Cet article se propose d’interroger la carrière des personnes atteintes de sclérose en plaques (SEP), en partant de l’implication pour discuter de la désimplication peu travaillée dans les recherches en sciences sociales. Ce travail s’inscrit dans une démarche sociologique fondée sur différentes méthodes de la sociologie qualitative qui font appel à des entretiens individuels, collectifs, des observations et la rédaction d’un mini-journal mis en œuvre à titre expérimental. L’enquête de terrain s’est déroulée dans trois associations françaises présentant des caractéristiques propres. Une analyse de contenu thématique et interprétative met en évidence la logique des acteurs dans leur carrière associative. L’identification aux pairs apparaît comme un élément déterminant de la carrière des sujets atteints de SEP, ce qu’a confirmé une rencontre avec des organisations suisses et belges. Les différentes formes de désimplication sont analysées au travers du discours des sujets rencontrés.
Mots-clés : implication, désimplication associative, identification, sclérose en plaques.
This article aims to highlight the associative career of multiple sclerosis associative, from engagement to disengagement and to discuss in more details, the lack of social sciences research in this area. This work is part of a sociological approach based on different methods of qualitative sociology. Both individual and group interviews, observations and the writing of a mini-diary were conducted in three French associations with specificities for each one. The mini-diary was used in an experimental way. An analysis of thematic and interpretive content shows the logic of the actors in their associative career. The identification with peers constitutes a determinant factor in the career of people with multiple sclerosis. This result was confirmed when we met Swiss and Belgian Aid organisations. Various forms of disengagement were analyzed in the form of encountered subjects’s speeches.
Key words : engagement, disengagement, identification, multiple sclerosis.
Cet article se propose de questionner la carrière associative et plus spécifiquement le processus de désimplication des associations concernant les personnes atteintes de sclérose en plaques, à partir de leur implication. L’implication associative est un terme générique pour désigner « un comportement qui consiste pour les individus à s’investir […] dans quelque chose qui dépasse leur individualité. » (Prost, 1998 :15). L’implication regroupe différents niveaux et prend diverses formes : l’adhésion, c’est-à-dire le fait de verser une cotisation, la participation aux activités de loisir (repas, convivialité, informatique) et aux activités de soutien (groupe de parole, sophrologie), l’engagement dans les actions de revendication et dans des actions à responsabilité. La désimplication associative signifie la fin d’un cycle d’implication. À partir des données empiriques, l’analyse de ce temps fort de la sortie associative permet de questionner l’expérience associative dans sa globalité et les différentes étapes du processus.
Si l’on s’attache aux principales caractéristiques de la sclérose en plaques, on peut mentionner qu’il s’agit d’une maladie inflammatoire du système nerveux central. Elle est caractérisée par une destruction de la gaine de myéline protégeant les fibres nerveuses (axones) situées dans la moelle épinière et le cerveau et permettant la conduction rapide de l’influx nerveux. Actuellement, en France, environ 80 000 personnes en sont atteintes. Les modes de contraction de la maladie sont encore mal identifiés. Les symptômes sont différents d’un sujet à l’autre et variables, ce qui rend souvent le diagnostic difficile. L’intensité de la maladie est elle-même variable dans le temps, ses effets peuvent apparaître puis disparaître plus ou moins totalement. Les troubles peuvent affecter la vision, la sensibilité, la motricité, l’équilibre, la coordination des mouvements, le système urinaire, intestinal, sexuel. La sclérose en plaques est la plus fréquente des affections neurologiques de l’adulte jeune, en moyenne 29 ans, au moment où il se construit personnellement, professionnellement, socialement.
Après avoir présenté les principales spécificités de cette recherche, nous détaillerons la méthodologie et plus précisément un outil expérimental mis en œuvre : le mini-journal. Nous envisagerons la constitution du mouvement associatif de la sclérose en plaques (SEP) en France pour mieux situer les associations de notre enquête dans le paysage associatif. Afin de mieux comprendre comment les sujets atteints, après s’être impliqués, en viennent à se désimpliquer d’une ou plusieurs associations, nous mettrons en évidence différentes catégories d’associations. Le processus de désimplication et ses différentes formes seront analysés à la lumière d’extraits d’entretiens et de mini-journaux des sujets rencontrés. Enfin, à partir de notre analyse et d’une rencontre avec la Société Suisse de Sclérose en Plaques et la Ligue Nationale Belge de la Sclérose en Plaques, nous dégagerons une réflexion sur l’identification aux pairs comme facteur de limitation de la désimplication associative.
Les recherches réalisées s’intéressent à la sclérose en plaques au niveau plutôt individuel [1]. D’autres, à un plan plus collectif des associations (Bach, 1995). Dans ce cas, le mouvement de lutte contre la sclérose en plaques occupe une place relativement modeste dans le champ des sciences humaines, alors que les recherches sociologiques sur les maladies chroniques ont été nombreuses. Bien qu’assez fréquente, invalidante et connue de longue date, cette maladie n’a donné lieu qu’assez récemment (dans les années soixante) à une prise en charge associative spécifique. La mobilisation associative en faveur de la lutte contre le sida (Filieule, Broqua dans Filieule, 2005 ; Barbot, 2001, Pollak, 1993) ou contre le cancer (Ferrand Bechmann, 2011 ; Knobé, 2009) a davantage été étudiée que la mobilisation des personnes atteintes de sclérose en plaques. D’autres recherches rendent compte de l’expérience des associations en soulignant leur rôle dans la transformation du domaine de la santé (Lochard, Simonet dans Demazièe et al, 2010 ; Akrich et al, 2009). En reprenant l’exemple de l’Association Française contre les Myopathies (AFM), des chercheurs (Barral, Paterson, 2000 ; Rabehariossa, Callon, 1999) proposent une explication qui a trait au caractère décisif de la participation des patients dans les initiatives de recherche.
Au plan individuel, les parcours qu’empruntent les sujets impliqués suscitent, parmi les chercheurs, un intérêt relativement récent. À notre connaissance, en France, les parcours associatifs des sujets atteints de SEP n’ont pas été investis.
Ainsi, l’originalité de notre recherche réside dans une interrogation de la carrière associative des sujets atteints de sclérose en plaques. Cette carrière articule le niveau individuel (patient) et collectif (associations), démarche qui se situe au croisement des champs associatifs, du handicap et de la santé. Pour ce faire, cette recherche met en œuvre certaines méthodes relativement peu utilisées en sciences sociales.
