Le concept d’identité est au cœur de l’œuvre de l’écrivain américain William Burroughs (1914 – 1997) qui envisage celui-ci comme le résultat d’un processus d’aliénation. L’identité n’a dès lors de sens que dans un parcours révolutionnaire. C’est ce parcours que fait sien l’anglais Genesis P-Orridge qui, à partir d’une expérience littéraire et d’une étude de la technique du « cut-up », décide de modifier son corps chirurgicalement. Burroughs appliquait cette technique au texte, au mot, Orridge l’applique aux concepts de comportement, d’identité, de psychologie et de genre. C’est cette notion de reconstruction identitaire et d’identité fictive que nous explorerons dans les textes « cut-up » de William Burroughs et les textes programmatiques de Genesis P-Orridge. Notre objectif est de démontrer comment Orridge a su réaliser l’espoir de William Burroughs de faire de la chair puis de l’identité toute entière, le sujet de sa propre narration. Nous étudierons le concept d’identité burroughsienne confrontée aux théories actuelles du « body art », prolongeant l’idée d’un refus de laisser le corps à l’écart d’un nouvel élan évolutif.
Mots clefs : identité / performance / littérature / chirurgie / cut-up
No Body but You. Bodily modifications and identity (re)constructions : Assimilating William S. Burroughs’ programmatic texts into the body art project of Breyer P-Orridge.
The concept of identity is at the heart of American writer William Burroughs’ work (1914 – 1997). To him, identity is of no real interest unless based within a revolutionary context. This particular path was chosen by English performer Genesis P-Orridge. Based on Burroughs’ own literary experimentations, Orridge decided to surgically modify his own body. Burroughs used the cut-up technique to alter texts. Orridge uses it to transform concepts of behaviour, identity, psychology and gender. We will explore this notion of identity reconstruction and fictional identity in Burroughs’ cut-up novels and Genesis P-Orridge’s own programmatic texts. Our aim is to show how Orridge succeeded in realizing William S. Burroughs’ idea of taking the flesh, then the whole identity as the subject of his own narrative. We will start with the importance of Burroughs’ texts for today’s body artists and compare them with recent theories concerning both body and/or identity transformation, which support the belief that humanity should refuse to be left out of a new evolutionary process.
Keywords : identity, performance, literature, surgery, cut-up technique
Charles Baudelaire, « L’Héautontimorouménos »
Affirmer ici que l’écrivain américain William S. Burroughs (1914-1997) a fait du questionnement de l’identité l’une des clefs de voûte de son œuvre pourra surprendre quelques-uns de ses lecteurs plus accoutumés à la lecture de ses romans qu’à l’étude de ses textes programmatiques ou de ses essais.
W. S. Burroughs était en effet très peu préoccupé par la caractérisation de ses personnages sans passé ni histoire, aux traits parfois proches, comme autant de spectres insaisissables qui évoluent d’un texte à l’autre. Le personnage burroughsien, en particulier celui de la trilogie Nova composée entre 1960 et 1964 [1], s’inscrit effectivement dans une tradition postmoderne, et fait écho au personnage anonyme de Samuel Beckett ou d’Alain Robbe-Grillet. « Dans les trois romans de Burroughs », confirme Clémentine Hougue, « récit de l’auteur et pensées des personnages sont ainsi emportés dans un même flot d’images fugaces, instables, apparaissant sur un même plan narratif : les récits ne sont pas imbriqués les uns dans les autres, il n’y a pas de hiérarchie des discours, mais toutes les images forment une surface sans début ni fin [2]. » Un « flot d’images » qui laisse davantage la place à un mouvement d’écriture, élan souvent furieux, chaotique, qu’à une caractérisation solide des personnages.
Ce mouvement est inspiré à l’auteur par une observation patiente de ses contemporains, et par une vision sans doute noire de ce qu’il estime être, à tort ou à raison, le processus de construction identitaire. Rogers Brubaker a souligné la difficulté à définir le terme même d’« identité », un vocable qu’il faudrait sans doute abandonner, ou du moins dépasser, celui-ci ne pouvant efficacement rendre compte d’une réalité sociopolitique complexe [3]. Introduit dans le domaine de l’analyse sociale dans les années 1960 aux États-Unis, le terme se trouve rapidement associé à d’autres notions tout aussi problématiques, telles que l’ethnicité, le genre, la classe sociale, mais aussi l’identité individuelle. Et Brubaker de confirmer, avec W. J. M. Mackenzie, que le mot est lui-même « atteint de folie à force d’avoir été utilisé [4] » et ne renvoie plus à aucune vérité sociale.
W. S. Burroughs, bien au contraire, choisit de confirmer sa réalité, tout en restant encore évasif sur la définition qu’il compte donner au terme ; l’identité n’a rien d’une illusion, nous dit l’auteur. Qu’il s’agisse d’identité sociale, ou sexuelle, celle-ci existe sans doute possible, mais est « imposée de manière artificielle à l’homme » et « se maintient dans ses structures mentales comme une maladie contagieuse et incurable [5]. »
Pour W. S. Burroughs, l’identité est donc le résultat d’un processus d’aliénation bon à conserver « les individus dans une série de situations restrictives [6] » qui deviennent rapidement l’un des motifs centraux de ses romans. Ce processus, l’écrivain le trouve à l’œuvre en premier lieu dans les mots qui, selon lui, servent à manipuler les hommes comme à les rendre esclaves d’automatismes mentaux ou programmes, et auxquels il préfère le « silence intérieur » et un « état sans mot [7] », un refus de toute espèce de verbalisation [8] enfin, prérequis à tout véritable travail spirituel. C’est dans un état d’esprit comparable que l’écrivain proposera l’invention d’un nouveau langage excluant définitivement tout recours au mot et au verbe, et ce à partir des théories linguistiques d’Alfred Korzybski, père de la sémantique générale. [9]
C’est cette réfutation née d’un examen patient du mot, de son fonctionnement – y compris mental, biologique, comme on observerait froidement une nouvelle espèce – et d’un questionnement du travail d’écriture comme de la mise en mots, qui va pousser W. S. Burroughs à appeler de ses vœux une transformation de l’humanité, finalement débarrassée de l’impéritie du langage, à questionner son identité, son héritage génétique, psychologique et socioculturel, afin de mieux la reconstruire – à la manière d’un texte découpé puis remonté de manière inaccoutumée.
