Cet article retrace la démarche scientifique qui nous a conduit à l’étude d’un objet méconnu : le roman d’aventures français de l’entre-deux-guerres. Il s’agit moins de faire l’historique du parcours anecdotique d’un étudiant en lettres modernes que, reprenant étape par étape une démarche intellectuelle, d’en vérifier la validité, d’en exposer la méthode, d’en saisir les enjeux. Les étapes suivantes articuleront cette recherche de l’aventure : pourquoi envisager l’étude de cet objet ? Pourquoi cette étude peut-elle se montrer pertinente ? Quelles méthodes employer pour cette étude ? Quelles perspectives et quels enjeux pour une telle étude ? Autant de questions qui structurent la problématique de cet article, celle de l’élaboration d’un sujet de recherche.
Le roman d’aventures français de l’entre-deux-guerres se situe à la croisée de deux objets d’études : le roman d’aventures et le roman de l’entre-deux -guerres.
Le roman d’aventures a été l’objet de plusieurs études universitaires l’abordant de façon globale (Mathé, 1978 ; Tadié, 1982 ; Guillaume, 1999 ; Letourneux, 2010). L’histoire du genre peut être résumée ainsi : la notion de roman d’aventures est apparue en France dans les années 1860 ; d’abord destiné à édifier la jeunesse et à promouvoir l’entreprise coloniale, le roman d’aventures évolue à la suite du premier conflit mondial ; il est investi par une partie de l’élite littéraire qui y promeut l’aventure recherchée pour elle-même, en tant qu’attitude existentielle et expérience de l’absolu.
Il serait impossible ici de résumer les avancées de l’étude du roman de l’entre-deux-guerres. Relevons-en néanmoins deux. D’une part, cette période succède à ce que Michel Raimond a décrit comme la « crise du roman » (Raimond,1966), moment de remise en cause du genre face à l’héritage du XIXe siècle à la suite de laquelle s’ouvre une période de réflexion et d’expérimentation affranchie en partie de la tradition. D’autre part, cette période comprise entre les deux ruptures politiques, économiques et culturelles majeures que sont les deux guerres mondiales est envisagée dans plusieurs travaux comme un ensemble cohérent (Baldensperger, 1943 ; Barrot, 1990 ; Tonnet-Lacroix, 1993).
En 1913, dans un article intitulé « Le roman d’aventure », paru dans La Nouvelle Revue française (NRF), Jacques Rivières fait appel à une notion élargie de l’aventure [1] pour renouveler le roman : « L’aventure, c’est la forme de l’œuvre plutôt que sa matière : les sentiments, aussi bien que les accidents matériels, y peuvent être soumis. » (Rivière, 2000 : 69) Or quid du roman d’aventures proprement dit ? Les ouvrages consacrés à l’histoire du genre ne citent que quelques noms d’auteurs : Kessel, Malraux, Cendrars, Mac Orlan, t’Serstevens, etc. Sont-ce là les seuls auteurs concernés et méritant d’être retenus ? Telle est la première question, le premier doute qui nous a conduit à notre sujet.
La pertinence de cette question s’est vue renforcée par l’intérêt que porte une partie de l’élite littéraire d’après-guerre au roman d’aventures traditionnel. On peut citer l’article d’Albert Thibaudet, « Le roman de l’aventure » paru en 1919, celui de Pierre Grasset, « Le roman d’aventures, renouveau ou régression ? », paru en 1922, les traductions des romans de Conrad par Gide, le numéro spécial que consacre la NRF au même Conrad à sa mort, ou les réflexions de Mac Orlan qui publie un Manuel du parfait aventurier en 1920. Autant d’indices qui nous invitent à former l’hypothèse que le tournant littéraire que prend le roman d’aventures après la Première Guerre mondiale ne se résume pas aux quelques auteurs – aussi importants soient-ils – que l’histoire littéraire a retenus, et que la réflexion sur le genre de l’aventure possède une importance non négligeable dans l’histoire du roman français. Il est important de souligner que notre étude ne prend pas en compte la production de roman populaire d’aventures, non en raison d’un quelconque jugement de valeur, mais parce que cette production a déjà fait l’objet de plusieurs études. Nous pensons entre autres à l’Histoire du roman populaire en France de 1840 à 1980 d’Yves Olivier-Martin [2].
