De nombreuses recherches contemporaines affirment que les idées centrales de l’énactivisme et de l’‘Esprit Étendu’ ont une origine pragmatiste. La théorie du signe de Peirce ainsi que sa sémiotique cognitive, le concept énactiviste de sense-making et l’externalisme cognitif de l’‘Esprit Étendu’ partagent des aspects théoriques fondamentaux. En raison de ces points communs je suggère que le pragmatisme et la sémiotique de Peirce peuvent offrir des perspectives intéressantes pour mieux comprendre le débat entre l’énactivisme et l’‘Esprit Étendu’. Je prends en examen un point sur lequel les deux théories sont en désaccord : le rôle des représentations dans les processus cognitifs. Je suggère qu’une perspective sur les représentations inspirée par le concept peircéen de signe peut offrir la base théorique pour une intégration de ces deux positions contemporaines.
Mots clefs : Peirce, Sémiotique, Pragmatisme, Énactivisme, Esprit Étendu
An encounter between Peirce’s philosophy and semiotics, enactivism and the ‘Extended Mind’. Discussing a contemporary debate
As suggested by contemporary research in philosophy, some ideas proposed by enactivism and the ‘Extended Mind’ hypothesis have pragmatist roots. In particular, Peirce’s theory of meaning and his semiotic approach to cognition share important theoretical points with the concept of enactive sense-making and the externalist perspective of the ‘Extended Mind’. Considered these theoretical aspects of Peirce’s thought, enactivism and the ‘Extended Mind’, I suggest that Peirce’s pragmatism and semiotics can offer interesting insights to better understand part of the debate between these two contemporary theories. In particular, I take into account a conceptual point on which the two theories disagree : the role of representations in cognitive processes. I suggest that a perspective on representations inspired by the concept of sign as it is understood in Peirce’s semiotics can provide the theoretical basis for an integration of these two contemporary approaches to cognition and the mind.
Key-words : Peirce, Semiotics, Pragmatism, Enactivism, Extended Mind
Une part considérable du débat contemporain dans la philosophie de l’esprit vise à une (ré)définition des limites de la cognition et de l’esprit à travers l’élaboration de modèles explicatifs fortement influencés par les recherches récentes proposées dans le champ des sciences cognitives. Il existe en particulier un groupe de théories, connues sous le nom « 4 E cognition » (Embedded, Embodied, Extended, Enacted), qui propose des vues particulièrement originales et intéressantes sur la nature de l’esprit.
Si certes ces nouvelles théories divergent sur des aspects théoriques spécifiques, elles se situent dans un cadre explicatif commun, qui a souvent été appelé ‘anti-cartésien’ (Rowlands, 2010). L’anti-cartésianisme des « 4Es » est concrétisé par une réflexion critique sur la stricte démarcation entre l’esprit, le corps (anatomique, biologique et vécu) et l’environnement qui a représenté la base théorique de beaucoup de recherches dans les sciences cognitives. Les philosophes des « 4Es » affirment que cette opposition peut poser d’importants problèmes théoriques. Notamment le fait que cette démarcation semble indiquer un paradigme explicatif très abstrait qui d’une certaine façon semble mettre entre parenthèses notre expérience cognitive quotidienne. Nos pratiques cognitives sont habituellement constituées par des actions par lesquelles nous influençons le monde, en le modifiant pour satisfaire nos objectifs cognitifs. Dans ces pratiques nous utilisons notre corps pour explorer l’environnement et nous utilisons des objets du monde (des objets technologiques, par exemple) qui facilitent nos activités cognitives ou nous aident dans l’acquisition de nouvelles connaissances.
Vu la nature pratique, corporelle et technologique des pratiques cognitives humaines quotidiennes, les tenants des 4 E cognition soutiennent que pour expliquer l’esprit il faut donner une prévalence épistémique à l’action, au corps, à l’environnement (naturel, social et culturel) et aux ressources extra-somatiques (notamment les artefacts). Pour cette raison ces nouvelles perspectives sur l’esprit ont été interprétées comme un symptôme d’un tournant externaliste et pragmatique (Engel et al., 2010 ; Hurley, 2010 ; Steiner, 2008, 2013) dans les sciences cognitives et la philosophie de l’esprit.
Dans le débat contemporain, deux théories interprètent ce tournant pragmatique et externaliste de manière particulièrement intéressante : la perspective énactive sur la cognition et la théorie de l’‘Esprit Étendu’. Ces deux théories considèrent l’esprit comme quelque chose qui peut être instancié à la fois dans le cerveau et hors de lui. De plus, elles s’intéressent aux aspects pratiques et actifs des processus cognitifs (Clark, Chalmers, 1998 ; Clark, 2008 ; Gallagher, 2017 ; Hutto et al., 2014 ; Varela et al., 1991) en offrant une image externaliste et pratique de l’esprit qui partage des aspects théoriques cruciaux avec le pragmatisme (Gallagher, 2009, 2014 ; Jung, Madzia, 2016 ; Menary, 2016), en particulier avec la pensée de C. S. Peirce. Toutefois ces deux théories développent leurs argumentations de manière indépendante et elles utilisent des ressources explicatives différentes souvent en contraste les unes avec les autres. Pour cette raison, le débat entre les tenants de la théorie de l’‘Esprit Étendu’ et ceux de la perspective énactive sur la cognition est complexe.
Dans les paragraphes suivants je prendrai brièvement en considération les idées principales de ces deux théories. Cette discussion est fondamentale pour comprendre le rôle que le pragmatisme et la sémiotique de C.S. Peirce peuvent jouer dans ce débat contemporain sur les sciences cognitives. Mon hypothèse est que, en considérant la pensée de Peirce et en montrant qu’il existe des similarités théoriques entre des aspects de la pensée peircéenne, l’énactivisme et la théorie de l’‘Esprit Étendu’, il est possible de trouver des éléments de connexion entre ces deux théories contemporaines. En particulier, j’analyserai un point central du débat contemporain : le problème des représentations dans les processus cognitifs. La perspective énactive et celle de l’‘Esprit Étendu’ divergent sur ce point : la première théorie rejette toute représentation, la deuxième essaye de ‘sauver’ cet élément théorique. Dans cet article, j’affirme que le concept peircéen de signe peut être considéré comme un intéressant ‘compromis théorique’ dans ce débat sur la nature des pratiques cognitives.