Cet appel reste un vœu pieux pour W. S. Burroughs. Écrivain, peintre, celui-ci n’a pas les moyens de mettre ses théories en pratique – il ne peut pas plus participer à l’avènement d’une humanité nouvelle, libre de toute entrave autrement que par le biais d’une littérature qui reste prisonnière de la lettre, du vocable.
C’est sa rencontre avec l’anglais Neil Megson, plus connu sous les noms de Genesis P-Orridge ou Breyer P-Orridge, qui va permettre à l’écrivain de voir quelques-unes de ses théories les plus ambitieuses mises en pratique.
Né à Manchester le 22 février 1950, musicien, chanteur bien connu des amateurs de « musique industrielle », musique discordante imaginée peu avant l’explosion des scènes punk en Angleterre et aux États-Unis dans les années 1976-1977, Orridge se veut un disciple de William Burroughs, comme il a pu l’être du plasticien Brion Gysin.
William Burroughs réside dans la capitale britannique de 1966 à 1973, date à laquelle il décide de partir pour New York [10]. Orridge en profite pour le rencontrer à son adresse de Duke Street, près de Picadilly Circus, en 1973 [11]. Cette rencontre est essentielle dans la carrière des deux hommes ; non seulement parce qu’elle permet aux deux artistes, finalement proches dans leurs démarches comme dans leurs préoccupations, dans leur façon de voir le monde et dans les solutions qu’ils ont à opposer à une humanité asthénique, d’échanger leurs points de vue respectifs, mais parce qu’elle permet la jonction de deux domaines distincts : celui de l’écriture, de la prose, d’un côté, de l’autre celui de la musique et de la composition musicale, un télescopage qui va donner suite à des échanges inédits [12].
Rapidement, W. S. Burroughs se comporte avec Orridge comme un éducateur, en plaçant, au cœur de son discours, une interrogation sur l’avenir de l’humanité, et sur la nécessité absolue de transformer cette dernière, de la faire évoluer vers de nouvelles formes. W. S. Burroughs se dit ainsi à de nombreuses reprises, convaincu que « l’évolution doit être poursuivie grâce à tous les moyens de la science moderne [13]. » Et tous deux d’imaginer de pouvoir reprendre en mains, par des moyens qui restent à définir, leur propre construction identitaire, comme celle de leurs contemporains.
Ce sont ces conversations entamées au début des années 1970, comme les textes de W. S. Burroughs dont Orridge décide de s’inspirer afin de construire un discours identitaire original, qui vont l’inciter à se prendre lui-même, son corps, son esprit, comme objets de réflexion puis d’action, comme élément d’une expérience dont l’écrivain est l’origine. Cette expérience est portée vers la constitution d’une identité nouvelle qui, en jetant un pont entre fiction et réalité, va faire de W. S. Burroughs l’un des inspirateurs des mouvements « body art » ou « bodmod » contemporains.
Orridge décide ainsi de modifier son corps, et, nous l’avons dit, de prendre l’écrivain américain au mot quant aux notions de transformation identitaire ou d’évolution de notre espèce. Très vite, c’est le piercing qui va attirer l’attention du musicien.
L’histoire moderne du « piercing » a plusieurs racines ou généalogies. Parmi celles-ci, le voyage de l’anglais Mr Sebastian, de son vrai nom Alan Oversby, en Guyane britannique vers 1955 [14]. Sebastian est marqué par sa rencontre avec des manœuvres aux mamelons percés d’un petit anneau d’or dans un champ de canne à sucre. Les ouvriers présentent Oversby à l’homme qui les a percés, un indien qui accepte de lui poser les mêmes breloques.
De retour en Angleterre, le jeune homme expérimente en changeant légèrement la place de ses piercings, c’est-à-dire en perçant lui-même de nouveaux trous sans autre matériel que du désinfectant, du whisky et une aiguille [15]. Sebastian continue à s’entraîner sur son propre corps, et, lors d’un séjour aux États-Unis, le tatoueur Doug Malloy lui apprend « ce qu’il est possible de faire et ce qu’il n’est pas possible de faire avec un piercing [16] », autrement dit ce que le corps peut endurer sans être sérieusement blessé.
La démarche de l’américain Jim Ward est similaire. Fasciné par l’idée d’altérer son corps, il n’a, à l’époque, pas d’autre solution que d’être son propre cobaye. Il perce ses mamelons dès 1968, puis son pénis – ce qui, à l’époque, est rigoureusement interdit par la loi – sans grand résultat puisque les trous finissent par guérir et se refermer [17].
C’est Doug Malloy qui va lui apprendre à percer convenablement. Plus tard, persuadé qu’il existe une clientèle pour des bijoux qu’on viendrait ficher dans les trous percés dans la peau, il va lui prêter la somme nécessaire pour monter le Gauntlet à Los Angeles en 1975, la première boutique consacrée au piercing et « qui a généré l’idée de salons et de boutiques grand public [18]. »
Chaque nouveau piercing est bien plus pour Orridge qu’un ornement supplémentaire ; il est une suite de « repères géographiques [19] » qui permet au mancunien d’assumer le rôle d’explorateur du corps et de l’organisme, comme autant de territoires étrangers. Repères « historiques » peut-on ajouter sans risque, puisque, comme le souligne l’artiste contemporain Ron Athey, « au sein des cultures tribales, les modifications corporelles racontent une histoire, […] elles disent l’identité, rappellent les rites de passage, expriment l’histoire familiale ou celle du groupe d’appartenance [20] », tout comme « les cicatrices rituelles des Lubas d’Afrique sont des moyens mnémotechniques servant à enregistrer les événements qui ont marqué la vie de la personne ainsi ornée [21]. »
Orridge part ici d’une constatation simple. En dépit des progrès considérables de la science, l’individu n’a qu’une connaissance limitée de son corps, connaissance presque entièrement théorique qui va à l’encontre de la volonté burroughsienne d’apprendre à utiliser son corps, à le mettre en pratique, de faire finalement de sa propre identité une construction pensée et choisie.
