En Occident, la poitrine joue un rôle prépondérant dans la construction de l’identité des femmes. Alors que les seins naturels se déclinent en une grande variété de morphologies, les arts et les médias en diffusent une image homogène, où la sphéricité, la fermeté et la symétrie sont érigées en idéal et normalisées. Cet article amorce une réflexion sur les seins tubéreux, une anomalie morphologique congénitale qui affecte la forme des seins, les rendant non conformes au modèle normalisé. Au moyen d’une corpographèse, l’article révèle le processus de codification des seins tubéreux en opposition aux seins normaux et idéaux par des instances de pouvoir. Il dévoile l’artificialité des seins normalisés et l’ambiguïté et la porosité de la frontière qui sépare le normal de l’anomal. L’article propose de même des représentations artistiques positives de seins tubéreux ayant le potentiel de resignifier subversivement cette morphologie mammaire.
Mots clefs :
Seins tubéreux, seins normaux, seins idéaux, corpographèse, resignification subversive
Abstract
In the West, the breast plays a major role in the construction of the identity of women. While natural breasts come in a wide variety of morphologies, the arts and the media convey a homogeneous image of them, where sphericity, firmness and symmetry are idealized and normalized. This article initiates a reflection on tuberous breasts, a congenital abnormality that affects the shape of the breasts, which do not conform to the standardized model. Using a corpographesis, the article traces the process of codifying tuberous breasts as opposed to normal and ideal breasts by instances of power. It also reveals the artificiality of normalized breasts and the ambiguity and porosity of the border that separates the normal from the anomalous. The article also offers positive artistic representations of tuberous breasts with the potential to subversively resignify this breast morphology.
Keywords :
Tuberous breasts, normal breasts, ideal breasts, corpographesis, subversive resignification
Dans l’imaginaire occidental, la poitrine n’est pas qu’une simple partie anatomique. Elle est investie par de multiples sens et émotions, et joue un rôle déterminant en tant que dimension structurante de l’identité des femmes (Yalom, 2013 [1997] ; Sagaert, Ordioni, 2015 ; Froidevaux-Metterie, 2020). « Le sein symbolise la féminité. […] Il incarne la femme, la revêt de sa sensualité. […] [Il] est la métonymie non seulement [du] corps, mais [de] la femme toute entière [sic], le soustraire revient à abîmer à ses yeux une part essentielle de soi », précise Le Breton (2017 : 196).
Cette épreuve de la soustraction d’un ou des seins a été documentée et analysée, notamment par des contributions portant sur l’expérience du cancer du sein (Gros, 2009 ; Le Breton, 2017), du sein trans ou intersex (Cameron, 1996 ; Espineira, 2015). Cet article est l’occasion de réfléchir à l’épreuve non pas du sein soustrait, mais du sein ‘mal formé’, dans une société où l’impératif d’avoir l’air jeune, de bien paraître et séduire requiert pour les femmes d’arborer une poitrine « agréable à regarder ou à toucher » (Le Breton, 2017 : 196). Cette réflexion se fera à partir d’un point de vue situé. À l’adolescence, j’ai reçu un diagnostic de seins tubéreux de grade 1 sur l’échelle de Grolleau et al. (1999). Il s’agit d’une anomalie morphologique congénitale qui, dans la vaste majorité des cas, n’affecte pas le bon fonctionnement du sein, est indolore et sans danger pour la santé, et ne touche en fait que l’apparence de la poitrine. Le diagnostic, vécu comme un traumatisme, est venu inscrire sur mon corps la marque de la différence, de la difformité, voire de la monstruosité. En Amérique du Nord, il n’est pas coutume pour les femmes d’exhiber leurs seins en public, même sur les plages. Bien souvent, les seuls seins pouvant être observés sont ceux qui sont visibles dans les médias de masse ou l’art ; des seins à la forme homogène qui ne rend pas la grande variété de morphologies naturelles. Plusieurs chercheurs et chercheuses en sciences humaines et sociales ont par ailleurs souligné le décalage qui existe entre les seins médiatisés et esthétiques et les seins naturels, soulevant les répercussions qu’un modèle restrictif peut avoir sur l’appréciation de leur image corporelle par les femmes, et dénonçant la stigmatisation des seins non conformes (Yalom, 2013 [1997] ; Dodsworth, 2015 ; Sagaert, Ordioni, 2015 ; Froidevaux-Metterie, 2020).
C’est plus précisément du processus de codification de certaines morphologies mammaires comme non conformes qu’il sera question dans cet article. Au moyen d’une corpographèse (Paveau, Zoberman, 2009) des seins tubéreux, nous révélerons comment cette forme de seins est engendrée et codifiée comme anormale, mal formée et pathologique par la science médicale et objet sexuel par la pornographie. La codification des seins tubéreux entraînant la nécessité de décrire et codifier les seins normaux et idéaux contre lesquels ils sont définis, nous mettrons en lumière l’artificialité des seins normaux et montrerons comment l’ambivalence des grades de seins tubéreux où la difformité est si bénigne qu’elle est difficilement identifiable vient menacer la différenciation entre le sein normal et mal formé. La révélation de l’artificialité des seins normaux et l’ambiguïté des cas limites ouvrira alors la porte à une resignification subversive (Butler, 2004 [1997]) des seins tubéreux, dont nous présenterons quelques exemples s’inscrivant dans le mouvement Body positivity (Sastre, 2016).
