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L’identité personnelle se construit au cours d’un processus de socialisation tout au long duquel sont notamment transmises des représentations de genre. Les médias contemporains comme la télévision, le cinéma, les magazines et les réseaux sociaux par exemple, (re)produisent ce type de représentations et proposent des ressources identitaires sexuées (Calhoun, 1991) à leurs spectateurs, leurs lecteurs ou leurs internautes. Néanmoins, les discours médiatiques développent des stéréotypes qui tendent souvent à assigner les hommes et les femmes à des rôles déterminés, des comportements naturalisés et orientent les rapports sociaux de sexe. Ces observations ont contribué au développement des études de genre liées à l’analyse des médias et c’est dans ce cadre, initié par les cultural studies, que les problématiques de recherche sur les représentations de genre vont apparaître (Mattelart, 2003).
Le 33ème numéro de la revue ¿ Interrogations ? a choisi plus particulièrement de se pencher sur les représentations du genre féminin véhiculées par les dispositifs médiatiques. Celles-ci sont appréhendées comme des manières d’être une femme et de penser la féminité, mais ont ici la spécificité d’être assimilées à des modèles de référence, plus précisément à des formes idéalisées d’accomplissement du genre féminin. Sous cet angle, il s’agit donc d’identifier et de saisir les façons dont sont construites et reçues ces représentations médiatiques de l’idéal féminin qui fonctionnent à l’image d’archétypes.
Dans les contributions qui ont été retenues, il semble que les idéaux féminins véhiculés par les médias s’articulent principalement autour de normes esthétiques et de ’qualités’ dites féminines. En effet, les figures qui sont diffusées apparaissent d’une part comme de puissants transmetteurs d’idéaux corporels (Thompson et al., 1999) et contribuent, par l’intermédiaire de standards, à l’imposition de normes esthétiques en matière d’âge, de taille, de silhouette, de mode vestimentaire, etc. D’autre part, ces modèles renferment des ’qualités’ féminines, c’est-à-dire des dispositions sexuées (Mennesson, 2004) socialement construites et associées à ce genre comme l’affection ou la compassion par exemple. Ainsi, l’article de Natacha Lapeyroux montre comment les commentaires des journalistes et des consultants participent à relayer des représentations de l’idéal féminin en gymnastique artistique. À partir d’une analyse socio-sémiotique des retransmissions télévisuelles des finales des championnats du monde et des Jeux olympiques, l’auteure décline les normes esthétiques et les qualités comportementales auxquelles les gymnastes doivent se plier pour tendre vers le modèle de perfection attendu dans le milieu de la gymnastique de haut niveau.
Cependant, les représentations de cet idéal font aussi valoir une certaine ambivalence dans la mesure où elles mobilisent parfois des ’qualités’ habituellement attribuées aux hommes : la force, la vigueur, la capacité à se battre, le courage, etc. C’est ce que démontre Clémentine Hougue en examinant les personnages féminins dans les films et les séries télévisées post apocalyptiques, lorsqu’elle analyse plus particulièrement l’évolution des représentations de la féminité dans les fictions zombies. Alors qu’historiquement les actrices de ces fictions jouent des rôles secondaires de victimes, d’aidantes ou de soignantes, la figure de la guerrière semble faire peu à peu son apparition. Cet idéal de femme combattante et indépendante paraît être, à première vue, une représentation médiatique et fictionnelle de l’aboutissement de l’émancipation féminine. Néanmoins, bien que cette figure de la guerrière s’inscrive en rupture avec les rôles traditionnels passés, elle reste malgré tout, dans les ressorts scénaristiques, dépendante d’une domination masculine.
Les représentations de l’idéal féminin médiatique peuvent provoquer une insatisfaction de la personne concernant un ou plusieurs aspects de son corps (Thompson et al., 1999) notamment lorsque celle-ci est amenée à se situer par rapport aux normes esthétiques qui composent le modèle féminin auquel elle se réfère. En somme, un sentiment de dépréciation peut naître de la relation qu’entretient l’individu entre un de ses attributs physiques personnels et l’archétype identifié. Dans cette situation, largement développée dans les travaux d’Erving Goffman, la différence à la norme est vécue comme un stigmate (Goffman, 1975). Les réactions possibles sont multiples et, pour n’en citer que quelques-unes, elles consistent à s’engager dans des tentatives de correction du stigmate ou à se rapprocher de personnes semblables pour manifester un désaccord sur les normes diffusées et entrer en résistance. C’est sur ce sujet que Verushka Lieutenant-Duval engage un regard critique sur la façon dont l’art, la littérature et les médias de masse représentent les seins idéaux en tant qu’attribut de la féminité. Elle révèle comment ceux-ci recouvrent des normes restrictives qui tendent à qualifier de « laides » ou d’« anormales » toutes les poitrines qui s’en écartent. Selon cette logique, les seins tubéreux sont qualifiés de « mal formés », voire de « pathologiques » par les sciences médicales, plus particulièrement la chirurgie esthétique, qui les appréhende sous l’angle d’organes non conformes nécessitant d’être réparés et améliorés. Toutefois, le sens accordé à la morphologie des seins tubéreux doit être relativisé. L’auteure montre qu’ils peuvent être resignifiés comme objet de désir sexuel par les sites pornographiques. Par ailleurs, des femmes diagnostiquées ou constatant la différence morphologique de leurs seins produisent des revendications à travers les réseaux sociaux, visant à réinterroger les normes de beauté féminine pour y intégrer des formes corporelles plus hétérogènes.
