme rapport de domination, la question de la représentation des femmes souhaite également entendre le postcolonial dans sa manifestation culturelle, comme une culture de contact et un rapport à la diversité, dans l’usage qu’Homi Bhabha en fait, par exemple [6]. Voilà une dimension essentielle, car si la genèse des études postcoloniales (ou, en l’occurrence, des postcolonial studies) est d’ordre culturel, si les premiers signes de la situation postcoloniale ont été identifiés dans sa littérature [7], il me semble fondamental de penser l’articulation entre genre et postcolonialisme dans sa manifestation culturelle (la production artistique et littéraire, par exemple) également, et non dans ses seules manifestations politiques ou sociales.
Cette articulation permet en outre de mettre l’accent sur l’hétérogénéité (maître-mot du discours postcolonial) des femmes en contexte postcolonial et sur la diversité de ces représentations et de ces modèles. En d’autres termes, elle permet de penser une « sémiotique indigène du genre », comme « réalisation objective de la complexité de la construction du genre (…) déterminée par des formations comme la caste, la classe, la religion, les cultures régionales, de langue, de traditions, etc. » (Satchidanandan, 1999 : 39). « Décoloniser le genre », selon les termes de Chandra Mohanty, implique certes d’admettre la diversité dont l’auteure se fait le porte-voix, mais également de provincialiser l’Europe [8], de marginaliser la lecture et l’écriture coloniales du genre en contexte extra-occidental. Car l’orientalisme que discute Julie Stephens concerne certes les discours de l’Occident sur la “femme orientale” ou la “femme voilée” soumise à un régime patriarcal féroce, mais également sur le genre en général.
Dans le domaine indien, la généalogie d’une différence incommensurable entre féminin et masculin et l’identification de leurs caractéristiques immuables s’effectuent par une référence aux mythologies fondatrices au cœur de l’imaginaire vernaculaire : le psychanalyste Sudhir Kakar identifie ainsi le « modèle de soumission qui sert de référence à toutes les femmes indiennes » [9] dans la figure de la reine Sita, héroïne de l’épopée du Ramayana, qui suivit docilement dans son exil son époux le roi Rama, incarnation de la virilité. De fait, lorsque se renouvelle à la fin de l’épopée l’exil de Sita, chassée du royaume et abandonnée seule et enceinte de jumeaux au cœur de la forêt, celle-ci accepte sa tragique destinée, sa révolte se formulant par un amer fatalisme :
« Aux terribles paroles de Lakshmana [le frère du roi Rama], [Sita] s’effondra, sous le coup d’une douleur extrême. Puis, après être demeurée quelques instants sans connaissance, les yeux emplis de larmes, elle s’adressa à lui d’une voix affligée : “Ma personne est faite pour le malheur, assurément, Lakshmana ; c’est en moi que le Créateur manifeste en cet instant l’incarnation du malheur. Qui fut jadis séparé de son épouse par la faute de l’un d’entre nous, pour que je sois aujourd’hui abandonnée par le roi, alors que je suis restée pure et honnête ? J’ai autrefois résidé dans des ermitages, du temps où je suivais Rama dans l’exil ; je trouvais goût alors au dur sort qui me frappait, Saumitri. Mais, à présent, comment puis-je vivre retirée dans un ermitage, si tout le monde m’abandonne ?” » (Valmiki, 1999 : 1339)
De nombreux discours féministes se sont acharnés à déconstruire le stéréotype visant à percevoir Sita comme figure de la docilité en identifiant les stratégies de résistance qu’elle pouvait déployer [10], mais là n’est à mon sens pas la question. Il ne s’agit pas d’invalider l’écriture d’une fiction “culturelle” du féminin et de ses qualités essentielles, d’un fantasme collectif comme toute culture en produit, mais de constater la façon dont la lecture des mythes cristallise cette image homogène et tend à la rendre universelle, du moins dans un contexte culturel précis. En décrivant Sita comme l’idéal féminin indien par excellence (et, en creux, Rama comme l’idéal masculin), Kakar contraint l’image du féminin à cette représentation essentielle, qui nie la diversité des représentations du féminin en Inde, et nie donc une réalité historique : en tant que culture de contacts, sédimentée par les présences bouddhique, moghole, portugaise, britannique etc., l’Inde se nourrit de diversité (de langues, de cultures, de communautés, de religions), et d’une représentation composite du féminin et du masculin.
