Résumé
À partir d’une étude de cas, celui de la manufacture de production de cassettes Tapes fondée à Saint-Pétersbourg en 2013 et le parcours de ses fondateurs, l’article met en évidence l’émergence d’un marché de services visant les scènes musicales Do It Yourself. Il s’agit d’une production de niche qui se base sur un attachement culturel des entrepreneurs au support cassette et leur relation privilégiée avec le milieu DIY. Elle évolue, localement, en dehors des pressions concurrentielles et rencontre une demande forte. Se constitue ainsi un régime d’activité singulier permettant à la fois d’assurer une viabilité économique, de garder à distance des dimensions commerciales (telles que marketing et promotion), tout en appliquant certains principes d’autogestion. Les limites de la logique DIY s’avèrent toutefois atteintes, tant à travers les relations de service entre manufacturiers et commanditaires traduisant leurs perceptions réciproques parfois divergentes, que via la dépendance vis-à-vis de fournisseurs industriels et des circuits logistiques complexes induisant une forte rationalisation et une division du travail.
Mots-clefs : cassettes, petit entrepreneuriat, label phonographique, tertiarisation, marché de niche, Do It Yourself
Producing music cassettes in the digital age : a DIY service market ? The case of a factory in Saint Petersburg
Abstract
Based on a case study of the Tapes cassette production manufacture founded in St. Petersburg in 2013 and the background of its founders, the article highlights the emergence of a service market aimed at the Do It Yourself music scene. This is a niche production based on the entrepreneurs’ cultural attachment to the cassette medium and their special relationship with the DIY scene. It evolves, locally, outside competitive pressures and meets strong demand. The result is a unique model of activity that ensures economic viability and keeps commercial aspects (such as marketing and promotion) at a distance, while applying certain principles of self-organization. However, the limits of the DIY logic have been reached, both in terms of the service relationships between manufacturers and clients, reflecting their sometimes divergent perceptions of each other’s roles, and in terms of dependence on industrial suppliers and complex logistical circuits involving a high degree of rationalization and division of labor.
Keywords : cassettes, small business, record label, tertiarization, niche market, Do It Yourself
Empreinte de l’opposition originelle vis-à-vis des industries musicales, émergeant au sein du mouvement punk dans les années 1970, la vision du DIY en tant que culture marginale ou contre-culture, avec un « ethos anticapitaliste » (O’Hara, 1999), définit encore aujourd’hui les termes de discussion autour du phénomène. Elle est néanmoins dépassée dans des recherches qui portent attention à l’émergence, dans les scènes (post)punk et des réseaux de distribution indépendants qu’elles développent, de dynamiques entrepreneuriales, de plus en plus analysées en tant que « travail », avec ses « divisions des tâches », ses « compétences », ses « carrières », son « capital (subculturel) » (Clark, 2003 ; Hein, 2012 et 2016 ; Guerra, 2017). Ces études mobilisent les critiques du « travail artistique » (Menger, 2002), avec rapports hiérarchiques, inégalités, (auto-)exploitation, autonomie et contraintes variables, ou encore les analyses pragmatiques des chaînes de médiations, spécifiques à différents genres musicaux (Hennion, 2007). Les recherches portant sur les pratiques productives issues des scènes DIY ou indépendantes, analysent diverses façons d’allier stratégies économiques et certaines valeurs culturelles et politiques, tout comme des tensions et contradictions qui peuvent en ressortir (Hesmondhalgh, 1997).
Cependant, il nous semble que l’émergence d’un marché abondant de l’outillage DIY (un « prêt-à-bricoler ») et la généralisation des pratiques DIY bien au-delà des milieux punk et musicaux, à la faveur d’un accès démocratisé aux moyens de production culturelle et de la révolution numérique (impression en 3D, fab labs, mouvements des makers, logiciels libres et Do It Together etc.), nous invitent à ouvrir encore plus les approches du DIY musical. Diverses activités dans cet univers se dotent de leur propre marché de services adapté à une demande diversifiée, à tel point qu’elles semblent participer du processus de tertiarisation. La création de valeur se déplace de la production de produits pré-spécifiés permettant de répondre à des besoins standardisés, prédéfinis par le fournisseur, vers la construction de problèmes toujours renouvelés, la conception et la mise en œuvre de solutions, lorsque le « client » est activement « intégré dans la conception et la production des éléments de valeur » (Lorino, Neffusi, 2007 : 75).
Ainsi, émerge notamment un secteur de services visant avant tout les artistes autoproduits DIY, milieu qui est lui-même en voie d’extension et dépasse de loin les styles associés au punk et musiques alternatives, grâce à la disponibilité accrue d’outils de musique assistée sur ordinateur.
Le présent article est une étude de cas relevant de ce secteur : celui d’une manufacture de production de cassettes à Saint-Pétersbourg, Tapes [1], fondée en 2013 par trois anciens acteurs de la scène musicale DIY. Aujourd’hui, ces fondateurs et leurs salariés arrivent à en vivre et ont su la transformer en une entreprise viable, proposant une gamme de services complète (à commencer par le découpage et enroulement de la bande, jusqu’au design et l’emballage, en passant par l’enregistrement depuis une copie master) et n’ayant pas de concurrents directs dans ce secteur en Russie.
Avant de nous plonger dans les questionnements liés au cas étudié, nous poserons ces éléments de contexte liés à la configuration technico-économique évolutive de la production de cassettes, en Russie et ailleurs.
Peu coûteuse et facilement reproductible, la cassette analogique est considérée comme un « formidable accélérateur » : une production de petits tirages restant rentable, ce support est apte à répondre aux besoins de groupes restreints de consommateurs, tout en générant un profit (Olivier, 2022 : 23-24). À la faveur d’une démocratisation ainsi permise de l’accès aux moyens de production des enregistrements (Manuels, 1993 : xiii), émergent des réseaux alternatifs de distribution. Les musiciens de genres comme le punk et le hip-hop utilisent la cassette pour contourner les canaux de distribution dominés par les majors, établissant des liens directs avec leur public et inspirant d’autres subcultures à travers le monde (Drew, 2024). Alors que, dans les contextes occidentaux, ce sont surtout l’aspect DIY de la cassette et son importance dans la diffusion de la musique underground qui sont pointés (Masters, 2023), les études portant sur d’autres régions du monde (y compris le « Sud » global) mettent en avant l’émergence grâce à ce support, d’industries musicales produisant des genres très variés et locaux, « de petites économies, marchandes ou non, basées sur des pratiques artisanales, home-made, d’enregistrement et de copie » (Olivier, 2022 : 26).