Dans ses textes programmatiques rassemblés dans le volume Genesis P-Orridge Esoterrorist : Selected Essays 1980-1988, Orridge dépeint un monde, le nôtre, où les forces de contrôle règnent sans partage. Ces « forces de contrôle », expression imaginée par Burroughs, reprise telle quelle par Orridge, comme par Michel Foucault ou Gilles Deleuze [22], pour désigner toute structure, tout individu dont l’objectif est de réduire l’humanité en esclavage, sont les gouvernements de tous bords, les médias de masse, tous les moyens d’information, ou plutôt de désinformation. Ce sont les églises sans distinction avec leur dogme rigide, intolérant, également le carcan familial ou l’école qui, tous, s’érigent en gardien de valeurs morales. Ces « forces » sont assimilées, par Orridge et Burroughs, à des parasites, des vampires qui absorbent l’énergie de leurs victimes. Le résultat est un corps désormais rarement mis à contribution, les terminaisons nerveuses au repos. Ces dernières ne sont plus ni excitées par les agressions physiques, ni par les plaisirs extrêmes d’une sexualité libérée de toute interdiction, mais se plaisent dans la neutralité. On pense à l’auditeur de Luigi Russolo, rassasié des « harmonies des grands maîtres », qui somnole et rêve dans la « monotonie des sensations » une « sensation extraordinaire qui ne viendra jamais [23] », et résume finalement si bien ce que Orridge pense être la vie de ses contemporains entièrement dénués de passion.
C’est en refusant cette interdiction d’expérimenter que Orridge va imaginer de pouvoir examiner lui-même le corps et d’en explorer les limites, de partir, enfin, à la recherche de « sensations extraordinaires ». Il s’agit bien d’un travail pédagogique : expérimenter dans le but de connaître un corps confisqué par les forces de contrôle qui maintiennent la population dans l’adynamie afin de mieux lui imposer sa volonté. [24]
Le « piercing » est un terrain propice à l’enquête : la peau, comme le rappelle le neurobiologiste Jean-Pierre Changeux, est, avec les viscères, l’endroit du corps où les terminaisons sensorielles sont les plus nombreuses, « ramifications ultimes de dendrites, nus et branchus, qui répondent à divers signaux physiques : au chaud, au froid, à la pression, mais aussi à des substances chimiques internes produites par l’organisme à la suite d’une irritation ou d’une lésion [25]. »
Pour Orridge, il est indispensable de connaître les réponses du corps et de la peau lorsque celle-ci est trouée ou maltraitée. Le processus est autant physique que mental et passe par la démonstration. Ainsi, quand le chanteur rend compte de ses piercings pour Re/Search #12, celui-ci accompagne son propos de photographies détaillées, où il exhibe son corps nu jusqu’aux détails de ses organes génitaux percés de pièces de métal.
En perçant le corps, on le questionne, on le sensibilise, on le met en mouvement. Le corps est tout entier sollicité, preuve en est la douleur qui accompagne chaque piercing et marque concrètement le réveil des sens endormis, les nerfs comme martyrisés.
Pour Orridge, la douleur est effectivement bienvenue dans un monde endormi, insensibilisé, et procure des sensations inédites, à la fois cruelles et voluptueuses : c’est un pan inconnu du corps qui s’anime, ce sont des connections synaptiques qui s’éveillent. Le corps, submergé de sensations, se découvre de nouvelles ressources. Dans les textes de William Burroughs, les drogues opiacées font partie de l’arsenal des contrôleurs, les substances hallucinogènes sont quant à elles à ranger du côté des forces de résistance qui luttent pour tirer l’humanité de son état aboulique. Dans le cas du piercing, une drogue intervient également. Celle-ci n’est pas artificielle mais naturelle puisque produite par le corps humain, sous forme, entre autres, d’endorphine, à chaque fois que le corps est percé :
Ce genre d’activité [le piercing] met en branle certain récepteurs qui ne sont pas habituellement activés dans le cerveau – votre cerveau se retrouve submergé par de l’endorphine et par d’autres produits chimiques. Vous utilisez d’autres synapses qu’à l’ordinaire, et vous faites d’autres connections dans des parties de votre cerveau que vous n’utilisez pas d’habitude. Les neurones ouvrent de nouveaux chemins. Ce qui, de très nombreuses fois, provoque un stimulus qui peut être interprété comme agréable, et donc à répéter [26].
Sorti de sa torpeur, le corps se découvre moins totalité que parties assemblées selon un ordre préconçu, à la manière d’un texte assemblé arbitrairement. Chaque partie acquiert une indépendance, avec ses propres sensations, ses contraintes et ses intensités. Ainsi la peau qui répond différemment selon l’endroit du corps qu’elle recouvre, et cicatrise plus ou moins lentement.
De nouvelles parties du corps s’éveillent, les mamelons que Orridge fait percer et qui lui procurent désormais un plaisir sexuel qu’il se réjouit d’explorer :
Mes mamelons ne me procuraient aucune sensation avant d’être percés. Ils participèrent par la suite à toute nouvelle découverte. C’était agréable, comme ce l’était d’être une femme. J’aimais que Paula les suce et joue avec eux. Je découvris mes mamelons, ce qui me semblait alors une bonne chose. Deux zones érogènes de plus [27].
Comme le souligne Doug Malloy, ces différents accessoires ont depuis toujours servi à contrôler la sexualité. « Hafadas » arabes serties de pierres précieuses et ramenées en Occident par les légionnaires français, « ampallang » placé au-dessus de l’urètre, ou « guiche », inséré entre le scrotum et l’anus, ont chacun leur utilité et offrent une nouvelle dimension aux rapports sexuels en stimulant des zones érogènes qui ne sont pas habituellement sollicitées lors de la pénétration, ou bien en retardant l’orgasme. [28]
Le piercing moderne demande de s’adapter à de nouvelles exigences : il faut ainsi laver la plaie régulièrement avec de la Bétadine ou du peroxyde d’hydrogène pour éviter toute infection.
Ces exemples d’exploration de la technique du « piercing » par Orridge se trouvent bien dans le prolongement d’une meilleure compréhension du corps humain, qui est l’un des thèmes centraux du discours burroughsien. Le « piercing », toutefois, n’est qu’une première étape dans la manipulation du corps par Orridge. Ce dernier va pousser plus loin encore son idée du corps comme sujet de recherche, et revendiquer de façon tout à fait claire l’influence des textes programmatiques et des théories de William Burroughs non plus pour simplement modifier son apparence mais pour créer de toutes pièces une créature étrange, inédite, qui va servir de support à un discours identitaire revendicatif.