Les jeunes chercheurs travaillant sur les arts et les littératures du sous-continent indien sont très souvent confrontés à ses paradoxes et aux nombreuses manifestations de l’exception et de la subversion quand il s’agit de les définir, où les recompositions et les intersections sont règles plutôt qu’exceptions. L’essentialisation tout comme la catégorisation relèvent de négations historiques, qu’il s’agisse de communautés comme de genre. La déconstruction d’une mythologie du genre permet d’appréhender, dans la littérature par exemple, toutes les figures qui dérivent de ces modèles archaïques et semblent les invalider. La revendication d’un ethos multiculturel (des héritages védique et bouddhique de l’Inde classique aux héritages persan ou britannique de l’Inde moderne) constitue d’ailleurs l’un des grands thèmes des discours littéraires et artistiques contemporains, confrontés d’une part à la réalité des antagonismes culturels et du communalisme, et de l’autre à la critique essentialiste [11].
De nombreux exemples littéraires en Inde témoignent à la fois de la récurrence de la convocation des racines culturelles, des références à l’archéologie des figures (du genre, par exemple), et de la multiplicité de ces racines et de ces figures qui apparaissent sous forme de représentations hybrides. Le roman Lila (1990) du romancier et essayiste hindi Krishna Baldev Vaid nourrit-il la représentation du féminin de figures multiples : Sita l’épouse docile, la colérique déesse Durga, mais également Laila, figure de l’amour fou issue de la tradition poétique arabo-persane [12], rappellent la variété des sources au cœur de l’imaginaire indien. De même, la diversité de ces figures vient contredire la représentation stéréotypée de la docile femme du tiers-monde, qui se charge, chez Vaid comme chez d’autres, de figures transgressives : le personnage de Lila, dans le roman éponyme, s’incarne moins en femme docile qu’en femme érotique ou furieuse à travers la convocation des figures de Laila ou Durga. D’autre part, les nouvelles du romancier et nouvelliste de langue ourdou Saadat Hasan Manto (1912-1955) fourmillent-elles de personnages féminins marginaux et sulfureux, filles “légères” ou prostituées, qui viennent symboliquement faire vaciller le surinvestissement nationaliste dans le corps féminin comme métaphore de la nation, caractéristique des années 1935-1950. « Dans ce pays tout plein d’histoires, Moi aussi je suis une histoire », écrit le poète hindi Kedarnath Singh (2007 : 61), témoignant là de la position du sujet indien au cœur d’un réseau culturel complexe, saturé d’une variété de représentations et de mythologies, savantes comme populaires, qui en fécondent l’imaginaire. Identifier ces représentations hybrides, tantôt soumises à des lectures qui en nient la complexité, voilà un programme qui nourrit à la fois le projet de critique postcoloniale et le projet de décolonisation du genre décrit par Chandra Mohanty.
Cette entreprise de désessentialisation du genre a également pour avantage de déterrer d’autres figures hybrides ou subversives. Plus qu’une figure marginale, l’hermaphrodite dans la culture hindoue occupe une place importante non seulement en tant que transgression mais également en tant que genre. Dans son ouvrage Women, Androgynes, and Other Mythical Beasts (1980), Wendy Doniger déconstruit les présupposés relatifs à la stratification des identités genrées dans la mythologie hindoue en soulignant la variété des formes ambivalentes ou hybrides, des hermaphrodites ou des androgynes, des mythes de transgenre et d’inversion des sexes (sex change and sex exchange), qui mettent en scène une inversion des rôles sociaux et biologiques (hommes au foyer, femmes guerrières, grossesses masculines. Il est évident que ces glissements nourrissent de même un imaginaire culturel pourtant condamné, selon Kakar, aux deux figures figées que sont Rama et Sita. Chez une auteure de langue hindi comme Mridula Garg (née en 1938), la référence au dieu hermaphrodite Ardhanarishwar comme incarnation de la virilité dans son roman Kathgulab (1996) signale l’inscription de la subversion du genre dans l’inconscient collectif indien, et donc la banalisation de cette subversion qui permet la circulation des identités de genre et de leurs caractéristiques. Dans les littératures indiennes, la formulation d’un discours ou d’un désir féminin chez l’homme préoccupe peu, quand bien même il s’agisse de maternité, et donc de revendications biologiques.