En Russie post-soviétique, alors que les industries musicales (labels majors ou indépendants) ne faisaient encore que leurs premiers pas, un marché vigoureux de cassettes d’enregistrements pirates s’est développé. Il a permis à des millions de Russes d’accéder à des titres de stars pop et rock occidentales, aussi bien contemporains qu’anciens, dont la consommation, en bobines ou en vinyles, avait auparavant été réservée à des cercles restreints d’initiés et de la jeunesse dorée. Dès le début des années 1990, de gros marchés de ventes de cassettes audio, de VHS, mais aussi de magnétophones, de jeux vidéo et de logiciels piratés, émergent dans les métropoles. Des kiosques vendant des cassettes pirates dans des passages souterrains, à l’entrée des stations de métro et ailleurs, font partie du paysage urbain habituel.
Jusqu’au milieu des années 2000, l’État russe laissait faire les pirates [2]. C’est la volonté d’intégrer l’Organisation mondiale du commerce qui a amené les autorités, à partir de 2004-2005, à adopter des mesures et à effectuer des raids contre le piratage audiovisuel, ce qui ne l’a pas fait disparaître mais l’a rendu plus discret. Le taux de piratage musical ne baisse qu’assez peu (de 75 % en 2000 à 67 % en 2006) alors que sa valeur augmente durant la même période (de 200 à 450 millions de dollars) (Kiriya, 2011 : 249).
Le support cassette est particulièrement touché par le piratage, où il atteint, au début des années 2000, 95 % du volume global (Sezneva, Karaganis, 2011). Ce marché pirate des années 1990 offre une image de production standardisée de masse, de qualité médiocre, avec un design très sobre (photocopies en noir et blanc, noms de groupes écrits avec des typos standards, aucune identité graphique des albums édités). La scène rock indépendante, quant à elle, s’évertue à proposer un design inventif pour ses productions d’albums en cassettes, inspiré de collages mail art et de la culture des fanzines punk britanniques des années 1970.
Parallèlement, la scène DIY russe (que nous avons étudiée dans le cadre de notre thèse de doctorat ; Zaytseva, 2012) a émergé au début des années 2000 avec l’anarcho-punk et hardcore. Elle s’est largement inspirée des gros fanzines américains comme Profane Existence ou Maximum Rock’n’roll, et des groupes comme Dead Kennedys, Minor Threat, Fugazi, Rollins Band, des labels comme Dischord Rds, des personnalités comme Ian McKay, etc. Sa distinction vis-à-vis des labels dits « commerciaux » émergeant à la même époque consistait justement en cet attachement fidèle à la cassette comme support privilégié, alors que les gros labels indépendants ou les filiales de la Big Five en Russie (Sony, Universal etc.) se sont dès le départ spécialisés dans la production de CD.
Nous avons alors constaté, au gré de nos allers-retours entre Paris et Saint-Pétersbourg, que la cassette comme support restait bien plus vivace en Russie qu’en France. Lorsqu’en 2004-2005, nous amenions quelques dizaines de cassettes de groupes pétersbourgeois pour les mettre chez des disquaires anarcho-punk à Paris, ces derniers étaient souvent étonnés, mais acceptaient par politesse les artefacts apportés. En revenant des mois plus tard, nous constations que très peu d’exemplaires avaient été vendus. Selon les statistiques françaises, en 2006, en effet, les ventes de cassettes ne représentaient plus que 0,2 % du marché (Roch, 2023). Quant au marché russe, compte tenu de l’ampleur du piratage, les chiffres sont très difficiles à estimer. En tout cas, vers la fin des années 2000, après la fermeture ou la reconversion des dernières usines produisant des cassettes en Russie, ce support est remplacé, dans la scène DIY russe elle aussi, par les CD, puis les vinyles.
Les années 2010-2020 voient un certain retour en force du support, dont les ventes ont drastiquement chuté dans les années 2000, mais qui n’a jamais réellement disparu. Depuis 2018, l’entreprise française RTM spécialisée en production de bandes magnétiques, se tourne vers la production de cassettes en répondant à une demande accrue des artistes et des labels. Ces derniers semblent à nouveau affectionner ce format, pour son coût plus modeste et pour les délais plus courts de production que dans le cas du vinyle. En 2022, cette même RTM produit 600 000 cassettes. L’industrie de la musique met à profit ce revival, avec des albums cassette des artistes mondialement connus comme Lady Gaga, Eminem, Björk, etc., que les fans « acquièrent comme des objets fétiches » (Roch, 2023).
Comparée aux vinyles et aux CD, la cassette reste néanmoins un phénomène de niche [3]. Elle refait surface au sein des scènes stylistiques plutôt confidentielles, indépendantes ou DIY (punk, musique électronique, noise, metal, etc.), pour lesquelles le support permet de se reconnecter, de façon nostalgique, à leur esprit originel des années 1980 (Udarchik, 2018). Étudiée principalement à travers sa consommation par divers publics, la cassette semble surtout appréhendée aujourd’hui comme une forme de nostalgie, de quête d’authenticité et de communauté. Elle attire les amateurs de musique underground et les collectionneurs qui la valorise pour ses imperfections et sa capacité à rappeler une époque plus « tangible » de la musique (Masters, 2023), apte à renforcer un engagement plus personnel vis-à-vis d’elle, ce que les formats numériques ne permettent plus.
En outre, on ne l’écoute plus de façon exclusive, mais plutôt parmi d’autres supports et formats comme CD, vinyles ou fichiers MP3 (Nowak, 2013). Ce phénomène d’« éclectisme technologique » (Ibid.) s’applique également à l’usage que font les créateurs de musiques indépendantes à la fois des plateformes numériques et des supports analogiques afin de diffuser leurs productions (Collet, Garcia-Bardidia, 2023 : 85).