La perspective énactive sur la cognition affirme que la cognition coïncide avec l’engagement pratique et adaptatif d’un agent incarné et affectivement lié à son environnement (Colombetti, 2014 ; Gallagher, 2017 ; Noë, 2004 ; Varela et al., 1991). Dans cette explication les concepts d’énaction (enaction) et de création de sens (sense-making) sont essentiels.
Le mot ‘énaction’ se réfère à une explication de la cognition fondée sur la perception et l’action, qui interprète les processus cognitifs comme le produit de l’action guidée par la perception (Varela et al., 1991 : 173). La cognition n’est pas identifiée avec l’information codée par le cerveau de l’agent cognitif mais dans l’action dont le but est de créer des conditions qui peuvent satisfaire les besoins de l’organisme. D’après l’énactivisme, la cognition est donc une forme de mise en pratique, où ‘pratique’ se réfère à l’interaction entre l’organisme et l’environnement répétée dans le temps. Cette interaction est principalement fondée sur une dimension sensorimotrice. Grâce à l’exploration perceptive et active du monde, l’agent fait émerger un monde de saillances et de régularités environnementales qui guideront ses actions futures de manière directe et immédiate.
Du point de vue de l’énactivisme on peut donc dire que la cognition est un processus de création de sens (sense-making : Di Paolo, Thompson, 2014 : 73). Grâce à l’action et au comportement, les sujets cognitifs donnent du sens au monde. Ils le structurent de telle sorte qu’il n’apparait pas comme une entité objective qu’il faut observer ou mesurer pour le saisir cognitivement. Au contraire, la création de sens (c’est-à-dire la cognition) fait apparaître le monde comme un monde propre chargé de valeur (Umwelt). L’Umwelt est un « lieu de saillance, de signification et de valeur » (Thompson, Stapleton, 2009 : 25) [1]. C’est le monde du point de vue de l’organisme (Colombetti, 2015), où la perspective de l’organisme peut être définie comme l’horizon de ses actions possibles, qui visent à sa survie, à son développement et à son bien-être (Barandiaran, Egbert, 2014). Le rapport de l’organisme avec son monde propre est caractérisé par un engagement profond (Kirchhoff, Hutto, 2016), qui porte les tenants de l’énactivisme à penser à l’organisme et à son Umwelt comme un système couplé (Varela et al., 1991) dont les composantes s’influencent réciproquement. C’est à travers cette influence réciproque et continue que la cognition se produit. Plus précisément, l’esprit lui-même est identifié à ce système couplé qui ‘agit’ la cognition.
Ce système couplé organisme-environnement est constitutivement pragmatique et orienté vers l’action (Engel et al., 2015). L’Umwelt lui-même a une structure pragmatique. En fait le résultat du sense-making est la création d’un monde propre, dans lequel les objets de l’environnement signifient quelque chose pour l’agent cognitif dans la mesure où ils l’invitent à accomplir des actions. L’Umwelt de l’organisme peut être décrit comme un horizon d’affordances ou invitations à agir (Gibson, 2015 [1979] ; Rietveld, Kiverstein, 2014). Sur la base de leur constitution matérielle, les objets et les espaces fournissent à l’agent des indices visibles de leur maniabilité. Cela signifie que les agents, en vertu des corps qu’ils possèdent et des capacités sensorimotrices desquelles ils sont équipés (Chemero, 2009), perçoivent directement les possibilités d’action inscrites dans les objets et les espaces de l’environnement.
Cette conception pragmatique de la relation entre l’agent cognitif et son Umwelt est au centre d’une perspective fortement non-représentationnelle sur la cognition et sur l’esprit. En fait les tenants de la perspective énactive sur la cognition affirment que l’identification des processus cognitifs avec l’action guidée par la perception rend superflue le recours aux représentations mentales. Comme nous l’avons précédemment expliqué, le résultat des interactions pragmatiques entre l’organisme et le monde est la création d’un monde propre (Umwelt). Les propriétés de ce monde propre sont couplées avec les caractéristiques et les compétences sensorimotrices de l’agent incarné : le monde varie en tandem avec les compétences sensorimotrices de l’agent cognitif. Pour cette raison, le monde n’a pas besoin d’être représenté par un acte intellectuel qui traduit un monde extrinsèque en une ‘chose mentale’. Le monde apparaît toujours comme quelque chose que l’agent perçoit comme familier. Ce qui est particulièrement important c’est que la modalité selon laquelle l’environnement se présente comme un espace familier chargé de sens et de valeurs est intrinsèquement pratique. En fait, la perspective énactive sur la cognition affirme que le sens et les valeurs émergent dans le flux continu des actions par lequel la connaissance est produite.
La théorie de l’‘Esprit Étendu’ naît comme une réponse à la question « où s’arrête l’esprit et où commence le reste du monde ? » (Clark, Chalmers, 1998). Pour répondre à cette question les tenants de l’‘Esprit Étendu’ adoptent une vision fonctionnaliste et informationnelle de l’esprit et ils l’intègrent avec un nouveau critère pour la définition du mental : le principe de parité cognitive (parity principle). Le principe de parité cognitive affirme que « si, quand nous sommes confrontés à une tâche, une partie du monde fonctionne comme un processus qui, dans l’éventualité où il aurait lieu dans notre cerveau, serait reconnu sans la moindre hésitation comme une partie du processus cognitif, alors cette partie du monde fait partie du processus cognitif. Le processus cognitif ne se déroule donc pas (uniquement) dans notre cerveau ! [2] » (Clark, Chalmers, 1998 : 8).
Selon la perspective fonctionnaliste proposée par l’‘Esprit Étendu’ le critère de définition du cognitif est donc représenté par le rôle fonctionnel qu’un élément joue dans un processus d’élaboration de l’information et non par son substrat de réalisation : une même fonction cognitive peut en fait être instanciée par différentes bases matérielles. Par conséquent la nature somatique ou extra-somatique d’un élément ne semble pas être intéressante dans la recherche de la base ontologique des processus cognitifs et de l’esprit. Cela implique la possibilité d’expliquer et d’identifier les processus cognitifs en faisant appel à des entités cognitives constituées par des objets externes dans lesquels sont inscrites des informations cruciales pour un processus cognitif. Donc tout circuit dans lequel des ressources biologiques et non biologiques ayant une fonction cognitive sont couplées de manière stable et fiable peut être défini comme mental.
