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Stuppia Paolo

Le tract, genre à part ? Retour sur une enquête autour de la féminisation/neutralisation des écrits militants étudiants (2006-2010)

 




 Résumé

La question de la féminisation de la langue en général, de celle militante en particulier, renvoie à un certain nombre de débat qui traversent, depuis plusieurs décennies, les institutions, les organisations politiques et les mouvements sociaux français. En repartant d’une enquête menée sur les tracts rédigés et distribués lors de quatre protestations étudiantes, cet article entend explorer, à l’appui d’une démarche interdisciplinaire, l’actualité de – mais aussi les réticences à – ces controverses, ainsi que les principales options de changement linguistique qui s’offrent aux locuteurs.

Mots-clefs : Genre, tract, militantisme, queer, féminisation

 Abstract

The question of the feminization of the language, especially the activist one, refers to a number of debates that have been going on for decades in French institutions, political organizations and social movements. The aim of this article, based on a survey on the leaflets of four french student protests, is to show, with an interdisciplinary approach, the actuality of – as well as the reluctances to – these controversies, and the principals options offered by the speakers.

Keywords : Gender, leaflet, activism, queer, feminization

La question de la féminisation [1]] de la langue en général, du discours militant en particulier, renvoie à un certain nombre de controverses qui traversent le champ scientifique francophone depuis maintenant plusieurs décennies (Irigaray, 1985 ; Michard, 2002) : faut-il rendre visible la marque du genre – grammatical – pour mettre fin à l’« invisibilité linguistique des femmes » (Houdebine, 1994 : 40) ? Faut-il la neutraliser par l’épicène [2]] ou l’hyperonyme [3]] pour mieux brouiller les pistes, dans la droite ligne du courant queer (Wittig, 2001 [1978]) ? Faut-il introduire de nouveaux lemmes [4]] moins inégalitaires, à défaut d’un langage « centré sur les femmes » (women-centered, Liddicoat, 2011 : 3) ? Faut-il perturber au contraire la langue existante par l’adoption de conventions déviantes (Abbou, 2011) ? Ces débats dépassent désormais les frontières des « cercles universitaires féministes » (Varikas, 2004) pour investir le politique, avec des fortunes alternes selon les pays. Le Québec est souvent cité en précurseur, avec une première reconnaissance officielle des formes lexicales féminisées en 1979, un court temps d’expérimentation, puis une consolidation de ces usages dans le discours public dès la fin des années 1980 (Vachon-L’Heureux, 2007 : 71-72). De même, l’administration Suisse romande rédige ses textes à l’aide d’épicènes depuis 2001, une disposition renforcée par une Loi fédérale de 2007 sur les langues nationales (Arbour, de Nayves, Royer, 2014 : 36). Quid de la France ? Il s’agit du cas où les conservatismes semblent être les plus forts, tant au niveau des institutions que des entreprises de mobilisation, de défense des intérêts des travailleurs ou de conquête des suffrages.

 Des conservatismes dépassant le cadre – et les clivages – institutionnel(s)

Un bref historique des tentatives officielles d’introduction d’aménagements linguistiques – menées majoritairement par la gauche au pouvoir, nous y reviendrons – suffit pour le montrer : en 1998, l’Assemblé Nationale décide « de réactiver une circulaire publiée […] en 1986, à la suite des travaux de la Commission de terminologie relative à la féminisation des noms de métiers » mise en place deux ans auparavant par le gouvernement Mauroy ; celle-ci « recommandai[t] aux administrations de désigner les femmes par des termes féminins » (Arbour, de Nayves, Royer, 2014 : 35). Une commande est passée à un groupe de linguistes du CNRS, rédigeant l’année suivante un rapport, Femme, j’écris ton nom (Becquer, Cerquiglini, Cholewka, 1999), qui offrait des pistes concrètes de féminisation. Cette publication ne semble toutefois pas avoir produit l’ensemble des effets escomptés, du moins une quinzaine d’années durant : un autre guide, intitulé Pour une communication publique sans stéréotypes de sexe, est ainsi édité en 2015 par le Haut Conseil à l’Égalité entre les Femmes et les Hommes (HCEFH), une instance créée en 2013 par le Premier ministre J.M.Ayrault associant hauts fonctionnaires, spécialistes – dont, une nouvelle fois, un certain nombre d’universitaires travaillant sur les questions du genre – et élus. Les préconisations de ce troisième vade-mecum vont dans le sens d’une écriture dite « inclusive » : accord des noms des métiers, titres, grades et fonctions comme en 1986-1999, mais également réhabilitation de la règle de proximité [5]] et utilisation de points – « peu visibles pour ne pas gêner la lecture » – pour marquer un mot à la fois au masculin et au féminin (HCEFH, 2015 : 28). Le 21 novembre 2017, une circulaire émanant du nouveau Premier ministre E. Philippe bannit néanmoins ces deux dernières dispositions de la rédaction des textes officiels, « notamment pour des raisons d’intelligibilité et de clarté de la norme » (JORF, 2017 : 4), clôturant une polémique lancée par la publication, deux mois plus tôt, du premier manuel scolaire suivant les recommandations du HCEFH.

Au regard de ces débats vieux de trente ans, il serait tentant de percevoir les enjeux de féminisation du français comme des manifestations du clivage droite/gauche par l’écrit : au fond, les trois instances mentionnées plus haut – la commission de 1984, le groupe de travail CNRS de 1998, le HCEFH – ont été nommées par des gouvernements de gauche, leurs préconisations publiées en cours de mandature socialiste, puis en l’apparence relativisées, voire abandonnées, au gré des alternances. En réalité, cette dualité n’en est pas une : d’une part, car des réticences à la modification linguistique au nom du traditionalisme, de la peccadille, voire de la pure « coquetterie » (Clair, 2014 : 124) sont présentes, aux niveaux méso mais surtout micro, dans l’ensemble des organisations et des collectifs militants hexagonaux. Ce sera le premier point pris en considération dans cet article, en partant d’une enquête menées lors de quatre mobilisations de la jeunesse scolarisée entre 2006 et 2010. D’une autre part, car les solutions officielles de féminisation présentées auparavant – notamment l’accord de noms de métiers, titres, grades et fonctions qui semble aujourd’hui faire consensus entre les partis, s’il est vrai que la circulaire du 21 novembre 2017 appelle explicitement à poursuivre les efforts en ce sens [6]] – sont critiquées par des groupes davantage radicaux, considérant ces tentatives comme l’expression d’un « féminisme d’État » [7]] (Laufer, 2014 : 41) unanimement honni, mais pour des raisons extrêmement diverses : quand les uns y entrevoient une reproduction de la binarité des genres par l’écrit, réclamant l’emploi de termes neutres ou queer, les autres dénoncent tout à la fois l’ingérence institutionnelle et la rigidité d’une telle démarche, appelant à l’autogestion du langage. Ce sera le deuxième volet examiné dans les pages qui suivent, à l’appui d’un échange de mails entre activistes proches de la galaxie anarchiste-libertaire à l’occasion de la rédaction d’un tract étudiant lors du conflit contre la réforme des retraites de 2010.

