Cet ouvrage récemment paru n’est pas seulement la monographie de la vie associative d’un quartier, le quartier Saint Ferjeux à Besançon, il s’agit d’une étude qui met en lumière l’importance de la mémoire collective dans l’affirmation d’une identité locale et dans l’élaboration d’un imaginaire de référence. Tout en présentant les apports de cette recherche originale, Bruno Péquignot (p.13) insiste bien sur cette double orientation : construire un objet en recueillant les récits de la vie associative d’un quartier et, « [élaborer] l’image d’une cité rêvée, en introduisant une comparaison très pertinente entre les mythes soutenus par les associations et les réalités urbaines où ils s’incarnent. L’ensemble débouche enfin sur une analyse des solidarités associatives qui [nous invite] à jeter les bases d’un programme de recherche portant sur la ville et les imaginaires qui nourrissent le lien social ».
Le livre de Brigitte Hainz nous donne un bon aperçu du fonctionnement des associations à partir desquelles se déploie la vie sociale d’un quartier qui se veut ouvert et tolérant. Son auteur propose une généalogie de la vie associative, étudie des systèmes d’alliances édifiés de longue date et décrit les manifestations auxquelles prennent part les habitants : le Carnaval, l’élection du maire de la Commune libre, les rencontres conviviales… Mais, bien au-delà, il est question de montrer, en recueillant la parole des « forces vives » du quartier, que l’on défend un certain art de vivre bien différent des images que l’on renvoie trop souvent des quartiers populaires. Comme l’indique Brigitte Hainz (p.87), « une grande part d’imagination sociologique a été mobilisée pour réaliser, sous une forme littéraire, la synthèse d’un travail d’analyse, tout en rapportant le plus fidèlement possible les phrases et les expressions des faiseurs de mémoires qui ont tous contribué, chacun à leur manière, à l’écriture de ces fictions ».
Ces précisions faites, le travail réalisé fait pourtant preuve d’une grande rigueur et s’appuie sur de solides références bibliographiques. A partir du matériau recueilli, on perçoit d’ailleurs plusieurs lignes directrices. Par exemple, Brigitte Hainz démontre que les idées défendues par les associations locales trouvent leur point d’ancrage dans une histoire réinterprétée de l’histoire de Saint Ferréol et de Saint Ferjeux, martyrs chrétiens dont les reliques reposent dans une grotte, puis d’une basilique, autour de laquelle a été bâti le quartier. Mais elles reposent aussi sur l’affirmation de l’existence d’un lieu qui a toujours voulu conserver une certaine autonomie par rapport aux autres quartiers de la ville. L’ancrage territorial se découvre au fil des entretiens et se transmet d’une génération à l’autre à partir de ce mythe fondateur. Quant aux expériences de solidarité associative, elles se fondent sur une alchimie subtile entre l’engagement militant, le souci de l’autre et une volonté d’aménager des espaces de construction des identités personnelles.
Des registres de justification sont clairement étudiés pour mieux comprendre l’imaginaire collectif et l’affirmation d’une identité commune. Le lien social est analysé à partir d’un modèle qui renvoie à la métaphore du tissage : « à partir d’un premier écheveau de représentations du cadre spatial, les fils de chaîne s’entrecroisent pour dessiner trois types de motifs (ou rapports de chaîne) : l’harmonie avec la nature, la richesse de la vie collective et la richesse des relations sont les thèmes qui reviennent de manière récurrente au cours des récits, comme s’ils traversaient le temps, des origines à nos jours. A partir d’un deuxième écheveau de représentations de la vie sociale, les fils de trame… [composent] des motifs (ou des rapports d’armure) qui se renouvellent en fonction des évolutions du cadre spatial : paroisse, site militaire, village, faubourg, cité » (p81).
La localisation géographique des équipements associatifs joue aujourd’hui un rôle important mais il ne s’agit pas de la seule matrice à partir desquels se construisent les identités collectives. Quand on examine les récits associatifs et les propos recueillis, on découvre en effet l’existence d’une Cité idéale, c’est-à-dire la confection d’une communauté de liens mi-virtuelle, mi-réelle, et dans laquelle on recherche la sécurité et la liberté, le confort et l’évasion, l’équilibre et la créativité. Dans cette Cité idéale, le mythe de la fraternité constituerait un capital symbolique mobilisable à tout moment, c’est-à-dire quand on veut défendre des intérêts communs ou lorsqu’on organise des activités de loisirs ou des manifestations festives.
En dépit des secousses qui ébranlent notre société (le chômage, l’insécurité, la violence, le repli sur soi…), la vitalité des réseaux associatifs va à l’encontre des idées préconçues. Or, c’est justement l’intérêt de ce travail de recherche que de montrer, preuves à l’appui, qu’il existe dans nos grandes villes françaises des espaces de convivialité et une volonté de vivre ensemble. Etudier la fonction de l’imaginaire et de l’utopie, ce n’est pas seulement construire des phalanstères ou voyager en Icarie, c’est donner une autre image des espaces vécus, une image souvent en décalage par rapport à tout ce qui peut être dit, ou écrit, à propos de la rupture des liens sociaux. Faire rêver c’est aussi nous inviter à trouver les moyens (théoriques et méthodologiques) d’une étude de la sociabilité au quotidien. En choisissant de réaliser une monographie portant sur la vie associative d’un quartier inconnu des mass media, Brigitte Hainz nous donne des pistes de réflexion et d’action. Son livre intéressera donc tous ceux qui, en raison de leur activité professionnelle ou leur engagement militant, sont restés sensibles à la défense de valeurs communes.
Alexandre Pagès
Pagès Alexandre, « Brigitte Girard-Hainz, Rêves de ville. Récits d’une vie associative de quartier », dans revue ¿ Interrogations ?, N°4. Formes et figures de la précarité, juin 2007 [en ligne], https://revue-interrogations.org/Brigitte-Girard-Hainz-Reves-de (Consulté le 21 novembre 2024).