Arnoult Audrey, Kredens Elodie
Cette contribution questionne les représentations de l’idéal féminin sur le site de rencontres Adopteunmec.com. Sur ce site, connu pour donner à la femme l’ascendant sur l’homme, les internautes masculins sont invités à indiquer leurs attentes dans une section de leur profil intitulée « Shopping List ». Notre objectif est d’étudier les représentations de la femme « idéale » inscrites dans cet espace libre du profil. Distingue-t-on plusieurs idéaux féminins ? Peut-on repérer des différences en fonction des critères sociodémographiques des internautes ? A quels univers de sens renvoient ces représentations ? L’analyse lexicométrique d’un corpus de 660 « Shopping List », capturées entre le 5 avril et le 19 juillet 2019 permet de répondre à ces questions. Nous utilisons le logiciel Iramuteq, et plus précisément la classification hiérarchique descendante, pour mettre au jour les différents mondes lexicaux qui structurent le corpus.
Mots-clés : site de rencontres, idéal, femme, représentations, Iramuteq
The representations of the « ideal woman » on the dating website Adopteunmec.com
This contribution questions the representations of the feminine ideal among men on the dating website Adopteunmec.com. In this website, known to empower women over men, male users are invited to indicate their expectations in a section of their profile entitled « Shopping List ». Our aim is to study the representations of the ideal woman discribed in this free space of the profile. Do we identify several feminine ideals ? Can we highlight differences in relation with socio-demographic characteristics of the users ? What kind of universes of meanings refer these representations to ? The lexicometric analysis of a corpus of 660 « Shopping List », shot from April the 5th to the 19th of July 2019, enables the answer to these questions. We used Iramuteq software, and more specifically the descendant hierarchical classification, to unveil the various lexical worlds that structure the corpus.
Keywords : dating websites, ideal, woman, representations, software Iramuteq
Adopteunmec.com (AUM) est un site de rencontres en ligne français atypique, dans le paysage numérique des relations amoureuses et sexuelles. Lancé en 2007, dans un contexte de massification et d’hyper-segmentation du marché (Bergström, 2013), le site fait partie aujourd’hui des leaders du marché. En 2018, un sondage IFOP indique que 25% des Français âgés de 18 à 39 ans auraient déjà plébiscité la plateforme [1]. Hétéro-orienté [2], AUM se démarque de ses concurrents en proposant une approche décomplexée de la rencontre, empruntant et détournant les codes du e-commerce et du luxe - lisible et visible sur son dispositif numérique.
Par ailleurs, ce site a pour particularité de donner « le pouvoir aux femmes », placées dans une posture ascendante vis-à-vis de la gente masculine. Le dispositif leur confère le rôle de consommatrices, évoluant sur une plateforme marchande, les hommes étant assimilés à des produits. Toutefois, dans leur profil, la catégorie « Shopping List » est le seul endroit du dispositif où ils peuvent renverser partiellement les rôles attribués, en exprimant leurs attentes via leur « liste de courses ». Cette section a retenu notre attention pour interroger les représentations de « l’idéal » féminin sur un média contemporain.
Etymologiquement, le terme « Idéal » est emprunté au latin médiéval idealis, « relatif à l’idée », ce qui inscrit d’emblée ce concept du côté de la projection. Selon l’Académie française, l’idéal est « ce que l’esprit conçoit comme le terme de la perfection » et qui « répond à l’idée que chacun se fait de la perfection ». L’idéal ne serait donc qu’une expression singulière.
C’est pourquoi nous souhaitons questionner les représentations de l’idéal féminin sur le site de rencontres AUM. Sont-elles homogènes ou plurielles ? Quels qualificatifs sont employés pour décrire la femme idéale ? A quels univers de sens renvoient ces représentations ? Sont-elles de l’ordre de l’intellect, de la beauté, de la personnalité, du statut social, etc. ?
Notre corpus se compose des « Shopping List » de 660 profils masculins, analysés avec le logiciel Iramuteq et plus précisément la classification hiérarchique descendante (Reinert, 1983 ; Ratinaud, 2009) qui permet d’identifier les différents mondes lexicaux présents dans le corpus. Plus précisément, nous souhaitons voir sur quels critères se fondent les représentations de la femme « idéale ». Dans une moindre mesure, nous analysons également certains éléments du dispositif et les discours auto-qualifiants d’AUM, afin d’apporter des précisions sur le type de relations favorisé par l’interface.
Nous préciserons tout d’abord les caractéristiques du corpus et les principes méthodologiques de la classification hiérarchique descendante. Puis, nous dresserons une typologie des internautes masculins au regard de leur posture vis-à-vis de la « Shopping List » et des modalités d’expression de leurs attentes chez la femme recherchée. Nous nous consacrerons alors à l’analyse du premier monde lexical mis en évidence par Iramuteq et révélant les critères de choix des hommes dans leur quête de la femme ‘idéale’. Enfin, l’étude du second monde lexical montrera que certains internautes imaginent déjà leur partenaire dans leur quotidien pour partager leur vie de couple.
Notre terrain se compose de l’interface du site adopteunmec.com et d’une sélection de 660 profils d’hommes, capturés entre le 5 avril et le 19 juillet 2019, à des jours et heures différentes afin d’avoir un échantillon le plus diversifié possible. En outre, plusieurs critères ont été retenus pour cette sélection :
- Le critère socio-démographique de l’âge : nous avons sélectionné des profils allant de 25 à 34 ans, ce qui correspond au cœur de cible d’AUM, l’âge moyen des utilisateurs étant de 31 ans en 2016 [3].
Sur AUM, l’espace du profil masculin [4] est divisé en 6 parties : « Détails », « Livré avec », « Loisirs », « Description », « Shopping List » et « Goûts » (Cf. Illustration ci-dessous). Si certaines questions sont communes à différents sites de rencontres, les catégories « Livré avec » et « Shopping List » sont propres à AUM.