Paveau et Zoberman (2009) développent le concept de la corpographèse à partir de l’homographèse d’Edelman (2009). L’homographèse subsume deux opérations : la codification et l’inscription oppressives des identités à même les corps par des instances de pouvoir aux fins d’un ordre social conservateur, d’une part, et la résistance à cette catégorisation, qui ‘dé-crit’ les identités que l’ordre a inscrites, d’autre part. Afin de renforcer son statut d’autorité naturelle et éviter toute confusion entre les identités hétérosexuelles et homosexuelles, Edelman affirme que l’idéologie hétérosexiste inscrit l’homosexualité en tant que code distinct sur les corps, les rendant ‘lisibles’ (ex. : efféminement, gestuelle du poignet, ton de la voix, etc.). Toutefois, puisque la production d’une identité distincte se fait au moyen de l’inscription de sa différence par rapport à la norme, l’hétérosexualité se voit alors contrainte à définir et codifier sa propre spécificité (masculinité, virilité, etc.), lui faisant perdre son statut naturel, neutre et allant de soi, et semant le doute sur la stabilité de sa propre identité. Ainsi, « la position historique de la catégorie de ‘l’homosexuel’ textualise l’identité masculine comme telle, la soumettant à l’exigence aliénante d’être ‘lue’, et menaçant, par conséquent, de priver la ‘masculinité’ de son statut privilégié de paradigme auto-authentifiant du naturel […]. Maintenant, elle doit jouer [perform] cette évidence, représenter sa propre différence à la ‘masculinité’ dérivative et artificielle de l’homme gay » (Edelman, 2009 : 146). Puisque l’hétérosexualité et l’homosexualité s’avèrent être produites, la création de nouvelles identités devient possible. Les célèbres dessins de Tom of Finland, mettant en scène des clones hypermasculins, musclés et virils, contribuèrent par exemple à renverser les codes établis propulsant une nouvelle masculinité gaie (Snaith, 2009).
La corpographèse renvoie aussi à la façon dont les corps sont soumis à un marquage et un octroi de sens oppressifs par des instances de pouvoir (Église, État, médecine, mode, code génétique, etc.) afin d’être ‘lisible’. Par ce marquage, les corps deviennent codifiés, tel « un texte qu’on peut, voire qu’on doit interpréter » (Paveau, Zoberman, 2009 : 7). La corpographèse expose de même la faiblesse qui permet aux corps de résister à cette codification, et devenir à leur tour producteurs de sens. Il s’agit donc d’une « inscription du sens sur le corps autant que l’inscription du corps comme sens » (ibid. : 9). Les corps ainsi inscrits participent à la reconduction du système tout en le minant.
Une corpographèse des seins tubéreux permet de montrer comment cette catégorie de seins est engendrée et codifiée, par quelles instances de pouvoir, et comment celles-ci lui octroient un sens pouvant ensuite être ‘lu’. La codification des seins tubéreux entraîne la nécessité de codifier et ‘dé-crire’ les seins normaux contre lesquels ils sont définis, ce qui a pour conséquence de révéler leur artificialité. Elle rend aussi apparente l’ambivalence des formes de seins tubéreux où la difformité est difficilement identifiable, laissant planer la menace d’une indifférenciation entre le sein normal et mal formé. Selon Espineira, l’ambivalence, qui empêche de classer les corps dans des catégories prédéfinies et opposées, participe au malaise provoqué par les personnes trans* et intersexes. Le pouvoir médical et psychiatrique a alors pour rôle « de contrôler et de ‘normaliser’ tout corps ou esprit identifié comme ‘atypique’ » (Espineira, 2015 : 184). Le non conforme se voit ‘pathologisé’. Dans le cas des seins tubéreux, nous verrons que la recherche en chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique affine ses échelles afin de départir les seins tubéreux difficilement identifiables des seins normaux et mieux choisir l’intervention chirurgicale visant à normaliser ces anomalies. Aujourd’hui, davantage de seins basculent donc vers la difformité avec les conséquences qu’un tel diagnostic entraîne chez les personnes concernées.
Puisque le sein normal et le sein tubéreux sont des productions instables, la resignification des derniers devient envisageable. Butler (2004 [1997]) a montré qu’il est possible de renverser la charge haineuse d’offenses et d’insultes et de les resignifier positivement (ex. : l’insulte ‘queer’ [étrange, tordu] devenue un puissant marqueur identitaire porteur d’autonomisation). Nous croyons qu’il peut en être de même pour les seins tubéreux. Choisir de les accueillir, de les aimer au naturel et d’inscrire sur leur morphologie un sens positif, c’est résister à la codification oppressive de cette forme de seins par les instances de pouvoir. Nead (1992) a mis en lumière comment le pouvoir patriarcal contrôle le corps des femmes au moyen du nu artistique et des conventions esthétiques. Ces canons retransmettent une vision dualiste, où la féminité est associée à la matière informe et indisciplinée qui doit être tenue sous l’autorité de la raison associée à la masculinité. Le nu sert alors à contenir le corps naturel de la femme à l’intérieur des frontières sécuritaires du discours et des canons artistiques. Clark (1956) rappelle que le beau corps, selon l’esprit classique, a des proportions harmonieuses et symétriques calculées mathématiquement, sa ligne est droite et verticale, et sa forme sobre évoque la vertu morale et le contrôle de la raison. Le paradigme pour les représentations féminines est la statue d’Aphrodite, aux seins en demi-pomme, bien fermes et symétriques, un idéal mammaire toujours valide aujourd’hui. Accueillir et aimer les seins tubéreux au naturel en revient donc à chérir la matière informe et indisciplinée par les conventions artistiques et résister au contrôle des instances de pouvoir déterminant la beauté. C’est aussi contribuer à diversifier l’idéal féminin normalisé pour le bien des personnes aux seins tubéreux et de l’ensemble de la population.