Pour expliquer ce point, Clark et Chalmers (1998) offrent un exemple très utile. Otto est atteint de la maladie d’Alzheimer. Pour s’orienter dans le monde, il compte sur les informations présentes dans son environnement. Otto, par exemple, a toujours un carnet sur lui et quand il apprend une nouvelle information, il l’écrit sur son carnet. Quand il a besoin d’utiliser ces informations dans ses pratiques cognitives, il consulte son carnet. Pour Otto, le carnet joue le rôle habituellement tenu par la mémoire biologique. Aujourd’hui, Otto décide d’aller au MoMa. Il consulte son carnet, où il a écrit que le MoMA se trouve sur la 53e Rue et il va au musée. L’information contenue dans le carnet fonctionne de la même manière que l’information d’une croyance d’une personne douée d’une mémoire biologique intacte. Cependant, l’information utilisée dans le processus cognitif d’Otto se trouve au-delà du corps. Puisque cette information fonctionne comme l’information contenue dans un état mental ‘interne’ (c’est-à-dire la croyance dispositionnelle que le MoMA se trouve sur la 53e Rue), elle doit être considérée comme le contenu d’un état mental.
Cette théorie offre donc une perspective que l’on pourrait appeler ‘externalisme cognitif actif’ (Clark, Chalmers, 1998 ; Burke, 2008), selon laquelle, pour définir ce qui est mental, on se focalise sur l’activité concrètement réalisée par les éléments d’un circuit cognitif hybride et sur ses liens fonctionnels, non sur la spatialité des ressources cognitives.
Cette description de l’esprit fondée sur les concepts de fonction et d’information permet d’étendre la notion d’esprit au-delà du cerveau et du corps et de penser à un esprit ‘hybride’. Indubitablement le cerveau (avec ses représentations, sa structure et son fonctionnement neuronal) est une partie de l’esprit. Cependant l’esprit inclut le corps du sujet qui agit dans le monde et aussi les parts du monde capables de sur-dimensionner la cognition humaine. De plus, bien que la connaissance soit expliquée en termes informationnels et fonctionnels et bien que cette théorie fasse appel à la notion de représentation mentale (Clark, 1997, 2008, 2016), d’après l’‘Esprit Étendu’, l’esprit ne coïncide pas exactement avec cet ensemble de représentations instanciées par le cerveau. Au contraire, l’activité de l’esprit semble être enracinée dans une dimension pratique, corporelle et technologique que l’on pourrait définir comme la manipulation de l’information distribuée entre l’environnement et les ressources cérébrales.
Si les racines philosophiques de la théorie de l’‘Esprit Étendu’ et de la perspective énactive sur la cognition sont identifiées respectivement avec les travaux sur l’intelligence artificielle située (Brooks, 1989, 1990), en partie avec une perspective fonctionnaliste sur l’esprit qui a souvent été adoptée en philosophie analytique et avec la phénoménologie de Heidegger et Merleau-Ponty (Kiverstein, Wheeler, 2012 ; Varela et al., 1991 ; Wrathall, Malpas, 2000), il existe une quantité significative de recherches récentes dont l’objectif est de montrer que les travaux des pragmatistes classiques comme Peirce, James, Dewey et Mead, avec leur perspective externaliste et pratique sur la cognition et sur l’esprit (Atã, Queiroz, 2014 ; Burke, 2008, 2014 ; Calcaterra, 2006 ; Meyers, 1999), peuvent offrir des occasions de réflexion intéressantes pour la recherche contemporaine sur l’esprit développé dans les sciences cognitives (Aydin, 2015 ; Crippen, 2016 ; Gallagher, 2009, 2014, 2017 ; Johnson, 2006 ; Johnson, Rohrer, 2007 ; Menary, 2016 ; Murgiano, 2015 ; Paolucci, 2011 ; Roy 2015 ; Steiner, 2008, 2013). Comme cet article ne vise pas à analyser systématiquement les liens théoriques entre le pragmatisme, l’‘Esprit Étendu’ et la perspective énactive sur la cognition, je n’explorerai pas en détail ces similitudes conceptuelles. Je me focaliserai plutôt sur deux points importants.
Ces deux points sont cruciaux pour justifier le recours à des aspects de la philosophie et de la sémiotique de Peirce pour intervenir dans le débat contemporain sur l’esprit et la cognition pris en considération dans cet article. Nous utiliserons en particulier des aspects théoriques de la pensée de Peirce pour clarifier et discuter le problème des représentations mentales dans la perspective philosophique de l’‘Esprit Étendu’ et de l’énactivisme.
Les pragmatistes affirment que pour comprendre et expliquer les phénomènes cognitifs la philosophie doit adopter la thèse de la centralité de l’action. L’action – ou plus généralement la pratique, le comportement, les actes de manipulation, les habitudes – est le point de départ pour expliquer les processus cognitifs. Plus spécifiquement, les pragmatistes pensent que la cognition elle-même est une forme de pratique, que l’on peut définir comme ‘pratique des pragmata’ (πράγματα). Le mot ‘pragmata’ se réfère aux choses auxquelles l’agent cognitif est intéressé et avec lesquelles il s’engage dans son expérience, où l’expérience elle-même est définie de manière pragmatique (Steiner, 2013 : 14-17). En fait, du point de vue du pragmatiste, il est possible de dire que l’expérience est constituée par le flux d’actions et de comportements humains situés dans un contexte donné ou par les actions qui seraient accomplies dans un contexte donné dans le futur lorsque les circonstances suggèrent à l’agent d’accomplir ces actions (Peirce, CP [3] 2.667 ; 7.538 ; MS [4] 843 : 2-3).