Les pièces de métal employées pour percer le corps permettent d’envisager ce dernier comme une construction intellectuelle ; les changements apportés au corps bardé d’anneaux et de clous ne sont pas seulement superficiels puisqu’ils ouvrent la voie à un véritable programme de réorganisation sensorielle, prélude à un effort de reconstruction identitaire.
Le corps doit encore changer pour Orridge. Une nouvelle phase qui paraît d’autant plus indispensable que de nombreux individus se plaignent du corps dont ils ont, bien malgré eux, hérité à la naissance, comme le note le chanteur :
Quand vous examinez la question de la transsexualité, de l’intrasexualité, des travestis, de la chirurgie esthétique, le piercing, le tatouage, tout ceci participe d’un élan réfléchi : c’est un tâtonnement symptomatique vers la prochaine étape [de l’évolution] [29].
Si les acteurs de ces transformations parlent de « transidentité », la société leur réserve d’autres étiquettes ou qualifications. Les « travestis » qui prennent l’apparence d’une femme et s’habillent comme elle pour créer l’illusion ; les « transgenres » qui se soumettent à un traitement hormonal ; les « transsexuels » qui subissent des opérations de vaginoplastie ou de phalloplastie afin de transformer leur corps ; les adeptes des modifications corporelles, « bodmods » et autres « modern primitives » ; tous expriment l’urgence de changer un corps qui ne leur correspond pas, et de le modifier, cette fois-ci de façon radicale, pour le mettre en conformité avec leur image mentale [30]. Tous expriment, une fois encore, l’arbitraire d’une identité qu’ils n’ont pu eux-mêmes choisir et accepter.
Selon Orridge, cette vague de mécontentement ouvre la voie à une évolution parallèle du corps humain et à un glissement vers de nouvelles formes. Cette « nouvelle phase » est l’objet de trois textes programmatiques : « Dematerialization of Identity » (1997), « Our Practice in Art » (2003) et « Breaking Sex Manifesto #1 » (1999). Ces textes correspondent à une nouvelle étape dans le parcours artistique d’Orridge, et sont liés à sa rencontre avec Jacqueline Breyer au début des années 1990. Ils renvoient à une nouvelle orientation dans le travail du chanteur, orientation plus ambitieuse qui passe par le bloc opératoire. Orridge et Breyer imaginent la possibilité de créer une nouvelle forme de vie à partir de leurs corps respectifs, aussi saugrenue et impossible que puisse, de prime abord, sembler cette idée. Les théories de William Burroughs et de Brion Gysin sur le cut-up sont mises en avant par Orridge dans le documentaire que Marie Losier consacre au couple en 2011 [31]. Elles sont très clairement revendiquées comme un modèle soit dans des entretiens, soit dans les textes programmatiques de Orridge, plus particulièrement « Our Practice in Art by Breyer P-Orridge/Why We Are Breaking Sex » :
Le travail de William S. Burroughs et de Brion Gysin a eut une grande influence sur nous, en particulier sa pratique du « cut-up » [32].
De la même manière que Burroughs et Gysin collaboraient ensemble, subsumant leurs travaux, leur individualité et leur ego dans un même processus collaboratif en coupant le Mot afin de créer un troisième esprit, nous-mêmes, dans notre travail, avons directement appliqué le système du cut-up et le concept de troisième esprit à une préoccupation centrale : le MOI fictionnel [33].
Il est temps de créer un troisième être, de la même manière que William et Brion ont pu créer le Troisième Esprit. Je suis limité par ce corps biologique qui m’a été attribué à la naissance [34]…
Rappelons d’abord brièvement ce qu’est le cut-up. Cette technique est inventée en 1959 par Brion Gysin alors qu’il vit au Beat Hotel de la rue Gît-le-Cœur à Paris. Peintre, romancier, ami et confident, Gysin est l’héritier à la fois des dadaïstes et des surréalistes, groupe dont il est expulsé en 1935 par André Breton en personne [35]. C’est en découpant des articles de journaux avec une lame Stanley et en replaçant les fragments ainsi obtenus dans un ordre différent qu’il s’aperçoit que des phrases nouvelles apparaissent.
Les explications que Gysin donne du cut-up sonnent comme une proposition en forme de révolution à venir, toutes proportions gardées, certes, puisqu’il ne s’agit que d’appliquer la technique du collage introduite en peinture par Picasso et Braque en 1907. Cet appel, cette adaptation plutôt qu’invention, doit néanmoins interpeller chacun d’entre nous. Celui-ci commence par des mots désormais familiers puisque régulièrement rappelés par Genesis P-Orridge :
L’écriture est en retard de cinquante ans par rapport à la peinture. Je propose d’appliquer les techniques de peintres à l’écriture ; des choses aussi simples et immédiates que le collage ou le montage. Découpez à travers les pages de n’importe quel livre ou journal… dans le sens de la longueur par exemple, et mélangez les colonnes de texte. Remettez-les ensemble au hasard et lisez le nouveau message ainsi constitué. Faites-le vous-même. Utilisez n’importe quel système qui vous vient à l’esprit. Prenez vos propres mots, ou les mots de n’importe qui, vivant ou mort. Vous vous apercevrez rapidement que les mots n’appartiennent à personne. Les mots ont une vitalité propre, et vous, ou n’importe qui, pouvez les faire passer à l’action [36].
La technique littéraire n’a donc pas été directement inventée par William Burroughs auquel Gysin soumet sa dernière trouvaille. Enthousiasmé, c’est pourtant lui qui va lui donner ses lettres de noblesse en l’utilisant « de manière intensive entre 1959 et 1970 [37] » tandis que Gysin ne voit dans cette technique qu’un « amusement élevé [38]. »
En renvoyant au cut-up, Orridge fait en réalité une double référence. L’anglais renvoie d’une part à la technique littéraire, d’autre part au concept de « Third Mind ». Par « Third Mind », W. S. Burroughs entendait la résultante de la fusion de deux esprits collaborant ensemble, l’émergence d’un « esprit supérieur [39]. » Cette expression, partiellement inspirée par une phrase de T. S. Eliot [40], est également le titre d’un recueil de travaux de W. S. Burroughs et B. Gysin écrits entre 1965 et 1970, un recueil qui, souligne Clémentine Hougue, « pose les principaux enjeux du cut-up : cette œuvre mêlant essais sur la poésie et textes de fictions [acquérant] par sa composition un statut hybride entre texte et méta-texte, à la fois création littéraire et discours sur cette création [41]. »
C’est le concept d’identité qui intéresse ici Orridge, un concept particulièrement problématique rappelle-t-il, puisque façonné par bon nombre de facteurs extérieurs et environnementaux qui échappent à notre volonté. L’identité, telle que nous l’entendons, est une tromperie affirme-t-il en s’inspirant des théories burroughsiennes ; le corps, une « poupée holographique », autrement dit une autre chimère :
Le corps est utilisé par l’esprit comme une effigie, un hiéroglyphe pour le MOI avant même de savoir parler et d’employer le langage. Il est presque une poupée holographique construite par des attentes extérieures avant que notre corps ne soit né. Même le nom qui nous a été donné [par nos parents à la naissance] n’est rien d’autre qu’un programme holographique dans l’histoire prophétique de qui nous allons devenir [42].