L’enracinement culturel de cette contradiction dans la fixité du genre est plus frappant encore qu’elle n’a de revendication ni sexuelle ni politique, contrairement au discours Queer théorisé par Judith Butler (2005) : le « trouble dans le genre » qui défie les modèles archétypaux du féminin et du masculin en Inde se trouve non seulement nourri de mythologies et d’une histoire (coloniale) amplement sexuée, mais également de la reconnaissance sociale d’un troisième sexe. Si l’hermaphrodisme ou l’androgynie sont certes ancrés dans une mythologie aux multiples ramifications, ils sont intégrés dans le corps social par la caste des hijras : hermaphrodites ou eunuques travestis en femme, sillonnant l’espace public indien en chantant et dansant pour vivre, les hijras témoignent de fait de la complexité de la structure sociale en exhibant un genre alternatif, traversé en outre d’une multiplicité de différences d’un point de vie social, religieux, linguistique etc., qui défie là aussi la pétrification de leur identité (Reddy, 2005). Le psychanalyste et historien Ashis Nandy identifie également l’hermaphrodisme (klibatva) aux racines de l’identité indienne moderne. Néanmoins, il éclaire surtout la dynamique contradictoire entre les mythes du Ramayana et de l’Ardhanarishwar, divinité née de la fusion entre le dieu Shiva et son épouse Shakti, qui oppose l’ambivalence du genre à la polarisation radicale féminin/masculin. Il identifie une hypervirilité du colonisateur à travers, notamment, une valorisation des valeurs martiales dont s’imprègne l’homme indien, qui conduit au refoulement consécutif de klibatva. Réinvesti par M.K. Gandhi comme promotion du « féminin-dans-le-masculin » (comprendre, la résistance indigène en contexte colonial), klibatva propose de fait une réponse culturelle originale à l’oppression coloniale par une réappropriation des valeurs traditionnelles du féminin (pacifisme, patience, activisme, pouvoir) comme socle du combat nationaliste (Nandy, 2007 : 91-98).
Les contradictions inhérentes au discours sur le genre en contexte indien, de la pétrification des identités féminine et masculine érigées par les grands mythes aux phénomènes de circulation, eux aussi érigés par les grands mythes, témoignent non seulement de l’hétérogénéité que j’évoquais plus haut, mais également d’un enracinement culturel de la définition du genre. La théorie de la performance du genre élaborée par Judith Butler (2005 : 36) repose d’ailleurs sur ce constat : le genre se construit comme « processus de naturalisation qui prend corps » à travers des rituels quotidiens d’actes culturellement symboliques, un processus, écrit Judith Butler « qu’il faut comprendre […] comme une temporalité qui se tient dans et par la culture » [13]. Un féminisme postcolonial implique donc à la fois d’admettre, d’accepter et même de prendre en compte les différences, mais également les ambivalences et les paradoxes au cœur de la représentation du genre. Mais si ces ambivalences et paradoxes sont d’ordre culturel, la définition de cette culture est à saisir pleinement : culture “orientale”, certes, mais culture hybride, culture de contact et culture postcoloniale.