 Un objet-frontière appelant à la réflexion et à la réflexivité

Aux confins de la linguistique, de la philosophie politique, de la sociologie du genre et des mouvements sociaux, l’interrogation de cet « objet-frontière » (boundary object, Star, Griesemer, 1989) que constitue la transformation de la langue militante nécessite une série de remarques préalables.

  1. Tout d’abord, de nature rédactionnelle : comment éviter de se positionner en faveur de tel ou tel autre camp en écrivant cette contribution ? Après avoir envisagé un temps de suivre les préconisations du HCEFH ou le style épicène, j’ai enfin opté pour une rédaction en français « standard », tout en essayant de limiter au maximum l’emploi du masculin générique ; il s’agit là davantage d’une contrainte objectivée que d’un choix pleinement assumé.
  2. Deuxième remarque, ayant également trait à l’objectivation mais au sens « participant » cette fois-ci (Bourdieu, 2003), le rapport à la question étudiée : comment en suis-je venu à mener une telle enquête ? Mes premiers contacts avec la féminisation linguistique ont eu lieu dès mon arrivée en France depuis l’Italie au début des années 2000, avec le militantisme dans un syndicat étudiant qui, comme son nom actuel l’indique (Solidaires étudiant-e-s  [8]]), privilégie des pratiques rédactionnelles inclusives outre porter un discours résolument antisexiste. Je n’entrevoyais cependant rien de particulier dans le fait d’écrire, dans un courriel aux adhérents par exemple, le mot « militant.e.s » au lieu de « militants » ou de l’invariable « activistes » : au fond, j’étais habitué aux mêmes tournures de la langue italienne auparavant. C’est à l’occasion des observations effectuées dans le cadre de ma thèse de doctorat, consacrée aux tracts de la mobilisation contre le « Contrat Première Embauche » – CPE – de 2006, que la question a ressurgi, plus particulièrement lorsque j’ai assisté à l’échange par courriels interposés analysé dans cet article ; cela m’a amené à réfléchir sur celle qui me paraissait être une norme, un « style » (Eliasoph & Lichterman 2003) propre au groupe auquel j’appartenais. La lecture d’une thèse soutenue en 2011 par une linguiste, Julie Abbou, autour de la subversion du langage dans les brochures libertaires – un objet tantôt proche [9]], tantôt différent [10]] du tract – a complété mon regard : si, dans le cadre de mon propre travail, je n’avais consacré qu’un encadré à l’écriture du genre, je propose ici d’approfondir les éléments mis en évidence à cette occasion pour leur donner une forme et un sens nouveaux.
  3. Troisième remarque, dès lors, quelle méthodologie d’enquête ? L’analyse (quasi-)qualitative (Angemüller, 2006) du contenu des textes apparait comme un élément incontournable ; je l’ai redoublée par un certain nombre d’autres outils, notamment de nature ethnographique (entretiens, observation, réflexivité). Cette démarche interdisciplinaire était au coeur-même de ma thèse : portant essentiellement sur 2006, cette dernière n’avait pas pour autant l’objectif de fournir une énième illustration d’un mouvement social à l’aune des feuilles éphémères émises en son sein [11]], mais plutôt de combiner plusieurs dimensions propres à l’objet – le tract dans sa matérialité, ses contextes de fabrication et de diffusion, ses usages discursifs multiples – dont la mobilisation collective anti-CPE fonctionnait comme un révélateur. D’où une multiplication des points de vue, inspirée par une relecture de la « méthode des points fixes » utilisée par Jean-Gabriel Contamin (2001 : 43) pour analyser les pétitions : afin de rechercher « des points de stabilité à partir desquels des approches comparatives soient utilisables » (ibid., 47), il était question de diversifier tout autant les méthodes que les terrains. Ainsi, les données recueillies en 2006 ont été notamment complétées par des observations effectuées à l’occasion des mobilisations étudiantes contre la Loi relative aux Libertés et aux Responsabilités des Universités et ses décrets d’application (LRU I et II, 2007-2009) et la réforme des retraites (2010). Cette séquence, outre se caractériser par une forte conflictualité universitaire (Le Mazier, 2015 : 23), trouvait son unité dans le fait de témoigner d’une complémentarité entre les « technologies militantes » traditionnelles – tracts, pétitions, affiches… – et de nouveaux outils issus de la révolution informationnelle (Blum, 2012), bouleversant leurs pratiques de confection et de diffusion sans se substituer pour autant entièrement à elles.
  4. Enfin, dernier point, quelles options de transformations linguistique seront-elles interrogées dans les pages qui suivent ? Jusque là, je me suis référé à la « féminisation » du français au sens générique du terme, en évoquant plus marginalement des protocoles d’écriture inclusive ou épicène. Julie Abbou, dans sa thèse de 2011, précise ultérieurement ces possibilités pour les locuteurs les plus critiques vis-à-vis du « féminisme d’État » (voir encadré).
Encadré. L’écriture du genre dans les brochures libertaires En analysant une dizaine de brochures anarchistes différentes, la chercheuse note tout d’abord que l’ensemble des signataires, dont la structuration – groupe formel/informel – diverge au moins tout autant que les objectifs défendus (dénonciation des violences policières, véganisme, etc.), élabore un argumentaire en cinq points pour justifier le bousculement des conventions grammaticales et graphiques en vigueur : « (1) la langue agit sur la pensée et sur la construction du monde, et donc également du monde social (2) OR la société est patriarcale (3) DONC le langage n’est pas neutre. (4) Donnons-nous POUR PREUVE la règle le masculin l’emporte sur le féminin. (5) La langue est DONC politique. » (Abbou, 2011 : 77). Néanmoins, des différences persistent sur les moyens à adopter : employer des solutions classiques de perturbation (doublet, tiret, slash, ce que l’auteure qualifie de « féminisation standard »), éventuellement complétées par des « procédés plus particuliers […] : point, point médian, majuscule » (ibid. : 79) ; expérimenter l’arobase espagnol (prisoner@s) ; créer de toute pièce des mots trans-sexe (illes, els) ; recourir à l’épicène (activiste) ou à l’hyperonyme (individu). Ces orientations constituent, dans leur diversité, le socle d’une pratique spécifique, la féminisation radicale ou double marquage du genre (DMG) : il s’agit, pour les libertaires, de faire apparaître « les deux genres simultanément ou accolés » afin d’« ôter le caractère catégoriel du genre lorsqu’il est motivé » (ibid. : 113) plutôt que de rappeler qu’il existe une division entre les sexes. Pour preuve, l’épicène et hyperonyme sont, le plus souvent, envisagés comme « des solutions alternatives ou supplémentaires au DMG » (ibid. : 122). Ce dernier constitue, dès lors, une « micro-politique linguistique » dont la spécificité est celle d’être « autogérée » (ibid. :166) : « chaque locuteur agit pour lui-même, tout en se situant dans une culture politique et partageant des valeurs. Mais ce n’est pas l’action d’un groupe homogène, à la cohérence travaillée. […] Certains locuteurs utilisent les mêmes formes pour des stratégies différentes, d’autres ont des formes différentes pour des stratégies similaires. ».