W. S. Burroughs et B. Gysin appliquaient la technique du cut-up au texte, au mot ; Orridge souhaite l’appliquer aux concepts de comportement, d’identité, de sexe, comme si chaque individu était lui-même un texte susceptible d’être coupé, manipulé et remonté à loisir, la paire de ciseaux remplacée en l’occurrence par le scalpel du chirurgien. L’objectif de Orridge est clair : créer un « troisième être » à partir de deux corps, dans le cas qui nous occupe le sien et celui de sa compagne (« deux êtres s’unissant pour devenir un nouveau troisième être » [two beings joining together to create a new third being [43]] ; « Notre travail nous oblige à découper nos corps littéralement, encore et encore, pour créer un troisième corps, conceptuellement plus précis, ce afin d’en finir avec ce très long attachement à l’effigie physique que nous visualisons automatiquement comme le ’Je’ dans notre dialogue interne avec le MOI. » [We are required over and over again by our process of literally cutting-up our bodies, to create a third, conceptually more precise body, to let go of a lifetime’s attachment to the physical logo that we visualise automatically as ’I’ in our internal dialogue with the SELF [44].])
Outre le travail qui passe par la chirurgie plastique, Orridge et sa compagne s’ingénient à s’habiller ou à se maquiller de la même manière, et à singer le moindre de leurs mouvements respectifs (« Notre projet a des applications symboliques et littérales (par le biais de la chirurgie esthétique, des vêtements, de l’imitation et du maquillage). » [Our project applies symbolically and literally (via cosmetic surgery, costume, mimicry, and make-up) [45].])
S’il était relativement aisé pour W. S. Burroughs de créer un texte composite à partir de fragments d’autres textes, texte composite qu’il avait ensuite tout loisir de recopier ou de taper à la machine pour lui donner une forme présentable, il est difficile d’imaginer Orridge tranchant à travers sa propre chair et celle de sa compagne pour amonceler les morceaux en un nouveau tas, attendant patiemment que celui-ci veuille bien devenir une créature douée de raison. Orridge compose donc. En imaginant qu’il est lui-même assimilé à un texte A, et que Lady Jaye soit assimilée à un texte B, tous deux se partagent la tâche de devenir un texte C, résultat de la fusion des deux autres.
Orridge et Lady Jaye imaginent une identité nouvelle qu’ils baptisent « Breyer P-Orridge ». Ils subissent ensuite un certain nombre d’opérations en vue de ressembler tous deux à cette même créature, elle-même conçue pour réunir leurs deux images. Orridge et Lady Jaye subissent une intervention mammaire afin d’avoir, tous les deux, une poitrine parfaitement identique. D’autres opérations suivront, plus ou moins spectaculaires. Liposuccion, agrandissement des seins ou injection de graisse sous les yeux [46], chacun peut trouver ces actes chirurgicaux détaillés dans un carnet de bord régulièrement mis à jour sur le site officiel de Orridge, et accompagné de clichés de Mo Edley ou de Laure Leber qui montrent le corps de celui-ci en gros plans successifs.
Le corps comme texte est bel et bien brouillon, instable, c’est du moins le message que souhaitent donner Orridge et Lady Jaye. Reste l’impératif physique. Orridge est obligé de prendre des périodes de repos après chaque opération. Au vu du patient dans son vêtement de malade ou de sujet médical, « visage tuméfié, bandé de pansements chirurgicaux, yeux rougis, peau bleuie, jaunie ou violacée [47] », le témoin des extravagances du chanteur peut se demander, à juste titre semble-t-il, ce qui distingue la reconfiguration du mauvais traitement.
En remodelant leurs deux corps à l’aide de la chirurgie avec un dessein précis, Orridge et Lady Jaye souhaitent assimiler leurs corps le plus possible (« pour essayer de se ressembler le plus possible » [to try and look like each other as possible [48]]) et tendre vers un même modèle physique, non pas « androgyne » mais « pandrogyne » :
Breyer P-Orridge fournissent nos deux corps, notre individualité et notre ego à un processus substantiellement irréversible de découpage de l’identité afin de produire un troisième être, une « autre » entité que nous baptisons PANDROGYNE [49].
Pour Orridge, « Breyer P-Orridge » marque un mouvement vers une « nouvelle étape évolutionnaire [50] », vers une forme moins rudimentaire (« depuis une forme larvaire jusqu’à une forme complexe, d’une forme primitive jusqu’à une forme sophistiquée et pure » [from larval to complex, from primitive and base, to sophisticated and pure [51]]), termes que Orridge met volontairement en avant et qui associent l’acte chirurgical à une question d’ordre moral ou métaphysique (« pure », « plus parfaite [52] », « plus proche d’une pureté de son essence » [closer to a purity of essence [53].])
Si, comme l’affirment Orridge et Lady Jaye dans « Our Practice in Art by Breyer P-Orridge/Why We Are Breaking Sex », l’individu est un simple personnage de fiction, « écrit » de toutes pièces par le corps social, par la masse, et ce à la manière d’un récit (« le personnage fictionnel écrit par la réalité consensuelle » [the fictional character written by consensus reality [54]]), il s’agit dès maintenant de réclamer le corps-texte afin d’en être le seul et unique rédacteur (« construire/écrire son propre personnage comme s’il s’agissait d’une pièce de théâtre » [build/author one’s own character just as if you were writing a screenplay [55].])
