Accueil du site > Numéros > N°7. Le corps performant > Notes de lecture > Yvonne Guichard-Claudic, Danièle Kergoat et Alain Vilbrod (dir.), L’inversion (...)


Navarre Maud

Yvonne Guichard-Claudic, Danièle Kergoat et Alain Vilbrod (dir.), L’inversion du genre. Quand les métiers masculins se conjuguent au féminin… et réciproquement

 




JPEG - 26.1 ko
Yvonne Guichard-Claudic, Danièle Kergoat et Alain Vilbrod (dir.), L’inversion du genre. Quand les métiers masculins se conjuguent au féminin… et réciproquement, PUR, coll. « Des sociétés », 2008

Issu du colloque qui s’est tenu à Brest des 18, 19 et 20 mai 2005, l’ouvrage dirigé par Yvonne Guichard-Claudic, Danièle Kergoat et Alain Vilbrod propose un concept novateur dans l’étude des rapports de genre au sein des professions : l’inversion du genre. Quelque peu provocateur, le titre laisserait entendre que les positions sexuées pourraient être renversées voire même que cette situation se serait déjà produite. En réalité, en abordant le thème de l’inversion du genre, les auteurs cherchent avant tout à voir comment l’inversion des positions sexuées dans le monde professionnel et privé remet en question la hiérarchie et les représentations du genre.

Abordant tantôt l’inversion du genre dans les professions féminines, tantôt dans les professions masculines, l’ouvrage se donne pour objectif d’étudier trois catégories d’évolution des rapports de genre : la division sexuelle du travail, les trajectoires professionnelles ainsi que la vie privée, trop souvent évincée des études. C’est ainsi que sont abordées par exemple les situations d’hypogamie féminine, terme qui désigne une surqualification des femmes par rapport aux hommes en fonction du diplôme ou de l’activité professionnelle, au sein du couple.

L’ouvrage s’organise autour de quatre parties. Dans un premier temps, les auteurs s’intéressent aux orientations et aux parcours des individus en situation d’inversion du genre. C’est alors l’occasion d’aborder les trajectoires des garçons dans des filières de formation féminines telles que la couture (Nicolas Divert) ou encore celles des filles dans des filières de formation masculines comme la mécanique (Clotilde Lemarchant).

Dès cette entrée en matière, la situation est établie : tandis que la plupart des garçons s’orientent vers une filière féminine « par défaut », suite à des échecs scolaires et un peu par hasard, les filles font en revanche preuve d’une véritable vocation pour la formation suivie et le métier sur lequel elle débouche. Alors que les filles sont plutôt stigmatisées car jugées comme n’étant pas à leur place - ce qui ne les empêchent pas d’avoir le sentiment, une fois les difficultés passées, d’avoir mieux réussi que si elles avaient suivi une filière de formation féminine -, les garçons sont au contraire valorisés.

Les processus de socialisation venant expliquer cette inversion du genre sont au passage mentionnés : valorisation au sein de la famille d’une profession, au-delà du sexe lui étant lié, fille/fils jouant le rôle d’un fils/fille manquant dans la famille, relative tolérance de la famille à l’écart des assignations de genre ou encore, pour les filles, exercice d’une profession que la mère aurait souhaité pratiquer lorsqu’elle était jeune mais que les conditions de genre de cette époque n’ont pas permis.

Cette asymétrie entre le vécu des garçons en situation d’inversion et celui des filles est transversale à tout l’ouvrage : l’inversion du genre ne peut être étudiée en suivant la même démarche selon que l’on s’intéresse aux hommes ou aux femmes.

Deux parties sont ensuite consacrées respectivement à l’inversion du genre dans les professions féminines, puis masculines.

Roland Pfefferkorn rappelle en introduction combien la féminisation des professions masculines est récente. Ce n’est qu’à partir des années 1970-1980 que les femmes ont commencé à entrer dans l’armée, la police, les corps des sapeurs-pompiers, les prisons ou encore le bâtiment et l’industrie. Malgré cette avancée, il semble que les femmes se heurtent toujours au « plafond de verre » et aient du mal à dépasser 10 à 20% des effectifs.