La question du roman d’aventures, au début du XXe siècle, indéniablement, est à mettre en rapport avec la « crise du roman » et la réflexion sur la modernité romanesque. Le programme romanesque que propose Jacques Rivière en 1913, en faisant appel au roman d’aventure, est celui du « roman nouveau », rien de moins. Nous l’avons vu, Jacques Rivière lie étroitement notion d’aventure et processus narratifs romanesques, associant la question de l’aventure à des questions formelles (de structure narrative, de construction des personnages) qui font également l’objet des réflexions que développe Michel Raimond. Cet article intègre pleinement les débats sur la nature et l’orientation du roman qui anime la NRF depuis sa création. Rappelons que, s’il élargit la notion d’aventure, il n’exclut pas la forme du roman d’aventures traditionnel des possibilités du « roman nouveau » auquel il aspire – même s’il le minimise par trop selon nos hypothèses. Edmond Jaloux, dans le numéro hommage de la NRF consacré à Conrad, désigne le roman d’aventure psychologique tel que le pratique l’auteur britannique comme le type de roman qui manque à la littérature française [3]. Ramon Fernandez, dans le même numéro, réaffirme, en analysant l’art de Conrad, certains des postulats de l’innovation romanesque au moment de la « crise du roman », notamment la nécessité d’une psychologie profonde, subjective et intense : « L’art de Conrad est donc le contraire de l’art descriptif, notamment de celui de Balzac ; il ne calque pas la réalité devant l’homme mais l’homme devant la réalité ; il évoque des expériences subjectivement intégrales parce que l’impression équivaut à la totalité de la perception, et parce que l’homme la subit tout entier et de toutes ses forces. » (Fernandez, 1924 : 732). Notons enfin que l’article de Jacques Rivière qui inaugure cette série de réflexions date de 1913, d’avant la guerre. La chronologie de cette inflexion ’aventureuse’ de la pensée du roman ne dépend pas de l’Histoire, mais suit sa logique propre. Logique qui s’ancre, selon notre hypothèse, à la fin du XIXe siècle, et plus particulièrement dans le mouvement symboliste. Au contraire de Jacques Rivière qui oppose le roman d’aventure au symbolisme, nous l’y rattachons. Outre le vif intérêt que portent certaines figures majeures du mouvement au roman d’aventures anglo-saxon – que l’on pense aux traductions et comptes rendus élogieux qu’en font Schwob, Gide ou Ghéon – intérêt qui suffirait en soi à étayer notre hypothèse, la production décadentiste, par son insistance à mettre en scène le problème de l’action, développe par là même en son sein un discours et un fantasme du voyage, de l’action et de l’aventure ; aspect que développent explicitement certains romans de Gide, tels Le Voyage d’Urien ou Paludes, mais qui est également présent chez d’autres décadents, nous pensons ici aux rêveries et à la tentative – tentation – de voyage(s) de Des Esseintes.
Dans son ouvrage, Michel Raimond mentionne très peu le roman d’aventures. Chose normale pour un ouvrage qui embrasse une période de plusieurs décennies ; chose intéressante pour qui est sur la piste de cet objet méconnu, le roman d’aventures français de l’entre-deux-guerres, dont la question initiale – quid du roman d’aventures proprement dit après l’article de Jacques Rivière et la « crise du roman » ? – voit sa pertinence accrue par le vide laissé à ce sujet par la critique. D’autant plus que les années qui suivent la Grande Guerre voient l’apparition d’une abondante production de romans d’aventures. Une simple plongée dans les comptes-rendus littéraires de revues culturelles telles que le Mercure de France, La NRF, Le Divan, Vient de paraître ou encore Marianne, suffit pour constater que des dizaines de romans d’aventures paraissent dans les années 1920 et 1930, recevant non seulement un accueil favorable de la part du public – L’Atlantide et Koenigsmark de Pierre Benoit sont d’immenses succès de librairie – mais également de la critique – citons Rachilde qui écrit dans le Mercure de France en 1923 à propos d’un roman [4] qui conte « la plus inouïe des aventures » : « Il faut se féliciter de voir revenir le règne du roman romanesque, tellement plus délassant que le roman seulement de mœurs. » (Rachilde, 1923).