En dehors de la mouvance libertaire, un regard rapide aux tracts que j’ai collectés entre 2006 et 2010 [12]] montre que seuls quelques partis d’extrême-gauche (tels le NPA, Nouveau Parti Anticapitaliste  [13]]) ou associations féministes (Femmes solidaires, L’égalité c’est pas sorcier) semblent adopter (quasi-)systématiquement des formes féminisées ; ces dernières ne sont cependant jamais justifiées, d’autant plus qu’il existe souvent un décalage important entre discours et pratiques. Il faut également noter que le débat reste ouvert entre soutiens de l’emploi d’une double terminologie (travailleurs, travailleuses), de l’écriture « inclusive » ou « féminisation standard » [14]] (ami-e ou ami.e), de la subversion DMG (TouTEs, auteurEs, travailleur-se-s), voire de l’invariable (camarade). Ce seront les principales options étudiées au fil de cet article, en me tournant, en l’absence de brochures explicatives, vers les pratiques rédactionnelles et les (méta-)discours entre partisans de chacune de ces possibilités, lorsque je ne me suis pas heurté au refus pur et simple du changement linguistique, dont les raisons conviennent d’être interrogés dans un premier temps.

 Les résistances à la féminisation/neutralisation des feuilles étudiantes

Tout au long de mon enquête, sans pouvoir établir des variations significatives entre les lieux et les protestations observés [15]], j’ai rencontré des hésitations à adopter des pratiques de « désexisation » (Dumais, 2002) de la langue des tracts, y compris au sein d’organisations temporaires investies par des activistes féministes. Tel est le cas des Assemblées Générales (AG), comités de mobilisation et coordinations nationales étudiantes (Lévy, 1997 ; Morder, 2007) : dans l’échantillon anti-CPE, par exemple, seules 20% des feuilles émanant de ces structures (13 sur 64 au total) présentent des bouleversements des conventions graphiques et grammaticales en vigueur [16]], les quatre-cinquièmes restantes étant rédigées au masculin générique. Cette tendance peut être attribuée à deux facteurs principaux : d’une part, une relative marginalisation – voire (auto-)exclusion – des femmes de la phase de l’écriture des tracts ; de l’autre, la mise en avant d’un argumentaire fondé sur l’« illisibilité » des textes – lorsqu’il ne s’agit pas d’un « manque d’intérêt » pur et simple – par des figures masculines de la mobilisation.

L’(auto-)discrimination des rédactrices

Se caractérisant par une certaine immédiateté de rédaction (Radaelli et Rossi, 1975), d’impression (Bongrand, 1986) et de diffusion (Grimaldi et Grimaldi, 1982), le tract est censé bénéficier, dans sa phase d’élaboration, de l’intervention d’un nombre limité de personnes en lutte entre elles autour de son contenu et, par là, du langage qu’il déploie. Dans les carnets de terrain, j’avais remarqué que, la plupart du temps, un participant se charge matériellement de l’écriture du texte – ordinateur, stylo – et de la modération des interventions tandis que les autres débattent plus ou moins ardemment autour de différents éléments : les idées à développer, la tonalité (humoristique, polémique…), le « positionnement militant » (Contamin, 2008 : 70), les « attentes potentielles des lecteurs » (ibid.) mais également – et surtout – les titres, phrases et mots à employer. Cette concurrence pour et autour du langage du tract se termine, le plus souvent, par le consensus (ou, mieux, par la synthèse effectuée par l’individu chargé matériellement de la rédaction), même si d’autres issues – vote des participants, validation a posteriori par une Assemblée Générale (AG)… – ne sont pas à exclure. S’il ne s’agit pas à proprement parler d’une « norme de fabrication », cette modalité semble être la plus répandue à l’échelon local des organisations et des mouvements sociaux : l’écriture par un spécialiste – un permanent syndical, par exemple – ou par un seul individu (tracts ad personam) demeurent des exceptions tout comme la rédaction confiée à l’ensemble des membres d’une assemblée.

Essentiellement masculine, la phase d’élaboration des feuilles peut, dès le départ, exclure les femmes, souffrant des mêmes mécanismes de domination – moqueries, interventions ignorées, reformulations, drague… – mis en évidence par Julie Le Mazier (2011 : 133-136) à l’occasion des prises de parole en AG. L’ensemble des réunions de rédactions que j’ai observées entre 2006 et 2010 le confirment : d’un côté, moins nombreuses que les rédacteurs, les rédactrices sont rarement admises à modérer les débats autour du texte et interviennent généralement moins que les hommes. De l’autre, lorsqu’elles se chargent matériellement de l’écriture du tract, elles font parfois l’objet de commentaires ironiques ou déplacés – « Secrétaire ! » lance ainsi un étudiant lors d’une réunion en 2007 (mouvement LRU) [17]] – et n’ont souvent pas le dernier mot sur la formulation finale du texte [18]]. Certaines enquêtées, à l’image d’une jeune adhérente du PCF, parlent même d’une « auto-discrimination » des rédactrices :

« J’ai milité trois ans dans une section du PCF [] [] il y avait autant de femmes que d’hommes : une mixité quasi-parfaite. Euh… Et j’ai remarqué que les… Les militantes hésitaient à prendre les responsabilités, quoi, la responsabilité de l’écriture d’un tract. C’étaient souvent des hommes qui l’écrivaient. Pourtant la direction était plutôt féminine et il y avait beaucoup de femmes qui avaient fait des hautes études, mais c’était… Comme si elles avaient intériorisé que les hommes étaient plus aptes à rédiger un tract, un journal, voilà, et qu’ils étaient plus doués qu’elles… Cette auto-discrimination, on la trouve partout dans notre vie quotidienne, [] [mais] aussi dans nos activités militantes, [] et ça, on arrive pas encore à le dépasser. » (entretien cité in Stuppia, 2014 : 385)

Quand bien même le collectif écrivain se composerait exclusivement de femmes – une situation à laquelle je n’ai jamais assisté au cours de l’enquête – l’intervention masculine dans la fabrique du texte n’est jamais à exclure, comme le rapporte la journaliste Florence Aubenas (2010 : 112) dans son ouvrage Le quai d’Ouistreham  [19]]  :

« Un des premiers moments, à la section des précaires, était la rédaction des tracts. Cela se passait toujours de la même façon. Les filles commençaient à s’y mettre, puis, au bout d’un moment, un permanent du syndicat venait et lançait : « alors, c’est pas encore terminé ? On voudrait aller boire un coup ». Il revenait un peu plus tard : « vous mettez trop de temps. Je vais le faire pour vous ». Aucun n’avait la patience d’écouter ce qu’elles avaient à dire, et il ne fallait pas pousser beaucoup pour qu’ils lâchent ce que, au fond, ils avaient vraiment dans la tête : ils ne les trouvaient pas au niveau, elles manquaient définitivement de « conscience de la lutte ». Ils finissaient par écrire ce qu’ils voulaient sur les tracts et, le lendemain, les filles refusaient de les distribuer. »

Ces réticences interrogent un peu plus la dimension genrée du militantisme : déjà confrontées à l’« enchainement viril des activités de terrain » (Bargel, 2009 : 386), les militantes seraient marginalisées jusque dans leur préparation, dont le tractage constitue soit un support – lors d’une manifestation, par exemple – soit une performance (Tilly, 2008) à part entière (distribution à la sortie d’une université, devant une usine, etc.). Un deuxième facteur semble corroborer cette hypothèse : le redimensionnement de toute intervention voué au changement linguistique par des dominants à l’échelle micro-mobilisée (Snow et a., 1988 ; Gerhards, Rucht, 1992).