Notre enquête se fonde sur la combinaison de plusieurs méthodes de la sociologie qualitative : l’entretien individuel, l’observation, l’entretien collectif et le mini-journal.
Après des entretiens-tests, des entretiens individuels ont été menés auprès de 30 personnes dans trois associations présentées plus loin de façon détaillée. 10 des 30 personnes impliquées et désimpliquées ont été rencontrées à deux reprises afin de comparer leurs discours. À ce corpus plus restreint de 10 sujets, nous avons demandé, dans une perspective longitudinale, la rédaction d’un mini-journal.
Ayant demandé aux sujets, à différents moments, de nous faire part, en un récit spontané et personnel, de leur implication associative ou de leur expérience de la sclérose en plaques, nous avons jugé important d’adopter l’approche du récit de vie. « Le récit de vie, c’est le récit qu’une personne fait à une autre de son expérience de vie dans une interaction de face-à
-face. » (Bertaux, 2005 :32). L’intérêt du récit de vie, est qu’il constitue une méthode qui permet d’étudier les modes d’appropriation de la pratique associative et la manière dont les sujets l’incorporent à leur parcours biographique dans la durée. Par la consigne énoncée, les sujets ont été d’emblée invités à considérer oralement leurs expériences passées et présentes.
Nous avons pensé que le recours au mini-journal allait enrichir notre recherche en lui apportant notamment ce qui fait défaut à la méthode d’entretien et d’observation, trop exclusivement centrée sur les interactions en face-à-face : une dimension écrite qui contribue à travailler de façon distanciée la diachronie des cycles d’implication et de désimplication associatives. Le mini-journal a pour objet une restitution quotidienne dans le temps présent de l’action associative alors que les entretiens se basant sur le récit de vie s’attachent davantage à la compréhension du parcours associatif par une approche globale à partir d’éléments passés et/ou présents. En effet, le récit de vie est davantage le produit du regard en arrière que les sujets portent sur leur parcours. De plus, le mini-journal contribue à l’élaboration d’une trace durable des activités associatives que fournit l’écrit. Il vise à étudier les modes d’appropriation de la pratique associative et la manière dont les sujets l’incorporent dans la durée.
En cela, le récit de vie et le mini-journal sont complémentaires et permettent un travail sur la continuité entre passé et présent en faisant apparaître les processus, les étapes, les ruptures opérées et les actes qui ont été posés.
Quatre entretiens collectifs ont également été menés dans les associations et dans un service de Médecine Physique et de Réadaptation d’un hôpital parisien. Le recours à l’entretien collectif constitue une autre originalité de notre recherche dans la mesure où en France il reste relativement marginal en sociologie, alors qu’il est de plus en plus répandu dans les pays anglo-saxons. L’entretien collectif est associé dans la littérature sociologique de langue anglaise à des travaux sur l’expérience de la maladie. Nous partageons le point de vue de nombreux chercheurs anglo-saxons qui considèrent que cette méthode est particulièrement adaptée pour aborder des sujets délicats, pour étudier des populations stigmatisées. Dans notre recherche, si les entretiens collectifs n’abordent pas de sujet sensible puisqu’il s’agit du choix ou non d’être impliqué dans le milieu associatif, la question de la maladie, sujet particulièrement complexe, avait toutefois de grandes chances d’être abordée.
Des observations ont aussi été réalisées dans les différentes associations à l’occasion de réunions, de groupes de réflexion, d’activités de loisir et d’actions de revendication. Bien que la sclérose en plaques touche davantage les femmes que les hommes, nous avons veillé à l’équilibre du corpus au regard du critère du sexe en rencontrant autant d’hommes que de femmes.
Une analyse du contenu thématique et une analyse interprétative ont été menées par le logiciel AtlasTi. Cette dernière surtout a permis de mettre en évidence la logique des acteurs dans le processus les ayant conduits de l’implication à une désimplication associative.
Dans un article antérieur, nous avons présenté le contexte associatif français dans le champ de la sclérose en plaques (Colinet, 2010). C’est pourquoi, notre propos ici sera de présenter de façon synthétique la genèse du mouvement associatif de la sclérose en plaques pour comprendre comment s’inscrivent dans ce paysage les associations de notre enquête de terrain.
Le mouvement associatif en question s’est constitué dans les années soixante de façon non unitaire en raison de :
Une dynamique unitaire a été insufflée à plusieurs reprises mais a échoué. Nos entretiens avec divers bénévoles et des salariés d’associations ainsi que nos recherches nous ont confirmé l’existence d’enjeux de pouvoir sous-tendant des relations conflictuelles. La multiplicité des organisations actuelles a dû en découler partiellement. C’est pourquoi nous avons réalisé notre enquête de terrain dans des associations ayant chacune sa spécificité :
À travers notre enquête de terrain, nous avons constaté qu’un principe rassembleur des personnes atteintes de sclérose en plaques concerne la pleine citoyenneté c’est-à-dire l’intégration des personnes dans la société, la défense de leur cause et, plus généralement, la défense de la cause du handicap. Les organisations dotent les sujets de supports collectifs et de ressources grâce aux réflexions et aux actions réalisées dans les groupes associatifs. Ainsi, l’implication vient rétablir une continuité du parcours de vie entre l’avant, l’annonce, la découverte de la SEP et l’après, en donnant un sens à leur vie à travers l’expérience associative.
Pour comprendre comment les sujets s’approprient l’espace associatif, nous avons souhaité réaliser notre enquête de terrain dans trois collectifs en fonction de leurs caractéristiques, l’APF et la NAFSEP étant les plus représentatives en France dans l’aide et le soutien des personnes atteintes de sclérose en plaques. Nous voulions également découvrir les différences entre associations nationales et locales, et leurs spécificités. C’est pourquoi nous avons réalisé une partie de l’enquête à l’Association SEP Montrouge 92. Compte tenu de leur disparité en termes de taille et de moyens, les associations nationales et locales ne peuvent avoir que des objectifs et des missions distincts. Les implications et désimplications associatives des sujets sont susceptibles d’être différentes. Pour présenter ces organisations, il nous faut expliquer concrètement comment elles s’organisent et la nature des activités et actions proposées.