Nous découvrons donc ici une zone d’ombre de l’histoire littéraire française, en lien étroit avec l’élaboration du roman moderne. La pertinence de ce projet d’étude se voit renforcée par l’actualité de la recherche littéraire qui s’intéresse au roman d’aventures en général mais aussi au roman d’aventures de l’entre-deux-guerres. Outre la thèse de Matthieu Letourneux, publiée en 2010, il y a également la revue Elfe XX-XXI qui, en 2011, a consacré son premier numéro au thème de l’aventure, et dont plusieurs articles portent sur l’entre-deux-guerres ; tout récemment enfin, le numéro d’hiver 2103 de la revue de l’Université Laval, Études Littéraires, s’interroge sur l’aventure comme possibilité pour le roman français de la première moitié du XXe siècle. Plusieurs romans d’aventures de l’entre-deux-guerres ont été réédités, trois romans de Pierre Benoit à l’occasion du cinquantième anniversaire de la mort de l’auteur (l’année 2012 a été décrétée « année Pierre Benoit » et s’est conclue par un colloque consacrée à l’œuvre romanesque de l’auteur), un roman de Roger de Lafforest, Les Figurants de la mort, réédité en 2009, ainsi qu’un roman de François Fosca, Monsieur XIV, réédité en 2014. Par ailleurs, la redécouverte des auteurs méconnus du XXe siècle est plus que jamais d’actualité avec notamment les activités du Centre Roman 20-50 (Université Lille 3) [5] et celles de la Chaire de recherche du Canada sur le Roman Moderne (Université du Québec à Chicoutimi) dirigée par François Ouellet.
Il semble évident que la perspective adoptée pour cette étude sera celle de l’histoire littéraire. Cette désignation est toutefois trop large pour nous satisfaire. Antoine Compagnon le rappelle (Compagnon, 2001), l’histoire littéraire peut aussi bien désigner le rapport des livres entre eux dans le temps que le rapport des livres et de leur contexte historique, et la difficile conciliation du formalisme et de l’historicisme refuse à la discipline toute définition univoque. Tout d’abord, il convient ici de confirmer que l’objet qui nous intéresse est le roman d’aventures lui-même. Le contexte littéraire a été déjà abondamment étudié et seul le roman d’aventures reste une inconnue dans le sujet qui nous intéresse. Notre réflexion aura donc tendance à se situer plus du côté du livre et moins de celui de l’Histoire. Par ailleurs, l’histoire de la notion d’aventure a été établie par l’historien Sylvain Venayre dans son ouvrage La Gloire de l’aventure. Genèse d’une mystique moderne. 1850-1940. La conception de l’histoire littéraire à laquelle nous nous rattacherons sera donc celle que Gérard Genette propose dans Figure III au chapitre intitulé « Poétique et histoire » (Genette, 1969). Gérard Genette opte pour une histoire de la littérature en elle-même et pour elle-même, une histoire de la littérature non envisagée dans ses circonstances historiques, ni comme document historique ; non pas une histoire des œuvres – qui n’évoluent pas – mais une histoire des formes, qui transcendent les œuvres et qui sont constitutives du jeu littéraire. Le roman d’aventures, en tant que genre, c’est-à-dire forme particulière de roman, se prête particulièrement bien, à l’histoire des formes que propose Genette. Adoptant un large corpus, notre étude veut dépasser l’œuvre et sa valeur (faisant se côtoyer auteur institutionnalisés et méconnus) au profit d’une compréhension dynamique de l’évolution du genre de l’aventure. Enfin, la position de Genette, orientation plus que programme méthodologique stricte, possède l’avantage de la souplesse et de possibles ouvertures vers d’autres histoires littéraires privilégiant la forme, nous pensons aux théories des formalistes russes dont la prise en compte des jeux de parodie peut éclairer l’histoire du genre de l’aventure.
Une fois la perspective d’histoire littéraire dégagée, se pose la question de la définition. Définir l’objet a priori, c’est trouver ce que l’on cherche ; le définir a posteriori, c’est se lancer à l’aveugle dans des corpus immenses au risque de s’y perdre. Devons-nous considérer les romans d’aventures de l’entre-deux-guerres désignés comme tels par leurs contemporains, ou ceux correspondant au modèle générique établi par la critique actuelle ? Dans le premier cas, on prend le risque d’exclure un bon nombre d’œuvres pertinentes pour notre étude pour la seule raison qu’elles ne sont qualifiées nulle part de « roman d’aventures » ; dans le second, on s’expose à des dérives anachroniques. La solution envisagée pour surmonter cette difficulté est de sélectionner les ouvrages du corpus selon les deux optiques, celle de la critique de la période concernée, et celle de la critique actuelle. Nous prenons pour modèle générique du roman d’aventures celui proposé par Matthieu Letourneux [6], modèle qui correspond à une forme canonique du genre, établie au XIXe siècle. Cette méthode de sélection nous permet d’obtenir un corpus d’étude possiblement composé de trois catégories : les romans qualifiés « d’aventure(s) » par la critique de l’époque mais ne correspondant pas au modèle générique ; les romans correspondants au modèle générique mais non qualifiés « d’aventures » par la critique de l’époque ; les romans correspondant aux deux optiques.