Enfin, la réception et l’intériorisation des représentations de l’idéal féminin dans les appareils de communication et de diffusion culturelle ne se fait pas que par les femmes, mais aussi par le sexe opposé. Selon cette idée, les hommes sont susceptibles d’être influencés par ces modèles dans la formulation de leurs attentes lors de la recherche d’une partenaire. Audrey Arnoult et Élodie Kredens étudient les manières dont les hommes qui s’inscrivent sur un site de rencontres célèbre font valoir leurs représentations de la femme idéale dans la recherche d’une compagne. L’analyse lexicométrique des exigences formulées par ces internautes traduit que la ’partenaire idéale’ doit avoir de l’humour, un brin de folie tout en étant, parfois, simple et naturelle. Il s’avère cependant que les traits de personnalité sont davantage privilégiés au détriment de critères physiques précis puisqu’ils semblent relativement absents des attentes exprimées.
Outre ce dossier thématique, ce numéro publie deux articles dans la rubrique Fiches Pédagogiques. Dans le premier, Raymond Debord montre l’actualité du concept althussérien d’appareil idéologique d’État pour interroger les transformations en cours des États et des organismes qui leur sont liés. Dans le deuxième, Kevin Flamme présente la méthode auto-ethnographique et souligne l’apport de l’intégration de la subjectivité du chercheur et d’un travail sur celle-ci pour comprendre les organisations et le social.
La rubrique Varia accueille deux articles pour ce numéro. Le premier, celui de Jean Sébastien Vayre et Elena Zelesniack, aborde la question de la numérisation des entreprises françaises. Les travaux en sciences humaines et sociales étant rares sur l’effectivité de celle-ci, le cadre proposé ici est d’abord original par le sujet même qu’il se propose d’aborder. Ensuite, en basant leurs analyses sur les données issues d’une enquête INSEE de 2016, les auteurs invitent à questionner la ’transformation numérique’ de ces organisations. Les résultats proposés révèlent que cette diffusion des technologies numériques en entreprise répond à un processus de bipolarisation entre les organisations faiblement dotées en ressources numériques et celles qui en sont fortement pourvues. Cet état de fait peut alors être expliqué à partir de facteurs structurels mais aussi sectoriels.
Le second article propose une étude de l’impact de la mort de Neda Agha Soltan, une étudiante iranienne tuée par les forces de l’ordre. Diffusée en direct, la vidéo de cet événement tragique a eu un large impact politique sur plusieurs mouvements sociaux. Pour analyser ce phénomène, Najafi Modjtaba, s’appuie sur une analyse sémiotique et pragmatique, à la croisée des travaux de Charles S. Peirce, John Dewey et John L. Austin, afin d’étudier les conséquences de la circulation des images de la mort de l’étudiante et leur fonctionnement comme un acte illocutoire.
Nous tenons à chaleureusement remercier les nombreux chercheurs et enseignants-chercheurs extérieurs à la revue ainsi que les membres du comité de lecture qui, par leur aide et leur implication, ont permis l’élaboration de ce numéro : Carine Baxerres, Marie Bergström, Marie-Joseph Bertini, Alain Bihr, Laetitia Biscarrat, Maurice Blanc, Anca Boboc, Sandra Boehringer, Justine Breton, Guillaume Carbou, Jamil Dakhlia, François Deltour, Marie-Laure Deroff, Séverine Equoy-Hutin, Camille Froidevaux-Metterie, Sophie Hamisultane, Christian Le Moënne, Amélie Lerenard, Jean-Christophe Marcel, Eleni Mitropoulou, Maud Navarre, Nanta Novello, Aurélie Olivesi, Cécile Ottogalli-Mazzacavallo, Marilou Saint-Pierre, Giuseppina Sapio, Céline Segur, Silvère Tribout, Christian Vivier, Emmanuelle Zolesio.
Références bibliographiques
Calhoun Craig (1991), « Indirect Relationships and Imagined Communities : Large Scale Social Integration and the Transformation of Everyday Life », dans Bourdieu Pierre et Coleman James (sous la direction de), Social Theory for a Changing Society, Boulder, Wisconsin, Westview Press, pp. 95-133.
Mattelart Michèle (2003), « Femmes et médias. Retour sur une problématique », Réseaux, n°120, octobre-décembre, pp. 23-51.
Thompson Kevin, Heinberg Leslie, Altabe Madeline, Tantleff-Dunn Stacey (1999), Exacting beauty : theory, assessment and treatment of body image disturbance, Washington, American Psychological Association.
Goffman Erving (1975), Stigmate : les usages sociaux des handicaps, Paris, Editions de minuit.
Mennesson Christine, Être une femme dans le monde des hommes. Socialisation sportive et construction du genre, Paris, L’Harmattan.
Pour citer l'article :
Comité de rédaction, « Préface au n°33. Penser les représentations de l’« idéal féminin » dans les médias contemporains », dans revue ¿ Interrogations ?, N°33. Penser les représentations de l’ « idéal féminin » dans les médias contemporains, décembre 2021 [en ligne], https://revue-interrogations.org/Preface-au-no33-Penser-les (Consulté le 21 décembre 2024).