Benjamin Castets-Fontaine, Le cercle vertueux de la réussite scolaire. Le cas des élèves de Grandes Écoles issus de « milieux populaires », Bruxelles, InterCommunications et EME, coll. « Proximités-Sociologie », 2011.
L’existence de ‘‘petits génies’’ disposant, à l’origine, d’un potentiel économique, social et culturel limité, illustre l’incapacité des modèles scolaires traditionnels à intégrer ces spécificités micro-sociologiques. Percer le mystère de ces réussites paradoxales constitue un véritable défi que peu de chercheurs, rompus aux grands paradigmes classiques en sociologie de l’éducation, relèveraient. L’ouvrage de Benjamin Castets-Fontaine, articulant empirie et théorie, publié dans la collection « Proximités Sociologie » dirigé par Gilles Ferréol, sort précisément des sentiers battus et propose, en deux parties et six chapitres, une autre vision explicative de ces cursus ‘‘atypiques’’. Dès l’introduction, le livre se dote d’un discours clair et accessible, d’un construit précis et rigoureux, le tout rendant la lecture facile et attrayante.
Les trajectoires paradoxales, souvent mal connues, sont tout d’abord interrogées sous l’angle de l’excellence (première partie). La technique d’enquête utilisée, reposant sur l’élaboration d’un matériau constitué à partir d’entretiens compréhensifs portant sur quarante-cinq élèves des plus Grandes Écoles françaises issus de milieux populaires, éclaire parfaitement le contexte social et scolaire des intéressés. Mais l’intérêt du travail de Benjamin Castets-Fontaine est surtout de montrer que le système, plaçant l’institution familiale au cœur de l’explication des ascensions exceptionnelles, résiste mal à l’épreuve du terrain. Plusieurs thématiques sont analysées et discutées. Sur le plan des dispositions, la théorie bourdieusienne du capital culturel et de l’habitus, même si elle ne peut être abandonnée, présente des limites et ignore les conditions de transmission de l’héritage. Si la prise en compte des configurations a le mérite d’admettre l’interdépendance des facteurs familiaux (comme le mettent en évidence les travaux de Bernard Lahire par exemple), elle apparaît néanmoins insuffisante, laissant trop de côté la contribution des autres acteurs et l’autonomisation de l’élève-sujet. Dans le registre des ‘‘bonnes raisons’’, l’explication par les comportements des familles se révèle trop sommaire, celles-ci disposant d’une rationalité très réduite. Enfin, l’approche par les mobilisations et les efforts parentaux, jugée trop descriptive, ne convainc pas davantage et ne garantit pas pour autant le succès scolaire escompté. Au final, l’analyse classique des excellences atypiques, uniquement fondée sur le rôle socialisateur, mobilisateur et/ou stratégique du groupe familial, se fragilise et se fissure au contact des conclusions empiriques.
Déplaçant le curseur, Benjamin Castets-Fontaine va plus loin et inscrit l’explication de ces réussites inattendues, non plus dans la synchronie, mais dans le cadre d’un enchaînement vertueux faisant intervenir, de façon diachronique, l’acteur et les interactions d’éléments structurants et contingents (deuxième partie). Trois axes analytiques fortement imbriqués façonnent ce dispositif. La spécificité de l’environnement scolaire est, en premier lieu, privilégiée. L’interventionnisme actif des enseignants (connaissance affinée du monde éducatif, informations et conseils délivrés) joue un rôle essentiel dans la découverte des possibles et la construction des choix d’orientations, prémisses de l’excellence. Les stratégies des camarades de classe ne sont pas ignorées. Suivre ses pairs, imiter le parcours d’un ami lui-même bon élève, s’inspirer de certaines options retenues par quelques « copains » constituent vraisemblablement un ticket gagnant sur le chemin de la réussite. Le deuxième axe du cercle vertueux renvoie à un ensemble de croyances (aptitudes, facilités, intelligence, ‘‘don’’) que les enquêtés se forgent autour de la thématique du bon élève. Ces fictions entretenues et cultivées, qui tirent leur origine de la réussite scolaire antérieure, des comparaisons permanentes avec autrui ou encore de la dialectique intellectuel/manuel, sont porteuses du ‘‘gène’’ de la compétence et de la performance. Cette conviction d’apparaître hors du commun ou plus talentueux que d’autres est légitimée par l’esprit de compétition qui anime les intéressés et par la qualité de meneur souvent décernée par l’entourage familial ou l’école. Le concept d’engagement, dernier maillon constitutif et noyau dur du processus, est décliné selon trois niveaux très souvent corrélés. Il peut d’abord être lu, au sens psychosociologique du terme, comme une « soumission librement consentie », une contrainte que l’individu s’inflige à lui-même par automanipulation, « effet de gel » ou « engrenage ». Il peut également se concevoir sous forme raisonnée, plurielle et contractuelle liant l’élève, les parents et l’enseignant. Enfin, si les émotions et les affects engagés dans l’excellence scolaire (vexation, pleurs, sentiment de culpabilité, peurs…) traduisent des réactions corporelles, ils sonnent surtout comme une dynamique puissante au service de l’agir individuel.
L’examen minutieux de six échappées vertueuses structure le dernier chapitre. Fruits d’événements, de rencontres, d’opportunités, d’engagements et de croyances, elles résultent aussi de combinaisons de petites différences créatrices, dans le temps, d’importantes conséquences (« effet papillon »).
Cette contribution originale et stimulante, teintée de portraits et d’opinions signifiantes croqués sur le vif, séduira les nombreux publics intéressés par les problématiques éducatives et notamment celles ayant trait à la réussite scolaire et à la mobilité sociale au sein de minorités populaires peu étudiées et pourtant convoitées.
Malige Régis, « Benjamin Castets-Fontaine, Le cercle vertueux de la réussite scolaire. Le cas des élèves de Grandes Écoles issus de « milieux populaires » », dans revue ¿ Interrogations ?, N°14. Le suicide, juin 2012 [en ligne], https://revue-interrogations.org/Benjamin-Castets-Fontaine-Le (Consulté le 31 octobre 2024).