L’argument d’« illisibilité » et le « manque d’intérêt » à la question : des monopoles (des leaders) masculins (de la mobilisation)

L’aspect genré de l’élaboration des feuilles éphémères peut également être mis en évidence à partir des railleries patriarcales vis-à-vis à l’application de protocoles rédactionnels particuliers (féminisation standard/radicale, neutralisation par l’épicène…), comme le montre un entretien effectué avec un rédacteur de la commission tracts  [20]] de la Sorbonne en 2006 :

« On parlait tous pas mal, chacun cherchait une phrase d’accroche, puis on choisissait la meilleure… Et ça faisait des discussions pas possibles. Bon, puis on discutait aussi sur les autres phrases, les termes, je crois qu’une fois on a eu une féministe radicale, […] elle était venue juste pour dire qu’il fallait mettre des « e » « e-s » « s-e-s », ’fin, plein de trucs comme ça dans tous les mots du tract pour les rendre masculins et féminins, et qu’à la fin ça n’avait pas marché parce que le tract devenait illisible [rires]… On l’avait quand-même tenté, hein ? Mais c’était vraiment illisible… » (entretien cité in Stuppia, 2014 : 371)

Si l’ironie semble ici prévaloir, il n’en faut pas beaucoup pour passer à d’autres types de considérations, telles que celles exprimées dans ces deux courriels – dont la signature renvoie à des prénoms masculins [21]] – reçus sur une mailing list militante après un vif échange en 2010 :

« Vous ne voulez pas fermer vos gueules par le plus grand des hasards ? […] Il veut pas féminiser ses tracts ? Et bien qu’il aille se faire voir. Féminise tes tracts, et les gens en observant l’idée et en remarquant un quelconque bien fondé suivront. Tu le trouve trop sexiste ? Et bien tant pis il te fourni pas bouffe, eau, électricité et ça influence pas sur la position dans laquelle tu dors le soir. […] Merci d’utiliser ce groupe à des fins purement informatives, le reste on s’en branle à l’infini. » (K…, courriel du 24/11/2010 : 3h44).

« Prière de respecter, une dernière fois, l’objectif d’une telle liste, et d’aller vous embrouiller, sur les sujets qui vous font bander/mouiller ( tiens moi je mets des slashes ), AILLEURS ! [sic] » (H…, courriel du 24/11/2010 : 1h21)

Ce type de relativisation des enjeux de la féminisation de la langue au nom de l’illisibilité ou du manque d’intérêt, renforcées dans ces deux derniers cas par les allusions sexuelles, semblent être exprimées, la plupart du temps, par des individus revendiquant un certain leadership de la mobilisation sur le site universitaire observé. J’emprunte ce concept à Julie Le Mazier qui, en analysant les AG étudiantes de la même période, distingue trois rôles principaux assignés aux membres du groupe protestataire :

  1. Au bas de l’échelle, des tâches d’exécution pure et simple, peu valorisées, occupées principalement par les plus dominés suivant une approche intersectionnaliste combinant « sexe, race et classe » (Dorlin, 2009).
  2. A l’opposée, les « orateurs réguliers, leaders qui peuvent participer au travail d’exécution, mais qui produisent aussi une parole qui leur permet d’incarner le groupe » (Le Mazier, 2015 : 492).
  3. Un leadership intermédiaire consistant à assurer la « reproduction du collectif militant. […] C’est le travail de celles et ceux qui animent les réunions d’organisation, qui s’assurent ensuite que le travail a été fait et qui sont capables de le faire en urgence dans le cas contraire » (ibid.).

Les séances de rédaction collective auxquelles j’ai assisté ont été généralement modérées par des personnes – surtout des hommes, nous l’avons vu auparavant – qui recouvrent ce troisième rôle, même si la présence d’intervenants réguliers (deuxième typologie), entrecroisant « différents types de masculinités : celle de l’étudiant brillant, mais surtout celle de la virilité, qui permet à des orateurs souvent issus des fractions intellectuelles des classes supérieures de « faire populaire » » (ibid., 511) a été remarquée à plusieurs reprises dans mes carnets de terrain. Par exemple, lors d’une observation à la Sorbonne en 2010, j’avais constaté que l’un des militants les plus présents à la tribune de l’AG, membre du syndicat anarchiste CNT, s’était chargé de conduire les débats lors de la rédaction d’une feuille ; dès ses premiers mots, il affirmait son souhait de laisser « les détails à la fin », dont le soin de corriger l’orthographe « et d’ajouter des « e », « es » à ceux que ça intéresse » [22]]. Le tract ne sera finalement pas féminisé, deux autres étudiants s’étant portés volontaires pour « reprendre le texte et mettre les détails » ainsi que l’imprimer pour le jour d’après [23]].

Le refus – implicite ou manifeste – de changer les conventions grammaticales en vigueur ne se solde toutefois pas toujours par une mise au placard de la controverse entre les partisans des différentes options de « désexisation » linguistique ; le cas, mentionné à plusieurs reprises, de l’échange mail sur la liste Interfac en 2010 en offre l’un des meilleurs exemples.

 Des options de transformation linguistique en débat : l’exemple de l’AG interfac de 2010

« Un lieu de rencontre et d’organisation pour toute personne en lutte » – à noter l’emploi de l’hyperonyme – contre la réforme des retraites : c’est ainsi que se se présente publiquement, dans son premier tract, l’AG interfac. Cette structure temporaire, construite sur le modèle des AG interprofessionnelles des salariés, a davantage à voir avec un comité de mobilisation d’établissement – à la différence que plusieurs universités y sont représentées – qu’avec une coordination étudiante : elle est ouverte au plus grand nombre sans contraintes d’appartenir à tel ou tel autre secteur gréviste ni d’avoir le mandat d’une AG. Elle se tient pour la première fois le 27 octobre 2010 à l’Université Paris I à l’initiative de plusieurs proches de la mouvance libertaire, réunissant une quarantaine d’individus – organisés ou non, avec une légère sur-représentation féminine – issus de différentes universités (Paris I, III, IV, V, VII, X) et quelques salariés (trois cheminots du syndicat Sud Rail de la Gare d’Austerlitz, deux IATOSS de Paris I en grève). Dans le carnet de terrain, j’avais observé qu’une étudiante, juste avant de quitter les lieux, réclame l’élaboration collective du tract d’appel à la prochaine réunion, une modalité plutôt exceptionnelle à l’heure actuelle [24]] ; après avoir essayé en vain de se mettre d’accord sur les phrases de la feuille pendant une quinzaine de minutes (sans toutefois débattre de la question de la féminisation de ses termes), sa rédaction est confiée à un groupe restreint de personnes – le mode normal présenté plus haut – chargées de soumettre a posteriori le texte au plus grand nombre sur une liste de diffusion Internet associée à la structure [25]].