Nous avons sélectionné la partie « Shopping List » car cet espace est dédié à la formulation libre des attentes de l’homme concernant la femme et la relation recherchées. Contrairement à d’autres parties du profil qui sont pré-catégorisées, dans celle-ci, l’utilisateur peut choisir d’écrire ou non (un profil est valide même si la « Shopping List » n’est pas remplie), de la rédiger ou bien de faire une liste (la forme n’est pas prédéfinie) ou encore de produire un long texte comme d’y écrire un mot (la longueur n’est pas limitée [5]).
Sur les 660 profils retenus, 206 hommes n’ont pas renseigné la catégorie « Shopping List » et/ou ne font aucune mention du type de femme qu’ils recherchent dans leur description, ce qui représente un tiers du corpus. Ces profils ont donc été écartés.
Iramuteq est un logiciel libre d’analyse de données textuelles, développé par Pierre Ratinaud depuis 2008 (Ratinaud, 2009 ; Ratinaud et Déjean, 2009). Parmi les différentes fonctions proposées, nous avons utilisé la classification hiérarchique descendante (CHD), (Reinert, 2004). Le corpus est découpé en textes [6], lesquels sont divisés en segments de texte au sein desquels sont repérées les formes co-occurrentes [7]. C’est à partir de la corrélation récurrente de mots co-occurrents que se dessinent les thématiques du corpus. Autrement dit, la CHD regroupe les segments de texte [8] en fonction de la distribution différenciée de leur vocabulaire, ce qui permet d’obtenir différents « mondes lexicaux ». Comme l’explique M. Reinert (1993 : 11), « notre hypothèse principale consiste justement à considérer le vocabulaire d’un énoncé particulier comme une trace pertinente de ce point de vue. […] Nous appelons mondes lexicaux, les traces les plus prégnantes de ces activités dans le lexique ». Chaque monde lexical est associé à une liste de formes [9], classées en fonction de leur degré d’appartenance à la classe. L’étude de ces profils de classe permet d’identifier les différentes thématiques présentes dans le corpus.
Par ailleurs, le travail sur le corpus exige au préalable un certain nombre d’opérations afin de pouvoir l’importer puis le traiter avec le logiciel. Dans un premier temps, nous avons préparé puis codé le corpus. La préparation renvoie à la sélection des éléments pertinents par rapport à notre problématique. Ainsi, lorsque les internautes se décrivaient dans la partie « Shopping List », nous avons supprimé ces lignes du corpus. A l’inverse, si des éléments concernant la représentation de la femme idéale étaient donnés dans la partie « Description », nous les avons inclus. Dans un second temps, nous avons introduit un ensemble de critères d’analyse via la ligne de codage (âge : 25-29 et 30-24 ; enfant : oui / non / non renseigné ; physique : normal, mince, musclé, costaud, enrobé ; relation : CDI / CDD – Amitié câline / Intérim – One shot / Non renseigné).
Le corpus a ensuite fait l’objet d’un travail d’homogénéisation (Ratinaud et Marchand, 2012). En effet, pour qu’il soit compréhensible par le logiciel et que les résultats soient pertinents, il est nécessaire de corriger les fautes d’orthographe, de réécrire les termes abrégés [10], de détailler les sigles, de regrouper certains termes [11], etc.
Le corpus final compte 473 textes (« Shopping List » et « Description » [12]), 813 segments de texte, 21 954 occurrences et 3 430 formes (dont 58.51 % sont des hapax).
La CHD réalisée sur notre corpus permet d’obtenir le dendrogramme suivant, avec 91.76% du corpus classé [13] :
Le recours à la CHD permet de repérer les différentes thématiques qui sont abordées par les hommes dans leur « Shopping List ». Nous supposons donc que l’analyse des différentes classes va nous permettre de repérer les types de critères retenus pour définir « l’idéal » féminin voire le questionner. Rappelons que la représentation en classes « demande cependant une interprétation » et que « les frontières entre classes statistiques ne peuvent prendre consistance, qu’à partir du moment où ces classes sont catégorisables » (Reinert, 2007 : 195). Finalement, nous obtenons 3 mondes lexicaux :
Parmi ces trois mondes, seuls deux (classes 1 et 2) vont servir à décrire les représentations de la femme. En effet, la classe 3 a trait aux modalités de la rencontre et ne fait apparaitre aucunement les traits de la partenaire recherchée. Elle porte sur la dimension technique et matérielle de la mise en relation. Une partie des formes significatives renvoient au dispositif du site internet permettant d’entrer en contact avec des femmes, dans une logique pratique et parfois même consumériste.
Avant de livrer les traits moraux et physiques récurrents de la femme « idéale » que les internautes masculins projettent, nous avons tout d’abord observé chez eux de multiples façons de formuler (ou pas) leur « Shopping List », nous conduisant à établir une typologie des utilisateurs en fonction du mode d’énonciation utilisé.
L’analyse des formes significatives et des segments de texte caractéristiques de cette classe montre plusieurs façons d’appréhender « l’idéal » féminin et de le formuler. Le profil le plus fréquent est tout d’abord celui des hommes n’ayant pas vraiment de critères précis et mettant uniquement en avant ce qu’ils appellent ‘le feeling’. Cette forme lexicale est d’ailleurs la première forme significative de la classe 2. Leurs propos sont les suivants :
« Le feeling passe avant tout, le reste suivra » ;
« Je crois que le feeling y est pour beaucoup » ;
« Step by step, feeling and fun dans un premier temps. » ;
« Feeling, feeling et feeling » ;
Notons que pour certains, le « feeling » constitue un critère unique. Comme l’explique M. Bergström (2016 : 29), « sous le terme courant de feeling les interviewés décrivent le sentiment de proximité qui nait lors d’un échange fluide et réciproque où les sujets de conversation vont de soi ». Or, il ne peut y avoir de « feeling » ressenti qu’en situation de communication, qu’elle soit numérique, téléphonique ou en face-à-face. Ce terme suggère que ces hommes ne possèdent peut-être pas d’idéal, tout du moins affiché, à travers la « Shopping List ». Ainsi, ils attendent d’entrer en contact et d’échanger pour ressentir – ou pas – le feeling.