Si les publications sur la résurgence de la cassette analysent ses usages et sa signification culturelle à l’époque numérique, elles ne touchent guère aux enjeux nouveaux et logiques inhérents à sa production, ni aux rapports qui s’établissent entre les producteurs et les commanditaires (artistes ou labels). Le présent article entend combler ce manque.
Nous comprendrons ici par « producteurs » les entrepreneurs qui, à partir des résidus anciens ou des composants achetés à des industriels tiers (les fabricants de bande magnétique et ceux des corps et des boîtiers de cassette) produisent, à partir des originaux fournis par les commanditaires, les cassettes sur commande moyennant leur propre équipement de découpage et d’enroulement de la bande [4].
Afin de produire à nouveau un support analogique, un problème de taille émerge, pour s’approvisionner en bande magnétique et boîtiers de cassette, ainsi qu’accéder à l’équipement permettant de découper et d’enrouler la bande. En effet, les marques phares produisant les cassettes ont disparu ou se sont reconverties dans d’autres productions [5]. Ainsi, jusqu’en 2018, le maintien ou le retour de la cassette dans les pratiques de production musicale, d’abord DIY puis au sein d’espaces plus larges, puisait dans les résidus de la bande restant dans les stocks de ces marques depuis la fin des années 1990.
À cet égard, l’entreprise française RTM devient pionnière, en commençant à produire une nouvelle bande magnétique à partir de 2018. De même, en Italie, Musicbox, manufacture de production de cassettes vierges, mais aussi de corps et de boîtiers (les cassettes dites C-Zero, sans bande), n’a jamais cessé d’exister depuis 1976 et semble être aujourd’hui un des acteurs rares dans ce domaine en Europe. Enfin, en Indonésie, la production de bande magnétique « n’a apparemment jamais cessé » et la bande indonésienne (toujours vendue en gros) pouvait être achetée en plus petites quantités par le biais d’intermédiaires chinois [6]. Les ventes à l’international de la nouvelle bande magnétique ont permis l’émergence de quelques producteurs de cassettes (proposant les services de duplication) dans le monde [7].
Leur nombre reste pourtant limité, compte tenu d’une faible disponibilité des machines d’enroulement de bande magnétique (tape winding machine). L’équipement neuf de ce type est peu ou pas produit. Acquérir une telle machine sur le marché secondaire, alors que de nombreuses compagnies qui les produisaient se sont reconverties et ont jeté cet équipement, devient une condition sine qua non pour lancer une production.
Ainsi, se constitue une configuration technico-économique particulière du nouveau marché. D’une part, il s’agit d’un marché de niche, qui est de 50 à 100 fois plus réduit que le marché de vinyles ou de CD. D’autre part, c’est un marché quasi-monopolistique où très peu de petits ou moyens producteurs répondent aux besoins spécifiques d’un nombre assez limité de commanditaires, commandant chacun des tirages plutôt réduits. À première vue, l’absence de pression concurrentielle et le fait de s’adresser en grande partie à des clientèles de niches alternatives pourrait rapprocher les nouveaux producteurs de cassettes des logiques DIY, alors que la complexité technique et logistique semble plutôt les en éloigner, ou pourrait induire des tensions avec ceux-ci.
À partir d’une étude de cas de Tapes dont les parcours des fondateurs montrent une proximité avec l’univers DIY (post)punk, nous nous demanderons en quoi les logiques et les pratiques professionnelles de nouveaux producteurs de cassettes sont révélatrices des limites du DIY. Pour répondre à cette question, nous retracerons d’abord la genèse de l’aventure Tapes : le devenir d’une petite entreprise et les réflexions des entrepreneurs au sujet de leur situation de marché et de la demande ; les enjeux de l’équipement et la mise en place d’un cycle productif complexe et contraint (1). Nous explorerons ensuite les visions de « service » développées dans les récits des entrepreneurs et de leurs commanditaires qui traduisent leurs attentes et perceptions réciproques, parfois en décalage (2). Nous nous pencherons enfin sur les récits des rapports sociaux au sein de l’entreprise, liés aux notions d’autogestion, de liberté et d’efficacité (3).
L’article s’appuie sur les entretiens biographiques approfondis (deux à trois heures) avec deux des trois fondateurs de l’entreprise Tapes, suivis d’échanges sur la messagerie Telegram menés avec eux entre mars et décembre 2023 ; deux entretiens passés via l’appel audio Telegram avec les entrepreneurs de labels DIY qui ont produit depuis 2014 leurs cassettes chez Tapes, et un entretien via la même messagerie avec un des manageurs salariés de Tapes. Ces entretiens sont complétés par l’analyse de quelques publications en ligne à son sujet [8]. Nous avons soumis le brouillon de l’article, traduit vers le russe, aux deux fondateurs de Tapes, afin qu’ils valident les propos cités (restés non anonymisés avec leur accord), mais aussi pour tester auprès d’eux nos analyses. Les échanges qui en sont ressortis ont permis de les affiner, ce pour quoi nous leur exprimons notre profonde gratitude. L’analyse que nous proposons ici est limitée dans la mesure où elle s’appuie sur un nombre réduit d’entretiens, effectués à distance, faute d’accès direct sur le terrain en Russie en situation de guerre [9].
La manufacture Tapes, fondée à Saint-Pétersbourg en 2013 [10], a réalisé 935 commandes en 2021 (42 000 cassettes), 607 commandes en 2022 (près de 30 000 cassettes, la baisse d’un quart induite par une crise liée à la guerre) et 621 commandes en 2023 (près de 33 000 cassettes). Elle est sous le statut juridique d’« entrepreneur individuel » et paie à ce titre des impôts. Il ne s’agit donc pas d’un travail ’au noir’ comme c’est le cas des labels DIY. À ce jour, huit employés sont sous contrat avec l’entreprise.