Les trois premiers tracts – dont la maquette, constituée de courts paragraphes, est reprise d’une fois sur l’autre en apportant des changements à la marge, tels le lieu et l’heure de rendez-vous – sont ainsi rédigés au masculin générique sans provoquer de débats particuliers : il était question de « ne plus se sentir impuissants face à la police » mais également de « se connaître, s’aimer peut-être » ou encore de « redécouvrir la force que l’on se donne lorsque j’en ai assez de me faire marcher sur les pieds [sic]  », des propositions qui effacent tout genre du sujet énonçant. Le quatrième texte, en revanche, se détache radicalement des précédents :

  1. par sa temporalité : il appelle à une AG suivie d’une fête à Paris VIII-St.Denis le 26 novembre, en fin de mobilisation, alors que les trois premiers invitent à des initiatives et des manifestations comprises entre le 27 octobre (première réunion interfac à Paris I-Tolbiac) et le 8 novembre (troisième AG à Paris III-Censier) ;
  2. par sa forme, entendue à la fois comme paratexte – le titre « On est encore là » – et texte proprement dit : les courts paragraphes sont abandonnés au profit de phrases plus longues, davantage rédigées ;
  3. par le débat qu’il provoque préalablement à son édition par courriels interposés – 27 au total, envoyés entre le 22 et le 28 novembre 2010 sur la mailing list de la structure – autour de la féminisation/neutralisation de ses termes. Ce corpus sera analysé qualitativement, malgré des limites qu’il convient de souligner (voir encadré).
Encadré. Quelles limites à l’enquête (qualitative) d’une mailing list militante ? Les deux principes régissant une mailing list militante sont celui du volontariat (inscription libre) et celui de la diffusion de chaque courriel envoyé à l’ensemble des abonnés. Cela n’empêche pas un certain anonymat – les membres de la liste n’étant pas obligés d’employer leur vrai prénom, encore moins de revendiquer leur éventuelle organisation – ni un détournement des objectifs initiaux de cet outil (l’information et la discussion) à des fins d’attaques personnelles. Pour cette raison, j’ai tout d’abord pris le parti de classer les 27 e-mails selon deux tendances principales, en y ajoutant une catégorie à part consacrée aux résistances au débat sur la transformation linguistique. J’ai par ailleurs été obligé de me fier à l’association prénom (ou pseudonyme) du signataire du courriel – structure d’appartenance (si présente) afin d’en déduire le positionnement militant, voire parfois d’émettre des suppositions. Ces limites sont redoublées par le choix d’adopter une démarche d’analyse qualitative fondée sur l’intertextualité (Boutet, 2010), c’est-à-dire le jeu de citations/réponses croisées entre e-mails : comme l’indique Johannes Angemüller (2006 : 231), « le seul critère pour garantir la « bonne » interprétation, c’est [alors] le caractère collectif du sens qu[e nous] partage[ons] avec d’autres membres de la société ». La réflexivité est donc plus que jamais nécessaire, car elle est l’un – sinon le principal – critère de validation des résultats (ibid : 233).

Après avoir reçu par courriel, le matin, une version imprimable du tract d’appel à l’AG-fête interfac du 26, un militant de Sud étudiant Paris VIII répond, dans la soirée, en suggérant de « féminiser les termes [du texte] qui en ont besoin » (je souligne en gras les passages qui semblent significatifs) :

« Salut à tou-te-s, merci pour ce tract. Je ne sais pas s’il y a en déjà beaucoup d’imprimés, mais ce qui serait bien (ou plutôt normal) c’est de féminiser les termes qui en ont besoin. Comme ça et de mémoire, il y a deux fois « tous » qu’il faudrait remplacer par « tou-te-s » ou « touTEs », et je crois aussi « nombreux » à remplacer par « nombreux-ses », à mon sens… » (P…, Sud étudiant Paris VIII, courriel du 22/11/2010 : 19h40)

Une réponse lapidaire, relevant au premier abord de la raillerie patriarcale, suit quelques minutes plus tard seulement :

« Super intéressant le niveau des remarques, ça vaut vraiment le coup d’ouvrir sa boîte mail. » (S…, courriel du 22/11/2010 : 19h48)

Sommé de s’expliquer, l’activiste précise, le lendemain :

« Tu ne « féminises » pas le tract, tu rappelle de façon grossière et démagogiques qu’il existe une séparation des sexes. Si les militants ont la prétention de dépasser […] la fausse opposition des sexes, il serait plus judicieux de trouver enfin un terme asexué qui soit générique au lieu de gonfler les tracts avec des mots à rallonge dans des soucis […] d’enfermer chacun bien dans sa case. Pourquoi pas « tou-s-te-noir-blanc-jaune-marié-célibataire-homo-hétéro-trans-joueur de foot du psg » [sic.] ? » (S…, courriel du 23/11/2010 : 9h19)

Cette mise au point, balayant les accusation de moquerie machiste, donne à l’échange e-mail une toute autre tournure que le mépris ou l’insulte vers lesquels il semblait se diriger, malgré le fait qu’un tiers des courriels – 9 sur 27 – avancent explicitement un « manque d’intérêt » à la question, parfois assorti d’allusions sexistes (deux exemples ont été cité plus haut). Dans ceux qui restent, deux postures principales apparemment en décalage, mais en réalité pas forcément si éloignées entre elles, s’affrontent.

S… semble en effet ne pas interpréter la féminisation proposée par le militant de Sud Paris VIII en tant que procédure perturbatrice des codes de la langue (le DMG étudié par Abbou), mais plutôt comme une forme standard d’ajout d’un genre – grammatical – à l’autre, rappelant la « séparation des sexes » et l’enfermement dans des « cases » par le langage. Il suggère donc, à sa place, l’adoption d’un générique autre, un terme queer ou « asexué ». Cela s’apparenterait à l’un des souhaits de Wittig : « le renversement linguistique […] par une réorganisation fondamentale de la description des corps et des sexualités sans recourir au sexe et, en conséquence, sans recourir aux différenciations pronominales » (Butler, 2006 [1990] : 226). Ce sera la première tendance, appelée – peut-être un peu injustement – neutralisation (dans le sens que l’objectif final est tout autre que neutre : il s’agit de subvertir la matrice hétérosexuelle du langage jusqu’à la réfutation de tout reste visible d’oppression/domination [26]]) ou mieux, à la suite des travaux de Cha Prieur (2015 : 5), « queerisation » du langage.