Il s’agit de la plus grosse organisation de notre enquête, avec 11 824 salariés, 35 000 bénévoles et 33 000 adhérents. Nous n’avons pas pu connaître le nombre de personnes atteintes de sclérose en plaques parmi les adhérents de l’APF car les professionnels n’ont pas d’informations sur leurs fichiers adhérents. Nous n’avons obtenu que des informations orales sur le profil des personnes atteintes dont la majorité est victime d’une forme relativement grave de la maladie. Contrairement à d’autres collectifs, l’APF ne s’est pas spécialisée dans un seul type de handicap moteur, car elle considère que la défense des intérêts de cette catégorie de population peut être mieux garantie par des revendications unifiées sous une même bannière (Barral, Paterson, 2000). Les personnes qui s’impliquent à l’APF le font de manière tardive car cette organisation est justement généraliste. L’APF, association nationale reconnue d’utilité publique, a pour caractéristique son militantisme associatif donnant lieu à des actions revendicatives. Elle est gestionnaire d’établissements et de services médicaux-sociaux pour les personnes en situation de handicap moteur. L’APF est devenue, au fil des ans, un interlocuteur incontournable pour les pouvoirs publics ainsi que dans le monde associatif.
Nous nous sommes demandé s’il y avait des revendications propres aux personnes atteintes de sclérose en plaques et si elles se démarquaient du tronc commun des revendications : défense des personnes handicapées sur les plans collectif et individuel, insertion des personnes handicapées, compensation, droit à la dignité et droit à la vie. Des sujets avançaient comme revendication spécifique un aménagement du poste de travail justifié par la fatigabilité comme symptôme invisible. Par ailleurs, le Conseil d’Administration décida la création d’un groupe, d’une initiative nationale des personnes atteintes de sclérose en plaques (GNI-SEP : Groupe National Initiative SEP) dont l’objectif serait de créer au niveau national une représentation du courant SEP avec ses exigences et ses besoins particuliers. Ce groupe visait à aborder toutes les actions de revendication spécifique au niveau de la région Île-de-France (telles que le logement des personnes en situation de handicap).
Des activités et actions étaient proposées dans chaque département, essentiellement pour les personnes atteintes de SEP : dans le département où nous avons réalisé notre enquête, le groupe de parole et la sophrologie étaient proposés à ce public, mais d’autres activités et actions concernaient toute personne handicapée : commissions accessibilité, groupe nature… Des réunions d’informations sur la SEP étaient proposées dans des délégations.
Cette association nationale, spécialisée dans le champ de la sclérose en plaques et créée en 1962, dispose de moyens bien moindres en termes financiers et humains que l’APF, avec 11 salariés, 150 bénévoles et 15 000 adhérents. Elle propose des regroupements nationaux en une assemblée générale qui offrent aux personnes impliquées à la NAFSEP et venant de toute la France la possibilité de se rencontrer. Des activités de soutien (groupes de parole) et de loisir (galette, repas convivial…) sont proposées dans chaque département en fonction de la personne déléguée. Nous n’avons pas obtenu d’informations sur la nature de toutes les activités en France, ni sur leur répartition, ni sur le profil des personnes. Dans le département où notre enquête de terrain s’est effectuée, les rencontres du groupe de parole avaient lieu durant deux heures une fois par mois, les activités de loisir étant plus ponctuelles.
C’est une association locale créée le 14 novembre 2001. Ses buts sont l’accompagnement moral et l’aide sous toutes ses formes aux personnes atteintes de sclérose en plaques et à leurs familles. De plus, elle vise la collecte de fonds pour la recherche médicale. Déclarée mais non reconnue d’utilité publique, elle est composée d’une centaine d’adhérents. Cette institution organise des réunions deux, trois fois par an, une dizaine de sujets échangeant entre eux sur leurs difficultés, la gestion de leur SEP. Des informations sur l’avancée de la recherche peuvent être transmises par la fondatrice du collectif.
Les caractéristiques des collectifs de l’enquête étant susceptibles d’influencer les carrières associatives des sujets, nous avons cherché à spécifier l’implication des sujets atteints de SEP qui nous est apparue comme marquée par un fort besoin d’identification aux pairs, à différents niveaux.
Il faut entendre par identification que « la personnalité se constitue en assimilant des aspects ou des qualités de personnes de l’entourage prises comme modèles. » (de Gaulejac, 2009 :58). La carrière associative largement mobilisée dans les travaux de chercheurs en sciences sociales [2] renvoie à la suite des changements et étapes que connaissent les personnes atteintes de sclérose en plaques dans un contexte associatif. Elle introduit une dimension diachronique des liens entre implication et désimplication que l’on est alors conduit à explorer. Elle fournit aux sujets « l’existence d’un collectif, variable, éphémère, auxquels les individus adhèrent pour des périodes limitées et qui leur fournissent des ressources d’identification qu’ils gèrent de manière diverse et provisoire. » (de Gaulejac, 2009 :64).
Des sujets ont évoqué leur souhait de ne plus se confronter aux personnes impliquées qui leur renvoient l’image négative d’un avenir possible en fauteuil roulant. Il s’agissait en majorité de personnes ayant des déficiences invisibles. L’anxiété d’un futur éventuel en fauteuil roulant est très forte chez les personnes nouvellement diagnostiquées (moins d’un an) sans déficience visible. La peur d’une évolution de la maladie est une cause plausible de leur désimplication : « Je suis allé à un groupe de la délégation […] Franchement, j’y suis allé plusieurs fois mais … J’ai contacté les gens, ils m’ont expliqué beaucoup ceux-là, mais ils sont plus invalides, ils m’ont proposé de faire la sophrologie, tout ça, mais, moi, je vois que c’est pas le moment. […] j’aime avoir des contacts, mais, ceux qui sont invalides, j’aime pas. […] c’est comme si j’avais rien ça m’aide. Des fois, ils font des groupes de parole, j’y suis allé deux fois. Ils ont de l’espoir alors que c’est pas possible. Ils sont là, plus âgés que moi quand même, peut-être la quarantaine. […] J’ai arrêté d’aller à ces groupes. [3] » Cet homme impliqué pour la première fois dans un collectif a participé à des activités de loisir et à des groupes de parole. Pendant 6 mois, il s’était également engagé dans un groupe de revendications au sein de la délégation départementale de l’APF. Sa désimplication s’est traduite par une cessation de participation à l’ensemble des activités, il n’a pas répondu aux sollicitations, il ne s’est plus déplacé dans l’organisation ni n’a plus entretenu, même à distance via un forum, le moindre contact.