L’individu doit reprendre sa place dans le processus évolutif en redessinant son corps selon ses désirs, et sans se contenter de subir les influences extérieures (« créer des futurs pour notre MOI avec nous comme seuls concepteurs » [to create futures for our SELF with us as thee designers [56].]) Il doit refuser le choix binaire entre le sexe masculin et féminin, refuser la voie tracée par le patrimoine biologique, mais aussi par l’éducation, les images publicitaires, la pression sociale :
Breyer P-Orridge croit que les systèmes binaires implantés dans la société, dans la culture et la biologie, sont la cause de conflits et d’agressions qui, à leur tour, justifient et maintiennent en place les systèmes de contrôle et de hiérarchies qui sèment la discorde [57].
Orridge choisit avec Lady Jaye de sacrifier progressivement sa personne pour la fondre dans une troisième entité (« l’intégration inconditionnelle de deux sources » [the unconditional integration of two sources [58].]) En dépit des apparences, cette fusion est bel et bien une affirmation identitaire (« récupérer l’identité » [to reclaim identity [59].]) Pour une identité plus libre, certainement, puisqu’elle ne se préoccupe en aucun cas des canons esthétiques qui s’étalent dans les journaux ; et si Orridge et Lady Jaye ont, comme Orlan, l’air d’étranges personnages aux traits laids et déformés sur certaines photographies, du moins sont-ils les artisans de leur propre monstruosité. Pour Orridge, enfin, « Breyer P-Orridge » n’est pas une forme fixe, mais bien plutôt une forme en constante fluctuation, ni tout à fait mâle ni tout à fait femelle, un portrait biologique des possibles, sans autres limites que celles de l’imagination, et de la déontologie médicale. Il est en effet permis de s’interroger sur l’éthique du chirurgien qui voit la santé de Orridge se dégrader en raison des nombreux actes chirurgicaux qu’il s’impose, par exemple, lorsque le chanteur évoque ses infections de poitrine à répétitions qui deviennent handicapantes [60], mais aussi sur la santé mentale du patient qui mêle ainsi art, plaisir et douleur.
Il est difficile de se prononcer sur le résultat de ces opérations chirurgicales. Celles-ci semblent bien aboutir à la création d’une identité inédite, rappelant que l’identité n’est pas une donnée mais une construction. Il est également impossible de se prononcer sur de quelconques changements mentaux chez Orridge et Lady Jaye, tout comme il est difficile d’apprécier la part de jeu chez le couple qui s’amuse du regard de l’autre comme du jugement des médias [61], et la part d’une véritable quête identitaire et plus largement philosophique.
Toujours est-il que chacun des partenaires du couple est physiquement changé, adoptant les mêmes vêtements, la même coupe de cheveux et la même attitude, et signant désormais ses textes d’un seul et unique nom : « Breyer P-Orridge ».
La performance s’est achevée avec la mort de Lady Jaye le 9 octobre 2007.
†
William Burroughs a fait de la transformation de l’être humain et de la poursuite de son évolution au sens biologique du terme, l’un de ses thèmes de prédilection. Pour Orridge, cette préoccupation prend des formes pratiques, très concrètes et très physiques. En effet, l’artiste anglais fait de son corps un objet d’expérimentation par le biais de la chirurgie et travaille à transformer son corps et son identité à la façon d’un texte. Tout en revendiquant l’influence des théories burroughsiennes, Orridge se situe dans un nouveau courant culturel, celui du body-art et du « piercing ». Il considère le corps à la manière d’un texte susceptible d’être coupé, mélangé puis recomposé selon la méthode du cut-up.
Modifier le corps en surface est un acte puissant qui permet à Orridge d’imposer sa volonté à sa propre morphologie, mais aussi de provoquer le regard, souvent réprobateur, des témoins de ces performances, et de les engager à penser différemment le corps. Ce faisant, Orridge se fait le porte-parole d’un corps depuis trop longtemps condamné à la passivité, et appelle à une transformation résolue de celui-ci. Cette transformation prolonge l’idée burroughsienne d’un refus de laisser le corps à l’écart d’un nouvel élan évolutif.
C’est ce travail préalable que William S. Burroughs exigeait des disciples ou étudiants de l’« Académie 23 », structure dont le but était de former des opposants aux forces de contrôle de par le monde (« Aucune matière ne peut être apprise tant que l’étudiant n’a pas les outils adéquats, et qu’il n’a pas appris à s’en servir. Le premier outil qu’un étudiant doit savoir manier est son propre corps » [No subject can be learned until the student has the necessary tools and knows how to use them. The first tool the student must learn to use is his own body [62]]), et que Orridge reprend désormais à son compte.
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[1] Soit The Soft Machine, Paris, Olympia Press, 1960 ; The Ticket that Exploded, Paris, Olympia Press, 1961 ; Nova Express, New York, Grove Press, 1964.
[2] C. Hougue, « Le cut-up : ’ut pictura poesis’ au pied de la lettre », dans Trans n°7, revue en ligne de Littérature générale et comparée de l’université Paris 3, juin 2006.
Article disponible à l’adresse : http://trans.univ-paris3.fr/spip.ph&hellip ;
[3] C’est le sujet de R. Brubaker et F. Cooper, « Beyond ’identity’ », Theory and Society 29 [1], 2000, pp.1-47.
[4] R. Brubaker, « Au-delà de l’“identité” », Actes de la recherche en sciences sociales, 2001/4 n° 139, pp. 66-85.
[5] G.-G. Lemaire, Burroughs, Paris, éditions Artefact, 1986, p. 112.
[6] Ibid.
[7] « Castaneda […] souligne la nécessité de suspendre le dialogue intérieur – effacez les mots – et donne des exercices précis afin d’atteindre un état sans mot. Effacez les mots. » [Castaneda in The Teachings of Don Juan stresses the need to suspend the inner dialog—rub out the word—and gives precise exercises designed to attain a wordless state. Rub out the word.] Last Words : The Final Journals of William S. Burroughs, James Grauerholz Editor, New York, Grove Press, 2001, p. 24.
[8] Voir B. Miles, William Burroughs : El Hombre Invisible, New York, Virgin Books/Random House, 2010, p. 178.
[9] Voir Korzybski Alfred, Une carte n’est pas le territoire, traduit de l’anglais par Didier Kohn, Mireille de Moura et Jean-Claude Dernis, Paris, Editions de l’Eclat, 2007.