De l’autre côté, plusieurs militants libertaires, heurtés par les courriels successifs de S…, lui rétorquent la rigidité de ses prises de position en faveur des termes asexués et son manque d’inventivité : le DMG constituerait en effet une « expérimentation » (au sens ci-dessus) pas forcément éloignée, voire même conforme aux objectifs queer. Simplement, la perturbation prendrait un – ou, plutôt, des – chemin(s) de travers, donnant tout son sens à l’expression « micro-politique linguistique autogérée » utilisée par Abbou (2011 : 307-308) pour désigner de telles pratiques subversives :

« Si ces pratiques ressemblent, à première vue, à une féminisation en ce qu’elles ne suivent pas la règle du masculin générique, leur observation révèle rapidement que cette similitude s’arrête là. […] Les textes dans lesquels on voit apparaître des altérations du genre montrent un surmarquage qualitatif et quantitatif. La proportion des termes marqués y est en effet plus grande que dans la féminisation standard, mais surtout le marquage ne consiste pas en une mise au féminin, mais en une coexistence des genres grammaticaux. […] C’est alors moins une féminisation qu’une « généricisation » qui prend la forme d’un double marquage du genre. […] De telles modifications volontaires peuvent advenir à un niveau plus petit que celui de la langue, dans des discours particuliers qui ne cherchent ni une reconnaissance institutionnelle, ni une expertise, mais transforment directement leur usage, dans une logique autogérée, à mi-chemin entre expert et usager. »

À la marge de ces deux orientations, une troisième semble être esquissée au sein de l’espace rédactionnel : l’emploi d’une double terminologie, présente dans un seul e-mail. Son auteur, s’adressant à « celles et ceux qui souhaitent s’éviter les conversations qui s’éternisent  », invite, en une phrase, à assister « nombreux et nombreuses » à une « AG à l’ENS » le soir même (B.., courriel du 24/11/2010 : 09h13). La concision du message ne permet toutefois pas de déterminer s’il s’agit d’un choix assumée en faveur de la présence du féminin à côté du masculin ou d’une simple critique à la teneur générale de l’échange. Notons enfin que la controverse ne se soldera pas par un choix clair vers l’une des deux options proposées, mais plutôt par la demande de désinscription de plusieurs membres de la liste de diffusion Internet (trois courriels vont en ce sens) : le tract sera en effet imprimé et diffusé tel que celui proposé initialement, au masculin générique, sans que la question refasse surface à l’AG interfac du 26 novembre [27]].

Asexuer, seule issue pour neutraliser les tracts…

La tendance à la queerisation des termes du tract ne semble être défendue, à première vue, que par S… . Auteur d’environ un quart des e-mails du corpus (7 sur 27), il n’argumente publiquement en faveur de son choix que dans deux d’entre eux – les restants étant essentiellement consacrés à l’attaque personnelle – celui du 22 novembre cité plus haut et un deuxième, daté du surlendemain. Dans ce dernier courrier électronique, il précise sa position initiale :

« Je pensais à titre personnel qu’il était plus pertinent d’abolir la division des sexes en orthographe par l’emploi d’un terme asexué (j’emploi [sic] le verbe « trouver » qui indique que ce terme peut être une construction collective résultant d’un débat) plutôt que de continuer à entériner la division des sexes en l’appuyant par des termes imposés par une langue qui a toujours été au service de(s) la domination(s) [sic]. » (S…, courriel du 24/11/2010 : 8h31)

Cette précision n’est toutefois pas suivie de faits – linguistiques – concrets. Si l’auteur réitère plusieurs fois son appel à la créativité (« inventer un troisième terme enfin neutre pour remplacer les masculins-féminins »), il n’emploie dans la suite de son e-mail de termes asexués – prenant la forme de l’épicène/hyperonyme – que pour désigner ses propres concurrents à l’intérieur de l’espace rédactionnel. Par exemple, dans ce passage, le locuteur accole à « certaines personnes » un terme volontairement féminisé, « champion/ne(s) », censé renforcer deux autres génériques à connotation négative (du moins pour les libertaires), « keufs » et « juges d’instruction » :

« J’admire […] la façon qu’on [sic] certaines personnes de s’auto-proclamer champion/ne(s) d’une cause […], cette mentalité de keufs et de juges d’instruction. » (ibid.)

Tout en étant en décalage avec le souhait initial de réinventer collectivement le langage du tract (n’arrivant au mieux qu’à proposer des épicènes/hyperonymes), ce courriel renforce la diatribe avec les autres activistes, l’accusant – en rétorsion – de tenir des propos « machistes », « autoritaires » et « sexistes ». Le mail suivant, envoyé après la réunion du 26, en est un bon exemple :

« « Une attitude machiste » ou « machiste » n’est pas une insulte : c’est nommer un comportement autoritaire et sexiste, […] dans le cadre de divergences politiques autour d’une question de genre entre une féministe et un mec. Je retiens les termes de « police », « keuf », et « juges » qui eux par contre relèvent d’accusations graves : […] la liberté du travail, la liberté d’exploiter, la liberté du marché, la liberté d’avoir des propos autoritaires, sexistes […] n’est pas une liberté (et celles qui précèdent non plus)  » (A…, CNT, courriel du 28/11/2010 : 23h14)

Les positions prises par le locuteur, assimilées à deux « libertés » honnies par les anarchistes (« d’exploiter », « du marché »), se retrouveraient ainsi en contradiction manifeste avec l’objectif qu’il défend, la queerisation du lexique ; pire, elles seraient le résultat d’une reproduction, plus ou moins consciente (Thiers-Vidal, 2010), des rapports sociaux de sexe lorsqu’un homme – quand bien même il rejetterait son identité de « mec » – décide de s’engager au sein de la cause féministe (Jacquemart, 2013). Une deuxième source d’incompréhension entre S… et les autres activistes est représentée par l’opposition de la recherche de termes asexués à la féminisation radicale.

…Ou une option supplémentaire du DMG ?

Sept autres courriels – soit un autre quart du corpus environ – sont signés par des personnes qui se réclament explicitement de la mouvance anarchiste ou libertaire (Sud étudiant, Confédération Nationale du Travail). Ces « anarcha-féministes », comme le nomme Reyniers (1985), reprennent unanimement, dans leurs messages, le raisonnement en cinq points sur les influences patriarcales de la langue – son action sur une société (1) dominée par les hommes (2), traduisant un manque de neutralité (3) prouvé par la règle « le masculin l’emporte sur le féminin » (4) qui fait du langage une question éminemment politique (5) – mis en évidence par Abbou [28]]. Un exemple parmi d’autres, ce mail de L… (CNT) :

« On va s’étendre. Féminiser les tracts ou les « neutraliser » comme on dit à l’université d’Ontario au Canada […] permet de rendre visible ce qui est invisibilisé par la langue française : les femmes. Ce qui est démagogique, c’est tes réponses du style « marié-célibataire-noir-jaune ». […] La langue française « donne priorité au masculin » (on apprend pas ça en classe de CE1 ?) mais pas « au blanc » ou « aux mariés ». Les mots et la langue ont une histoire, une symbolique et un sens déterminés aussi en ce qui concerne le sexe et le genre. Quand on dit « les droits de l’homme » sont bourgeois : c’est vrai. Ils sont aussi sexistes. […] En bref : Pourquoi est-ce un tel « affront » de proposer la féminisation des textes ? » » (L…, courriel du 23/11/2010)

Néanmoins, les solutions pour parvenir à subvertir les règles grammaticales sont multiples. A…B… de Sud propose une perturbation standard, tout en souhaitant renvoyer la question à la prochaine AG interfac « si les présent-e-s le souhaitent » (courriel du 23/11/2010 : 21h35). A… (CNT) brouille davantage les pistes, expérimentant tantôt la féminisation classique (certain-e-s), tantôt l’épicène/hyperonyme (camarades), tantôt des formes plus originales (individue). Elle propose, par ailleurs, plusieurs axes de réflexion :

« Définir et réaffirmer la matérialité du patriarcat ; détruire l’idée libérale selon laquelle « on choisit des identités » […] ; réaffirmer la pluralité et la non hiérarchisation des luttes. […] Sur la féminisation des tracts : défendre l’idée que l’on ne peut pas être égale sans être visible. Mais attention pas visible au sens hétérosexuel pour ces braves Monsieurs [sic], ou bien visibles en tant que potiche… mais visible en tant qu’égale. » (A…, CNT, courriel du 23/10/2010 : 19h42)

La militante CNT laisse ici entendre que d’autres manières de féminiser les textes davantage conformes aux objectifs du courant queer sont possibles. Elle avance notamment des exemples étrangers :

« Les anarchistes espagnols féminisent par des croix, ou des arobases. Les anarchistes insurrectionnalistes grecs féminisent sur leurs affiches avec des tirets comme en français « -es » ». (ibid.)