Pour analyser la codification des seins tubéreux, nous avons exploré les bases de données accessibles au moyen de l’outil de recherche Sofia de l’Université du Québec à Montréal (Canada), un outil donnant accès au contenu des bibliothèques universitaires à travers le monde ; Google ; Google Scholar ; et Safari avec les mots clés ‘sein*’, ‘breast*’, ‘tubéreux’, ‘tuberous’, ‘tubulaire*’, ‘tubular’, ‘puffy nipple*’, ‘malformation* congénitale*’, ‘deformit*’, ‘histoire*’, ‘art*’ et ‘média*’. Cette recherche a permis d’isoler deux instances s’employant à définir, classifier et produire des savoirs sur les seins tubéreux : la recherche en chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique et la pornographie. Il est à noter que s’ils sont rares dans les arts plastiques, le cinéma et la littérature, les seins tubéreux se sont avérés introuvables dans leurs analyses théoriques. Ils n’apparaissent pas dans les recherches portant sur l’histoire des seins (Gros,1987 ; Yalom, 2013 [1997] ; Sagaert, Ordioni, 2015), ni dans celles ayant pour objectif de montrer la grande diversité des seins naturels (Dodsworth, 2015 ; Froidevaux-Metterie, 2020).
Si la chirurgie plastique des seins est documentée depuis 1669 (Mugea, Shiffmen, 2015 : 29), la codification des seins tubéreux par la médecine commence en 1930, alors que Gläsmer en fait une première description et propose une étiologie, classant cette forme atypique de seins parmi les anomalies morphologiques congénitales [1]. En 1976, Rees et Aston la nomment ‘seins tubéreux’ à cause de sa ressemblance avec les racines des plantes tubéreuses et en distinguent deux variantes en fonction de leurs particularités anatomiques. Depuis, d’autres nomenclatures se sont ajoutées, sans qu’aucune ne s’impose comme un standard : seins tubulaires, constrictifs ou sténosés, constriction du pôle inférieur, hypoplasie du pôle inférieur, hernie aréole, seins aréolaires, à base étroite, aréole en forme de dôme, seins mamelons, Snoopy ou beignets, etc. Klinger et al. (2016 ; 2017) suggèrent de réserver les nomenclatures ‘seins constrictifs’ et ‘seins sténosés’ pour les cas très proches des seins normaux. Ellart, Chaput et Grolleau (2016), Klinger et al. (2016) et Zholtikov, Korableva et Lebedeva (2019) considèrent cette forme de seins fréquente, alors que Toranto (1981), Zambacos et Mandrekas (2006) et Innocenti et al. (2018) la jugent rare. Si elle touche principalement les femmes, on l’observe aussi chez l’homme, et elle serait en augmentation ces dernières années (Klinger et al., 2016).
La vaste majorité des études consultées indiquent que les seins tubéreux se déclinent en une grande variété de morphologies avec un spectre de degrés, mais qu’il s’agit généralement de seins de forme cylindrique hypo ou hypertrophique ; qui ont un déficit du parenchyme mammaire (tissu cutané) au niveau des quadrants inférieurs et latéraux ; une base étroite ; une élévation anormale du sillon sous-mammaire ; une hernie du parenchyme au niveau de l’aréole ; et qui sont asymétriques. Pacifico et Kang (2007) affirment toutefois que la hernie de l’aréole et la peau plus mince de cette zone sont les seules caractéristiques anormales des seins tubéreux.
L’étiologie de cette anomalie ne fait pas l’unanimité. Gläsmer (1930) évoque une régression phylogénétique à cause de la ressemblance de ces seins avec les mamelles animales et Pers (2009) un échec de la différenciation tissulaire dans une zone limitée du thorax fœtal. Mugea et Shiffman (2015) et Innocenti et al. (2018) penchent pour une origine embryologique, alors que Klinger et al. (2017) suggèrent que le développement anormal des glandes mammaires est causé par un épaississement de la membrane superficielle du sein. Cet épaississement, qui s’apparente à une fibrose (tissu cicatriciel), empêche le parenchyme mammaire de croître et de s’étendre pour former un sein hémisphérique. Klinger et al. (2016) n’excluent pas une corrélation entre des facteurs environnementaux, comme la pollution et l’exposition à une irradiation ionisante, la diète ou les hormones. Ellart, Chaput et Grolleau (2016) n’évacuent pas non plus la possibilité d’un facteur génétique puisqu’il existe des cas familiaux.
L’ensemble des études consultées indique que, sauf de rares exceptions où l’allaitement est entravé, les seins tubéreux fonctionnent normalement, sont indolores et sans danger pour la santé physique. Les répercussions psychologiques du diagnostic sont en revanche beaucoup plus marquées ; lequel survient souvent à un âge précoce (durant la puberté). Mandrekas et Zambacos (2010), Ellart, Chaput et Grolleau (2016) et Neligan (2018 [1990]) rapportent que les personnes ayant de tels seins éprouvent une baisse de l’estime de soi, de la honte, un sentiment d’injustice et ont des difficultés dans leurs rapports amoureux et sociaux, ce qui les pousse à garder secret leur état et à s’isoler. C’est ce qui explique, selon Innocenti et al. (2018), qu’à ce jour, il n’y ait aucune statistique pouvant renseigner sur le nombre de personnes atteintes de cette anomalie. Klinger et al. (2016) déclarent de même que plusieurs femmes ayant des seins avec une très légère difformité ignorent leur réelle condition, et ne font donc pas partie des statistiques.