D’après cette conception pragmatique de la connaissance, les pratiques cognitives sont conçues comme des processus par lesquels les agents donnent du sens à leur monde. La centralité du problème du sens est particulièrement claire dans les écrits de Peirce. À titre d’exemple, il pourrait être intéressant de prendre en examen des passages de l’essai « How to Make Our Ideas Clear » (1878). Dans cet essai Peirce, en considérant le problème de la cognition, affirme que « toute fonction de la pensée est de produire des habitudes d’action. Pour développer son sens [c’est-à-dire le sens d’un objet], il faut simplement déterminer quelles habitudes il produit, car le sens d’une chose consiste simplement dans les habitudes qu’elle implique […]. Ce qu’est une habitude dépend de quand et comment elle est la cause de notre action. Pour le ‘quand’, tout stimulus à l’action dérive d’une perception ; pour le ‘comment’, le but de toute action est d’amener au résultat sensible. […] Ainsi, nous arrivons à ce qui est tangible et pratique comme la racine de toute distinction de pensée. Il n’y a pas de nuance de signification assez fine qu’elle ne puisse produire une différence dans la pratique [5] » (Peirce, W3 : 265) [6].
D’après une perspective de recherche peircéenne, la cognition est donc une opération par laquelle les agents cognitifs donnent du sens à des objets physiques ou mentaux (objets de l’environnement, concepts, propositions, etc.). Cette activité de création de sens est basée sur la perception et l’action. En fait Peirce dit que la perception stimule ou suscite l’action. Pour cette raison la perception peut être considérée comme le premier pas vers l’acquisition de nouvelle connaissance. À son tour, l’action, avec ses effets sensibles sur le monde, est ce qui rend le sens d’un objet clair. Peirce en fait affirme que les différences dans la façon dont les agents peuvent agir sur les objets déterminent des différences sur la signification de ces objets. Par conséquent, pour Peirce, le sens émerge dans la pratique, où la pratique peut être comprise comme une forme active de manipulation du monde (en fait, Peirce dit que tout but de l’action est la production de résultats sensibles) qui se déroule dans l’enchaînement de perception et action.
Par exemple, penser à la différence entre les objets durs et mous. D’après Peirce, pour comprendre ce que ces objets signifient (c’est-à-dire pour leur donner du sens), l’agent cognitif doit les « mettre à l’épreuve [7] » (Peirce, W3 : 266). Pour mettre à l’épreuve ces objets, d’abord l’agent se rapporte avec eux par la perception ; puis la perception invite l’agent à agir sur ces objets, à les manipuler. Grâce à la manipulation de ces objets, notamment grâce aux actions que l’agent effectue sur les objets, le sujet cognitif agit leur sens, il découvre ce qu’ils signifient. Les deux objets se présentent comme mous ou durs tandis que l’agent cognitif apprend activement à connaître ce que ces propriétés matérielles ou perceptuelles impliquent pour la manipulation de ces objets. Le sens de tout objet (soit-il conceptuel ou physique) est à chercher dans la pratique, dans les effets pratiques qui émergent dans l’action ou dans le comportement eux-mêmes.
Cette perspective sur la cognition semble partager des aspects théoriques intéressants avec la conception pratique de la connaissance proposée par les tenants de l’énactivisme. En particulier, le lien entre le problème du sens et celui de la pratique semble tenir en compte ce que les énactivistes, un siècle plus tard, expliqueront avec leur concept de sense-making. En fait, le passage cité ci-dessus semble suggérer que la cognition doit être expliquée comme la capacité à déterminer le sens des choses ; cette capacité est intrinsèquement active. En effet, on dit que les agents saisissent le sens des objets dans et par l’action. Ceci semble indiquer que les sujets cognitifs construisent le sens des objets et qu’ils le font opérationnellement, par l’action sollicitée par la perception. Le passage cité ci-dessus semble donc indiquer une conception de la cognition fondée sur l’action sollicitée par les propriétés perceptuelles des objets. Cette perspective sur la cognition est au centre des théories basées sur la notion d’affordance (Gibson, [1979] 2015), concept qui est en train de devenir central dans les théories énactivistes contemporaines aussi (Gallagher, 2017). En effet, Peirce parle de la cognition en termes pragmatiques (c’est-à-dire qu’il interprète la pensée comme une forme d’action), il conçoit le sens comme quelque chose que nous mettons en pratique (c’est-à-dire comme quelque chose que nous agissons dans l’engagement pragmatique avec les objets du monde (le sens d’un objet consiste dans ses possibilités pratiques) et il décrit les caractéristiques perceptives des objets en termes d’invitations à agir (il dit que la perception fonctionne comme un stimulus pour l’action).
Ce qui est très important pour la recherche contemporaine sur la connaissance et l’esprit c’est le fait que ces deux conceptions de la cognition, c’est-à-dire la perspective de Peirce et celle énactiviste, privilégient l’action. Plus précisément, les deux théories définissent la connaissance elle-même comme une forme signifiante de pratique, c’est-à-dire comme un processus actif de création de sens qui se déroule dans le monde ‘hors du cerveau’. Pour cette raison l’on pourrait dire que Peirce, avec sa définition pragmatique du sens et de la connaissance, pourrait représenter une ressource théorique importante pour la théorie énactive de la cognition.
Dans l’essai « Some Consequences of Four Incapacities » (1868), Peirce affirme que dans notre recherche sur la cognition il est nécessaire de rejeter le statut épistémique de l’intuition et de l’introspection, en considérant plutôt les faits extérieurs, qui nous sont donnés comme des expressions publiques, formées sémiotiquement et donc interprétables cognitivement par la médiation des signes (CP 5.265). D’après Peirce, la seule preuve valable d’une cognition est l’observation des effets de notre pensée sur le monde extérieur, qui sont considérées comme des signes d’un processus cognitif (Fabbrichesi, 2016). Du point de vue épistémologique ces idées de Peirce pourraient être vues comme un symptôme d’une position externaliste (Calcaterra, 2006 ; Meyers, 1999) selon laquelle il serait préférable d’adopter des critères cognitifs publics, sociaux et observables (Daddesio, 1995 : 32) plutôt que des critères cognitifs internes et privés (intuition et introspection). Cette position épistémologique externaliste pourrait constituer un point de discussion intéressant pour les recherches contemporaines sur l’esprit qui se basent sur la théorie de l’‘Esprit Étendu’. En fait, comme l’on a expliqué auparavant, les tenants de l’‘Esprit Étendu’ adoptent une perspective externaliste sur la cognition, en mettant l’accent sur la contribution des externalités dans les processus cognitifs.