Pour d’autres, la mention du feeling s’accompagne de précisions comme le montre l’extrait « la fille parfaite n’existe pas, je marche au feeling et non pour sa beauté ». Il semble que l’apparence ne soit pas nécessairement le critère le plus important pour certains hommes. Ainsi on peut lire au détour d’une « Shopping List » le refus de juger une femme sur son physique : « petite, grande, brune, blonde, brune, fine, ronde etc., le plus important restera toujours le feeling et la bonne entente. » Nous verrons effectivement par la suite que les critères physiques ne sont pas ceux qui sont le plus attendus.
La seconde catégorie concerne les hommes ayant une idée très précise de la femme recherchée et dont la « Shopping List » détaille les exigences. Ainsi, ils se conforment aux prescriptions du dispositif leur demandant de faire leur « liste de courses ». Les segments de texte suivants illustrent la forme et le contenu ciblé de leurs attentes :
« Un brin d’humour, naturelle, pétillante, charmante, un peu folle, pas superficielle. »
« Une femme simple, posée, sérieuse, attentionnée, ambitieuse, avec de l’humour, du charme. »
« Une fille avec des valeurs, de la sincérité, franche, de l’humour, de la maturité, un job, sensible à l’environnement, une partenaire de tango, une aventurière, une sportive, qui a envie de vivre ».
Ici, le portrait de la femme recherchée est spécifique à l’homme qui l’écrit. La formulation de « l’idéal » se fonde sur une énumération d’adjectifs et/ou de substantifs renvoyant à la personnalité, aux valeurs mais très peu au physique. Le nombre de critères avancés confère une dimension quelque peu utopique à ces « Shopping List ». Des entretiens avec les internautes permettraient de préciser ces résultats : ont-ils conscience que leur « Shopping List » constitue un idéal qu’ils ont peu de chance de rencontrer via ce site ? Toutefois, si l’on revient à sa définition première, l’idéal est par essence une construction de l’imaginaire : il n’est pas soumis au principe de réalité et ne connait de limites sinon celles de l’esprit. Ainsi, il se peut que plus un homme énumère de critères, plus il verse dans un idéal féminin.
Le graphe suivant nous donne des précisions sur le type d’internautes fortement associés à la classe 2 que nous analysons dans la partie suivante et dans laquelle la femme est décrite sur le plan moral et physique avec de nombreux adjectifs qualificatifs.
Les internautes masculins, ayant entre 30 et 34 ans, sont le plus associés à la classe 2, c’est-à-dire la classe dans laquelle un portait précis de la femme idéale est décrit. Nous pouvons supposer que les hommes plus « âgés » ont peut-être davantage de critères pour choisir leur future compagne et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, ces hommes ont pu avoir différentes relations dans le passé, leur donnant une idée plus fine de la femme avec qui ils souhaiteraient construire leur vie. En outre, ils entrent dans la décennie 30/40 ans, qui est statistiquement celle de la naissance du premier enfant (Mazuy et al., 2015). Enfin, comme expliqué précédemment, l’idéal est une création imaginaire qui pouvant évoluer au fil du temps, et selon D. Draghicesco (1912 : 472), devenir plus affirmée, précise et réfléchie.
La troisième catégorie d’internautes renvoie à ceux dont le rapport à l’idéal est ambigu. Cette ambivalence se manifeste de deux façons dans la formulation de la « Shopping List » : affirmer s’en tenir au « feeling » tout en ajoutant des critères ou indiquer ne pas avoir d’attentes particulières mais avoir pourtant des exigences. Ainsi, un internaute écrit : « il me semble que j’attends un feeling plus que la femme idéale. Je pense que pour qu’il y ait feeling, il faut qu’elle ait un brin d’humour et qu’elle soit un minimum cultivée ».
Contrairement à la première catégorie d’hommes s’en tenant strictement au feeling, ici ce sentiment est conditionné par deux critères relatifs à la personnalité et au capital culturel de la femme. Rappelons à la suite de M. Bergström, que les sites de rencontres en ligne donnent lieu à une auto-sélection sociale à travers l’évaluation des profils, les échanges écrits et la rencontre physique (Bergström, 2016). Il n’est donc pas étonnant de trouver des attentes en termes d’intellect.
D’autres exemples témoignent de ce rapport ambivalent à l’idéal : les « Shopping List » commencent toutes par la négative pour ensuite avancer quelques critères.
« Pas de physique particulier en tête, l’important est qu’elle ne me laisse pas indifférent, mais pourquoi pas une sportive » ;
« Pas de critères particuliers, […] mais un peu de simplicité, d’humour et quelqu’un qui prend un minimum soin d’elle » ;
« Pas de critère particulier, tout se base sur un feeling. Tu as du charme, tu sais rigoler, tu aimes la vie, allons prendre un verre », etc.
La quatrième catégorie concerne un nombre mineur d’internautes [14] ayant choisi de détourner le dispositif. Les formulations et le lexique employés ne sont pas très fréquents dans l’ensemble du corpus et ne co-occurrent pas avec les formes significatives de la classe 2. L’analyse de ces différents types de détournements relève donc d’une analyse manuelle de notre part car ces éléments ne sont pas lisibles dans les résultats de la CHD. Six formes de détournements ont été identifiées par fréquence : le détournement humoristique [15], conatif [16], poétique [17], philosophique [18], de principe [19], et sans référentiel [20].