En 1996, Von Heimburg et al. proposent une première classification en quatre types basée sur le développement insuffisant de la glande mammaire et le déficit du parenchyme des quadrants pour différencier les variations de poitrines tubéreuses et établir une nomenclature plus largement reconnue, et ainsi faciliter la détermination de l’intervention chirurgicale appropriée pour en corriger la forme. Cette classification est affinée quatre ans plus tard (Von Heimburg, 2000). En 1999, Grolleau et al. la simplifient en établissant une échelle de trois gradations en fonction de la déformation de la base du sein et du déficit cutané au niveau des quadrants, le grade I étant le plus bénin et le III le plus sérieux. Castigliola, Atiyeh et Rampillon ajoutent en 2013 le grade 0 afin d’inclure les formes mineures où seule l’aréole est protruse. En 2018, toujours dans l’espoir de faciliter le choix du traitement chirurgical approprié, Innocenti et al. recommandent une nouvelle classification basée sur le volume et la consistance des tissus et tenant compte des multiples variations afin d’y inclure les formes mineures difficilement reconnaissables et pouvant facilement être confondues avec une « variante anatomique normale [2] » (Innocenti et al., 2018 : 104). Cette volonté de distinguer les formes bénignes de seins tubéreux est aussi à l’origine de la classification en huit grades de Klinger et al. (2017) basée sur le type de sténose (rétrécissement), le tropisme (croissance) glandulaire et la ptôse (affaissement) du sein.
Ces classifications reposent sur des évaluations cliniques subjectives et entraînent des inconstances dans les diagnostics. Afin de remédier à cet aspect, Pacifico et Kang (2007) créent le Northwood Index (NI), un système d’évaluation objectif s’appuyant sur le ratio entre le degré de hernie (la distance en cm entre le bout du mamelon et l’extrémité de l’aréole) et le diamètre de l’aréole déterminé en vue latérale. Un NI normal se situe entre 00.7 et 0.35, alors que celui des seins tubéreux se trouve entre 0.41 et 0.66. Le NI fournit une indication claire là où subsiste l’incertitude et l’incapacité de déterminer exactement ce qui est anormal, surtout en ce qui a trait aux cas limites parce que comme l’affirment Pacifico et Kang (2007 : 463) : « Le cerveau humain distingue facilement le sein normal du sein anormal, bien que nous ne soyons pas en mesure de dire objectivement pourquoi un sein anormal semble anormal [3] ». Pour la première fois, les seins tubéreux et normaux peuvent être calculés mathématiquement, rendant leur identification et leur différenciation hors de tout doute. Notons enfin que dans la majorité des études les descriptions des poitrines tubéreuses sont accompagnées de photographies ou de dessins montrant des bustes de patientes anonymes ou de gros plans de seins.
La codification toujours plus précise et objective des seins tubéreux est intimement liée au choix du traitement, c’est-à-dire la chirurgie afin de corriger, reconstruire ou embellir l’aspect du sein. Il s’agit d’une intervention complexe, qui nécessite plusieurs opérations et qui n’est pas permanente (Neligan, 2018 [1990]). Il y a risque de complication, de perte de sensibilité, voire d’échec. Des cicatrices visibles sont de même à prévoir, ce que confirment toutes les photographies incluses dans les études consultées, et les implants doivent être changés tôt ou tard. Il appert que corriger un sein à la forme différente, mais fonctionnant normalement peut causer des risques non négligeables pour la santé des patientes.
Dans leur description des seins tubéreux, la majorité des auteurs se gardent bien d’exprimer un jugement de valeur sur leur aspect. Toutefois, Ellart, Chaput et Grolleau (2016 : 641) les jugent « de forme disgracieuse » et de « disgrâce de la poitrine ». Neligan (2018 [1990] : 511) les qualifie de « forme[s] de poitrine aberrante [4] ». Généralement, ‘malformation’, ‘pathologie’, ‘syndrome’, ‘maladie’, ‘anomalie’, ‘difformité’, ‘déformation’, ‘déficience’, ‘sein anormal’ ou ‘sein au développement non naturel’ sont les expressions privilégiées.