Cependant, l’idée externaliste la plus intéressante que l’on trouve dans l’essai en question ne porte pas tant sur les critères de vérification de la connaissance mais plutôt la nature même de l’esprit. En effet, au terme de son discours sur les critères de vérification de la connaissance, Peirce se pose l’une des questions à la fois les plus simples et les plus fondamentales (Paolucci, 2011 : 78) : qu’est-ce que c’est la réalité de l’esprit ? (CP 5.313). La réponse à cette question est particulièrement intéressante et moderne, surtout si on la considère à la lumière des théories les plus récentes sur l’esprit, notamment celle de l’‘Esprit Étendu’. Peirce répond à cette question en définissant l’esprit comme un signe externe (CP 5.313). Ce point est particulièrement important parce qu’il semble suggérer que d’après Peirce les signes ne jouent pas seulement un important rôle épistémologique en tant que critère (temporaire) pour vérifier une connaissance, mais ils sont vus comme les constituants mêmes de l’esprit. L’idée que l’esprit lui-même est un signe externe semble indiquer une forme particulière d’‘externalisme de l’esprit’ sur laquelle il vaudrait la peine de réfléchir davantage afin de mettre en évidence la contribution théorique que cette position peut donner au débat contemporain sur l’esprit. Cette forme d’externalisme se fondant sur la notion de signe, je propose d’analyser de manière plus détaillée ce concept, en mettant en lumière comment cette explication sémiotique [8] se lie à une perspective externaliste sur l’esprit.
D’après Peirce le signe, ou représentation (CP 8.191), peut ainsi se définir : « Un signe, ou representamen, est quelque chose qui tient lieu pour quelqu’un de quelque chose sous quelque rapport ou à quelque titre » (CP 2.228) [9]. Et encore : « Un Representamen est le sujet d’une relation triadique avec un second appelé son objet, pour un troisième appelé son Interprétant, cette relation triadique étant telle que le Representamen détermine son interprétant à entretenir la même relation triadique avec le même objet pour quelque Interprétant » (CP 1.541) [10].
Le signe est donc une relation triadique, qui ne peut pas être décomposée en dyades (CP 1.363) et qui est constituée par les éléments suivants : une première représentation, c’est-à-dire le representamen, un objet et une troisième représentation ou signe, qui est appelée Interprétant (CP 2.303). Ce qui définit le concept de signe ou représentation chez Peirce c’est la relation entre ces trois éléments qui est une relation de type cognitif. En effet, Peirce définit le signe comme « un objet qui en représente un autre de sorte qu’une expérience du premier nous permet d’en connaître un autre » (W3 : 62) [11]. D’après Peirce, le signe, le mouvement entre un representamen, un objet et un interprétant, est donc ce qui nous permet d’acquérir une perspective cognitive sur un objet, en montrant ce que cet objet signifie. Ce qu’un objet signifie, le sens de l’objet qui constitue le deuxième élément d’une relation triadique, est représenté par le troisième élément de cette relation, c’est-à-dire l’Interprétant (W2 : 53-54). L’Interprétant est lui-même une représentation, qui joue la même fonction d’un interprète qui dit à un étranger la même chose qu’il dit (CP 1.553) : il représente l’objet et le premier élément du signe comme les pôles de la même représentation. En jouant ce rôle de représentation médiatrice entre les autres deux éléments du signe, l’Interprétant clarifie la relation que ces éléments entretiennent l’un avec l’autre : grâce à cette médiation l’objet de la représentation devient compréhensible du point de vue cognitif.
D’après Peirce, le signe coïncide avec ce que nous appelons esprit. L’esprit, qui est conçu comme un signe externe (CP 5.313), est constitué par le mouvement entre les trois composantes du signe et par les différents signes par lesquels la connaissance est produite. Ce qui est particulièrement intéressant pour une perspective externalise sur l’esprit est non pas seulement l’explicite identification de l’esprit avec un élément sémiotique externe (c’est-à-dire la définition de l’esprit comme un signe externe) mais le fait que Peirce, en décrivant les trois composantes inséparables du signe (CP 1.541), et donc de ce qui est ‘mental’, identifie ces éléments à la fois avec des éléments ‘internes’ au sujet cognitif humain et avec des composantes ‘externes’ (Paolucci, 2011). Des éléments qui se situent hors du cerveau, en faisant partie du signe, font partie de ce que Peirce dans une perspective sémiotique définit ‘esprit’. Par exemple, l’objet du signe peut être un objet conceptuel mais aussi un ‘objet externe’, un objet du monde (MS 8 : 4). Cet objet du monde, en jouant le rôle de deuxième corrélat d’une représentation triadique ou signe, devrait être considéré comme un élément de l’esprit. Aussi d’autres composantes du signe peuvent être conçues comment ‘matériellement distribuées’ (Atã, Queiroz, 2016) entre différents éléments. Par exemple, d’après la classification des interprétants que Peirce formule entre 1905 et 1907 dans une lettre-article pour le directeur du journal The Nation, l’Interprétant du signe peut être instancié par des sensations (CP 5.475), des réactions corporelles (CP 5.475), des actions et des changements qui concernent les actions qu’un sujet accomplit habituellement (c’est-à-dire un changement d’habitude CP 5.476) [12]. La troisième composante du signe peut donc être instanciée par des éléments qui ne résident pas dans le cerveau du sujet humain.