Une cinquième catégorie doit néanmoins être ajoutée. Il s’agit des hommes n’ayant pas rempli de « Shopping List » et ne figurant donc pas dans les résultats de la CHD. Ce profil d’hommes représente un tiers des profils collectés ce qui ne peut être ignoré. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer cette absence.
Premièrement, certains profils masculins sont dans l’ensemble relativement peu remplis, et de ce fait la section « Shopping List » ne l’est pas davantage. Il se peut que ces personnes ne souhaitent pas s’engager dans une relation sérieuse et ne soient donc pas à la recherche d’une femme particulière.
Deuxièmement, lorsque des hommes ayant pourtant rempli leur « Description » laissent la « Shopping List » vide, peut-être indiquent-ils volontairement l’absence de critères dans leur quête relationnelle soit parce qu’ils n’en ont pas, soit parce qu’ils ont des réticences à rédiger ce type de demande. En effet, M. Bergström (2016 : 21) a montré que sur les sites de rencontres, les hommes à faible capital culturel considèrent les sections à rédiger librement comme une forme de prétention contraire à leurs valeurs. La présentation de soi se focaliserait plutôt sur les photos et les questions à choix multiples du profil.
Troisièmement, l’explication résiderait plutôt dans l’expression d’une volonté de distanciation avec le dispositif proposé. En effet, il est possible que la référence explicite à une « liste de courses » apparaisse trop déplacée pour décrire la femme recherchée et que certains hommes se refusent tout bonnement à la remplir.
Enfin, certains internautes n’ont peut-être tout simplement pas terminé leur profil au moment où nous l’avons consulté, ce dernier pouvant être complété au fur et à mesure.
Pour résumer, cinq profils d’internautes masculins se détachent dans leur façon de formuler - ou pas - leur « idéal » féminin : les hommes « centrés sur le feeling », « précis », « ambivalents », qui détournent la « Shopping List » et enfin ne la remplissent pas. La notion d’idéal suggérant un ensemble de critères et d’exigences, il s’avère que seules deux catégories d’internautes en font mention, à savoir les hommes « précis » ou « ambivalents ». La formulation d’un idéal féminin ne concerne donc qu’une fraction des usagers masculins.
Le graphe suivant nous apporte quelques précisions montrant que la classe 2 (celle qui concentre la description de la femme idéale) est fortement associée aux internautes à la recherche d’un « CDI », autrement dit une relation sérieuse et durable. Cette corrélation semble logique dans la mesure où les hommes souhaitant une relation sur le long terme ont probablement réfléchi aux critères de la partenaire « idéale ». En revanche, les profils non renseignés ne sont pas associés à cette classe. Ce résultat peut s’expliquer par le fait que ces internautes ne savent peut-être pas ce qu’ils recherchent.
Après avoir identifié les différentes façons de formuler l’idéal féminin, nous nous attachons dans les sections suivantes à repérer les caractéristiques qui le constituent. Rappelons que les mondes lexicaux mis en évidence par la CHD résultent d’une distribution lexicale différenciée et du repérage des formes fréquemment co-occurrentes. Ainsi, les caractéristiques que nous mettons en avant ne sont pas les seules à être mentionnées dans les « Shopping List ».
Les formes significatives de ce second monde lexical font apparaitre deux types d’exigences différentes : les unes morales et les autres physiques.
Cette partie se fonde sur l’analyse de la seconde classe du dendrogramme représentant 21.31% du corpus, soit 159 segments de texte sur 813. Dans ce monde lexical, les internautes brossent le portrait de la compagne « idéale » et donnent à lire les contours de leurs exigences.
Concernant les traits de caractère dominants de la femme « idéale », les termes les plus significatifs sont l’« humour », la « folie » et le « second degré ».
L’humour peut être une qualité parmi d’autres, comme en témoigne l’extrait suivant : « une femme avec de l’humour, de la maturité, intelligente, et si tu es belle, je ne suis pas contre lol. ». Cependant, elle est le plus souvent mentionnée seule, avec insistance :
« Bon et puis quand je dis un brin d’humour, disons qu’il en faut vraiment pas mal. Enfin bref, l’humour et les sourires rallongent notre espérance de vie et je n’ai pas envie de mourir tout de suite » ;
« De l’humour putain, et pas une putain qui a de l’humour, juste de l’humour ; Faisons de l’humour avant de nous dire adieu, vous les femmes avec vos blagues pleines de charmes. »
La femme « idéale » doit être une compagne de rires. Les hommes semblent être à la recherche d’une forme de légèreté et d’une relation ludique, ce que confirme également la présence des formes significatives « folie » et « second degré » :
« Honneur, fidélité comme la légion. Du naturel, du respect, de la folie et de la conversation. Une maîtrise en 5ème degré option sarcasme est un plus ».
« Un peu de second degré, de folie, de peps. Rien de mieux pour un bon jus de fruit ».
« Qu’elle joue aux jeux vidéo cela serait super ; qu’elle sache être folle, avoir un grain de folie quoi ! »
Ces résultats peuvent sembler surprenants pour un site sérieux à la forme ludique. Toutefois, la part d’hommes recherchant un CDI est sensiblement égale au nombre d’internautes ne renseignant pas le type de relation souhaitée. Nous pouvons faire l’hypothèse que certains utilisateurs affichent vouloir un CDI, se sachant sur un site sérieux et ne voulant pas « effrayer » les partenaires potentielles en indiquant un « CDD » ou un « One shot ». En effet, dans la mesure où les hommes ne peuvent pas entrer directement en contact avec les femmes, leur profil constitue la seule opportunité de mise en relation. Comme le montre F. Jauréguiberry (2011 : 132), la présentation et la « mise en publicité de soi [permet] de parvenir à des fins. Il s’agit de paraître souvent et si possible mieux afin d’avoir plus. »
Dans un second temps, parmi les formes significatives de cette classe, nous trouvons la mention de la « fidélité » renvoyant à une valeur importante dans la conception du couple :
« Je suis très attaché à certaines valeurs, l’honnêteté et la fidélité sont les bases pour moi ».