Selon l’importance de chaque catégorie, il sera possible de conclure quant à l’adéquation ou la non-adéquation des conceptions de l’époque du roman d’aventures avec le modèle générique que nous utilisons (qui reflète une réalité du roman d’aventures d’avant la Première Guerre mondiale) ainsi que d’identifier, dans le cas d’une non-adéquation, les particularités du roman d’aventures de l’entre-deux-guerres. Cette méthode de sélection, tout en présentant l’avantage d’aborder le roman d’aventures dans sa globalité (par la théorie et par sa ’réalité’), permet donc de confronter les limites de chacune des deux optiques (d’époque et contemporaine) afin de mettre à jour les particularités de l’objet étudié.
Le corpus établi, il s’agit de savoir s’il correspond à un modèle traditionnel ou s’il présente des particularités. Pour le savoir, il s’agira de comparer les romans du corpus entre eux et avec des romans d’aventures d’avant la période étudiée. Chacune de ces comparaisons aura pour objet de déterminer quel est le rapport des romans étudiés avec la tradition (représentée au sein du corpus par les romans correspondant au modèle générique). Les particularités du roman d’aventures de l’entre-deux-guerres étant donc saisies dans notre travail selon une perspective d’évolution du genre, cela nous conduit à envisager notre objet selon une problématique de la réécriture, ce qui présente l’avantage de mettre à notre service les outils conceptuels mis au point par Gérard Genette dans Palimpsestes (Genette, 1982). Cette perspective est également justifiée par le genre de l’aventure qui, extrêmement codé, s’est toujours élaboré en rapport à la tradition. Notre première question : quid du roman d’aventures proprement dit après l’article de Jacques Rivière ?, se voit augmentée d’une seconde : écriture ou réécriture, réaction ou innovation, quels sont les rapports de ce roman d’aventures avec la tradition ?
Le modèle générique établi par Matthieu Letourneux et les outils conceptuels proposés par Gérard Genette étant construits à partir de considérations thématiques et narratologiques, il est logique de choisir ces deux perspectives pour entreprendre notre travail de comparaison et de description. Ce choix méthodologique n’est pourtant pas uniquement imposé par le cadre théorique. Un premier parcours de romans d’aventures de l’entre-deux-guerres révèle que l’action y est une réponse à une thématique de l’impuissance, de l’absurde, de la peur, de la mollesse et de la mort qui affecte le héros. À une problématique d’ordre thématique répond donc une problématique d’ordre narratologique puisque le problème de l’action pour le héros est aussi le problème de l’action et de sa mise en récit pour le roman de l’« après-crise ». « Vivre ou raconter » : tel est le dilemme que pose Roquentin et auquel sont confrontés les aventuriers de roman des années d’entre-guerres. Il y a souvent celui qui agit et celui qui raconte – l’« aventurier actif » et l’« aventurier passif » selon les termes de Mac Orlan. Nous aurons à ce propos, une fois encore, recours aux outils de la narratologie pour démêler les rapports du dire au faire et comprendre le point de vue selon lequel se réalise l’aventure.
Jusqu’ici nous avons parlé du « roman d’aventures français de l’entre-deux-guerres » sans toutefois justifier le choix de cette période chronologique, ou plutôt, sans justifier sa seconde borne. En effet, l’article de Jacques Rivière et les réflexions du groupe de la NRF en lien avec la « crise du roman » justifient un point de départ situé autour de la Première Guerre mondiale. Pour ce qui est du second conflit mondial comme point d’arrivée, deux éléments nous incitent à faire ce choix. D’une part, nous l’avons dit, l’entre-deux-guerres peut être et est considérée comme une période à part de l’histoire littéraire présentant une unité et une cohérence. D’autre part, l’historien de l’aventure Sylvain Venayre situe les années de triomphe de ce qu’il appelle la « mystique de l’aventure » durant les années 1920 et 1930 (Venayre, 2002 : 160). Ces deux considérations nous amènent à faire l’hypothèse que les années d’entre-deux-guerres fournissent un corpus cohérent et particulier de romans d’aventures. Ce qui ne nous dispensera pas de mettre à l’épreuve cette hypothèse.