Cette prise de position cible directement la question de l’élaboration de termes asexués. Elle ravive la polémique : l’épicène/hyperonyme serait-il insuffisant ? Pourquoi refuser de faire paraître les deux genres côte-à-côte, de sorte qu’ils s’annulent ou qu’ils se confondent dans des procédés inventifs ? Ne s’agirait-il pas, là, de parvenir à une forme d’élaboration d’un terme subversif, queer, redonnant son sens à l’universel, dans la droite ligne du projet de Wittig ? Les militants libertaires en sont convaincus, tout en demandant des précisions à S… :

« Qu’est-ce que tu entends par « fausse opposition des sexes » ? […] Nous vivons dans une société qui [sépare] les individus de sexe différents – la majorité sont plutôt de sexe masculin ou féminin, même si, je suis d’accord sur le fait que la binarité des genres est aussi une fausse opposition (si c’est ce que tu entends par là) […]. Si nous vivons dans une société de division sexiste : à ton avis, à qui profite le crime ? […] [Sur] le terme asexué : lorsque, conformément à la tradition, ce sont les mots à dominante masculine qui sont employés et eux-seuls. […] Pense tu que « le masculin est neutre », que lorsqu’une femme lit « nous, les hommes » (par exemple) ou même à moindre mesure « tous/les compagnons/venez nombreux » une femme peut (ou doit ?) s’y identifier aussi bien que toi ? Si c’était « Toutes/les compagnonnes/venez nombreuses » partout : qu’en penserez [sic] tu ? Sinon : quel mot « neutre » proposes tu ? » (L…, CNT, courriel du 24/11/2010 : 0h22)

En l’absence de réponses de l’intéressé, nous pouvons souligner une nouvelle fois la fragilité de la frontière entre la première orientation et la féminisation radicale : à la fois « lutte et outil démonstratif » passant par « la démasculinisation de la langue », cette dernière, « pour rester active, doit rester une perturbation » (Abbou, 2011 : 301). Autrement dit, le DMG assume les traits d’un vaste chantier qui pose des questions plutôt que d’apporter des réponses, même si cela n’empêche pas les locuteurs de proposer quelques exemples concrets ; ce texte, paru peu de temps après la controverse sur un site d’information coopérative anarchiste, fournit ainsi des indications « aux auteur-es, écrivainEs, scribouilleuses et scribouilleurs » qui souhaiteraient y contribuer  :

« La règle de grammaire qui fait que, dans la langue française, « le masculin l’emporte sur le féminin », est une application dans le champ linguistique d’un certain sexisme, voire d’un sexisme certain. […] Quelques conseils : être créatives et inventifs. Il n’existe pas de normes à propos de la féminisation de l’orthographe. Libre à chacun-e de féminiser de la manière qu’il ou elle juge efficace, pertinente, politique, esthétique ou artistique. […] Voici déjà quelques pistes : […] Accorder les adjectifs. Exemple : « les patrons et patronnes ont été penduEs » […] Féminiser les termes et être créatif/ves. Exemple : les bergers et les bergères = les bergerEs  ; les squatteuses et les squatteurs = les squatteureuses ou les squatteurSEs ; ceux + celles = ceulles ; eux + elles = eulles ; ils + elles = ielles ; amigas + amigos = amig@s. » (Rebellyon.info, 2011)

La démarche autogestionnaire DMG semble cependant atteindre, dans le cas qui nous intéresse, une double limite liée au cadre d’élaboration du discours militant. D’une part, sa manifestation virtuelle, favorisant les attaques personnelles plutôt que l’inventivité collective. Comme le montre une thèse récente, Internet peut se révéler tout autant un outil au service de l’activisme qu’un exutoire de haine où, au nom d’une liberté d’expression dont le sens est détourné, s’expriment les positions les plus indicibles dans la réalité (Ridley, 2019 : 476-498). De l’autre, son association d’un nombre important de locuteurs, qui plus est au sein d’une structure temporaire. Outre contraster avec la « norme » de fabrication d’un tract examinée plus haut, cela ne favorise pas le consensus entre rédacteurs par rapport à des groupes plus restreints et structurés. Si des subversions lexicales sont ainsi préfigurées, elles peinent à s’exprimer dans les faits.

 Un (im-)possible changement de la langue militante ?

Dans la conclusion de son ouvrage Sociologie du genre, féminisé de manière standard, Isabelle Clair pointait deux soucis principaux auxquels s’expose tout locuteur proposant de transformer les conventions grammaticales en vigueur : « d’une part, [le risque de] réitér[er] la binarité et la réalité sociale du genre et […] de corroborer [par là] la place secondaire du féminin : un « e » muet qui dépasse. D’autre part, […] la raillerie : […] encore aujourd’hui, c’est la résistance au dévoilement qui pointe sous la moquerie » (Clair, 2012 : 124). Tout au long de cet article, je me suis efforcé de traiter les implications concrètes de ces deux problèmes dans un milieu que je considérais a priori réceptif au débat, mais qui s’est montré en réalité plutôt réticent à son acceptation. Plus largement, ces observations permettent de mieux comprendre les imbrications entre le genre et la production littéraire militante : tout se passe comme si l’écriture épicène, inclusive ou DMG était réservée soit à des groupes ayant effectué un choix préalable en ce sens [29]], soit aux rares situations où les rédactrices – voire les quelques rédacteurs sensibles à la question – arrivent à franchir les barrières de l’« illisibilité », du « manque d’intérêt » voire de l’accord entre les options de neutralisation, perturbation ou visibilisation de la marque du genre. Un troisième cas de figure conviendrait sans doute d’être évoqué, en dehors de la seule période étudiée : les concessions observées lors d’évènements particuliers, tels les manifestations annuelles du 8 mars (journée internationale des droits des femmes). Il s’agit en réalité davantage d’une impression, déterminée par la mise en parallèle de mon engagement scientifique et militant (Broqua, 2009) : dans l’échantillon de tracts de 2006, déjà, j’avais noté qu’une partie significative des feuilles féminisées – au sens large – étaient datées au 8 mars ou appelaient à défiler à cette occasion [30]], en associant la lutte contre le Contrat Première Embauche aux revendications féministes. Chaque année, je me rends aux cortèges parisiens dans le cadre de cette journée internationale, en m’efforçant de collecter tous les tracts distribués sur leurs parcours : c’est l’une des rares situations où j’ai pu constater une quasi-généralisation des formes de rédaction inclusive ou épicène. Le tract, genre à part ordinairement, à l’exclusion d’un jour par an ? Cela prouve en tout cas, pour reprendre une dernière fois Isabelle Clair, que, « toute modeste et imparfaite qu’elle paraisse, la marque du féminin grammatical subvertit un ordre plus grand qu’elle  » (Clair, 2012 : 124).