« De l’ambition, de la fidélité, de la discussion »
Enfin, le terme « attentionné » indique une qualité de la femme « idéale », en interaction avec l’homme, ce dernier projetant qu’elle prenne soin de lui. Comme le montrent les extraits suivants, cette forme significative suggère une vision « classique » des rapports entre l’homme et la femme :
« Je cherche quelqu’un de facile à vivre, douce, et attentionnée, compréhensive avec beaucoup de charme dans le regard et le sourire »
« Une femme simple, douce et attentionnée »
« Attentionnée, jalouse, sensible, honnête et tout cela avec la joie de vivre »
M. Bozon (1991) a mené dans les années 90 une étude sur les préférences conjugales, indiquant combien l’apparence était une composante essentielle dans la constitution du couple. Selon lui, « envisagé comme un ’signe global’, révélateur à la fois de propriétés psychologiques, intellectuelles et sociales, le corps est au cœur des jugements relatifs aux partenaires potentiels (Cité par M. Bergström, 2016 : 15). Or, les sites de rencontres ne sont que des interfaces, dans lesquelles les traces du corps physique réel des internautes se trouvent principalement dans l’espace des photos (s’ils consentent à en afficher) et dans une partie du profil [21], pour AUM.
Ainsi, comme l’indique M. Bergström (Ibid.), les sites de rencontres en ligne « substituent un ’profil’ synthétique au corps physique pour remettre la rencontre de visu à un deuxième temps ». Par conséquent, nous pouvons nous interroger sur la place donnée au physique dans les « Shopping List » des hommes de notre corpus.
Dans le profil de la classe, issue de CHD, la première forme significative relative à l’apparence de la femme recherchée apparait en 6ème position. Cette place indique déjà que les caractéristiques physiques ne sont pas celles qui priment lorsqu’il est question d’imaginer la compagne recherchée.
Le premier terme se rapportant à l’aspect physique est l’adjectif qualificatif « naturelle », accompagné d’autres critères qui ne sont pas nécessairement en lien avec le physique : « je recherche une femme dynamique, naturelle », « une femme naturelle et souriante », « quelqu’un de simple, sensible et naturelle ». D’ailleurs, l’univers de sens associé au mot « naturel » est pluriel et relève à la fois du physique, de la personnalité et du mode de vie, ce qui tend déjà à réduire l’importance accordée par les internautes à la dimension purement physique de la partenaire envisagée. Par ailleurs, la lecture du corpus fait apparaître, chez certains hommes, une aversion pour les femmes adeptes des retouches photo : « les accros aux filtres Snapchat, ça ne va pas être possible », « il faudrait arrêter les photos bouche en cul-de-poule et filtres à gogo, sérieusement cela ne vous arrange pas ».
Aux antipodes, le terme « féminin » est la onzième forme significative dans la CHD, et le second critère en lien avec le physique : « j’aime les filles féminines, sympas et qui aiment bien rire », « Une femme simple, féminine, ayant un minimum de caractère. » A nouveau, on observe que la mention de la féminité ne s’accompagne pas de précisions sur ce que seraient ses caractéristiques. Tout au plus, trois hommes y accolent le groupe verbal « prend soin d’elle ». En réalité, le critère « féminine » dessine un contour de « l’idéal » féminin vague puisqu’il n’est pas explicité et qu’il peut donner lieu à différentes interprétations.
Pour finir, aucun segment de texte ne mentionne à la fois la « féminité » et le « naturel », ce qui confirme l’existence de deux représentations coexistantes du physique féminin recherché.
La dernière forme significative de la CHD faisant référence à l’apparence physique de la femme est le terme « sportive », comme en témoignent les extraits suivants : « une femme pleine d’humour, une sportive » « sportive et ambitieuse », « sportive et attentionnée », « assez sportive avec un humour pourri en prime », « sportive et envie de vivre ». Comme les deux formes précédemment étudiées, le terme s’accompagne de mentions ayant trait à la personnalité, ce qui tend à montrer que le côté sportif n’est pas prépondérant dans les exigences masculines.
Pour conclure, dans la classe étudiée, les attentes morales ont plus d’importance que les attentes physiques — dont les formes significatives sont moins nombreuses. Par ailleurs, si le terme « physique » est bien présent, il ne donne pas lieu à des précisions sur l’apparence de la femme recherchée. En effet, il est employé pour relativiser ce critère (« Je ne juge pas au physique », « Je ne recherche personne en particulier en ce qui concerne le physique », « Je n’ai pas de critères physiques précis »).
Par ailleurs, nous avons montré que bien d’autres caractéristiques sont souvent associées aux formes les plus significatives. En réalité, plus le portrait de la femme est précis, moins les critères énoncés sont présents dans la classe [22] puisqu’ils ne co-occurrent pas de façon fréquente avec le reste du lexique. L’idéal féminin des internautes est donc multiple. Si certains critères sont communs entre plusieurs profils, l’ensemble des exigences de chaque utilisateur dessine des représentations diversifiées de la femme « idéale ». En effet, comme le souligne D. Draghicesco (1992 : 471), l’idéal est une construction imaginaire conforme aux tendances et désirs de chacun. Il ne peut donc être que singulier.