Pour les personnes se déplaçant avec une canne, aide technique rendant visible une partie de leurs déficiences, et plus spécifiquement pour celles qui ont dépassé la mise en œuvre de stratégies pour dissimuler leur handicap, l’angoisse d’un avenir possible en fauteuil roulant est présente. Leur niveau d’implication est plus important et elles expriment le besoin d’être dans des groupes avec des sujets « du même niveau de handicap [4] » ou ayant les mêmes types de déficience. La question de l’identification aux pairs est bien présente dans les discours. Pour les personnes ayant des déficiences visibles, qui se définissent comme ’plus avancées dans la maladie’, qui ont perdu totalement la fonction de la marche et qui se déplacent en fauteuil roulant, on peut avancer l’idée qu’elles ont franchi un certain seuil d’acceptation et réduit l’angoisse du « cap du fauteuil roulant. [5] » Elles sont impliquées dans divers groupes y compris avec des sujets atteints d’autres pathologies et/ou handicaps que la sclérose en plaques. Le besoin d’identification à des pairs du ’même niveau de déficience’ n’est plus exprimé dans les discours. Selon d’autres discours, l’identification aux pairs constitue un facteur favorable à une réassurance en l’avenir par une relativisation de sa situation : « à partir du moment où on voit d’autres gens, qui ont les mêmes problèmes, ça relativise. [6] » ; « Je suis bien dans la moyenne, ce qui est rassurant. [7] » ; « Je me rends compte que nous avons tous la même maladie (nous étions 14), même si nous n’avons pas les mêmes symptômes et nous arrivons à en rire. [8] »
Lors de notre enquête de terrain, nous avons constaté principalement que, au-delà de la visibilité des déficiences évoquées ci-dessus, les nouveaux diagnostiqués avaient des besoins spécifiques et ne relevaient pas nécessairement des mêmes problématiques que d’autres. Ils ne souhaitaient généralement pas intégrer des groupes comptant des personnes impliquées depuis longtemps et peut-être en fauteuil.
En regard des organisations françaises, la Société Suisse de Sclérose en Plaques a créé des groupes spécifiques, ainsi pour les nouveaux diagnostiqués le groupe Jeune où, par exemple, la question de la sexualité ou de la maternité sont travaillées. En Belgique, une École de la Sclérose en Plaques a été créée. Elle permet aux personnes nouvellement diagnostiquées ainsi qu’à leur entourage d’échanger. Elle réserve une information aux niveaux psychologique, philosophique et médical. En France, au moment de l’enquête, de tels groupes n’existaient pas. Toutefois, il semble que le besoin y ait été identifié ; une rubrique consacrée aux nouveaux diagnostiqués figure à cet effet dans le journal de l’APF « Faire Face SEP », avec des informations et des conseils liés à la vie quotidienne. Il a été constaté en Suisse et en Belgique que ces groupes spécifiques ont un effet bénéfique sur le niveau d’implication : une plus grande assiduité aux activités a été constatée ainsi qu’une moindre désimplication associative. Ainsi, plus de 75% poursuivent une implication associative 3 ans après le premier contact avec l’association. Par souci de vérification, nous avons demandé aux responsables de la Société Suisse de la SEP et à l’École de la SEP si des statistiques avaient été établies sur plusieurs années, mais aucune étude n’avait été menée au moment de l’enquête, ce qui ouvre une perspective de recherche pour combler ce manque.
Le désir d’identification aux pairs par l’expression des mêmes besoins apparaît dans les discours comme un élément de satisfaction propre à l’implication : « des gens qui sont un peu comme moi, qui ont besoin de parler de leur SEP, on est un peu pareil, enfin sur la même longueur d’ondes. [9] »
La difficulté de s’identifier aux pairs dans le rapport à la maladie et dans la manière de la gérer témoigne parfois d’une sorte d’incapacité à légitimer sa position dans le rapport aux autres malades rencontrés à l’association : « je suis tellement habituée à me battre par rapport aux gens que je rencontre dans le groupe. J’ai l’impression qu’ils sont beaucoup plus malades, plus atteints que moi. Question. J’en suis pas du tout sûre : est ce qu’ils ne laissent pas la place à la maladie plus que moi ? J’ai l’impression que moi, dans ma tête, c’est coup de gueule. Si la SEP la ramène un peu trop. Assez, on verra plus tard. Pour l’instant, il y a des urgences. Et, si je disais ça dans le groupe. La SEP elle a toute sa place. Donc, je trouve presque indécent de ma part d’aller dans le groupe. Tu es tellement pas atteinte par rapport aux autres. [10] »
Dans une seconde partie de l’entretien, on constate une ambivalence dans le discours de cette personne. Le contact avec les pairs qui ne sont pas seulement atteints de sclérose en plaques est décrit comme un enrichissement. Son mécontentement est nuancé par son identification ’intellectuelle et militante’ aux pairs avec qui l’unité est bénéfique au niveau identitaire. L’identification aux pairs dans le collectif dépasse largement le cadre de la maladie : « d’abord, j’ai l’impression que le niveau intellectuel est nettement plus élevé que tout ce que je fais par ailleurs, à l’APF. Ce sont des gens unis intellectuellement et aussi au niveau du militantisme, j’ai l’impression d’être dans mon élément. [11] »
L’identification contribue au développement de liens sociaux s’apparentant parfois à des amitiés ou en tout cas générant une sympathie qui aide à la constitution d’un collectif fort dans un climat propice à la défense de la cause des personnes atteintes de sclérose en plaques. À partir de leurs discours, nous émettons l’idée que l’identification aux pairs apparaît comme un élément déterminant qui favorise l’implication et par conséquent limite la désimplication associative. Comme l’a montré Catherine Leclercq (dans Filieule, 2005 :147) dans un contexte politique, le désengagement est bien l’expression d’une désidentification qui correspond à « une crise plus ou moins aiguë de la construction des individus. » Au-delà d’une désidentification socio-générationnelle, on observe que le manque d’identification à des expériences communes de vie sont susceptibles d’influencer les désinvestissements dans l’espace associatif des sujets. Dans ce cas, ces derniers assouvissent leurs besoins d’identification dans d’autres espaces d’investissement, familial, professionnel, politique, amical ou de loisirs…
Si l’on envisage une unité dans la biographie des sujets, c’est-à-dire entre les différents aspects de soi : passés, présents et futurs, on voit que l’identification et son opposé reflètent l’investissement, l’implication des sujets ou leur prise de distance, leur désimplication. En effet, les sujets renégocient leurs espaces d’identification et d’investissement en fonction de « renégociations identitaires » (Fillieule dans Fillieule, 2005 :28). Ces désidentifications vont se traduire par des allers et retours, des bifurcations parmi les différents espaces d’investissement, et pas seulement au sein des associations. La désidentification d’un sujet peut susciter l’identification d’un autre. De même, l’identification qui a pu être motrice à un instant donné peut au contraire évoluer vers une désidentification à un autre moment.