Tapes, d’après les propos de tous nos interviewés [11], n’a pas vraiment de concurrents en Russie : en effet, par ailleurs, tous s’accordent à dire que ce sont uniquement des acteurs DIY qui font des enregistrements « faits maison » en réutilisant les vieilles cassettes, et que personne ne possède l’équipement de type « tapematic » ni la possibilité d’impression sur le corps de cassette.
La manufacture reçoit des commandes de toute la Russie, il s’agit de 95 % de son marché. Avant le début de la guerre russo-ukrainienne en février 2022 et le cortège de sanctions qui en découle, Tapes recevait aussi 1 à 5 % de commandes depuis l’étranger : Europe, Asie, Philippines, Thaïlande, Amérique du Sud ; il y avait même quelques clients permanents. L’entreprise ne possédait qu’une poignée de concurrents ayant l’équipement de production semblable (en 2021, le directeur de Tapes en a trouvé 23 en Europe). Compte tenu de l’isolement commercial actuel de la Russie (rendant les transactions transfrontalières coûteuses et risquées), Tapes n’est plus en concurrence avec les homologues étrangers, elle s’est consolidée sur le marché intérieur.
Selon les propos du directeur, 99 % des commandes proviennent des « musiciens dont la musique ne leur fournit pas la source principale de revenu [12] ». Ainsi, l’offre de services vise de facto avant tout les scènes DIY, ou en tout cas, les collectifs et artistes amateurs. 1 % de commandes revient à des stars locales de la pop et du rock [13].
Enfin, à l’automne 2024, l’aventure Tapes s’internationalise : un des co-fondateurs lance, en Slovénie, la production de cassettes sous le nom de Gotape [14]. Avec la même offre de services, et une partie de l’équipe pétersbourgeoise, les entrepreneurs doivent faire face à de nouveaux défis que nous ne pourrons aborder ici.
Les trois fondateurs de Tapes se sont connus au début des années 2000 du fait de leurs activités respectives au sein de la scène punk DIY de Saint-Pétersbourg.
Roman (né en 1978, gagne sa vie en tant que programmeur) a été musicien dans plusieurs groupes grunge/punk/hardcore depuis le milieu des années 1990, dont un existe toujours (Ankylym). Il a fait son label DIY (noise/punk/hardcore) depuis le début des années 2000, dans lequel il n’a jamais arrêté de produire des cassettes (cela représente 99 % de sa production) auxquelles il est attaché comme à aucun autre support (il dénonce souvent les stéréotypes au sujet des cassettes comme n’étant pas pratiques, de mauvaise qualité sonore, etc.)
Maxime est une personnalité de la scène punk-hardcore DIY qui tenait son label / distro DIY. Depuis 2006, il vendait toujours des cassettes à côté des CD, lors de différents concerts. Selon Roman, « Maxime savait d’emblée, par ses contacts, que si on lance une production de cassettes, on ne manquera pas de commandes ».
Ilya (né en 1984, ingénieur de l’équipement médical de son métier) est musicien dans plusieurs groupes punk-hardcore de Saint-Pétersbourg depuis le début des années 2000. Avant de partir, en 2012, en tournée avec un de ses groupes, il a eu l’idée de produire sur chaîne Hi-Fi son album promo en cassette, pour le vendre pendant la tournée : le support était plus transportable, et le son lui semblait meilleur qu’en CD. Ainsi prend forme l’idée de fonder une production de cassettes, en la comparant toutefois avec la perspective de monter une usine de vinyles (alors très en vogue). Mais cette dernière le rebute pour cause d’investissements trop élevés et la nocivité de la production :
Alors que là, tu lances une production qui est plus légère, dans laquelle tu peux t’investir avec des amis… J’avais envie de lancer… pas vraiment une affaire dès le départ, mais en tout cas, j’avais un humble espoir que cela pourrait devenir une entreprise, dont on pourra vivre (Entretien Ilya).
Ainsi, l’affaire est lancée sans business plan, mais plutôt sur le mode intuitif de connaissance des besoins du milieu, et d’entraînement progressif dans une aventure de passionnés, sans grand risque car ne demandant pas de gros investissements. En effet, pour lancer leur affaire, les trois amis ont investis 200 000 roubles (l’équivalent de 2000 euros) sur leurs deniers personnels [15].
Avec cet argent, les amis ont acquis le tapematic, machine à enrouler la bande magnétique, auprès d’une ancienne usine de cassettes dans une province russe reculée, Slavich, qui avait arrêté de les produire en 2009 et s’était reconvertie en production de bouchons de pots de mayonnaise. Par un heureux hasard, elle n’avait pas encore jeté cette machine et l’a cédé à un prix modique, avec un lot de 500 cassettes vierges [16]. Les trois amis ont trouvé, pour un loyer peu cher au centre-ville, un bureau de 10 m2, suffisant pour y placer la machine.
Ils n’ont pas eu à investir dans la communication, car l’information a très vite circulé par bouche à oreille : la seule publicité a été un article dans le magazine The Village en 2014 (au bout d’un an d’existence). La journaliste faisait partie du milieu DIY et elle a proposé elle-même la publication :
Cela a provoqué une explosion d’intérêt pour Tapes, des commentaires approbateurs : bravo les gars ! mais aussi un étonnement : ’Wow, il est encore possible de nos jours de produire des cassettes ! Mais qui et sur quoi va les écouter ?!’ (Entretien Ilya).
Jusqu’à aujourd’hui, les coûts de publicité sont inexistants, de même que ceux liés au marketing : la manufacture ne manque pas de commandes en continuant de passer par le bouche-à-oreille. Plus encore, ces entrepreneurs peuvent se permettre de refuser certaines commandes pour non-conformité à l’éthique qu’ils partagent. Même s’il s’agit de cas plutôt rares, Roman souligne à quel point il lui importe de garder cette marge de liberté [17].
Cependant, les intentions divergeaient entre les trois fondateurs, ce qui engendrera plus tard des tensions sur quelques choix stratégiques. Si Ilya et Maxime avaient d’emblée une idée entrepreneuriale, Roman souligne que ce n’était pas du tout son objectif et qu’il n’aurait jamais parié sur le succès des cassettes. Il acceptait de recevoir des commandes afin de rentrer dans les frais de l’équipement, puis une fois les frais remboursés, il pensait pouvoir produire des cassettes pour son propre label. Néanmoins, ce projet personnel DIY n’a jamais pu être réalisé, car les commandes affluaient, selon ses dires, « de partout et sans arrêt ».