Le 3ème monde lexical mis en évidence par Iramuteq représente 30.03% du corpus soit 224 segments de texte (sur 813). Dans la classe précédente, les formes significatives étaient surtout des adjectifs décrivant la femme recherchée. La représentation de l’idéal féminin était construite comme un portrait, dans une approche assez figée. En revanche, dans la classe 3, nous trouvons principalement des verbes associés aux activités de couple que les hommes projettent. Ainsi, ces derniers intègrent la représentation de la femme recherchée dans leur vie et dans leur quotidien. Cette classe met donc en lumière une autre dimension de la femme recherchée. En préambule nous questionnons la dimension ludique de l’interface AUM : les internautes masculins s’en emparent-ils ? Comment utilisent-ils les « propositions non sérieuses » de l’interface dans leur quête de la femme « idéale » ?
Pour M. Bergström, la notion de sérieux permet de distinguer deux types de sites de rencontres. L’analyse de l’auto-qualification d’AUM dans différentes rubriques montre que le site se veut assez large dans les relations qu’il permet de nouer, sans pour autant tenir des propos libertins. La lecture des CGU (Conditions Générales d’Usage) et d’autres onglets dédiés aux informations sur le site AUM montre que les termes employés renvoient à différents types de relations [i] , de même qu’au côté humoristique et convivial de la rencontre [23]. Par ailleurs, dans le type de relation pré-catégorisé dans le profil, les internautes peuvent choisir entre un « CDI », un « CDD-Amitié câline » et un « Intérim-One shot ». Les hommes ont donc la possibilité d’opter pour des aventures sans lendemain ou une « sex friend » pour le dire plus familièrement.
En outre, les couleurs de l’interface site connotent cette position intermédiaire entre amusement et sérieux. En effet, alors que les sites sérieux privilégient des « couleurs plutôt sexuellement neutres telles que le blanc et le bleu », les sites libertins utilisent plutôt des couleurs « associées à la féminité ou à l’univers affectif » comme le « rouge, rose et mauve pour les sites coquins et échangistes et rouge et noir pour les sites BDSM [24] et fétichistes » (Bergström, 2011 : 248). Pour AUM, le choix des couleurs renvoie à ces deux univers puisque les couleurs dominantes sont le noir, le rose et le gris. Toutefois, l’analyse lexicométrique des « Shopping List » nous permet de ranger AUM parmi les sites dits sérieux. En effet, dans notre corpus, 2/3 des internautes mentionnent vouloir un « CDI ». La possibilité « CDD-Amitié câline » est mineure et la catégorie « Intérim-One shot », inexistante (Cf. graphique ci-dessous) :
En outre, concernant le type de relation recherchée, M. Bergström (2011 : 244-245) indique que les relations non sérieuses renvoient à « divers types de rapports […] portant des noms multiples : flirt, aventure, histoire sans lendemain, rencontre sexy, plan cul, plan cam, exhib, trips… ». Elle ajoute que dans ces cas, les partenaires ne se projettent pas dans l’avenir contrairement aux relations sérieuses amoureuses durant dans le temps.
Dans notre corpus, la présence de l’adjectif « sérieux » comme 1ère forme significative de la classe 2 et l’absence des mots connotant des relations légères permettent de classer AUM dans les sites dits sérieux. Effectivement, les termes renvoyant à des relations non sérieuses sont, pour la plupart, absents des « Shopping List ». L’expression « plan cul » est employée à plusieurs reprises mais pour refuser ce type de rapport (« Je ne suis pas ici pour trouver des plans culs mais du sérieux » ; « Je ne suis pas plans culs d’un soir » ; « Next les plans culs !! »), etc. De même, les aventures d’un soir sont proscrites (« Pas de plan d’un soir » ou « Je suis plus relation sérieuse que coup d’un soir »). Nous avons trouvé seulement deux occurrences de relations légères faisant référence au polyamour [i] et au bondage [i].
Nous venons de voir que plusieurs éléments nous invitent à considérer AUM comme un site de rencontres en ligne « sérieux » en dépit d’un dispositif et d’une communication offrant des options relationnelles plus légères. L’analyse et l’interprétation de la seconde classe dégagée par la CHD viennent conforter cette catégorisation.
Ainsi, la forme « sérieuse » est la 1ère de ce monde lexical. Elle est associée au terme « relation » [25] — et de façon mineure à la femme — ou bien employée sans critère associé : « Je recherche une relation sérieuse », « Sérieux uniquement, non négociable », « Relation sérieuse », « Une femme rigolote, sérieuse ».
Outre le sérieux, quelques traits de caractère apparaissent. La compagne projetée dans une relation sérieuse est imaginée comme étant également ouverte « d’esprit » et « simple » :
« Cherche une fille ouverte d’esprit, simple et active pour une relation sérieuse »
« Quelqu’un de simple qui recherche une relation stable »
« Je recherche une femme simple qui sait ce qu’elle veut, qui a envie d’avancer à deux »
Enfin, la recherche d’une partenaire sérieuse est également signifiée avec les expressions « avoir la tête sur les épaules » [i], « être bien dans sa tête » [i] et « avoir une tête bien faite » [i] ; la forme « tête » étant la seconde forme la plus significative. En revanche, l’analyse des occurrences du mot « tête » montre qu’un second profil d’hommes se dégage.
Le second univers de sens en lien avec la forme significative « tête » fait référence à l’expression familière « prise de tête » que les hommes tiennent à ne pas connaitre avec leur future partenaire. Quand l’un souhaite « une nana simple et posée qui ne se prend pas la tête », l’autre cherche « quelqu’un avec qui l’on peut rire facilement et pas de prise de tête », ou encore « une femme drôle, attentionnée, gentille, généreuse, câline, sans prise de tête ».