Souvent recrutées pour leurs qualités féminines, les femmes cherchent pourtant à s’en émanciper en investissant des secteurs masculins. Une fois entrées dans les professions masculines, diverses stratégies s’offrent à elles : valoriser leur identité féminine ou la mettre entre parenthèses. On retrouve, au passage, des similitudes avec l’excellente typologie de Nicky Le Feuvre sur les comportements des femmes à l’égard de leur genre dans les professions les plus prestigieuses, majoritairement occupées par des hommes, qui comprennent les échelons supérieurs de l’emploi salarié dans le secteur privé et public ainsi que les professions libérales. Cette typologie est présentée dans la quatrième partie de l’ouvrage.

L’ouvrage aborde alors plus spécifiquement l’inversion du genre dans des professions telles que conducteur de poids lourds (Anne-Catherine Rodrigues) ou encore architecte (Nathalie Lapeyre), en passant par des professions plus atypiques telles que le rabbinat (Béatrice De Gasquet).

Dans la troisième partie, ce sont les hommes en « situation d’inversion » qui sont étudiés. Ce domaine de recherche, peu exploité encore aujourd’hui, s’avère difficilement conciliable avec les processus de féminisation des professions masculines évoqués dans les premières parties du livre. Tout différencie les hommes et les femmes. Au niveau des parcours professionnels, les hommes en situation d’inversion connaissent une ascension plus rapidement que les femmes. Leur entrée dans les professions féminines est souvent due aux modifications des modalités d’accès, contrairement professions masculines qui se féminisent grâce notamment aux politiques publiques. Tandis que les femmes dans les professions masculines sont dévalorisées, les hommes dans les professions féminines sont avantagés : plus grande disponibilité que leurs consœurs et valorisation de leur genre masculin et des compétences qu’il est sensé garantir (technicité, force physique…). C’est ce que montre notamment Yveline Jaboin dans son étude des hommes enseignants à l’école maternelle.

Les repères de genre se brouillent alors face à la spécificité de chaque profession : tandis que rien dans la socialisation des « hommes sage-femme » ne les prédisposaient à exercer ce métier (Philippe Charrier), les enseignants en école maternelle se caractérisent par une familiarité avec la petite enfance devançant leur engagement professionnel.

Dans une ultime partie, les auteurs présentent les enjeux de ces « situations d’inversion », enjeux qui finalement se résument souvent à un rappel à l’ordre sexué. C’est ce que montre l’étude de Fabienne Malbois portant sur les femmes éleveurs. Elle explique, à partir d’un reportage télévisé sur une femme éleveur de bovins ayant lancé une pétition pour le retour à la vaccination du bétail contre la fièvre aphteuse, comment les représentations médiatiques enferment l’éleveuse dans son genre et invalident par ce moyen la possibilité qu’elle exerce correctement son métier, en montrant par exemple les difficultés qu’elle éprouve à réaliser les activités nécessitant une force physique dans sa profession.

Du côté des femmes en situation d’inversion, Stéphanie Gallioz dresse un tableau sensiblement différent. Travailler dans le secteur du bâtiment représente pour ces femmes l’occasion de s’émanciper des stéréotypes de leur genre, toujours synonymes selon elles de dévalorisation, en exerçant une profession aux caractéristiques masculines et en refusant les rappels à l’ordre sexué de leurs collègues masculins.

En somme, cet ouvrage présente un large panorama des situations d’inversion de genre dans les professions masculines et féminines. Il s’inscrit dans la continuité des études sur le genre et les professions [1]. Un ouvrage aux apports théoriques indéniables qui ouvre la voie à de nombreuses perspectives de recherche.

Notes

[1] Voir notamment le livre de J. Y. Causer, R. Pfefferkorn, B. Woehl, Métiers, Identités professionnelles et genre, Paris, L’Harmattan, « Logiques sociales », 2007, 255 p.

Pour citer l'article


Navarre Maud, « Yvonne Guichard-Claudic, Danièle Kergoat et Alain Vilbrod (dir.), L’inversion du genre. Quand les métiers masculins se conjuguent au féminin… et réciproquement », dans revue ¿ Interrogations ?, N°7. Le corps performant, décembre 2008 [en ligne], https://revue-interrogations.org/Yvonne-Guichard-Claudic-Daniele (Consulté le 21 novembre 2024).



ISSN électronique : 1778-3747

| Se connecter | Plan du site | Suivre la vie du site |

Articles au hasard

Dernières brèves



Designed by Unisite-Creation