Comme a pu le montrer Olivier Fillieule [12](2005 :21), la littérature en sociologie sur le thème de la défection porte essentiellement sur le militantisme politique. Les recherches rendent compte de ce que sont devenus les ex-militants politiques (Leclercq dans Fillieule, 2005 ; Sommier dans Fillieule, 2005) ou d’un mouvement social (Taylor dans Fillieule, 2005). Dans une autre perspective, certaines font état d’un désengagement de mouvements terroristes et violents (Bjrgo,Horgan, 2009). Certaines enquêtes introduisent une dimension biographique (Filieule, 2005).
L’ouvrage dirigé par Olivier Fillieule (2005) rappelle que la sociologie s’est focalisée sur les moments « d’entrée dans le monde » [13] principalement sous l’angle de la socialisation primaire et même de ses formes secondaires de socialisation. La problématique de cet ouvrage qui porte sur le désengagement participe d’une tentative de poser d’une manière renouvelée la question de la « carrière militante comme activité sociale inscrite dans le temps et qui articule des phases d’enrôlement, de maintien de l’engagement et de défection. » Dans cet ouvrage, la contribution d’Olivier Fillieule et Christophe Broqua (2005) s’intéresse au désengagement dans le champ associatif de la lutte contre le Sida, en s’appuyant sur une enquête auprès de deux associations : Act Up et AIDES. Le désengagement ne renvoie ni à une situation claire ni à un état définitif. Il faut l’entendre plutôt comme un processus qui, des premiers doutes à la rupture effective, peut s’étirer sur plusieurs années et prendre des formes inattendues. Nous avons pu en effet constater, dans la majorité des cas, une modification de l’implication : les sujets pouvaient se désimpliquer totalement de la NAFSEP et s’impliquer dans l’APF. Leur souhait de se désimpliquer résultant d’un ensemble d’insatisfactions inscrites dans le temps, comme un sentiment d’immobilisme ou encore d’inutilité, cette désimplication est bien un processus. Les auteurs montrent que les logiques du désengagement s’avèrent être semblables à celles de l’engagement. Dans notre recherche également, les sujets peuvent passer par des cycles de participation avec des phases d’engagement et de désengagement. Notre démarche s’inspire du concept de « commitment » au sens d’Howard. S. Becker (1960) qui reflète l’attachement à une ligne de conduite ou à son délitement. Le cycle de désengagement peut aussi tout à fait se rapprocher de ce qu’Albert Otto Hirshman (1970) qualifie « d’exit ». Il montre que l’exit, réaction silencieuse lorsque les individus sont mécontents, n’est pas seulement physique mais aussi mentale et émotionnelle. De même, Bert Klandermans (dans Filieule, 2005), s’inspirant des réflexions de Caryl Rusbult et al. (1991) distingue la défection passive, la négligence qui peut prendre la forme d’un retrait et le désengagement actif ou d’exit, soit les deux formes de réponse destructive à l’insatisfaction. Comme lui, nous avons pu observer que la désimplication, surtout pour les sujets impliqués depuis plus de 5 ans, requiert une série d’étapes.
D’après les auteurs, certains sujets ne savent pas vraiment comment se désengager, car se trouvant à un moment de leur itinéraire militant où des doutes surgissent, mais où le départ lui-même n’est pas encore effectif, ou pas encore pensé comme définitif. Nous avons rencontré le cas d’une personne qui, sans être encore désimpliquée de la NAFSEP, exprimait ses doutes et son mécontentement à l’égard de son implication dans cette organisation. Par ailleurs, le mode de fonctionnement des associations décrites par les auteurs joue un rôle déterminant dans le vécu du désengagement. C’est également ce que nous avons pu observer au sein des collectifs de notre recherche. La diversité des motifs fait qu’il est difficile de restituer ’ l’ordre ’ selon lequel les individus en viennent à éprouver et à formuler leur désir de rompre. En rejoignant les auteurs cités, nous avons déterminé les raisons qui ont poussé les sujets à se désimpliquer des associations en mesurant le décalage existant entre leurs attentes au départ de leur implication et la manière dont ils l’ont vécue. La désimplication dépend des relations avec les pairs : « la NAFSEP depuis que Laura a repris la co-délégation, je n’y vais plus. [14] » Elle est à mettre en rapport, dans l’exemple cité, avec une inimitié et la non-réponse de l’institution aux attentes des sujets. Compte tenu des raisons invoquées, (ennui, implication vécue comme un devoir) les sujets en viennent à définir des priorités qui amènent à une prise de distance vis-à-vis de leur implication. Nous pouvons prendre le cas d’un sujet qui s’était désimpliqué de plusieurs collectifs et qui avait, entre autres priorités au moment de notre rencontre, celle de trouver un logement adapté. Toutefois, cette personne expliquait qu’il n’était pas impossible qu’elle se réimplique une fois toutes ses priorités gérées. De même, une personne a expliqué qu’elle ne souhaitait pas s’impliquer de nouveau dans une organisation SEP du fait qu’elle était prise par d’autres activités : « voilà, moi, je travaille. Je vais à la maison, je travaille, voilà. […]. Je ne veux pas m’impliquer. Il y a d’autres choses dans lesquelles je suis impliquée. Je ne veux plus m’impliquer. Je ne peux pas donner trop d’énergie. [15] » Deux hypothèses peuvent être formulées : on peut avancer que vouloir substituer des activités autres à l’implication associative est le signe qu’elle n’a pas constitué un support identitaire et d’identification suffisant. L’hypothèse contraire - ou complémentaire - que l’on peut aussi émettre est que la réorganisation des différentes insertions pèse sur les conditions de l’implication des acteurs. Olivier Filleule et Christophe Brocqua (dans Filieule, 2005) abondent en ce sens. La désimplication peut être pensée par rapport à l’ensemble des « multi-insertions sociales » (Leclercq dans Filieule, 2005 :147) des acteurs et pas uniquement de leur implication associative. Il s’agit donc bien de contextualiser la désimplication associative pour la situer dans les parcours des sujets. Dans notre recherche, à partir des discours des personnes enquêtées, on retrouve les deux hypothèses.