Dernier détail méthodologique : parlons-nous de roman d’aventure ou de roman d’aventures ? La question n’est pas tranchée durant les années qui nous intéressent, Jacques Rivière parle du « roman d’aventure », Albert Thibaudet du « roman de l’aventure », Mac Orlan du « roman d’aventures ». Parmi les critiques actuels, Jean-Yves Tadié et Matthieu Letourneux écrivent « roman d’aventures ». Aventure (au singulier) aurait tendance à désigner un univers, un concept unifié de l’aventure ; aventures (au pluriel) désigne une série d’aventures. Selon Sylvain Venayre, le premier serait une notion propre au XIXe siècle, le second correspondrait à l’objectivation du genre au XXe siècle (Venayre, 2002 : 107) ; il utilise pourtant lui-même le pluriel. Nous avons fait également le choix du pluriel, pour nous inscrire à la suite des travaux qui nous ont inspiré, (Tadié, Venayre, Letourneux), et également en raison du caractère thématique et narratologique de nos travaux ; en effet, ces approches procèdent à un « découpage » du texte (en unités thématiques et narratives) auquel se prête mieux une vision plurielle d’un texte construit sur une série d’aventures.
Le premier résultat attendu de ce travail est la constitution, l’analyse et la compréhension d’un corpus de romans présentant un intérêt littéraire et dont la plupart ont été oubliés par l’histoire littéraire. Le premier enjeu de cette étude est donc clairement une (re)découverte d’un pan de la littérature française de l’entre-deux-guerres. Cette (re)découverte a pour perspective une meilleure compréhension de l’histoire du genre de l’aventure. Le corpus analysé sera en effet articulé à la tradition qui le précède, de façon à connaître et comprendre en détail les changements qui ont affecté le roman d’aventures à l’orée du XXe siècle. Par ailleurs, l’étude des romanciers d’aventures institutionnalisés ne peut que bénéficier d’une compréhension plus profonde du genre littéraire dans lequel ils se sont inscrits. Connaître Maurice Dekobra, Jean d’Esmes, Albert Touchard, c’est peut-être mieux comprendre Malraux, Kessel, Cendrars. Nous l’avons vu, les réflexions de la fin des années 1910 et du début des années 1920 sur le roman d’aventures ont partie liée avec les réflexions plus générales qui ont accompagné l’avènement du roman moderne. Elles portent sur une notion essentielle pour l’art du roman, celle de l’action. Connaître les aspirations et l’esthétique portées par ce genre – genre qui, privilégiant l’action, est en lien étroit avec l’acte narratif – c’est mieux comprendre le roman français tel qu’il s’est développé au XXe siècle. Enfin, s’ouvrant à des romanciers oubliés des manuels ou considérés comme mineurs, ce projet s’inscrit modestement dans une perspective de relecture d’une histoire littéraire encore récente, mettant à profit le recul dont les décennies précédentes n’ont pas bénéficié pour en proposer une étude aussi scientifique que possible.
À la recherche de l’aventure, nous sommes partis de l’article de Jacques Rivière qui applique la notion d’aventure à la forme romanesque pour annoncer un « roman nouveau ». Des réflexions du groupe de La Nouvelle Revue française sur le roman d’aventures à la fin des années 1910 et au début des années 1920 nous avons déduit l’existence d’un objet d’étude encore peu connu de l’histoire littéraire : le roman d’aventures à ambition littéraire de l’entre-deux-guerres. Recoupant les acquis de la recherche sur ce sujet et une première recension de romans et de compte rendus d’époque, nous avons pu mettre au point une chronologie, une problématique et une méthodologie selon lesquelles nous mènerons notre étude. La mise au point d’un premier corpus d’étude confirme l’abondance de la production de romans d’aventures de l’entre-deux-guerres et le caractère encore méconnu de celle-ci. Enfin, le lien qui unit le genre aux réflexions qui ont accompagné l’élaboration d’une modernité romanesque confère à ce projet, nous l’espérons, la capacité d’apporter, aussi modeste soit-elle, une contribution aux études du roman moderne français.
Baldensperger Fernand (1943), La littérature française entre les deux guerres, Marseille, Sagittaire.
Barrot Olivier et Ory Pascal (dir.) (1990), Entre-deux-guerres. La création française 1919-1939, Paris, François Bourin.
Compagnon Antoine (2001), Le démon de la théorie, Paris, Seuil.