Cette aspiration à une forme de légèreté peut paraître contradictoire avec la recherche d’une relation sérieuse. Pourtant elle ne doit pas nécessairement être interprétée comme telle. Elle témoigne vraisemblablement d’un souhait de sérénité dans le couple se traduisant par le refus du conflit. Par définition, l’idéal est une construction de l’esprit n’admettant que des éléments positifs. Comme le rappelle le philosophe D. Draghicesco (1912 : 468), « l’idée de perfection et de mieux est tout simplement une autre manière d’exprimer l’idéal ». En conséquence, les hommes exprimant un « idéal » de couple, dans leur « Shopping List », ne peuvent qu’imaginer une vie de couple et une relation sans heurts. Si ce critère est aussi important, c’est peut-être parce que la femme recherchée est envisagée comme une compagne avec laquelle ils partageront leur quotidien, ce que nous montrons dans la section suivante.
Dans ce monde lexical, la femme est appréhendée comme une véritable partenaire s’intégrant dans la vie de l’internaute masculin. En s’imaginant déjà en couple, les hommes font des projets, évoquent le partage de diverses activités et donnent, de ce fait, une place à leur future compagne.
Certains de leurs desseins s’inscrivent à court ou moyen terme et ne font pas appel à un engagement fort. Il s’agit de « sorties au restaurant », de « soirées à la maison », d’aller au « cinéma » ou encore de « promenade ». Le terme « voyage » est d’ailleurs la 4ème forme significative de la classe.
« Un cinéma, un restaurant, une balade, posé sur le canapé, un voyage dans un lieu ou pays improbable. »
« Une fille qui s’intéresse à tout, sensible, qui aime les voyages, ouverte d’esprit et qui adore se faire des restaurants le week-end. »
« Je cherche une femme bien dans ses bottes, ses talons et ses baskets aimant la vie et les voyages, sortir, cocooner devant la télévision. Quand il fait froid : le cinéma ».
« Une personne qui aime aussi bien sortir pour faire une balade ou randonner, visiter un musée ou encore faire un bon restaurant à deux ou entre amis, que rester posée à la maison devant une bonne série. »
Dans cette perspective la femme « idéale » est envisagée en interaction avec l’internaute lui-même, ce dernier imaginant un réel plausible dans lequel tous deux évoluent.
Parmi les formes les plus significatives de ce monde lexical, deux termes ont trait à la projection d’un avenir commun fondé sur la durée : « avancer » et « construire ». Comme le montre le graphe ci-dessous, ce sont les hommes qui souhaitent une relation sérieuse qui se projettent :
Dans cette optique, il est question de la construction du couple, envisagé comme un processus. Il s’agit ainsi d’avancer conjointement en empruntant le même chemin de vie, comme le montrent les extraits suivants :
« Je recherche une relation posée qui nous permettrait d’avancer à deux dans la vie et de rendre celle-ci digne d’un rêve. »
« Je suis à la recherche du bonheur pour construire une situation sérieuse. »
Le verbe « se poser » va également de pair avec la conception d’une pérennité (« Je recherche une relation sérieuse afin de me poser sur la durée »).
Quant aux projections vraiment lointaines, elles ne sont pas forcément très précises. Il s’agit de « fonder une vie de famille », de construire « quelque chose », « une situation », « une histoire » ou encore « un bel avenir ». Toutefois, cette absence de précisions peut sembler normale dans la mesure où la « Shopping List » permet une mise en contact numérique avant la rencontre en face-à-face. Même si la plupart des hommes veulent une relation sérieuse, il peut paraître effrayant pour les femmes de lire un projet de vie trop précis ; le projet d’un avenir commun ne pouvant se définir qu’à deux.
Pour conclure, cette contribution entendait apporter un éclairage sur les représentations de la femme « idéale », chez les usagers masculins du site de rencontres AUM. L’analyse textométrique avec Iramuteq a mis en évidence plusieurs résultats.
Tout d’abord, la thématique de la femme « idéale » n’est abordée que dans deux mondes lexicaux sur les trois, générés par la CHD. En outre, tous les internautes ne remplissent pas forcément la catégorie « Shopping List ». Parmi ceux qui se prêtent au jeu, tous ne formulent pas forcément un idéal féminin précis et, lorsque c’est le cas, la personnalité de la femme recherchée prime sur l’aspect physique. La compagne souhaitée doit avoir de l’humour, un brin de folie tout en étant, parfois, simple et naturelle.
Grâce à une analyse des deux mondes lexicaux, nous avons mis en évidence deux façons de formuler l’idéal féminin renvoyant à des conceptions différentes de la partenaire : une partenaire dont on brosse le portrait (emploi principal d’adjectifs, classe 2) et celle avec laquelle on envisage des activités de couple (emploi majoritaire de verbes, classe 3).
Quant à l’idée d’idéal féminin, si l’analyse lexicométrique permet de dégager des caractéristiques communes à l’ensemble des « Shopping List », nous avons aussi montré que chaque « Shopping List » est singulière. Cette unicité est intrinsèque à la notion d’idéal qui, comme mentionné en introduction, « répond à l’idée que chacun se fait de la perfection ». En outre, la dimension « idéale » de la partenaire recherchée renvoie parfois à un être « irréel ». Nous pouvons aussi supposer que cette dimension irréelle est induite par le dispositif, les hommes devant « énumérer » leurs attentes. Des entretiens auprès d’utilisateurs permettraient de savoir s’ils en ont conscience et si la formulation de leur représentation de l’idéal féminin préexistait à leur usage du site.
Pour finir, afin de préciser les résultats obtenus, il serait intéressant d’étudier d’autres sites de rencontres pour comparer les dispositifs et les représentations de la femme dans les profils masculins. Nous pourrions également, en restant sur adopteunmec.com, mener l’étude inverse sur les représentations de l’homme dans les profils féminins.