Cette distribution des composantes du signe entre différents éléments qui ne se situent pas dans le cerveau pourrait être considérée comme une raison ultérieure en faveur d’une perspective externaliste sur l’esprit. En fait, l’esprit n’est pas seulement identifié avec un signe externe, mais les composantes du signe lui-même sont aussi parfois identifiées avec des éléments extra-cérébraux. Cette attention vers les éléments extra-cérébraux dans l’explication sémiotique de la cognition et de l’esprit proposée par Peirce est particulièrement intéressante si on la considère en rapport avec la théorie de l’‘Esprit Étendu’. Similairement à ce que les tenants de l’‘Esprit Étendu’ affirment dans leur théorie, Peirce n’identifie pas les limites de l’esprit avec le cerveau, mais il inclut dans sa conception de l’esprit tout élément qui joue un certain rôle dans un processus cognitif. Donc à partir d’une perspective différente par rapport à celle de l’‘Esprit Étendu’, les considérations de Peirce sur la cognition peuvent supporter une théorie qui conçoit l’esprit comme quelque chose qui s’étend au-delà du cerveau.
Dans les deux paragraphes précédents, nous avons essayé de montrer comment Peirce au travers de sa conception sémiotique et pragmatiste de la cognition développe des concepts sur l’esprit et sur la cognition qui présentent d’importants points en commun avec les tenants de l’énaction et avec ceux de l’Esprit Étendu. On peut affirmer que dans une perspective peircéenne l’esprit peut être défini comme le ‘mouvement’ sémiotique d’un signe à l’autre, mouvement qui a une racine pratique (il vise à déterminer le sens, la direction de nos actions) et qui se réalise dans une danse dont les protagonistes sont des éléments ‘internes’ et des éléments ‘externes’. Cette centralité de la pratique, de l’action et des ‘externalités’ peut servir de fondement théorique permettant d’utiliser des aspects de la pensée de Peirce pour enrichir et clarifier une part du débat contemporain sur la cognition et l’esprit. En particulier je crois que l’aspect le plus intéressant réside dans la nature profondément pratique de la sémiotique peircéenne. En effet, nous y avons fait allusion dans les paragraphes précédents, il existe une différence significative entre la perspective énactive et celle de l’‘Esprit Étendu’ : cette différence concerne le rôle des représentations dans l’explication des processus cognitifs. Je suggère que si l’on conçoit le concept de représentation de manière pragmatique et externaliste, comme Peirce le fait dans ses considérations sémiotiques sur la cognition, on pourrait offrir le fondement théorique d’une ‘réconciliation philosophique’ entre les deux théories contemporaines qui sont au centre ce travail.
L’une des caractéristiques centrales de l’énactivisme est sa position non-représentationnelle sur les processus cognitifs et, par conséquent, sur l’esprit (Gallagher, 2017 ; Hutto, Myin, 2013 ; Varela et al., 1991). Pour expliquer la cognition, au lieu de recourir au concept de représentation mentale, l’énactivisme se focalise sur la contribution directe que les actions externes sollicitées par la perception offrent aux processus cognitifs. Nous l’avons vu précédemment, cette centralité de l’action dans les processus cognitifs se concrétise dans les concepts d’enaction et sense-making qui devraient constituer la base d’une théorie non-représentationnelle de l’esprit. Au contraire, les tenants de l’‘Esprit Étendu’, en faisant appel au principe de parité cognitive, affirment que nous pouvons encore parler de représentations mentales et que cette explication n’implique pas forcément une image passive et internaliste de l’esprit. Selon la perspective de l’‘Esprit Étendu’ les représentations mentales ne sont pas des ‘cartes’ du monde externe dont elles reflètent certaines propriétés. Par exemple, Clark, le père de la théorie de l’‘Esprit Étendu’, soutient qu’il existe un type spécifique de représentation qui peut servir d’élément théorique central d’une perspective sur l’esprit tournée vers la pratique. Cette perspective sur l’esprit devrait faire partie d’un projet dont l’objectif est d’intégrer l’énactivisme (en particulier l’importance que cette théorie donne à l’action) dans un cadre conceptuel plus complexe, qui inclue l’‘Esprit Étendu’ et l’idée de parité cognitive (Clark, 2015a ; 2015b).
Ce type de représentation est appelé ‘représentation orientée vers l’action’. D’après Clark les représentations orientées vers l’action sont des représentations mentales, dont le substrat de réalisation est parfois identifié dans le cerveau (Clark, 1997 : 149 ; Clark, 2016 : 48, 133, 251), et qui s’activent quand un agent cognitif effectue une tâche cognitive fondée sur la perception et l’action (Clark, 1997 : 151). Ces représentations ont une double nature : simultanément elles décrivent des aspects du monde et elles prescrivent des actions devant être exécutées sur ces aspects ou objets du monde (Clark, 1997 : 49). De plus, ces représentations reflètent le rôle profond du mouvement corporel (Clark, 1997 : 149) dans les processus cognitifs. En d’autres mots, les représentations orientées vers l’action sont des représentations internes des affordances de l’environnement (Clark, 2016 : 181) : elles représentent ce que l’agent cognitif perçoit dans le monde, en liant ce contenu perceptif à des instructions pour la manipulation de ces objets. Ces représentations ont une nature fortement pragmatique : il ne s’agit pas d’images passives et abstraites du monde mais, au contraire, ce sont des représentations d’actions possibles. Ce type de représentation pourrait ainsi constituer une voie d’accès représentationnelle à une perspective énactiviste sur la cognition qui identifie les processus cognitifs avec les actions corporelles qu’un agent accomplit sur des aspects du monde quand il est sollicité par la perception.
Néanmoins, un partisan de la théorie énactiviste ‘orthodoxe’ pourrait répondre que la notion de représentation orientée vers l’action est redondante et qu’elle pose des problèmes pour une perspective sur la cognition qui met l’accent sur le rôle épistémique de la pratique et l’action (Gallagher, 2008 ; 2017 ; Hutto, 2013). En fait le recours aux représentations internes, même si elles sont décrites comme orientées vers l’action, semble impliquer implicitement une primauté des structures internes sur les dynamiques cognitives qui se déroulent dans le monde. En effet dans cette explication des activités cognitives fondées sur la perception et sur l’action, on dit que l’agent cognitif est capable d’agir sur le monde parce qu’une représentation mentale indique activement des aspects du monde : c’est une représentation des aspects de l’environnement, encodés comme le contenu d’une action possible, dont le cerveau représente les instructions (Clark, 2016 : 251). Il semble donc que cette explication, plutôt que vraiment se focaliser sur l’action guidée par la perception du monde, se focalise sur les étapes préparatoires de l’action (c’est-à-dire sur des instructions pour agir) et elle considère l’environnement dans lequel les agents exécutent des actions de manière indirecte, étant donné que le monde semble faire partie des processus cognitifs en qualité de description interne (c’est-à-dire en qualité de contenu d’une représentation mentale). Par conséquent, il semble que les explications fondées sur le concept de représentation orientée vers l’action ne considèrent pas l’action incarnée et située en elle-même. En fait, d’une certaine manière, l’action réelle, l’action située, semble être décrite comme une sorte d’out-put des dynamiques internes, à savoir comme une conséquence des dynamiques représentationnelles.