Les chercheurs qualifient en revanche d’‘idéale’, ‘adéquate’, ‘normale’ ou ‘naturelle’ la forme de seins souhaitée au terme de l’intervention chirurgicale. Ils comparent la poitrine tubéreuse à des seins avec « le sillon sous-mammaire et la base mammaire idéales [5] » (Klinger et al., 2017 : 1070). Ce que le chirurgien tente d’obtenir est une « forme de sein plus naturelle [6] » (Costagliola, Atiyeh, Rampillon, 2013 : 901) ; une « formation normale et naturelle des seins [7] » (Zholtikov et al., 2019 : 21), que « la réduction/resserrement de l’aréole transforme un sein tubéreux en un sein normal [8] » (Pacifico, Kang, 2007 : 461). Certains proposent une approche capable de redonner une « esthétique mammaire normale [9] » (Mandrekas, Zambacos, 2010 : 683) ; que le « complexe d’aréole du mamelon résulte de taille et de position normales [10] » (Innocenti et al., 2018 : 106-107) ; alors que d’autres croient que les « dimensions normales de la base du sein doivent être restaurées » et le « sillon sous-mammaire placé à son niveau normal [11] » (Grolleau et al., 1999 : 2043). Peu importe le type de difformité, « le volume de la glande doit être harmonieusement redistribué [12] » (Ibid. : 2043). Ils visent « une forme de poitrine ronde [13] » (Klinger et al., 2017 : 1076) ; une « symétrie idéale » ; « des seins symétriques, avec une forme conique esthétique, des dimensions adéquates » ; et que « Les seins traités [aient] une aréole de taille normale, une forme naturelle avec une bonne symétrie [14] » (Pacifico, Kang, 2007 : 459-460). L’objectif principal du traitement est « de restaurer une forme normale du sein », mais idéalement avec « le nombre d’or du sein, 21 cm [15] » (Mugea, Shiffman, 2015 : 863, 868). Ces discours construisent les seins tubéreux comme des organes anormaux, non naturels, pathologiques, non harmonieux et non esthétiques qu’il convient de corriger et améliorer. Cette codification se retrouve exacerbée dans les forums ou magazines en ligne, où des femmes diagnostiquées ou constatant la différence morphologique de leurs seins échangent sur les seins tubéreux, leur isolement, les difficultés rencontrées dans leurs relations intimes et l’opération chirurgicale. Plusieurs manifestent le souhait de faire reconstruire leur poitrine, qu’elles déplorent en termes parfois très négatifs : « j’ai l’intention de me faire opérer pour ENFIN me débarasser [sic] de mes affreux seins tubéreux !!! » (cac02la, 2004) ; « je trouve ma poitrine vraiment horrible » (Lisa78, 2020) ; « Je ne me suis jamais sentie comme une femme. Je me sentais comme un monstre [16] » (Wischhover, 2015).
Depuis les années 1930, la recherche en chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique s’affaire à codifier et inscrire sur des seins dont la morphologie diffère de la norme, l’idée qu’il s’agit d’une pathologie pouvant être corrigée. Elle a engendré des ‘seins tubéreux’ et les a classés selon des échelles toujours plus précises, et inventé des formules mathématiques pour départir hors de tout doute les seins mal formés des seins normaux. La seconde instance de pouvoir contribuant à la codification des seins tubéreux est la pornographie. Nous verrons que le sens qu’elle inscrit sur cette forme de seins est d’un tout autre ordre.
Les sites pornographiques proposent des vidéos de femmes aux seins tubéreux dans la catégorie puffy nipples [mamelons gonflés]. La catégorie renferme une variété de morphologies mammaires, allant des seins tombants aux seins pourvus de très longs mamelons ; des seins avec une base normale et l’aréole protruse (le grade 0 de Castigliola, Atiyeh et Rampillon (2013)) aux seins tubéreux de grade 1 à 3 sur l’échelle de Grolleau et al. (1999). Contrairement aux images médicales, dans la vaste majorité des vidéos consultées, le visage des femmes est visible à l’écran. Parfois, un nom (un pseudonyme ?) apparaît dans la légende sous la vidéo, individualisant et humanisant la personne. En ce qui concerne les discours accompagnant ces vidéos, il s’agit essentiellement de commentaires laissés par les internautes. Ceux-ci divergent franchement des descriptions médicales. Les seins tubéreux, même si à l’occasion qualifiés de ‘laids’, y sont en effet décrits comme étant excitants et attrayants. Sur xhamster, Joepit s’exclame par exemple : « Wow, ces nichons sont tellement sexy » ; Olli_Garch : « Tellement sucable » ; nifty58 : « Putain oui j’ai envie de sucer ses petits nichons laids avoir la bouche pleine de petits nichons retombants si jolis » ; iluvbbws67 : « Beaux nichons gonflés !!! Je les adore !!! [17] » (xhamster, s.d). Visionnée 106 500 fois en date du 22 novembre 2021, la vidéo en question obtient à 99% la mention ‘J’aime’. Dans ces images, la femme est aussi réduite à ses seins, mais ceux-ci sont sexualisés, voire fétichisés par les amateurs. En appartenant à la catégorie spécialisée des puffy nipples, tant les administrateurs de ces sites que les femmes qui produisent et téléversent ces vidéos codifient, volontairement ou involontairement, les seins tubéreux comme hors normes. Le sens qui s’inscrit sur ces corps, celui d’objet sexuel désirable et excitant, et la popularité non négligeable de ces vidéos ébranlent certainement le discours médical pathologisant exposé précédemment ainsi que ses échos dans les forums et magazines en ligne.
La première opération de la corpographèse a permis de révéler comment la science médicale et la pornographie codifient certaines morphologies mammaires pour en faire des seins tubéreux ou des puffy nipples. Codifiés comme anomalie morphologique congénitale à corriger ou organe sexualisé à désirer et consommer, les seins tubéreux sont construits en fonction de leur différence avec le sein normal ou idéal, qu’il convient maintenant de ‘dé-crire’.