Si la femme (ou l’homme) peut parler, la question reste à savoir si elle (il) sera entendu(e) dans toute sa complexité. La performance du genre de Judith Butler est dès lors elle aussi complexe, puisque la répétition d’actes rituels vise à créer le genre mais également à insinuer une « illusion naturaliste » du genre chez le performateur même. La figure archétypale du féminin incarnée par Sita sillonne le paysage culturel indien (sous différentes formes, dans différentes traditions et différentes versions) au point de faire de Sita « le modèle de toute femme indienne », comme l’écrit Kakar (1985), modèle, donc, dont les actes seront reproduits, dans la réalité mais surtout métaphoriquement, dans le texte. Néanmoins, cette image se voit traversée ou troublée par les figures récurrentes de la subversion qui ébranlent cette représentation figée, mais sont là aussi des représentations performées, comme dans le roman Kathgulab de Mridula Garg. Vipin, le seul personnage masculin du roman, formule de fait la complexité de son identité de genre :
« Vous devez vous demander ce qu’il m’arrive, pourquoi je parle à la manière d’une femme. La peine, Dieu, la force, le pouvoir : oublie donc toutes ces sottises et sois un homme ! Vous avez le droit de penser ainsi. J’ai déjà expliqué que, grâce à Asima, l’Ardhanarishvar en moi contient une part féminine exacerbée » (Garg, 1996 : 220).
Cette part féminine, justement, Vipin l’exprime dans un désir paradoxal de maternité, désir frustré par l’incapacité de son corps masculin à porter un enfant :
« Je sais qu’actuellement, la question des bébés éprouvette est source de bien des débats. Mais voyez le paradoxe. Des bébés éprouvette. Comme si un être humain pouvait se constituer entièrement et grandir dans une éprouvette. Il n’y a que la graine qui soit fertilisée dans l’éprouvette. Ensuite, il lui faut être accueilli par le ventre d’une mère pour se développer puis pour naître. Et pas juste par le ventre, d’ailleurs. C’est aussi la femme qui nourrira l’enfant de son sein, et elle seule peut le faire. Même la femme la plus égoïste a le pouvoir de donner et d’aimer de façon illimitée (…). Et c’est pourquoi le pauvre homme, impuissant et dépendant, est sans cesse tourmenté par son identité, par cette absence de pouvoir qui est la sienne. Certes, il tient les rênes au bureau, il montre sa force sur un champ de bataille, mais dans le domaine du cœur, il ne peut vaincre une femme » (ibid. : 214).
Il trouve finalement dans la nature un espace (utopique) d’émancipation des catégories de genre :
« Tout arrivera. Les arbres et les fleurs fleuriront. Vipin fera pousser des plants d’ail dans les champs. Il les vendra au marché. Les revenus des familles de Godhar augmenteront. Les enfants iront à l’école. Les femmes trouveront du travail. La misère disparaîtra peu à peu. Tout existera à profusion. Vipin s’occupera de tout mais ne recevra rien en échange. Le bois de rose poussera sur la terre stérile qu’il rendra féconde mais Vipin ne verra que la terre stérile sous ses feuilles. Il comprenait qu’il n’attendait pas Godhar, il allait là-bas pour accomplir ce qui devait être accompli. Lutter, se battre, préparer, organiser, achever, conduire, suivre. Il avait une force immense ; la force que procure une infinie douleur. Il était libre, libéré du cycle de la joie et de la peine. Il ferait ce que le moment lui réclamerait, sans peur et sans rancœur, car il n’attendait maintenant plus rien » (ibid. : 264).
C’est non seulement dans l’expression de son désir de maternité mais également, et surtout, dans l’adoption du langage et de la rhétorique d’un “essentiel féminin” (références constantes à la nature ; lyrisme et sensibilité, dont sont dénués les personnages féminins du roman), c’est dans la parodie et la queer-isation que le personnage masculin du roman accomplit dans son discours une subversion de genre, justement interprétée non comme subversive mais comme naturelle.