La NAFSEP est l’association où le nombre le plus important de sujets désimpliqués a été rencontré. Cela tient sans doute au fait que les sujets avaient des attentes et des exigences trop importantes, au niveau des activités et des prestations de service offertes, pour une organisation locale, laquelle ne disposait pas des mêmes moyens financiers que l’APF, ni de la même offre de prestations, ni encore d’un réseau local et partenarial aussi étendu que celui de l’APF.
À notre sens, dans la majorité des situations observées, la désimplication est volontaire et relève d’une initiative individuelle. Plus rarement, elle peut être collective et définitive : plusieurs sujets se sont désimpliqués du collectif en parlant de « clash » suite à une situation de conflit.
Il existe différentes formes de désimplication qui peuvent se combiner : volontaire ou subie, quasi-totale ou partielle.
Dans le sens notamment d’Eric Agrikoliansky (2001), nous avons reconstitué l’ensemble du parcours de vie antérieur des sujets. L’objectif était de déterminer les éléments qui les ont conduits à s’impliquer dans des associations de personnes atteintes de SEP. S’inspirant des portraits sociologiques de Bernard Lahire (2002) et de François de Singly (2006), il nous a semblé important, pour mesurer l’implication, et donc la désimplication, de prendre en considération des données centrales telles que le degré de socialisation politique et militante des patients, mais aussi de retracer leur carrière associative avant la maladie, avant et pendant leur implication dans les collectifs de personnes atteintes de SEP.
Sachant que les sujets qui se sont désimpliqués totalement en sont arrivés à cette phase finale du processus après avoir connu d’autres formes d’implication et de désimplication, nous avons souhaité ici présenter les données empiriques recueillies auprès du corpus de notre enquête. Les personnes désimpliquées totalement étaient âgées en moyenne de 39 ans. L’implication associative a eu lieu de deux mois à deux ans après l’annonce du diagnostic dans des organisations nationales généralistes dans le champ du handicap mais aussi dans des associations spécialisées nationales ou locales dans la sclérose en plaques. Ces patients ont pris contact avec plusieurs collectifs avant de s’impliquer dans une ou plusieurs de ces associations. Les trois-quarts d’entre eux ont connu une implication stable, sans ascension, c’est-à-dire qu’ils participaient à des activités de loisir et de soutien sans s’engager dans des actions de revendication et/ou à responsabilité. Il apparaît que la désimplication est trois fois moins importante chez les sujets engagés dans des actions de revendication. On peut interpréter ce résultat par le fait que l’engagement dans ce type d’actions était pratiqué par des sujets ayant une plus longue expérience de la maladie et de l’implication. Parmi ces personnes, on constate qu’avant l’apparition de leur maladie, et même de façon parallèle, elles ont investi d’autres associations : sportives, de parents d’élèves et, pour les plus mobilisées d’entre elles, d’actions de revendication : « j’ai toujours été active » [16]. Certaines aussi étaient engagées dans des partis politiques. Leur niveau d’implication dans ces collectifs hors champ de la SEP était également variable. On remarque que, dans la majorité des cas, les personnes les plus investies dans les associations de patients l’étaient aussi dans les collectifs qu’elles avaient fréquentés auparavant. Au moment de l’enquête, la majorité s’était désimpliquée ou ne payait plus que les cotisations. On constate que l’apparition de la maladie n’a pas limité leur engagement. Par contre, elles se sont réorientées vers des implications plus centrées sur la maladie en se rendant dans des collectifs SEP. Pour une partie plus minime du corpus, on note un mouvement inverse : c’est leur investissement dans les associations de malades qui les motivent à élargir leurs champs d’investissement en s’ouvrant à d’autres organisations et pas uniquement dans le domaine de la santé. Les implications s’effectuent dans des collectifs locaux en lien avec des activités de loisir ou en rapport avec les activités scolaires et extra-scolaires de leurs enfants. D’autres encore ont expliqué que leur mobilisation dans des collectifs SEP restait leur priorité.
Sur l’ensemble des corpus, une majorité était ’primo-bénévole’ dans le champ de la santé et plus précisément de la SEP.
En ce qui concerne les associations SEP, quand il y a mécontentement, c’est une désimplication partielle qui est pratiquée. On constate également que pour les sujets impliqués au niveau local, la désimplication associative totale est quatre fois moins importante. Là encore, s’impose davantage une désimplication partielle dont le mouvement consiste à se désimpliquer des organisations nationales et à s’impliquer dans une association locale. Ces données ont été confirmées par les entretiens menés avec des responsables associatifs se basant sur leurs perceptions liées à leur expérience associative, mais aucune étude ni aucune statistique des institutions n’a été réalisée sur ce point précis. Les sujets de notre corpus décrivaient les associations nationales comme de « grosses machines » proposant de nombreux groupes associatifs, mais où la mise en œuvre des actions est plus longue et se réalise de « façon plus bureaucratique. [17] » Les contenus des actions proposées par les organisations nationales sont parfois éloignés des attentes des sujets, même si ces associations sont de plus grande envergure. Au-delà du désir de se déplacer sur un rayon proche de son domicile, s’impliquer dans un collectif local est également motivé par le souhait de connaître dans sa ville des personnes atteintes de sclérose en plaques, ce qui, en donnant l’occasion de se tisser un réseau social local, est une manière de s’approprier son quartier et sa ville. L’évolution de la maladie est un facteur favorisant l’implication et son contraire. Les activités proposées par les associations locales, orientées vers la connaissance de la maladie au niveau local et la lutte contre l’isolement des sujets atteints de sclérose en plaques, permettent la mise en œuvre d’activités territoriales concrètes de proximité. Ce qui est donc recherché c’est bien un rapprochement géographique et social par l’institution.