La chirurgie des seins tubéreux vise à leur redonner une forme normale, voire idéale. Parmi les études consultées, Rees et Aston (1976), Neligan (2018 [1990]) et Mugea et Shiffman (2015) sont celles qui offrent les descriptions les plus détaillées d’une poitrine normale et idéale. Selon Rees et Aston (1976 : 339), une glande mammaire normale « s’étend verticalement de la deuxième à la sixième côte inclusivement et horizontalement du bord latéral du sternum à la ligne médio-axillaire. La plus grande partie du sein, environ les deux tiers, repose sur le muscle pectoral majeur et le reste repose sur le serratus antérieur. […] Chez la jeune femme moyenne, le sein est de forme hémisphérique, avec une base elliptique. Le diamètre horizontal est généralement légèrement plus long que le diamètre vertical [18] ». Neligan (2018 [1990] : 4) est plus précis : « La distance entre l’échancrure sternale et le mamelon est de 19–21 cm. La distance entre la ligne médio-claviculaire et le mamelon est également de 19–21 cm. La distance entre le mamelon et le pli sous-mammaire est de 5–7 cm. La distance entre le mamelon et la ligne médiane est de 9–11 cm [19] ». Dans sa forme idéale, le complexe « mamelon et aréole » doit avoir un diamètre de 4 à 5 cm et être situé au-dessus du sillon sous-mammaire. Pour les patientes, le modèle idéal de poitrine est souvent celui des célébrités et des modèles. Mugea et Shiffman établissent qu’un sein normal est celui possédé par une majorité de femmes d’un même groupe d’âge et statut physiologique et a « un volume compris entre 300 et 500 ml, selon la corpulence de la femme, se situe longitudinalement entre la deuxième et la septième côte et transversalement entre le bord du sternum et la ligne axillaire antérieure. La ‘queue’ du sein doit s’étendre vers l’aisselle et le mamelon doit faire saillie à la hauteur du quatrième espace intercostal [20] » (Mugea, Shiffman, 2015 : 69). Notons que la taille du sein normal a augmenté depuis 1976, passant d’une localisation entre la deuxième et la sixième côte pour atteindre la septième côte en 2015. Le sein idéal a pour sa part une apparence plaisante avec « une taille et une rondeur normales, une ptose minimale, une forme conique ou en goutte, et un mamelon dans la position la plus antérieure possible et selon une proportion, position et projection normales [21] » (ibid. : 69). Dans ces descriptions, il appert que les adjectifs ‘normal’ et ‘idéal’ semblent qualifier le même type de seins. Reconnaissant qu’il est impossible d’imposer un modèle unique de sein à l’ensemble des femmes à cause de leurs différences morphologiques, Mugea et Shiffman développent un logiciel afin de déterminer la taille qui convient esthétiquement à chaque patiente à partir de leurs mensurations et indice de masse corporelle : le Breast Golden Number. Idéalement, le nombre d’or du sein est « identique au triangle esthétique, aux méridiens horizontaux et verticaux du sein, aux dimensions de la circonférence du sein et à la longueur du sillon sous-mammaire [22] » (ibid. : 69). Il s’agit de seins hémisphériques, symétriques et haut perchés, dont la taille n’est ni trop grande ni trop petite ; des seins qui rappellent ceux de la tradition artistique, dont les auteurs disent d’ailleurs s’inspirer.
Les arts regorgent d’images et de textes représentant la poitrine idéale. Durant l’Antiquité s’installe, comme évoqué plus tôt, un canon esthétique faisant du sein hémisphérique, symétrique et ferme un idéal toujours valide aujourd’hui. En littérature, le blason et le contre-blason décrivent en détail le sein idéal et son opposé, le sein laid. Selon Marot, le sein idéal est celui d’une jeune fille blanche, à peine pubère, de taille petite ou moyenne et ferme : « Tétin refait [nouvellement formé] / Tétin de satin blanc tout neuf. / […] Tétin dur (non pas tétin, voire / Mais petite boule d’ivoire) / […] Tétin qui jamais ne se bouge / […] Tétin ne grand, ne petit » (Marot cité par Witkowski, 1898 : 189-190). En revanche, le sein laid est celui de la femme usée ou de la vieille. Il a perdu son galbe et sa fermeté, sa forme s’est affaissée et étirée et il ressemble à une mamelle animale : « Tetin, qui n’a rien, que la peau / Tetin flac, tetin de drapeau / Grand’ Tetine, longue Tetasse / Tetin, doy-je dire bezasse ? / […] Tetin pendant, Tetin flestry, Tetin rendant. / […] Tetin boyau long d’une gaule / Tetasse à jeter sur l’epaule. / […] Ou desrobé en quelcque sorte / De quelque vieille Chievre morte » (Marot cité par Sagaert, Ordioni, 2015 : 16).
La dichotomie du beau sein, d’apparence jeune, ferme et plein, préservé par une vie privilégiée ou refait par la chirurgie esthétique, et du sein laid de la femme adulte, de classe inférieure ou vieillissante, usé par l’allaitement et ayant perdu sa fermeté, apparaît aussi dans ce que Gros nomme le ‘sein médiatique’, soit celui défini par « les critères de la littérature érotique ou des magazines et les normes incarnées par les mannequins ou les stars » (Gros, 1987 : 23). Le sein médiatique est « toujours beau, plein de santé, hors des atteintes du temps », alors que le sein naturel « obéit aux lois de la pesanteur, à celles de la génétique, de l’anatomie, de la physiologie, de la maladie. Il vieillit, s’abîme, s’affaisse. Il est sensible ou douloureux avec les règles. Il n’est jamais comme il faudrait qu’il soit […] » (ibid. : 23). Yalom montre quant à elle comment la poitrine idéale dans la culture occidentale est aussi codifiée selon la dichotomie ‘seins nourriciers’ et ‘seins érotiques’, ainsi que les jugements de valeur attribués à ces pôles : « Quand la ‘bonne’ poitrine prend le dessus, on souligne sa capacité à nourrir les bébés ou, allégoriquement, toute une communauté religieuse ou politique. […] Quand domine la ‘mauvaise’ poitrine, les seins ne sont plus que séduction, voire agression » (Yalom, 2013 [1997] : 17). Les seins sont donc perçus positivement comme source de nourriture physique, spirituelle et même politique (ex. : les seins de Marianne). En revanche, les seins de la prostituée, de la femme facile, vulgaire sont considérés péjorativement. Elle met enfin en lumière la nature fluctuante du modèle idéal de seins et du sens qu’on lui attribue au cours du temps. Les petits seins vont de pair avec l’idée d’émancipation et de sophistication et se voient valorisés durant les conjonctures favorables à la libération des femmes (ex. : les années 1920 et 1960). Le goût pour les grosses poitrines est en revanche notable au cours des années 1950, une période où on voit de bon œil la femme bonne vivante et disponible. Petits ou gros, les seins idéaux se ressemblent toutefois de par leur forme ronde, ferme et symétrique.