Comme le souligne d’ailleurs Judith Butler (2006 : 37) dans une introduction récente à Trouble dans le genre, la théorie de la performance comme processus d’imitation donnant lieu à une assimilation de l’objet imité rejoint le postulat de Homi Bhabha (2007 : 147-157) sur l’imitation (mimicry) au cœur de la relation colon-colonisé, et le processus de clivage du sujet qui en découle. Ce clivage qui caractérise le sujet postcolonial selon Bhabha trouve écho dans une culture où l’identité, et notamment l’identité de genre, ne peut s’appréhender que dans la fragmentation, et où, finalement, le clivage n’est que réitéré. En témoignent d’ailleurs les tentatives du mouvement nationaliste de reconstruction d’identités fortes et fixes, en réponse au klibatva dont parle Ashis Nandy, et en marge du discours gandhien qui vise plutôt, comme l’explique Nandy (2007 : 91-98), à renforcer la spécificité composite de l’identité indienne, du point de vue du genre comme du point de vue des religions et des cultures. La convocation d’un imaginaire “indigène” puisé dans la culture hindoue classique comme réponse à la colonisation culturelle de l’Occident, imaginaire indigène d’ailleurs amplement fantasmé, constitue l’une des premières réactions du nationalisme, et va de pair avec l’adoption d’une langue nationale (le hindi) purifiée de ses éléments exogènes. De même, la construction par les réformateurs bengalis de la fin du XIXe siècle d’une identité féminine sophistiquée pétrie d’érudition et de tradition vise à contredire à la fois l’imaginaire colonial de la “femme voilée” indienne mais également de la femme décadente occidentale et de ses caractéristiques “masculines” [14].
Il n’est d’ailleurs pas étonnant de constater que toutes les figures sexuellement ambivalentes sont littéralement évacuées de la littérature nationaliste, qui vise plutôt à une pétrification des genres. Ainsi, par exemple, dans sa traduction des Rubaiyat d’Omar Khayyam (1935), le poète nationaliste H.R. Bachchan ignore-t-il l’ambivalence du genre (grammatical) du terme persan saqi (échanson), ce jeune amant androgyne que Khayyam décrit aussi bien sous les traits d’un jeune homme que d’une jeune femme. Si le féminin prévaut chez Bachchan, c’est que dans son recueil Madhushala (La Taverne, 1935), recréation vernacularisée des quatrains de Khayyam, la saqi (serveuse) permet de déployer la métaphore de la nation, la mère-patrie récurrente dans la rhétorique nationaliste, dont la féminité, en tant que mère et en tant que shakti (puissance féminine), est inaltérable et indiscutable :
« Du sang des cœurs nos fils héroïques, voici le vin écarlate,
Voici la coupe arrachée des mains de nos fils courageux.
La serveuse est notre mère l’Inde, la généreuse, qui nous a tout offert
L’indépendance est Kali, la Taverne est son autel » [15]
Si ce quatrain met en valeur la réappropriation du féminin en métaphore de la nation [16], et cela de manière exclusive dans le recueil (sous la forme de la Taverne, espace utopique ; de la serveuse, hospitalière ; de la coupe, insoumise aux ségrégations religieuses), notons que la critique a laissé de côté cet aspect pourtant frappant, préférant souligner le tournant qui s’opère dans les années 1930 en Inde du Nord dans l’expression de la subjectivité poétique ; préférant donc, en d’autres termes, l’histoire littéraire à l’histoire culturelle. Pourtant, comme chez Mahasweta Devi, une lecture croisée s’impose : l’histoire, le genre, la culture nourrissent ce texte comme ils en nourrissent tant d’autres. Comment penser la culture sans penser la nation, comment penser la nation sans penser le genre, comment enfin penser le genre sans penser l’histoire à laquelle il s’agrège et dont il devient le porte-drapeau involontaire ?
Ces interrogations, essentielles à toute lecture du sujet, sont au cœur du discours d’Adrienne Rich (2003) dans le texte fondamental « Notes towards a Politics of Location », fondamental en ce qu’il discute à la fois l’urgence et le danger de la localisation du sujet et de son discours. La localisation, pour Adrienne Rich, consiste en premier lieu à identifier sa propre position par rapport à l’objet dont elle traite, scientifiquement ou poétiquement : femme, blanche, américaine, homosexuelle, intellectuelle, terrienne, etc. Par cet effeuillage infini, que Rich déploie sur le mode de l’humour, elle nous met en garde contre les écueils et les dangers de cette localisation, quand elle aboutit à une catégorie univoque. « Qui sommes-nous ? », interroge t-elle (ibid. : 41) en guise de conclusion ; quelle catégorie peut définir cet enchevêtrement de facteurs, de critères et d’événements qu’est le sujet, cette négociation interminable entre catégories multiples ?