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Notes

[1] [Provisoirement, ce terme est employé au sens générique ; successivement, il sera spécifié pour désigner la ou les tendances présentes au sein des débats scientifiques et militants.

[2] [Terme incluant les deux genres à la fois – par exemple, artiste, élève, etc.

[3] [Forme incluant le sens d’un ou plusieurs autres –par exemple personne pour homme, femme, enfant, etc.

[4] [Au sens de mots ou formes graphiques conventionnels.

[5] [Accord du mot avec le terme le plus rapproché, par exemple « les hommes et les femmes sont belles ».

[6] [En conseillant de suivre les recommandations du rapport Femme, j’écris ton nom.

[7] [Ainsi défini par l’auteure : « l’évolution […] qui, à partir des années 1950, a vu […] les démocraties occidentales s’engager à des degrés divers dans la promotion de la cause et des droits des femmes […] et créer des instances étatiques spécialisées ».

[8] [Anciennement Sud étudiant.

[9] [Notamment sa double visée de propagande et polémique, un aspect souligné par l’auteure (Abbou, 2011 : 98).

[10] [En particulier, le nombre limité de caractères (Demonet, 1975 : 3-4 ; Grimaldi et Grimaldi, ) et une moindre capacité de réaction à l’évènement (Echaurren, 1997 : 5-6 ; Bongrand, 1986 : 86).

[11] [Une attitude conventionnellement partagée par historiens, politistes et sociologues ayant investi cet objet.

[12] [Mais dont seul l’échantillon anti-CPE (400 textes au total, subdivisés en 6 grands groupes d’émetteurs) a été construit scientifiquement dans la thèse, afin de permettre l’analyse lexicométrique (Stuppia, 2014 : 130-157).

[13] [Anciennement Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR).

[14] [Selon la dénomination officielle du HCEFH ou celle choisie par J.Abbou.

[15] [Les observations se sont déroulées, de 2006 à 2010, dans plusieurs universités et écoles parisiennes : Paris I (Centres Tolbiac et Sorbonne), Paris III (centre Censier), Paris IV (centre Sorbonne), EHESS, INALCO.

[16] [Résultant, en général, de l’emploi d’une double terminologie suivie de protocoles de féminisation standard (par exemple, dans ce tract du 6 mars 2006 dont l’incipit est formulé de la manière qui suit : « étudiants et étudiantes de la Sorbonne réuni-e-s vendredi 3 mars…) voire des seuls protocoles inclusifs (ainsi, cet autre texte du même comité de mobilisation, appelant à une AG le 13 mars, intitulé « Rendez la Sorbonne aux étudiant-e-s ! »).

[17] [Carnet de terrain, réunion de rédaction du comité de mobilisation de la Sorbonne, 5 novembre 2007.

[18] [Les femmes semblent ainsi se limiter, dans bon nombre de cas, à « taper » un document dont le contenu est dicté par les hommes

[19] [Afin de préparer ce reportage, la journaliste s’était faite passer pour une travailleuse démunie d’une ville de province.

[20] [Commission ouverte à tout étudiant mobilisé – syndiqué ou non – s’occupant de rédiger et de diffuser les textes signés par le Comité de mobilisation après approbation en AG.

[21] [Afin de préserver l’anonymat des contributeurs, seules les initiales des prénoms (voire du nom de famille) ou des pseudonymes seront gardées, ainsi que l’éventuel sigle du groupe d’appartenance.

[22] [Carnet de terrain, réunion de rédaction du comité de mobilisation de la Sorbonne, 2 novembre 2010.

[23] [D’autres observations ont cependant montré que des volontaires – militantes anarchistes ou de la LCR – ont profité de ces rôles, parfois attribués en fin de rédaction lorsque la situation le requiert (nécessité de libérer la salle, d’avoir une copie pour le lendemain, etc.), pour finalement féminiser le tract de manière « standard ». Il s’agit du cas d’un certain nombre de feuilles sorbonnardes rédigées « dans l’urgence » (Stuppia, 2014 : 393) en 2006 : si le texte final – nous le disions auparavant – est généralement soumis à l’approbation de tous les rédacteurs avant impression, ces cas particuliers laissent libre cours aux stratégies de contournement.

[24] [Si Philippe Artières note que, en 1968, les feuilles sont surtout rédigées, dans « les usines comme les amphithéâtres, […] de manière collective […] occup[ant] les auteurs de longues heures » (Artières, 2008 : 376), j’ai souligné dans ma thèse tant les difficultés induites par une telle démarche – bruit, multiplication des points de vue… – que les avantages désormais offerts par Internet, dont le principal est la discussion-validation collective du texte par l’envoi sur une mailing list militante (Stuppia, 2014 : 390).

[25] [Carnet de terrain, première AG interfac, 27 octobre 2010.

[26] [Comme l’écrit Kate Robin (2011 : 80) à propos du « projet utopique » de Wittig :« Dans le registre sociopolitique, elle souhaiterait ne pas employer de féminisation dans l’intérêt d’abolir les sexes. Dans le registre littéraire, elle expérimente comment redonner aux femmes une catégorie universelle usurpée par les hommes.[…] Wittig propose, comme seule solution […] qu’on supprime le genre dans la langue, ce qui implique que les pronoms de la troisième personne n’existent plus sous leurs formes actuelles, et que des mots tels que « homme » et « femme » soient supprimés. »

[27] [Les membres ayant activement pris partie à la controverse ne s’étant pas présentés à la réunion. Carnet de terrain, 26 novembre 2010.

[28] [Supra.

[29] [Jusque parfois sans leurs statuts : la charte de Solidaires étudiant-e-s, par exemple, est entièrement rédigée en langage DMG, consacrant deux paragraphes à l’« anti-sexisme » et l’« anti-patriarcat », des luttes menées « dans l’enseignement supérieur et au sein même de notre syndicat » afin de combattre les discriminations « sous toutes leur formes ». https://www.solidaires-etudiant.org&hellip ;, consulté le 7 avril 2015.

[30] [Soit 6 tracts sur 20 comportant une date ou un appel à l’action.

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-Pragmatique du genre filmique. L’exemple du cinéma de l’exil, par Delaporte Chloé

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Pour citer l'article


Stuppia Paolo, « Le tract, genre à part ? Retour sur une enquête autour de la féminisation/neutralisation des écrits militants étudiants (2006-2010) », dans revue ¿ Interrogations ?, N° 27. Du pragmatisme en sciences humaines et sociales. Bilan et perspectives, décembre 2018 [en ligne], https://revue-interrogations.org/Le-tract-genre-a-part-Retour-sur (Consulté le 21 décembre 2024).



ISSN électronique : 1778-3747

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