La désimplication - partielle ou totale, volontaire ou subie - s’inscrit le plus souvent dans le temps et elle est marquée par des étapes préalables d’implication dans des activités de loisir et de soutien (groupe de parole, sophrologie), moins souvent d’engagement dans des actions de revendication. La carrière associative des sujets atteints de sclérose en plaques - rencontrés dans les trois associations de l’enquête (APF, NAFSEP, Association SEP Montrouge 92) ayant chacune des caractéristiques propres - est marquée par un fort besoin d’identification aux pairs, notamment au moment de l’entrée dans l’implication qui correspond souvent à la période suivant l’annonce du diagnostic, même si ce besoin s’exprime tout au long du parcours associatif, de l’implication à la désimplication. L’identification est de façon générale un facteur favorisant l’engagement dans un collectif. Ici, cette identification dépasse la nature de la maladie. Elle s’exprime notamment aux niveaux : de la visibilité et de l’invisibilité des déficiences, de la situation, de l’expression des mêmes besoins et des mêmes aspirations ou encore des mêmes difficultés. L’identification remplit une fonction de réassurance. Mais un autre espace d’investissement primera l’espace associatif s’il répond de façon plus adéquate au besoin d’identification des sujets à un moment donné de leur parcours.
Afin de limiter la désimplication, les organisations suisses et belges ont créé davantage de groupes spécifiques que les associations françaises, même pour les nouveaux diagnostiqués ou les jeunes, ce qui s’avère être un facteur freinant la désimplication. Dans la poursuite de ce travail, une enquête de terrain permettant l’obtention de données chiffrées dans ces institutions (âge, période d’implication et de désimplication, sexe, nature des activités, nombre de personnes impliquées) devrait venir compléter ces assertions. De plus, une enquête comparative par la prise en compte d’autres pathologies dans différentes associations françaises et européennes permettrait d’analyser la spécificité des formes d’implication et de désimplication associative en fonction de la nature de la maladie et des territoires. Il s’agirait de dégager l’ensemble des facteurs modérant le processus d’implication et surtout de désimplication.
Au-delà du cas précis de la SEP, cette enquête met en évidence des éléments de compréhension des processus de désimplication et de désengagement militant. La désimplication est bien la fin d’un cycle d’implication. Elle ne doit pas être pensée de façon isolée mais, à la lumière d’un contexte plus global, en fonction d’autres insertions sociales et d’autres espaces d’investissement. On note des similitudes avec la recherche d’Olivier Fillieule et Christophe Broqua (dans Filieule, 2005), notamment quant au faisceau de circonstances qui amènent les sujets à se désimpliquer. Le processus de désimplication se caractérise assurément par la complexité des formes qu’il adopte. La désimplication est bien un processus multi-factoriel et contextuel.
Le dispositif de recherche a mis en oeuvre différentes méthodes complémentaires venant combler les insuffisances de chacune. Le rapport des sujets sur leur implication et leur désimplication s’est fait oralement et par écrit en mobilisant différentes temporalités : passé, présente, quotidienne, à moyen et long terme. Ce travail a permis de faire apparaître les processus et les logiques d’action des sujets dans leur développement biographique. La dimension temporelle est celle de l’articulation concrète, dans l’activité associative, des facteurs et du processus biographiques. Comprendre ces récits est un atout supplémentaire pour saisir les différentes implications et désimplications associatives des sujets. La logique des événements évoqués nous a éclairée sur les possibles enchaînements de causalité, par exemple sur le fait que connaître une personne déjà impliquée dans une association peut inciter à contacter cette association, enchaînements aidant par ailleurs à mieux comprendre les modes d’implication et de désimplication associatives. Cette méthodologie va dans le sens de la cohérence du parcours des sujets et de l’unité entre le passé, le présent et le futur.
Cette recherche s’inscrit dans le prolongement de nombreux travaux, tels que ceux de Daniel Gaxie (1977) qui a montré que le maintien de l’engagement implique des rétributions, non seulement matérielles mais aussi symboliques (Filieule, 2005). Comme on le constate avec les engagements dans les partis politiques, une des rétributions essentielles des associations est une forte sociabilité et une intégration sociale. Ces collectifs permettent de se doter d’armes idéologiques pour penser sa situation et y occuper une autre place (Duclos, Nicourd, 2005).
Agrikoliansky Eric (2001), « Carrières militants et vocation à la morale : les militants de la LDH dans les années 1980 », Presses Universitaires de Sciences Po, 51, pp. 27-46.
Akrich Madeleine, Méadel, Cécile et Rabeharisoa Vololona (2009),, Se mobiliser pour la santé, Des associations de patients témoignent, Paris, Presses de l’École des Mines.
Bach Anne-Marie (1995), « La sclérose en plaques entre philanthropie et entraide : l’unité introuvable », Sciences Sociales et Santé, 13/4, pp. 5-38.
Barbot Janine (2001), « Les interactions entre les associations et les agences publiques dans l’organisation de la recherche d’un traitement contre le sida », Revue Française des Affaires Sociales, 4/4, pp. 59-63.
Barral Catherine et Paterson Florence (2000), « L’association française contre les myopathies compensation des incapacités et éradication de la maladie », dans L’institution du handicap XIXè – XXè siècle, Le rôle des associations, Barral Catherine, Paterson Florence et Stiker Henri-Jacques (dir.), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2000, pp. 349-365.
Barthélémy Martine (2000), Associations : un nouvel âge de la participation ?, Paris, Éditions Sciences Po.
Becker Howard (1960), « Notes on the concept of commitment », The American Journal of Sociology, 66/1, pp. 32-40.
Bertaux Daniel (2005), L’enquête et ses méthodes, Le récit de vie, Paris, Armand Colin.
Bjrgo Tore, Horgan John (2009), Leaving Terrorism Behind : Individual and Collective Disengagement, Oxon, Routledge.
Brooks Nancy, Matson Ronald (1982), « Social-Psychological Adjustment to Multiple Sclerosis », Social Science and Medicine, 16, pp. 2129-2135.
Colinet Séverine, (2010), « La constitution du milieu associatif dans le champ de la sclérose en plaques », Sciencelib.
Ferrand-Bechmann Dan (2001), Les bénévoles face au cancer. Associations et groupes d’entraide, Paris, Desclée de Brouwer.