Au regard de la complexité qui définit toute identité, toute culture, j’ai tenté ici de procéder à une lecture localisée du sujet et du genre : en contexte indien, à la période moderne, en contexte postcolonial, en langues vernaculaires, etc. Si cette lecture a pu faire apparaître des particularités comme des contradictions, ces contradictions permettent de déjouer, voire de défier certains postulats : celui d’un universel du féminin, ébranlé par les singularités des représentations de genre en contexte indien, en contexte postcolonial, etc. ; celui, paradoxalement, qui érige une différence incommensurable entre la figure archétypale de la “femme blanche” et celle de la “femme du tiers-monde” ; celui, enfin, de la pétrification des identités de genre dans le monde indien comme dans d’autres aires culturelles non-occidentales. L’intérêt de la littérature en ce qu’elle rejoue le monde et ses hiérarchies au prisme de l’imaginaire du sujet, où s’élaborent des métaphores, des focalisations et des mises en scène, où s’élabore un langage alternatif, est bien de mettre en péril les postulats, de les éprouver. Une lecture intersectionnelle du genre et du sujet se doit donc d’être nourrie d’une lecture culturelle du genre et du sujet, où la littérature, comme d’autres formes d’expression culturelle [17], fait œuvre d’ouvroir d’un imaginaire composite et dynamique.
En témoigne l’habile pas de côté qu’effectue Gayatri Spivak dans sa périlleuse lecture de Stanadayini, où elle appelle à nourrir la perspective féministe d’une perspective culturelle au sens plein du terme, à se positionner dans le texte, au cœur du vaste réseau imaginaire dont il se nourrit. À cet égard, Spivak propose une réponse originale au tiraillement qui assaille Adrienne Rich, que je formulerais en des termes proprement littéraires : plutôt qu’une lecture intersectionnelle du sujet, qui localise son interlocuteur en une origine précise et immuable, Spivak privilégie une lecture intertextuelle au sens bakhtinien du terme, situant le texte au cœur d’un réseau infini de signes ; réseau, écrit Mikhail Bakhtine (1981 : 89), où « chaque mot sent la profession, le genre, le courant, le parti, l’œuvre particulière, l’homme particulier, la génération, l’âge, le jour et l’heure. Chaque mot sent le contexte et les contextes dans lesquels il a vécu sa vie sociale intense ; tous les mots et toutes les formes sont habités par des intentions. Dans le mot, les harmoniques contextuelles (du genre, du courant, de l’individu) sont inévitables ». En d’autres termes, où chaque mot, chaque discours, chaque sujet circule entre similarités et différence…
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[1] Selon Homi Bhabha, l’hybridité est un mode de relation à la différence culturelle et à l’altérité résultant du contact à la diversité des cultures et des langues. Ce mode de relation résulte de l’« imitation dans la différence » (mimicry) qui caractérise le rapport colon-colonisé, et qui conteste le postulat d’une relation exclusivement construite sur l’opposition. (Bhabha, 2007 : 148)
[2] Notamment ceux de Homi Bhabha, de Gayatri C. Spivak (1999) ou de Arjun Appadurai (2005).
[3] Chandra Talpade Mohanty (2003) ou Julie Stephens (1989).
[4] En référence à l’ouvrage paradigmatique de Christine Delphy (1998 ; 2001).
[5] Sur les stéréotypes raciaux des féministes occidentales, voir Bell Hooks (2003).
[6] Dès l’introduction des Lieux de la Culture, Bhabha (2007 : 30) situe de fait la situation postcoloniale dans l’espace des interstices, lieux de béance entre les polarités où naviguent, là aussi, les similarités et les différences : « Ce qui est innovant sur le plan théorique et crucial sur le plan politique, c’est ce besoin de dépasser les narrations de subjectivités originaires et initiales pour se concentrer sur les moments ou les processus produits dans l’articulation des différences culturelles. Ces espaces “intersticiels” offrent un terrain à l’élaboration de ces stratégies du soi – singulier ou commun – qui initient de nouveaux signes d’identité, et des sites innovants de collaboration et de contestation dans l’acte même de définir l’idée de société ».
[7] Voir notamment Ashcroft, Griffiths et Tiffin (1989).