Bergström Marie (2011), « La toile des sites de rencontres en France. Topographie d’un nouvel espace social en ligne », Réseaux, 166, pp. 225-260.
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[1] https://www.ladepeche.fr/article/2018/03/21/2764228-62-18-39-ans-ont-deja-tente-trouver-amour-internet.html
[2] Les sites hétéro-orientés « s’adressent principalement à des individus hétérosexuels à travers des symboles véhiculés en texte et en images » (Bergström, 2011 : 235). En effet, dans l’onglet « Concept et fonctionnement du site », il est écrit : « AdopteUnMec.com est un site de rencontres entre hommes et femmes exclusivement. Une version gay et lesbienne est actuellement à l’étude. » (https://www.adopteunmec.com/cgu, consulté le 24 août 2019).
[3] Article de capital.fr, https://photo.capital.fr/meetic-adopteunmec-les-vraies-audiences-des-sites-de-rencontres-et-leur-pourcentage-de-femmes-19526#decouvrez-les-audiences-de-9-sites-de-rencontres-348157 (consulté le 30 août 2019)
[4] Le profil féminin diffère.
[5] Les « Shopping List » étudiées vont de 1 à 787 mots. Cet écart peut s’expliquer par des différences socio-démographiques. En effet, comme l’explique M. Bergström, le « champ libre est fortement investi par les personnes dotées de capitaux économiques et/ou culturels. Habitués et à l’aise avec la rédaction, ces usagers y voient un outil privilégié pour se donner à voir à travers le contenu mais aussi la forme des annonces. Considérant l’expression écrite comme un reflet de soi, ils produisent des textes dont le message réside autant dans la tournure des phrases que dans les renseignements fournis » (Bergström, 2016 : 20).
[6] Une « Shopping List » = un texte ; une « Description » = un texte.
[7] Une co-occurrence est une « association statistiquement significative de deux items (en général deux mots) dans une fenêtre déterminée du texte (en général le paragraphe) » (Mayaffre, 2014 : 18).
[8] De 40 occurrences en moyenne dans le paramétrage par défaut.
[9] Seuls les noms, verbes, adverbes, adjectifs sont retenus.
[10] resto => restaurant, ciné => cinéma, etc.
[11] shopping_list, second_degré, post_scriptum, etc.
[12] Au nombre de 42.
[13] Classe 1 : 30% ; classe 2 : 21.3% ; classe 3 : 48.7%
[14] 26 « Shopping List ».
[15] « Vivante, c’est mieux. » ; « Une fille unijambiste qui parle le moldave. »
[16] « Prouve-moi que tu es différente des autres », « Ce que tu veux, quand tu veux, où tu veux… »
[17] « D’où venons-nous ? Où allons-nous ?
J’ignore de le savoir
Mais ce que je n’ignore pas de le savoir
C’est que le bonheur
Est à deux doigts de tes pieds
Et que la simplicité réside
Dans l’alcôve bleue, et jaune,
Et mauve, et insoupçonnée
De nos rêveries mauves et bleues et jaunes
Et pourpres… et paraboliques… et vice versa. »
[18] « Qui vivra verra. »
[19] « Je ne suis pas venu ici faire mes courses… »
[20] « Faille spatiotemporelle ouverte, terminée. »
[21] Les informations en rapport avec le physique, que les hommes et femmes peuvent indiquer dans leur profil sont la couleur des yeux ; la longueur, la couleur et le style des cheveux ; les mensurations (taille, poids et aspect de la silhouette) ; le style général ; les signes particuliers (comme les lunettes, les tatouages, piercing ou encore fossettes) et les origines ethniques. Pour les hommes, il y a aussi une catégorie « pilosité ».
[22] « Rigolote », « maladroite », aventurière », « pétillante », « charmante », « mimi », « sexy », « sensible », etc.
[i] « L’essentiel pour nous étant que vous dénichiez celui ou celle qui permettra de répondre au mieux à votre attente : amitié, amour d’un soir, grand amour… »
(Onglet « Règles de prudence », (https://www.adopteunmec.com/caution, consulté le 24 août 2019).
[23] « Faciliter les rencontres virtuelles entre hommes et femmes, en leur permettant de faire connaissance ou de s’amuser librement dans un contexte humoristique. »
(Onglet « Conditions Générales d’Usages », (https://www.adopteunmec.com/cgu, consulté le 24 août 2019).
[24] BDSM : Bondage, Discipline, Sado-Masochisme.
[i] « Je suis en relation polyamoureuse, je recherche donc uniquement des amies simples ou câlines ainsi que des relations sérieuses non monogames. »
[i] « Si la pratique du bondage, les relations dominant/dominé dans le sexe, l’univers du Bondage, Discipline, Sado, Masochisme soft ou plus poussé t’intrigue voire t’érotise le slip, je serai ravi d’en discuter, de te parler de ma propre découverte et expérience ainsi que de répondre à des éventuelles questions. »
[25] 3eme forme significative de la classe.
[i] « Une femme aventurière, sensible, pas casanière et gentille, qui a la tête sur les épaules et qui sait où elle va ».
[i] « A la recherche d’une belle personne bien dans sa tête qui sait ce qu’elle veut et qui veut avancer ».
[i] « J’aimerais trouver une amie, une confidente, quelqu’un qui a des valeurs et la tête bien faite ».
Arnoult Audrey, Kredens Elodie, « Les représentations de la « femme idéale » sur le site de rencontres Adoptunmec.com », dans revue ¿ Interrogations ?, N°33. Penser les représentations de l’ « idéal féminin » dans les médias contemporains, décembre 2021 [en ligne], https://revue-interrogations.org/Les-representations-de-la-femme (Consulté le 21 novembre 2024).