Fillieule Olivier (dir.) (2005), Le désengagement militant, Paris, Belin.
Fillieule Olivier, Broqua Christophe (2005), « La défection dans deux associations de lutte contre le sida : Act Up et Aides », dans Le désengagement militant, Fillieule Olivier (dir.), Paris, Belin, 2005, pp. 189-228.
Fillieule Olivier (2005),« Temps biographique, temps social et variabilité des rétributions », dans Le désengagement militant, Filieule Olivier (dir.),Paris, Belin, 2005, pp. 17-47.
de Gaulejac Vincent (2009), Qui est « je » ?, Paris, Seuil.
Gaxie Daniel (1977), « Économie des partis et rétributions du militantisme », Revue Française de Science Politique, 27/1, pp. 123-154.
Havard Duclos Bénédicte, Nicourd Sandrine (2005), Pourquoi s’engager ? Bénévoles et militants dans les associations de solidarité, Paris, Payot.
Hély Matthieu (2009), Les métamorphoses du monde associatif, Paris, Presses Universitaires de France.
Hirschman Albert (1970), Exit, Voice and Loyalty, Responses to Decline in Firms, Organisations and States, Cambridge, Harvard University Press.
Ion Jacques, Franguiadakis Spyros, Viot Pascal (2005), Militer aujourd’hui, Paris, Autrement.
Jongbloed Lyn (1966), « Factors Influencing Employment Status of Women with Multiple Sclerosis », Canadian Journal of Rehabilitation, pp. 213-222.
Klandermans Bert (2005), « Une psychologie sociale de l’exit », dans Le désengagement militant, Fillieule Olivier (dir.), Paris, Belin, 2005, pp. 95-110.
Knobé Sandrine (2009), « Logiques d’engagement des malades dans les associations de lutte contre le cancer », Revue de l’Association Française de Sociologie, Socio-logos, pp. 1-16.
Lahire Bernard (2002), Portraits sociologiques, Dispositions et variations individuelles, Paris, Nathan.
Laville Jean-Louis, Sainsaulieu Renaud (dir.) (2004), Sociologie de l’association, Paris, Desclée de Brouwer.
Leclercq Catherine (2005), « Raisons de sortir. Les militants du Parti communiste français », dans Le désengagement militant, Fillieule Olivier (dir.), Paris, Belin, 2005, pp. 131-169.
Lochard Yves, Simonet Yves (2010), « Les experts associatifs, entre savoirs profanes, militants et professionnels », dans Sociologie des groupes professionnels. Acquis récents et nouveaux défis, Demazière Didier, Gadéa Charles (dir.), Paris, La découverte, 2010, pp. 274-284.
Meister Albert (1974), La participation dans les associations, Paris, Éditions Economie et humanisme, Les Éditions Ouvrières.
Pollak Michael (1993), Une identité blessée, Etudes de sociologie et d’histoire, Paris, Métailié.
Prost Antoine (1998), « Changer le siècle, Vingtième siècle », Revue d’histoire, 60, octobre-décembre, pp. 14-26.
Rabeharisoa Vololona, Callon Michel (1999), Le pouvoir des maladies, l’Association française contre les myopathies et la recherche, Paris, Les Presses.
Robinson Ian (1990), « Personnal Narratives, social careers and medical courses : analysing life trajectories in autobiographies of people with multiple sclerosis », Social Sciences Medical, 30/11, pp. 1173 - 1186.
Rusublt Caryl et al. (1991), « Accomodation Processes Close Relationships : Theory and Preliminary Empirical Evidence », Journal of Personnality, and Social Psychology, 60, pp. 53-78.
Simonet-Cusset Maud (2004), « Penser le bénévolat comme travail pour repenser la sociologie du travail », Revue de l’Institut de Recherches Économiques et Sociales, 44/1, pp. 141-155.
de Singly François (2006), Les adonaissants, Paris, Armand Colin.
Sommier Isabelle (2005), « Une expérience incommunicable ? Les ex-militants d’extrême gauche français et italiens » dans Le désengagement militant, Fillieule Olivier (dir.), Paris, Belin, 2005, pp. 171-187.
Sue Roger (2001), Renouer le lien social, Liberté, Égalité, Association, Paris, Odile Jacob.
Taylor Verta (2005),« La continuité des mouvements sociaux. La mise en veille du mouvement des femmes » dans Le désengagement militant, Fillieule Olivier (dir.), Paris, Belin, 2005, pp. 229-249.
Thornton Helena, Lea Susan (1992), « An Investigation into Needs of People Living with Multiple Sclerosis, and Their Families », Disability, handicap and society, 7/ 4, pp. 321-338.
[1] (Brooks, Matson, 1982 ; Robinson, 1990 ; Thornton, Lea, 1992 ; Jongbloed, 1996).
[2] (Ferrand Bechmann, 2011 ; Knobé, 2009 ; Simonet-Cusset, 2004 ; Agrikoliansky, 2001)
[3] Y, homme, 32 ans, APF
[4] U, femme, 39 ans, Association SEP Montrouge 92
[5] R, homme, 53 ans, APF
[6] L, femme, 37ans, Association SEP Montrouge 92
[7] Extrait d’un mini-journal de Y, femme de 46 ans, Association SEP Montrouge 92
[8] Extrait d’un mini-journal de K, homme, 35 ans, NAFSEP
[9] Q, homme, 36 ans, Association SEP Montrouge 92
[10] S, femme, 47 ans, APF
[11] S, femme, 47 ans, APF
[12] Ibid., p. 21).
[13] (Hély, 2009 ; Ion et al., 2005 ; Duclos, Nicourd, 2005 ; Laville, Sainseaulieu, 2004 ; Sue, 2001 ; Barthélémy, 2000 ; Meister, 1974).
[14] X, femme, 49 ans, Association SEP Montrouge 92
[15] Citation d’une femme rencontrée en entretien collectif, NAFSEP
[16] G, homme, 58 ans, NAFSEP
[17] V, femme, 41 ans, Association SEP Montrouge 92
Colinet Séverine, « Entre implication et désimplication associatives. Cas des personnes atteintes de sclérose en plaques (SEP) », dans revue ¿ Interrogations ?, N°16. Identité fictive et fictionnalisation de l’identité (II), juin 2013 [en ligne], https://revue-interrogations.org/Entre-implication-et (Consulté le 5 décembre 2024).