Ce succès inattendu, appuyé par la bonne volonté des entrepreneurs de « se laisser entraîner à fond dans tout cela » (comme le dit Roman) a défini la suite. Face à la demande accrue, il a fallu s’équiper pour le cycle complet de la production : acheter les duplicateurs de cassettes, l’équipement d’enregistrement, la machine d’impression sur cassettes et l’équipement pour l’emballage. Pour ces achats, ainsi que pour un nouveau local plus spacieux, de nouveaux investissements ont été nécessaires. Dès lors, les amis fixent les prix de leurs services de fabrication et mettent les recettes dans un fonds commun. Roman note dans un tableau Google toutes les commandes, et se surprend à être en train de « faire du business ». Au bout de six mois, les 500 cassettes vierges léguées avec le tapematic sont épuisées. Une autre ressource est encore trouvée localement : « un homme à cassettes, Igor », un « vieux pirate » qui enregistrait depuis les années 1990 des cassettes sur sa chaîne Hi-Fi pour toute la scène DIY pétersbourgeoise, leur vend ses dernières réserves avant d’arrêter son activité : « Il nous a encouragé et souhaité bonne chance », dit Roman. Mais ce leg des années 1990, lui aussi, est vite épuisé.
Aux solutions locales et à la réutilisation, bien dans l’esprit du DIY, se substitue dès lors une chaîne complexe et plus coûteuse d’approvisionnement international. Passant d’abord par de grandes plateformes d’e-commerce (eBay ou AliExpress) afin de racheter les stocks de bande magnétique restant à travers le monde, cet approvisionnement se focalise ensuite sur différents intermédiaires européens revendant de la bande neuve produite en Asie, notamment en Indonésie, complétée par les boîtiers et cassettes C-zéro importés d’Italie. Avec le début de l’invasion russe de l’Ukraine, suivie des sanctions contre la Russie, ce sont les producteurs chinois qui ont remplacé les fournisseurs européens de bande magnétique. L’achat des cassettes en Europe reste cependant disponible, mais à la suite du blocage, pour la Russie, des systèmes internationaux de paiement, il faut passer les transactions par des intermédiaires, ce qui augmente leur coût.
Cet aspect logistique lié à l’approvisionnement international, met au jour les limites du DIY. S’il est admis que l’objectif du DIY consiste à réduire les intermédiaires ainsi qu’à maîtriser autant que possible l’ensemble du processus de production, nous sommes ici, au contraire, face à un renchérissement et une complexification de la production, tributaire de multiples dépendances et contraintes exogènes d’ordres logistique et bureaucratique. L’importation a en effet impliqué de naviguer à travers des réglementations et des obstacles douaniers, particulièrement avec l’aggravation des restrictions internationales dues aux sanctions et aux contre-sanctions russes : « Il y a actuellement une interdiction en Russie d’exporter tout support audio », dit Ilya. Le DIY, souvent perçu comme une alternative aux structures rigides des grandes entreprises, se heurte ici à la réalité des marchés mondiaux dépendant des tensions géopolitiques, où les petits acteurs doivent faire face à des obstacles administratifs disproportionnés par rapport à leur taille. En outre, les fournisseurs étrangers imposent aux manufacturiers d’acheter en gros : les C-zéro sont ainsi achetées en Italie par lots de 10 000 cassettes minimum.
Toutes ces contraintes et un rythme productif intense obligent à rentrer dans une logique de rationalisation des coûts, de prévision à long terme, d’investissement et de rentabilité. Au bout d’un an et demi, les fondateurs ont fixé les parts de dividendes mensuelles revenant à chacun [18]. En plus, chacun se rémunére en fonction du nombre de commandes gérées. En fixant ces rémunérations et les salaires des employés, il faut aussi veiller à laisser une part de recettes suffisante pour l’approvisionnement.
Des débats émergent alors au sein de l’équipe, au sujet des visions quant à la qualité de service et des rapports avec les commanditaires. L’organisation sociale du travail devient également objet de réflexion.
Compte tenu d’un flux tendu de commandes (qui ont repris en 2023 après un ralentissement au début de la guerre), des tensions émergent au sein de l’équipe, au sujet du tirage minimum qui vaut la peine d’être accepté en commande. Les tout petits tirages (5 à 20 exemplaires) étaient dès le départ plus chers pour le commanditaire car considérés comme peu rentables (au vu des coûts incompressibles), mais de telles commandes continuaient d’affluer. Certains managers de l’équipe voulaient fixer le seuil minimum à 20 exemplaires. D’autres, attachés comme Roman aux valeurs culturelles de micro-labels DIY, y résistaient, car « personne d’autre ne peut le faire à part nous : en tant que monopoliste, nous avons une responsabilité sociale auprès des petits commanditaires, nous devons rester au service de la scène DIY ».
Ce sens de « mission » exprimé par Roman, « être au service de la scène DIY » [19], contient lui-même une part de paradoxe, car l’idée de tout faire soi-même, chez soi, avec les moyens de bord, se trouve mise en cause par le fait de passer une commande et de recourir à un service payant. Ainsi, le rapport avec le DIY de l’activité de Tapes est mis en question dans une sorte de réflexion critique, comme le fait Ilya :
Au lieu d’inciter les gens à faire du DIY par faute de production professionnelle, au contraire, nous proposons aux gens nos services, qui sont très demandés : dans les années 2010, les gens ont pris l’habitude de payer pour les services, nous avons ici tout de même un certain développement du capitalisme. Il doit y rester quelque part des faiseurs du DIY qui vont acheter des compilations de folklore sur cassettes, enregistrer leur album par-dessus et découper la bande à la main. Ils vont mettre une semaine à fabriquer une vingtaine de cassettes, puis préparer leur pochette en copy paste. Mais je n’en vois plus beaucoup de gens DIY comme cela. Probablement, quand les gens étaient plus jeunes, ils avaient le temps, mais maintenant, il leur est plus facile de payer.