La description et la codification des seins normaux et idéaux révèlent le décalage qui existe entre leur forme homogène et celles multiples des seins naturels. Puisqu’elles varient en fonction des modes et des conjonctures quant à la perception du rôle des femmes dans la société, les morphologies mammaires considérées normales et idéales peuvent donc être repensées. Tant Yalom que Froidevaux-Metterie (2020) en appellent à une diversification du modèle restrictif de seins diffusé en art et dans les médias. Yalom encourage une réappropriation de leur poitrine par les femmes, une mise en évidence de la variété caractérisant les seins naturels et leur appréciation tels quels. Froidevaux-Metterie propose un portrait plus réaliste des seins au moyen de photographies en noir et blanc de bustes de femmes aux poitrines de différentes morphologies afin de confronter les représentations publiques de la poitrine féminine jugées trop homogènes, un portrait duquel les seins tubéreux sont malheureusement absents.
La corpographèse des seins tubéreux a permis de mettre en lumière la pathologisation et la sexualisation d’une morphologie mammaire, d’une part, et la création de seins normalisés et idéalisés différents des seins naturels, d’autre part. Tant les seins tubéreux que les seins normaux ou idéaux s’avèrent être des productions par des instances de pouvoir, dont la stabilité est menacée par l’ambiguïté qui réside à la frontière posée entre ces deux catégories, ce qui permet alors d’envisager leur resignification. Dans la dernière partie de cet article, nous présentons des démarches de visibilisation positives de seins tubéreux naturels qui ont le potentiel de transformer le sens inscrit sur cette morphologie mammaire.
Des voix s’élèvent sur les médias sociaux pour briser le tabou entourant les seins tubéreux, des voix qui s’inscrivent dans le mouvement Body positivity. Ce mouvement, dont les prémisses datent du début des années 2010 (Sastre, 2016), regroupe des démarches favorisant l’acceptation des corps de tous types et formes. Ces initiatives remettent en question la normalisation des corps minces, blancs, capables et de genre cis dans les médias occidentaux et appellent à une révision des normes de beauté afin d’y inclure un plus grand nombre de corps. Sur Instagram, des hashtags comme #tubularbreasts et #tubularbreastsart présentent des images positives de seins tubéreux. Parmi les égoportraits et autres contenus amateurs se trouvent des dessins montrant des bustes à la poitrine tubéreuse accompagnés de la légende : « Mes seins tubulaires sont beaux [23] ». #kirasmithcreative propose des dessins et aquarelles combinant des représentations artistiques de seins tubéreux et des témoignages des personnes ayant servi de modèle. Dans des compositions photographiques aussi publiées sur cette plateforme, des femmes s’identifiant comme ayant des seins tubéreux posent nues ou en sous-vêtements présentant un corps parfois volontairement érotisé et sexualisé.
Deux projets artistiques attirent cependant l’attention : Racconti Del Corpo de Costanza Salini et The Womanhood Project de Cassandra Cacheiro et Sara Hini. Dans les deux cas, les artistes présentent, dans des compositions photographiques intimistes et soignées, des personnes aux corps variés, dont des femmes à la poitrine tubéreuse, dans l’objectif de transformer les standards de beauté trop homogènes et artificiels valorisés par la société occidentale. Sans réduire ces personnes à leurs seins, sans en faire une pathologie ni les sexualiser comme c’est le cas des images médicales ou pornographiques, les portraits donnent plutôt une voix aux modèles au moyen d’entrevues faisant partie intégrante des œuvres. Dans Racconti Del Corpo [24], Salini invite le public à pénétrer la chambre des modèles, et à entendre et voir ce qu’elles ont à raconter à propos de leur corps sous la forme d’une bande sonore et d’une série de photographies. Dans Womanhood Project [25], les portraits photographiques sont accompagnés d’un témoignage écrit. Contrairement aux descriptions et codifications médicales et aux commentaires des internautes sur les sites pornographiques, dans ces deux projets, ce sont les modèles qui s’expriment, et cela, à visage découvert. Elles partagent leur expérience d’un corps différent du modèle normalisé, leur choix de s’accepter et de s’aimer comme tel, le plaisir que leur corps leur procure, mais aussi d’autres moments importants de leur vie. Leur témoignage n’est donc pas focalisé sur leurs seins tubéreux, lesquels ne sont pas codifiés comme faisant partie d’une catégorie à part. Dans le Womanhood Project l’actrice québécoise Maxime D. Pomerleau affirme par exemple : « Mon corps est parfait comme il est. Le tien aussi. L’autre là-bas aussi. Pis lui aussi » (the_womanhood_project, 2020). Les corps, dont leurs seins, peu importe leur forme, sont alors resignifiés comme beaux et idéaux.