Une possible solution au problème du lien entre représentations et action peut être suggérée – me semble-t-il – par certains aspects théoriques de la sémiotique de C. S. Peirce. Comme nous l’avons relevé dans l’analyse des liens entre des aspects de la philosophie de Peirce, de l’énactivisme et l’‘Esprit Étendu’, d’après Peirce les processus cognitifs ont une nature pragmatique et sémiotique : la connaissance est constituée par un mouvement sémiotique dont le but est l’action qui correspond à l’opération par laquelle les agents donnent du sens à l’environnement.
Il faut noter que d’après cette perspective sémiotique et pragmatiste, l’action est une partie constitutive et fondamentale des représentations. En particulier, en ce qui concerne les composantes du signe (c’est-à-dire les relations internes qui constituent les représentations), il pourrait être intéressant de se focaliser sur l’Interprétant, qui est l’élément cognitif du signe et qui dévoile le sens d’un objet représenté comme deuxième corrélat d’une dynamique sémiotique (Fabbrichesi, 1986 : 95). Toujours selon Peirce, il existe différents types d’Interprétants, il en a d’ailleurs donné plusieurs classifications dans ses écrits (Short, 2007 : 178-206). L’un des interprétants décrits par Peirce est l’Interprétant final (à savoir, ce vers quoi tend tout processus cognitif) qui, de manière intéressante, est identifié avec l’habitude (CP 5.476). Bien que dans les écrits de Peirce le concept d’habitude soit multiforme (Colapietro, 2009 ; West, Anderson, 2014), on pourrait dire que, en général, une habitude est un pattern ou schéma d’action qui permet de saisir le sens d’un objet ou d’un aspect du monde. L’habitude est la capacité du sujet cognitif d’être toujours prêt à agir quand il est sollicité par des circonstances déterminées (voir, par exemple, le stimulus perceptif comme le ‘quand’ de l’habitude ; W3 : 265). Elle fonctionne comme une règle générale et opérationnelle (W4 : 249) qui agit dans l’organisme et le sollicite à agir d’une certaine manière en lui permettant de saisir cognitivement son environnement.
Nous l’avons précédemment expliqué, l’identité entre cognition et action constitue un point de connexion très important avec la théorie énactiviste. Toutefois, le fait que l’habitude et l’action sont inscrites dans des dynamiques représentationnelles en qualité d’Interprétant final rapproche l’explication peircéenne des théories des représentations orientées vers l’action. Cependant, le concept pragmatiste et sémiotique de représentation proposé par Peirce semble pouvoir jouer un rôle encore plus significatif que celui joué par les représentations décrites par les tenants de l’‘Esprit Étendu’. En fait les signes peircéens ne semblent pas souffrir des problèmes impliqués par les représentations orientées vers l’action. Si d’après les explications représentationnelles contemporaines des pratiques cognitives situées l’action était conçue comme un output des dynamiques représentationnelles internes, chez Peirce l’action est une composante des représentations elles-mêmes. En fait, Peirce pense à l’action habituelle comme le troisième corrélat d’une représentation sémiotique, c’est-à-dire comme une action interprétative qui lie un representamen et un objet du monde. Ce qui est particulièrement important c’est que l’action de laquelle parle Peirce est l’action réelle, externe, exécutée par un agent dans son environnement, qui à son tour fait partie des dynamiques sémiotiques en qualité de deuxième corrélat du signe. En d’autres termes, chez Peirce, penser à l’action comme une partie constitutive des dynamiques sémiotiques signifie concevoir les représentations comme des actions ou opérations cognitives. En fait l’Interprétant lui-même est une représentation, un signe plus développé que le premier corrélat de la dynamique sémiotique. Centralement, l’activité représentationnelle de ce troisième corrélat sémiotique est décrite comme une action grâce à laquelle les implications pratiques d’un objet (la cognition d’un objet) sont découvertes.
Il est donc possible d’affirmer qu’à propos de l’Interprétant final en particulier et du signe en général, Peirce envisage une conception de la cognition qui prenne vraiment en compte l’action réelle, sans réduire les pratiques situées dans l’environnement à des outputs des mécanismes internes. Les dynamiques sémiotiques elles-mêmes peuvent être décrites comme une forme d’engagement pratique dans le monde, où la connaissance émerge comme le produit de l’activité de l’Interprétant, conçue comme une ‘représentation performative’ du sens d’un objet du monde.
La conception peircéenne de la cognition, en essayant d’expliquer l’action située guidée par l’habitude en termes sémiotiques, c’est-à-dire en la considérant comme une composante fondamentale du signe, semble donc offrir une perspective philosophique qui pourrait faciliter l’intégration de la théorie de l’‘Esprit Étendu’ avec la perspective énactiviste sur la cognition. Le concept de représentation conçue en termes sémiotiques répond aux besoins théoriques de la théorie de l’‘Esprit Étendu’. Cette théorie, en effet, essaye de sauver le concept de représentation (Clark, 2015a ; 2015b), qui a toujours été central dans les sciences cognitives (Gardner, 1985 ; Ramsey, 2007). En même temps une perspective philosophique qui s’inspire des certains aspects de la pensée de Peirce est capable de garantir un statut épistémique central à l’action située et incarnée, qui d’après l’énactivisme est le point central de toute explication des processus cognitifs. Pour cette raison une perspective sur la cognition inspirée par la sémiotique et le pragmatisme de Peirce peut représenter une source fondamentale pour intervenir dans le débat contemporain sur les représentations mentales, qui voit les tenants de l’‘Esprit Étendu’ et ceux de l’énactivisme se confronter sur ce concept. D’autre part, en concevant les représentations comme des signes, on se peut protéger contre les objections anti-représentationalistes de l’énactivisme, puisque le signe peircéen inclue en lui-même l’action réelle et externe. Cependant, en adoptant cette perspective sémiotique, il est également possible d’accueillir les suggestions théoriques des tenants de l’‘Esprit Étendu’, qui nous invitent à travailler sur le concept de représentation pour le rendre cohérent avec une position externalise sur l’esprit.