Roman fait même part d’une déception à ce sujet : contrairement à ses attentes, la grosse majorité des commanditaires préfèrent commander le packaging complet de leurs services. Pour lui, « cela démentit toutes les considérations d’économie des moyens et du DIY ». Il était persuadé qu’au moins la moitié de leurs clients issus du milieu DIY, allaient se limiter aux commandes de cassettes vierges, faisant le reste eux-mêmes. En réalité, la part de telles commandes minimales est infime : la plupart optent pour le service complet, pochettes et emballage inclus. La marge de 50 % sur l’impression des pochettes (établie par Ilya afin de compenser le renchérissement du cycle productif à la suite des sanctions) ne les rebute pas : ils sont prêts à payer, alors que « c’est de la pure spéculation », dit-il. Étant incapables d’inclure l’imprimerie dans leur cycle productif déjà chargé en machines, les manufacturiers recourent à un sous-traitant. La marge perçue n’est pas une rémunération de leur travail, mais une commission d’intermédiaire. Or, le rôle d’intermédiaire, pour Roman, est superflu : un vrai acteur DIY se passe d’intermédiaires, et ne devrait pas lui-même devenir cet intermédiaire. Néanmoins, la demande de packaging complet des commanditaires, y compris ceux issus du DIY, pousse à recourir à des sous-traitants au détriment de ce principe éthique.
Quelle est alors la perception de cette dimension de service complet offert par Tapes, du côté de ses commanditaires ; y voient-ils une contradiction avec les principes du DIY ?
Timofey (né en 1985, designer, fondateur du label DIY Global Pattern, de musiques électroniques ambient dont 95 % de production est constitué de cassettes) est un commanditaire fidèle, de la première heure. Il connaît les fondateurs de Tapes de très longue date :
Ce sont mes très bonnes connaissances, en tant qu’auteur de blog consacré à la musique sur cassettes, j’étais très au fait de tendances locales et mondiales dans le domaine et les ai aidés à mettre les choses en place avec mes conseils. Ils me font des remises en tant que commanditaire permanent (Entretien Timofey).
Au début, Timofey leur commandait des cassettes vierges et faisait le reste lui-même, comme il en avait l’habitude auparavant. Mais petit à petit, il s’est mis à leur commander les tirages tout prêts, avec l’enregistrement, la pochette, les stickers. Il réservait la formule « le DIY maximal avec le service professionnel minimum » (enroulement de cassettes vierges par Tapes) à des projets complexes (dont le détail technique serait trop long à expliquer aux personnes extérieures), et trop handmade de par leur conception même (par exemple, des éditions limitées de cassettes avec des pochettes cousues et brodées à la main).
En revanche, lorsque tu as une cassette standard, avec une pochette et une boite standard, il vaut mieux la confier aux gars qui le feront mieux et plus vite que moi, parce qu’ils ont un équipement spécial prévu pour les gestes monotones répétitifs, qui te fatiguent lorsque tu les fais toi-même (Entretien Timofey).
Ainsi, à l’opposition autrefois plus tranchée, à résonance idéologique, entre le DIY « pur et dur », et le « business » [20], se substitue ici une vision plus consensuelle et complémentaire : on garde une part du DIY « plaisant » ou handmade, alors qu’on confie aux manufacturiers des tâches routinières et répétitives. D’ailleurs, ces derniers ne sont pas perçus comme relevant du monde du commerce et de l’entreprise.
Dans une des questions posées à Timofey, nous avons employé le mot « manager » car c’est ainsi qu’on nomme au sein de Tapes les gérants de commandes auprès des commanditaires. Timofey nous a répondu qu’il n’aurait pas employé ce mot car il ne voit pas Tapes comme une entreprise à laquelle il s’adresse en tant que client, mais plutôt comme des amis qui possèdent un équipement qu’il n’a pas et qui peuvent lui « donner un coup de main » :
C’est plutôt une sorte d’activité solidaire. Bien sûr, d’un certain côté, cela ressemble à des relations de marché. Mais d’un autre côté, cela se fait surtout par amour de la musique, les gars sont musiciens eux-mêmes et sont engagés dans le milieu musical. Mais ce n’est peut-être plus du DIY, parce qu’avec eux, tu ne fais plus tout à la maison, et eux, à la différence des labels DIY, font des choses aussi pour les autres. C’est quelque chose dans l’entre-deux. Mais j’ai tout de même tendance à les considérer comme du DIY, parce qu’ils aiment vraiment ce qu’ils font, ils veulent tout faire le mieux possible, et cela donne une très bonne qualité (Entretien Timofey).
Selon un autre commanditaire et connaissance de Tapes de longue date, Andreï [21], Tapes relève plutôt d’une « toute petite entreprise qui n’est presque pas profitable, mais qui tient bon en grande partie grâce à l’enthousiasme et la bonne volonté des gens qui y prennent part » (Entretien Andreï).
Ainsi, le « service complet » offert par Tapes n’empêche pas de le considérer comme « proche du DIY », car ce qui est retenu ici de ses différentes dimensions, c’est surtout celle qui l’associe à une passion, une implication, un attachement à un travail de qualité fait avec soin et respect, ainsi qu’à la disponibilité de petits tirages, dont les gens du milieu DIY sont demandeurs. De cette manière, les commanditaires peuvent se sentir eux-mêmes plus en phase avec l’esprit DIY en s’adressant à une petite entreprise locale, gérée par des passionnés issus de leurs rangs, à laquelle ils sous-traitent tous les rapports incontournables mais peu plaisants avec le monde industriel, les machines, les douanes et les importations. Timofey mentionne qu’avant l’émergence de Tapes, il lui fallait commander les boites de cassettes vierges aux États-Unis, ce qui était « cher et long, donc cela m’arrangeait très bien d’avoir les gars qui le font à côté, dans ma ville ». De même, Andreï parle du soulagement qu’il éprouve du fait de pouvoir se reposer sur les services au format « packaging complet », à la lumière des épreuves passées, où le DIY rimait avec moult difficultés logistiques et avec la nécessité de s’adresser soi-même à des fournisseurs de services différents et pas toujours fiables : « Avant l’arrivée de Tapes, j’assemblais moi-même les productions de mon label DIY. Les boîtiers et les enregistrements étaient réalisés par une entreprise, et toute l’impression était effectuée dans une imprimerie. Et il y avait beaucoup de problèmes : l’imprimeur était un ivrogne et faisait mal son travail, en plus je devais trouver, acheter et apporter moi-même le papier pour l’impression ». À cette production dispersée où il fallait contrôler en permanence la qualité auprès de différents intervenants, jusqu’à devoir parfois intervenir lui-même, Andreï préfère avoir à faire à un seul interlocuteur fiable, amical et de qualité.