[10] Morgan revient en détail sur ces années dans Literary Outlaw : The Life and Times of William S. Burroughs, op. cit., pp. 427-469.
[11] Cf. Re/Search #4/5 : William S. Burroughs/Brion Gysin/Throbbing Gristle, San Francisco, RE/Search Publications, 1982, pp. 68-77.
[12] En mai 1981, Genesis P-Orridge sort Nothing Here Now But The Recordings (1959-1980) sur le label Industrial Records, et rend disponible les expérimentations de William Burroughs et Ian Sommerville sur bandes magnétiques qui débutèrent au « Beat Hotel » de la rue Gît-le-Cœur à Paris.
[13] Burroughs, cité dans G.-G. Lemaire, Burroughs, op. cit., p. 56. A noter que ce n’est pas la première fois que l’art s’empare des théories darwinistes, ainsi Odilon Redon et les symbolistes français comme Gauguin ou les Nabis. Voir E. Couchot et N. Hillaire, L’Art numérique. Comment la technologie vient au monde de l’art, Paris, Flammarion, 2003, p. 31.
[14] Cf. S. Dwyer, « Bodyshocks/The Mr. Sebastian Interview », dans Rapid Eye Movement, London, Creation Books, 1999, p. 112.
[15] Ibid.
[16] Ibid., pp. 112-113.
[17] Re/Search #12, Modern Primitives, San Francisco, RE/Search Publications, 1989, p. 159.
[18] R. Athey, « L’encre et le métal. Entretien avec Philippe Liotard », dans Quasimodo n°7 : Modifications corporelles, Montpellier, Quasimodo & Fils, Printemps 2003, p. 113.
[19] « En Afrique noire, par exemple, un corps nu n’existe pas. Les anneaux, les labrets, les peintures corporelles, les scarifications et même les mutilations sont autant d’éléments de parure qui couvrent le corps de l’individu. Nu, ce dernier serait vulnérable, car privé d’identité, de croyances, de repères géographiques, d’attaches culturelles et sociales. Seuls les esclaves ont été dépouillés de leur parure. » D. Bruna, Piercing, sur les traces d’une infamie médiévale, Paris, Textuel, 2001, p. 125.
[20] R. Athey, « L’encre et le métal. Entretien avec Philippe Liotard », dans Quasimodo n°7 : Modifications corporelles, op. cit., p. 113.
[21] E. Heartney, « Orlan, le ’Et’ magnifique » (traduction Lise-Eiane Pomier), dans Orlan, Paris, Flammarion, 2004, p. 231.
[22] Gilles Deleuze se sert effectivement de l’expression pour désigner le « nouveau monstre » « en train de remplacer les sociétés disciplinaires ».
Voir l’article de G. Deleuze, « Post-scriptum sur les sociétés de contrôle », [En ligne]. http://aejcpp.free.fr/articles/cont&hellip ;
[23] L. Russolo, L’Art des bruits, op. cit., p. 16.
[24] Cette démarche est proche de celle de l’artiste et performer américain Bob Flanagan (1952 – 1996) qui multipliait les expériences sadomasochistes sur scène et interrogeait ainsi « la question de la normalité des comportements sexuels et des rapports de domination » sous les yeux de son public. Voir P. Liotard, « Bob Flanagan : Ça fait du bien là où ça fait mal » dans Quasimodo n° 5 : Art à contre-corps, Montpellier, Quasimodo & Fils, Printemps 1998, p. 131.
[25] J.-P. Changeux, L’Homme neuronal, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1983, pp. 142-143.
[26] [This kind of activity starts certain receptors firing in your brain that aren’t normally used—your brain gets flooded with endorphins and other chemicals. You’re using different synapses and making different connections in different parts of your brain than you normally use—the neurons are firing down different pathways. Many times this provides a stimulus that is interpreted as pleasurable, and therefore, repeatable.] Re/Search # 12, Modern Primitives, , op. cit., p. 129.
[27] [My nipples were a dead zone before they got pierced. Then they became a whole new discovery. It was nice—like being female as well. I used to like Paula to suck on them and play with them. So I discovered nipples, which was good—two more erogenous zones added.] Ibid, p. 177.
[28] Voir Re/Search # 12, Modern Primitives, , op. cit.
[29] [When you consider transexuality, intrasexuality, cross-dressing, cosmetic surgery, piercing and tattooing, they are all calculated impulses—a symptomatic groping toward the next phase.] G. P-Orridge, « Breaking Sex Manifesto #1 » (1999), », [En ligne]. http://genesisp-orridge.com/index.p&hellip ;
[30] Voir M. J.-B. Moles, « La fluctuation des genres plutôt que la bifurcation des sexes », dans Quasimodo n°7 : Modifications corporelles, op. cit., p. 298.
[31] La Ballade de Genesis P-Orridge et Lady Jaye, projeté le 4 avril 2009 au Centre Pompidou à Paris, mais sorti sur les écrans deux ans plus tard seulement.
[32] [The work of William S. Burroughs and Brion Gysin has been highly influential to us, particularly in relation to the practice of the ’cut-up’.] Breyer P-Orridge, « Our Practice in Art by Breyer P-Orridge / Why We Are Breaking Sex » (1999), [En ligne]. http://genesisp-orridge.com/index.p&hellip ;
[33] [Just as Burroughs and Gysin collaborated together, subsuming their separate works, individuality and ego to a collaborative process by cutting-up the Word to produce a third mind, so, in our current practice, Breyer P-Orridge have applied the cut-up system and third mind concept directly to a central concern, the fictional SELF.] Ibid.
[34] [It’s time to create a third being just as William and Brion created the Third Mind. I am limited by the biology that I’ve been given…] J. Kruth, « SIGNAL TO NOISE (Part Two) », 2005, entretien avec Genesis P-Orridge, [En ligne]. http://genesisp-orridge.com/index.p&hellip ;
[35] T. Morgan, Literary Outlaw : The Life and Times of William S. Burroughs, op. cit., p. 300.