[8] En référence à l’ouvrage emblématique de Dipesh Chakravarty, Provincializing Europe. Postcolonial Thought and Historical Difference (2000).
[9] « L’idéal féminin incarné par Sita est chaste, pur, tendre, noble et d’une fidélité particulière qui ne peut être détruite, ni même perturbée par les rejets, les affronts ou le manque d’égard de son mari (…) La “morale” est connue : “Qu’elle soit bien traitée ou non, une épouse ne devrait jamais se laisser aller à la colère” » (Kakar, 1985 : 108).
[10] Notamment Ruth Vanita (2005 : 219–220), qui identifie dans le Ramayana (du moins dans sa version Adbhut, attribuée au sage Valmiki) une vaste palette d’actes de résistance dissimulés sous un comportement docile conforme à celle de l’épouse dans la société traditionnelle hindoue.
[11] Sous la plume, par exemple, du critique Jaidev, qui, dans A Culture of Pastiche, déplore ce qu’il identifie comme un « pastiche » des modèles occidentaux dans la littérature hindi contemporaine : « Cette monographie est une enquête sur la nature du pastiche culturel, les conditions de sa possibilité et ses conséquences dans les sociétés du tiers-monde. La culture du pastiche dénote une forme viciée de contacts inter- culturels entre ces sociétés et l’Occident, vicié parce que le contact se produit à travers des lignes de “pouvoir” non - culturelles plutôt que culturelles. Cette culture est le résultat d’une situation politique dans laquelle les cultures “faibles” adoptent les codes culturels occidentaux sans les adapter, et elles les adoptent non pas parce qu’ils sont pertinents, bons ou nécessaires, mais parce qu’ils attestent du pouvoir et du prestige. Les codes sont rarement appréciés dans leur contexte socio-historique particulier, et ils sont violemment imposés à la culture indigène sans aucun égard pour leur pertinence et légitimité ». Traduction littérale de : « This monograph is an inquiry into the nature of cultural pastiche, its condition of possibility and its consequences in Thirld-World societies. The culture of pastiche denotes a vitiated form of inter-cultural contact between such societies and the West, vitiated because the contact occurs along non-cultural, “power” lines rather than cultural ones. This culture is the outcome of that political situation in which the “weaker” cultures adopt, not adapt, Western cultural codes, and adopt them not because they are relevant, good or necessary but because they signify power and prestige. The codes are seldom appreciated in their peculiar socio-historical context, and they are violently imposed upon the native culture without any regard for their relevance of legitimacy » (Jaidey, 1993 : ix).
[12] Voir, entre autres éditions, André Miquel, Majnûn. Le fou de Laylâ.
[13] C’est moi qui souligne.
[14] « La conception nationaliste de la femme de type nouveau puisait véritablement sa force idéologique de sa stratégie visant à inciter les femmes à faire de l’acquisition du raffinement culturel par l’éducation un défi. (…) La réalisation de cet objectif se manifestait par la revendication d’une supériorité culturelle à plusieurs niveaux : supériorité par rapport à la femme occidentale pour qui, pensait-on, l’éducation ne signifiait rien d’autre que l’acquisition de connaissances en vue de concurrencer les hommes dans le monde extérieur, d’où une perte des valeurs féminines (spirituelles) ; supériorité aussi par rapport à la génération antérieure de femmes au foyer, victimes d’une tradition sociale oppressive et dégénérée qui les privait de liberté, supériorité également par rapport aux femmes de basses extraction sociale qui n’étaient pas culturellement à même d’apprécier les vertus de la liberté » (Chatterjee, 2006 : 371).
[15] Madhushala, poème 45 (ma traduction).
[16] De nombreux travaux fondamentaux, dans le domaine indien comme ailleurs, interrogent la question de la sexuation de la nation en contexte colonial : voir notamment Chatterjee (2006), Stoler (2013) et Dorlin (2006).
[17] Voir notamment les travaux de Goodwin Raheja et Grodzins Gold (1994) sur les chansons populaires des femmes en Inde du Nord, où elles identifient, derrière des récitations en apparence anodines, les formes de résistance à l’édifice patriarcal à l’œuvre dans le cadre d’une structure sociale traditionnelle.
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