La perspective pragmatiste et sémiotique sur la cognition suggérée par la pensée de Charles S. Peirce a nombre de points communs avec la théorie énactive sur la cognition et celle de l’‘Esprit Étendu’, notamment avec des perspectives sur la connaissance qui sont fortement orientées vers l’action et qui mettent l’accent sur le rôle cognitif des ressources extra-cérébrales. De plus, l’identification de l’esprit avec une dynamique sémiotique dont l’action est l’une de ses composantes offre une image de l’esprit qui est capable de prendre en compte des points centraux des deux théories contemporaines considérées dans ce travail. D’un côté le fait que Peirce définit l’esprit comme un ‘signe externe’ et pense aux composantes du signe comme partagées entre ressource internes et externes semble pouvoir être compatible avec une explication externaliste de l’esprit comme celle adoptée par les tenants de l’‘Esprit Étendu’. De l’autre côté, en considérant l’action comme une composante du signe, concept dans lequel se concrétise l’idée peircéenne d’esprit, cette perspective sur la cognition semble être capable de répondre aux exigences théoriques de l’énactivisme, d’après lequel l’esprit doit être expliqué en termes profondément actifs, en identifiant l’esprit avec la relation entre un sujet incarné et le monde, relation qui est de type performatif et qui se concrétise dans l’action située.
Ces similarités théoriques sont particulièrement intéressantes pour mieux comprendre une partie du débat philosophique contemporain sur l’esprit et la cognition, qui voit la théorie de l’‘Esprit Étendu’ et l’énactivisme comme protagonistes. En particulier l’enracinement pratique de la sémiotique peircéenne, selon laquelle les signes sont des instruments cognitifs dont l’objectif est l’action, constitue un point théorique central pour ce débat. En fait, en pensant aux signes comme des relations qui incluent l’action réelle et située comme une partie constituante des dynamiques cognitives, il est possible de satisfaire les exigences théoriques de l’énactivisme et aussi celles de l’‘Esprit Étendu’. Bien que l’idée peircéene de représentation ou signe soit différente de celle des tenants de l’‘Esprit Étendu’ et bien que la position sémiotique qu’on en dérive offre une perspective sur les représentations qui est sui generis, ce concept partage un point fondamental avec cette notion : l’on ‘se représente’ des aspects du monde à fin d’exécuter une action cognitive. Cependant, le concept peircéen de signe, en particulier si on considère l’Interprétant (c’est-à-dire la représentation médiatrice qui joue le rôle de troisième corrélat du signe) comme une action habituelle ou comme un changement d’habitude, offre une perspective encore plus externalise que celle qui devrait être suggérée par le concept de représentation orientée vers l’action. En fait, le concept d’interprétant-habitude d’action ne se réfère pas à une action représentée par une structure qui réside à l’intérieur de l’individu, mais à l’action externe elle-même. Pour cette raison, je crois qu’en s’inspirant du concept de signe proposé par Peirce, il est possible répondre aux besoins théoriques centraux de la perspective énactive sur l’action, qui voit d’un air suspicieux les explications de l’action basées sur un processus représentationnel interne.
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[1] Traduit par l’auteur. Texte original : « place of salience, meaning, and value ».
[2] Traduit par l’auteur. Texte original : « If, as we confront some task, a part of the world functions as a process which, were it done in the head, we would have no hesitation in recognizing as part of the cognitive process, then that part of the world is (so we claim) part of the cognitive process. Cognitive processes ain’t (all) in the head ! ».
[3] L’abréviation « CP » se réfère aux Collected Papers of Charles S. Peirce (Peirce, 1931-58). Le premier numéro indique le volume, les numéros suivants indiquent le paragraphe cité.
[4] Pour la classification des manuscrits de C. S. Peirce (indiqués par l’abréviation « MS ») consulter Robin (1967).
[5] Traduit par l’auteur ; texte dans les parenthèses carrées ajouté par l’auteur. Texte original : « The whole function of thought is to produce habits of action […]. To develop its meaning, we have […] simply to determine what habits it produces, for what a thing means is simply what habits it involves. […] What the habit is depends on when and how it causes us to act. As for the when, every stimulus to action is derived from perception ; as for the how, every purpose of action is to produce some sensible result. […] Thus, we come down to what is tangible and practical, as the root of every distinction of thought […]. There is no distinction of meaning so fine as to consist in anything but possible difference of practice. »
[6] L’abréviation « W » se réfère à Writings of Charles Sanders Peirce. A Chronological Edition. Le numéro qui suit indique le volume cité.
[7] Traduit par l’auteur. Texte original : « brought to the test ».
[8] Par le terme ‘sémiotique’, Peirce se réfère à la doctrine formelle des signes, qui s’occupe de définir la nature des signes à partir d’un processus d’observation et abstraction (CP 2.227).
[9] Traduction par Gérard Deledalle (Deledalle, 1990 : 24). Texte original : « A sign, or representamen, is something which stands to somebody for something in some respect or capacity. »
[10] Traduction par Gérard Deledalle (Deledalle, 1990 : 24). Texte original : « A Representamen is a subject of a triadic relation to a second, called its Object, for a third, called its Interpretant, this triadic relation being such that the Representamen determines its Interpretant to stand in the same triadic relation to the same object for some Interpretant ».
[11] Traduction mienne. Texte original : « an object which stands for another so that an experience of the former affords us a knowledge of the latter ».
[12] Il faut préciser que les sensations, les réactions ou changements corporaux et l’action habituelle constituent des parties fondamentales du processus sémiotique ; ils sont décrits respectivement comme Interprétant émotionnel, Interprétant énergétique et Interprétant logique final (CP 5.475-5.476). Consulter aussi (Short, 1996).
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