[36] [Writing is fifty years behind painting. I propose to apply the painters’ techniques to writing ; things as simple and immediate as collage or montage. Cut right through the pages of any book or newsprint…. lengthwise, for example, and shuffle the columns of text. Put them together at hazard and read the newly constituted message. Do it yourself. Use any system which suggests itself to you. Take your own words or the words said to be the very own words of anyone living or dead. You’ll soon see that words don’t belong to anyone. Words have a vitality of their own and you or anybody can make them gush into action.] B. Gysin, « Cut-Ups Self-Explained », Evergreen Review n°32, avril-mai 1964, pp. 60-61, cité dans N. Batt, L’Écriture de William Burroughs, thèse de Doctorat de Troisième Cycle sous la direction de M. Pierre Dommergues, université de Paris VIII-Vincennes, 1975, p. 98.
[37] G.-G. Lemaire, Burroughs, op. cit., p. 59.
[38] P. Mikriammos, William S. Burroughs, Paris, Seghers, 1975, p. 62. De nombreux précédents existent au cut-up, sur lesquels les ouvrages de Lemaire et Mikriammos reviennent plus en détail. Lewis Carroll ou Gertrude Stein ont par exemple employé des techniques similaires respectivement dans Sylvie and Bruno (1889) et The Geographical History of America (1936). Burroughs cite quant à lui volontiers « The Waste Land » (1922) de T. S. Eliot comme le premier cut-up.
[39] « [The Third Mind] is the end result of two minds put together with a third and superior mind », Burroughs Live, the Collected Interviews of William S. Burroughs, 1960-1997, Los Angeles, Semiotext(e) Double Agents Series, 2001, p. 513.
[40] « L’idée du titre [The Third Mind, ou Troisième Esprit] vient d’un livre intitulé Think and Grow Rich, qui expliquait que quand vous mettez deux esprits ensemble, il y a toujours un troisième esprit qui apparaît. C’était également une référence à une phrase de T. S. Eliot, ’Qui est ce troisième qui marche à tes côtés’ qui renvoyait à l’hallucination de deux explorateurs en Arctique qui imaginaient qu’une troisième personne marchait avec eux. » [The idea for the title [of The Third Mind] came from a book called Think and Grow Rich, which said that when you put two minds together there is always a third mind. It was also a reference to a line by T. S. Eliot, « Who is the third that walks beside you ? » which referred to the hallucination of two Arctic explorers, who imagined that a third person was with them.] T. Morgan, Literary Outlaw : The Life and Times of William S. Burroughs, op. cit., p. 551.
[41] C. Hougue, « Le cut-up : ’ut pictura poesis’ au pied de la lettre », dans Trans n°7, op. cit.
[42] [The body is used by the mind as a logo, an hieroglyph for the SELF before we are able to speak and use language. It is almost an holographic doll constructed by external expectations even before our body is born. Even the name we are assigned [by our parents at birth] is another holographic programme in the prophetic story of who we are to become.] Breyer P-Orridge, « Our Practice in Art by Breyer P-Orridge/Why We Are Breaking Sex », op. cit.
[43] G. Breyer P-Orridge, « Dematerialization of Identity/Some Notes 1996 » (1997), [En ligne]. http://genesisp-orridge.com/index.php?section=article&album_id=15&id=95
Notons que dans le documentaire de Marie Losier, Orridge et sa compagne affirment que, contrairement aux parents qui souhaitent un enfant, autrement dit une « troisième personne » issue du couple, ils souhaitent être eux-mêmes la « troisième personne ».
[44] Breyer P-Orridge, « Our Practice in Art by Breyer P-Orridge / Why We Are Breaking Sex », op. cit.
[45] L.Hoptman, Brion Gysin : Dream Machine, Londres, Merrell Publishers Ltd, 2010, p. 149.
[46] G. P-Orridge, Blog, 22 février 2005, [En ligne]. http://genesisp-orridge.com/index.p&hellip ;
[47] D. Baqué, M. Bartelik, Orlan, Orlan, Refiguration Self Hybridations, Paris, Editions Al Dante, 2001, p. 86.
[48] G. Breyer P-Orridge, « Our Practice in Art by Breyer P-Orridge/Why We Are Breaking Sex », op. cit.
[49] [G. Breyer P-Orridge both supply our separate bodies, individuality and ego to an ongoing and substantially irreversible process of cutting-up identity to produce a third being, an “other” entity that we call the PANDROGYNE.] Ibid.
[50] G. Breyer P-Orridge, « Dematerialization of Identity/Some Notes 1996 », op. cit.
[51] Ibid.
[52] Ibid.
[53] G. Breyer P-Orridge, « Our Practice in Art by Breyer P-Orridge/Why We Are Breaking Sex ».
[54] Ibid.
[55] G. Breyer P-Orridge, « Dematerialization of Identity / some notes 1996 », op. cit.
[56] G. P-Orrige, Blog, 5 avril 2005, [En ligne]. http://genesisp-orridge.com/index.p&hellip ;
[57] [Breyer P-Orridge believe [sic] that the binary systems embedded in society, culture and biology are the root cause of conflict, and agression which in turn justify and maintain oppressive control systems and divisive heirarchies [sic].] G. Breyer P-Orridge, « Our Practice in Art by Breyer P-Orridge/Why We Are Breaking Sex », op. cit.
[58] Ibid.
[59] G. Breyer P-Orridge, « Dematerialization of Identity / some notes 1996 », op. cit.
[60] G. P-Orridge, Blog, 22 février 2005), [En ligne]. http://genesisp-orridge.com/index.p&hellip ;
[61] La presse ne se montre pas tendre envers Orridge et Lady Jaye, tous deux régulièrement moqués. Ainsi, en mars 2004, dans The Guardian, Will Hodgkinson s’amuse d’un Orridge habillé en « élégante patronnesse des arts » tout en demeurant, en dépit de ses discours radicaux, « techniquement un homme », W. Hodgkinson, « Dirty freaky things », dans The Guardian, mars 26, 2004, [En ligne]. http://www.guardian.co.uk/music/200&hellip ;
[62] W. Burroughs, « Academy 23 / The Invisible Generation », The Job (avec D. Odier), New York, Grove Press, 1970. Nouvelle publication : London, Penguin, 1989, p. 203.
Becker Christophe, « No Body but You. Modifications corporelles et (re)construction identitaire : de l’assimilation des textes programmatiques burroughsiens dans les performances body art de Breyer P-Orridge », dans revue ¿ Interrogations ?, N°16. Identité fictive et fictionnalisation de l’identité (II), juin 2013 [en ligne], https://revue-interrogations.org/No-Body-but-You-Modifications (Consulté le 11 décembre 2024).