Dans cet article, au moyen d’une corpographèse, nous avons mis en lumière les opérations d’inscription du sens sur une morphologie mammaire atypique par les instances de pouvoir que sont la recherche en chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique et la pornographie. Nous avons vu comment les seins tubéreux sont engendrés et codifiés comme une pathologie à corriger ou un objet sexuel à désirer et consommer en opposition aux seins normaux et idéaux. En ‘dé-crivant’ ce en quoi consiste le sein normal et idéal, nous avons constaté leur construction par la recherche en chirurgie mammaire, la tradition artistique et culturelle occidentale et leur variabilité et instabilité. Les seins normaux et idéaux se sont avérés différents des seins naturels, codifiés ‘laids’ par l’art, la littérature et les médias de masse. Puisque les seins tubéreux comme les seins normaux et idéaux sont produits, ils peuvent être resignifiés. Des démarches comme celles de Costanza Salini dans Racconti Del Corpo et Cassandra Cacheiro et Sara Hini dans The Womanhood Project, donnant la parole aux personnes avec des seins tubéreux, qui resignifient leur corps différent comme beau et adéquat, qui refusent de se conformer au dictat de la forme inspiré par les canons esthétiques occidentaux, permettent d’espérer entendre dire ou lire plus fréquemment : « mes seins naturels, quelle que soit leur forme, sont beaux ».
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[1] Il est possible que des descriptions de seins tubéreux aient été proposées plus tôt dans des traités médicaux portant sur les curiosités et monstruosités (ex. : Witkowski, 1898), où des cas de mamelles surnuméraires, hypertrophiées ou étrangement positionnées sont relevés avec moult détails. Une étude approfondie du contenu de ces ouvrages médicaux reste à conduire.
[2] (traduit de l’autrice). « normal anatomic variant. »
[3] (traduit de l’autrice). « The human brain readily distinguishes the normal from the abnormal breast although we may not be able to state objectively why an abnormal breast looks abnormal. »
[4] (traduit de l’autrice). « aberrant breast shape. »
[5] (traduit de l’autrice). « the ideal inframammary fold and ideal breast base. »
[6] (traduit de l’autrice). « more natural breast shape. »
[7] (traduit par l’autrice). « A normal, natural formation of the breasts. »
[8] (traduit de l’autrice). « areolar reduction/tightening converts a tuberous breast into a normal breast. »
[9] (traduit de l’autrice). « normal breast aesthetics. »
[10] (traduit de l’autrice). « symmetrical breasts, with an esthetic conical shape, adequate dimensions. » « The nipple areola complex resulted normal in size and position. »
[11] (traduit de l’autrice). « Normal dimensions of the breast base must be restored. » « inframammary fold can be placed at its normal level. »
[12] (traduit de l’autrice). « the volume of the gland must be harmoniously redistributed. »
[13] (traduit de l’autrice). « a round breast shape. »
[14] (traduit de l’autrice). « ideal symmetry […] The treated breasts had a normal-sized areola, a natural shape with good symmetry. »
[15] (traduit de l’autrice). « to restore a normal breast shape. » « the breast golden number, 21 cm. »
[16] (traduit de l’autrice). « I never felt like a woman. I felt like a monster. »
[17] (traduit de l’autrice). Joepit : « Wow, those tits are so damn sexy » ; Olli_Garch : « So so suckable » ; nifty58 : « Fuck yes I want to suck on her little ugly tits have a mouthful of saggy little tit so nice » ; iluvbbws67 : « Beautiful Puffy Titties !!! Love Them !!! »
[18] (traduit de l’autrice). « extends vertically from the second to the sixth rib inclusive and horizontally from the lateral edge of the sternum to the midaxillary line. The greater part of the breast, about two-thirds, rests on the pectorialis major muscle and the remainder rests on the serratus anterior. […]. Il the average young woman the breast is hemispheric in shape, with an elliptical base. The horizontal diameter is usually slightly longer than the vertical diameter. »
[19] (traduit de l’autrice). « The distance from the sternal notch to the nipple is 19–21 cm. The distance from the midclavicular line to the nipple is also 19–21 cm. The distance from nipple to the inframammary fold is 5–7 cm. The distance from the nipple to the midline is 9–11 cm. »
[20] (traduit de l’autrice). « a volume somewhere between 300 and 500 mL, depending on the physical build of the woman, to be located sagittally between the second and seventh rib and transversally between the sternal edge and the anterior axillary line. The “tail” of the breast should extend toward the axilla, and the nipple should project at the height of the fourth intercostal space. »
[21] (traduit de l’autrice). « a normal size and fullness, minimal ptosis, a conical to teardrop shape, and the nipple in the most anterior position, and coming from a normal proportion, position, and projection. »
[22] (traduit de l’autrice). « identical with the aesthetic triangle, breast horizontal and vertical meridians, breast circumference dimensions, and inframammary fold length. »
[23] (traduit de l’autrice). « My tubular breasts are beautiful. »
[24] https://www.onlineoasis.net/raccont&hellip ;
[25] https://www.instagram.com/the_woman&hellip ;. The Womanhood Project sera exposé au Musée national des beaux-arts du Québec (Canada) du 12 juin au 12 septembre 2021.
Lieutenant-Duval Verushka, « Corpographèse des seins tubéreux : révéler les opérations de codification et d’inscription du sens sur les seins atypiques, normaux et idéaux », dans revue ¿ Interrogations ?, N°33. Penser les représentations de l’ « idéal féminin » dans les médias contemporains, décembre 2021 [en ligne], https://revue-interrogations.org/Corpographese-des-seins-tubereux (Consulté le 21 décembre 2024).