Cette bonne réputation auprès des commanditaires repose, au sein de Tapes, sur un travail de veille sur la qualité du service et le respect des délais de livraison et ce, quel que soit l’afflux des commandes à gérer. La question des délais (habituellement fixés à deux à quatre semaines) et de la marge de liberté que l’entreprise pouvait ou non se permettre sur cet aspect, a d’ailleurs été sujette à un âpre débat, opposant deux co-fondateurs de la manufacture à un de leurs collaborateurs, et conduisant au départ de ce dernier. Ce collègue, qui gérait de nombreuses commandes, a commencé, selon Roman, à dépasser les délais, ne pas répondre aux commanditaires ni aux autres collègues. Il aurait répondu qu’il « le faisait pour le plaisir, en tant qu’activité de loisir et que de toute façon, puisque nous étions des monopolistes, les commanditaires n’ont qu’à patienter, ils n’ont pas le choix, et qu’il ne veut pas se surcharger de boulot ».
Si les cadences productives font monter les tensions, cela ne devrait en aucun cas, selon Ilya, faire renoncer au critère de qualité de service (dont le respect des livraisons et la bonne communication avec les clients), qui reste essentielle. Se reposer sur les lauriers du « monopole » et se croire à l’abri de toute concurrence relève, pour lui, d’une logique défaillante car « si tu fais des choses lentement et mal, il y aura toujours des concurrents qui le feront mieux et plus rapidement ».
Ainsi, l’absence de pressions immédiates du marché ne signifie guère un relâchement des rythmes productifs ni d’exigence quant à la qualité de service. Quelles sont dès lors les relations au travail au sein de l’entreprise issue du DIY ? Quelles tensions recèlent-elles, et de quelle manière cherche-t-on un compromis entre liberté et efficacité ?
Contrairement aux initiatives DIY (label / distro, etc.), qui sont souvent l’œuvre d’une seule personne, les questions d’organisation et de coordination acquièrent ici une grande importante. La manufacture a de nombreuses machines complexes à gérer, un loyer, des impôts et autres frais incompressibles à payer, des stocks à écouler, des suivis de livraison à l’international à assurer, des employés à rémunérer et à motiver.
Cette complexité impose une division du travail. Ainsi, Roman, qui a des compétences d’ingénieur du son, s’occupe de la gestion de l’enregistrement sur les duplicateurs ; en tant qu’informaticien, il gère aussi le site et en particulier, les algorithmes complexes de calculateur des prix sur le site. Ilya assure la gestion globale de l’entreprise et des questions liées à la douane, aux déclarations, à la commande de la bande magnétique. Les managers font le relais entre les commanditaires et l’entreprise (Tapes a renoncé à l’option de commandes automatisées en ligne), supervisent la livraison et la conformité des commandes, la préparation des maquettes pour l’impression. Certains managers gèrent également l’enregistrement sur cassettes. L’un d’entre eux supervise aussi le tri sélectif, puisque Tapes se positionne comme une entreprise écologique. Une personne s’occupe du recyclage et la réutilisation des boîtiers de cassettes. Une part significative du cycle productif reste tributaire d’un travail manuel spécifique (préparation de la copie originale, recyclage, assemblage des cassettes à partir des composants produits par les machines, tels que pliage des pochettes, collage d’étiquettes, emballage) et plus largement, d’un travail non automatisé (écoute, test des productions, etc.) [22].
Malgré cette division des tâches, le processus n’est pas compartimenté, il exige une bonne coopération et coordination. Pour les assurer, une prise collective de certaines décisions a été adoptée. Ilya affirme même que l’on pourrait positionner Tapes comme « un projet social participatif ». Cela se traduit par les discussions au sein de l’équipe (sur le chat interne ou parfois en visioconférence) au sujet de questions importantes telles que la formation des prix, le calcul des salaires des uns et des autres, une meilleure organisation des processus de montage ou de la centrale de commandes en ligne. En outre, aucun horaire de présence dans le bureau n’est imposé. Étant donné que la plupart des huit employés sont par ailleurs impliqués dans des activités liées à la scène musicale alternative (en tant que musiciens ou organisateurs), l’emploi chez Tapes est pour eux motivant à la fois pour ses contenus et son mode organisationnel : chacun gère comme il veut son temps et ses commandes. « C’est de l’autogestion », résume Ilya, sans manquer à un autre moment de l’interview de mentionner le « règne de l’anarchie qui nous est chère ». « L’anarchie » rime ici non seulement avec la liberté, mais aussi avec une forte implication personnelle de chacun (« c’est plus qu’un simple boulot »), sur le mode de « cause collective » à faire avancer, de façon à déboucher sur un contrôle plus distribué et plus efficace.
En effet, la fonction de contrôle – de la qualité, des livraisons dans les délais, de l’organisation et de l’optimisation de la chaîne du montage – n’incombe plus au seul directeur (en l’occurrence Ilya, qui dit qu’il est parfois tout de même obligé de rappeler les impératifs à certains). Elle est distribuée entre différents employés qui, selon Ilya, « valorisent leur temps et essaient eux-mêmes d’optimiser les processus ».