Genette Gérard (1982), Palimpsestes : la littérature au second degré, Paris, Le Seuil.
Genette Gérard (1969), Figures III, Paris, Le Seuil.
Guillaume Isabelle (1999), Le roman d’aventures depuis l’île au trésor, Paris, L’Harmattan.
Grasset Pierre (1922), « Le roman d’aventures, renouveau ou régression ? », La Grande Revue, vol.108, juillet 1922, pp. 605-620.
Fernandez Ramon (1924), « L’art de Conrad ». La Nouvelle Revue française, t. XXIII, n°135, décembre 1924, pp. 730-737.
Jaloux Edmond (1924), « Joseph Conrad et le roman d’aventures anglais », t. XXIII, n°135, décembre 1924, pp. 713-719.
Letourneux Matthieu (2010), Le roman d’aventures 1870-1930, Limoges, Presses Universitaires de Limoges.
Mac Orlan Pierre (2009), Petit manuel du parfait aventurier [1920], Sillage, Paris.
Mathé Roger (1978), L’aventure d’Hérodote à Malraux, Paris-Montréal, Bordas.
Olivier-Martin Yves (1980), Histoire du roman populaire en France de 1840 à 1980, Paris, Albin Michel, Paris.
Rachilde (1923), « Revue de la Quinzaine : Les romans », Mercure de France, t. CLXII, n°592, février 1923, p.170.
Raimond Michel (1985), La crise du roman : des lendemains du Naturalisme aux années vingt, Paris, José Corti.
Rivière Jacques (2000), Le Roman d’Aventure [1913], Paris, Édition des Syrtes.
Thibaudet Albert (1919), « Réflexions sur la littérature : le roman de l’aventure », La Nouvelle Revue française, t. XIII, n°72, septembre 1919, pp. 597-611.
Tonnet-Lacroix Elianne (1993), La littérature française de l’entre-deux-guerres 1919-1939, Tours, Nathan.
Tadié Jean-Yves (1982), Le roman d’aventures, Paris, Presses Universitaires de France.
Venayre Sylvain (2002), La Gloire de l’aventure. Genèse d’une mystique moderne, 1850-1940, Paris, Aubier.
[1] « L’aventure, c’est ce qui advient, c’est-à-dire ce qui s’ajoute, ce qui arrive par-dessus le marché, ce qu’on attendait pas, ce dont on aurait pu se passer. » (Rivière, 2000 : 66)
[2] Nous citerons également les travaux du centre Rocambole, spécialisé sur le roman populaire.
[3] « Joseph Conrad est peut-être le seul grand romancier d’aventures qui soit un grand psychologue. […] Si Conrad était devenu un des nôtres, il nous aurait donné un type de roman qui nous a toujours manqué : le grand roman d’action psychologique. » Jaloux, 1924 : 718)
[4] Il s’agit de Le sosie par José Germain.
[5] Un colloque intitulé « Relire les écrivains méconnus du XXe siècle » s’y est tenu en octobre 2011, co-organisé par Bruno Curatolo (Centre Jacques-Petit, Université de Franche-Comté), François Ouellet (Université du Québec à Chicoutimi) et Paul Renard (Roman 20-50). Actes à paraître aux Annales littéraires de Franche-Comté en 2013.
[6] Il peut être résumé ainsi : le roman d’aventures est un roman qui s’organise autour des deux caractéristiques fondamentales que sont le dépaysement et l’action violente. Letourneux précise que ce n’est pas le nombre d’événements qui fait le roman d’aventures mais la fonction qu’ils remplissent. Ils doivent être en rapport avec une rupture qui organise l’opposition monde quotidien/monde de l’aventure qui fonde le dépaysement. Le roman d’aventures se caractérise par une dialectique de l’opposition (Letourneux en retient trois principales : aventure/quotidien ; civilisation/sauvagerie ; morale/action). Letourneux relève également trois aspects principaux du roman d’aventures : A. Un aspect formel : unité d’ensemble et série d’unités autonomes. B. Un aspect thématique : le dépaysement et le risque. C. Un aspect poétique : la relation aventure/évasion.
Kawczak Paul, « À la recherche de l’aventure. Méthode et enjeux d’une étude du roman d’aventures français de l’entre-deux-guerres », dans revue ¿ Interrogations ?, N°17. L’approche biographique, janvier 2014 [en ligne], https://revue-interrogations.org/A-la-recherche-de-l-aventure (Consulté le 21 décembre 2024).
ISSN électronique : 1778-3747