En outre, chaque travailleur est précieux (outre relations d’amitiés et de proximité sociale, la complexité et la spécialisation de beaucoup de tâches accomplies y est pour quelque chose) et le turn-over est minimal. Pour assurer cette stabilité, Ilya leur procure ce qu’il appelle un « minimum social », une rémunération inconditionnelle de 10 000 roubles (équivalent à peu près à 100 euros), en dehors de la part des primes calculées en fonction du nombre de commandes gérées. Lorsque les commandes ont brutalement chuté au début de la guerre, ce minimum a été assuré, en dépit de grosses incertitudes quant à la poursuite de l’activité. On peut dire qu’à l’instar de Roman, Ilya nourrit un sens de la responsabilité sociale, mais cette fois, non pas vis-à-vis des gens du milieu DIY, mais à l’égard de ses propres employés.
Ainsi, la manufacture Tapes fonctionne dans un régime d’activité hybride qui défie les dichotomies convenues : à la fois industrielle, artisanale et de service, elle est tributaire de multiples contraintes techniques et logistiques, intégrée dans des échanges à l’international d’une part, et liée par des relations de proximité avec un milieu local auquel elle tient à offrir des services de qualité, d’autre part.
Le cas d’étude présenté dans cet article se veut une contribution dans des recherches focalisées sur la dimension entrepreneuriale des pratiques issues du DIY. Plutôt que considérer les entreprises commerciales et l’univers DIY comme deux mondes distincts (O’Connor, 2008), nous parlons d’un continuum, où diverses formes de (non-)inscription dans l’économie de marché coexistent, se complètent et se transforment, sur des périodes relativement courtes, au gré des dynamiques à la fois commerciales et techniques : effets de mode ou d’obsolescence de tel ou tel support (cassettes, CD, vinyles), coûts de production et de diffusion changeants, disponibilité et transferts d’un équipement spécifique.
À la différence des labels indépendants britanniques post-punk, par exemple, qui sont amenés à des compromissions vis-à-vis de leurs valeurs originelles égalitaires [23] sous la pression d’un marché très concurrentiel où les majors fixent les règles du jeu (Hesmondhalgh, 1997), dans le cas étudié ici, ce sont la lourdeur de l’équipement, les contraintes de production et de logistique qui jouent un rôle clef dans la transition des logiques proches du DIY vers une entreprise structurée et industrialisée.
Cependant, l’exemple de Tapes invite aussi à réviser la dichotomie même entre l’univers DIY et celui d’entreprise commerciale. La relativité de cette distinction s’analyse en effet à travers le processus de tertiarisation qui semble transversal à différents domaines productifs, qu’ils soient au cœur ou en marge du capitalisme post-industriel et post-fordiste. La tertiarisation est en effet apte à atténuer les anciennes contradictions. Dans cette configuration, le fabriquant et son « client » (en l’occurrence, un petit producteur musical DIY) sont liés par une relation itérative, souple et non hiérarchique, celle de co-création et de co-production. Nous sommes loin, là, d’un « refus de recourir à des professionnels spécialisés » empreint d’un techno scepticisme (une hantise d’un « esclavage induit par les technologies »), constaté pour certaines scènes DIY des années 2000 (Guerra, 2017 : 295). Pour un artiste ou faiseur de label DIY, le fait de s’adresser aux professionnels dotés d’outils efficaces ne signifie plus « se vendre » ni faire des « compromis avec le système ». Contrairement aux rapports d’asymétrie et d’exploitation autrefois critiquées à travers les industries musicales, le créateur garde ici la maîtrise complète de l’aval (diffusion, promotion) qui n’est pas pris en charge par la manufacture. Pour les clients DIY, ce service semble receler un potentiel émancipatoire : il offre une certaine économie d’échelle grâce à l’équipement permettant de prendre en charge des tâches autrefois manuelles jugées pénibles, et de mettre en commun des coûts incompressibles qui ne s’amortissent que sur la longue durée. De même que l’entreprise Tapes elle-même s’inscrit d’ores et déjà dans une durée longue, forte de ses plus de dix ans d’existence, ses services permettent aux acteurs du DIY de durer dans leur pratique de production et distribution de musiques sur cassettes. La manufacture se présente, en quelque sorte, comme un garant et perpétuateur de cette diversité technico-culturelle au niveau national, se donnant même une sorte de « mission historique » consistant à empêcher à la flamme (d’un médium semblant en voie d’extinction) de s’éteindre [24].
Enfin, à travers l’aventure Tapes, il est possible de retracer un processus de re-normalisation de la cassette, qui s’inscrit dans l’émergence générale des cultures et modes de consommation vintage plus ou moins teintés par les humeurs nostalgiques, le fétichisme de la matérialité et les besoins de distinction culturelle. Pourtant, il est permis de supposer que ce retour de la cassette ne signifie pas sa résurgence dans son statut initial : celui de support courant, instantané et immédiat de communication (Masters, 2023). À l’image des fanzines papier à l’époque numérique (Zaytseva, 2018), la cassette semble plutôt être valorisée en tant qu’artefact, objet à posséder dans sa collection, une fixation et un archivage des résultats de la création visant à les sauvegarder face aux flux éphémères de la diffusion numérique. Elle semble perdre, en revanche, son autre dimension, autrefois cruciale : celle de « nœud de communication » (Ibid.) qui participe instantanément aux échanges au sein des communautés musicales et contribue à les construire. L’expérience des manufacturiers Tapes qui relatent des sollicitations des clients leur signalant des erreurs d’enregistrement des mois voire des années après avoir reçu leur commande, en fournissent un témoignage éclairant.
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[1] https://tapestm.com/en/ (consulté le 05 janvier 2024).
[2] D’après les témoignages recueillis dans le cadre de notre thèse (Zaytseva, 2012), certains fonctionnaires locaux parrainaient même des usines produisant des cassettes vierges achetées en gros par les pirates, qui compensaient le manque de demande légale.
[3] Ce qui est démontré par la comparaison entre 440 000 cassettes produites aux États-Unis en 2022 (28 % d’augmentation par rapport à l’année 2021), d’une part, et 43 millions de disques vinyles et 35 millions de CD écoulés la même année sur le même territoire, d’autre part (Roch, 2023).
[4] Un autre terme employé en français est « duplicateurs », mais puisque celui-ci pourrait être confondu avec l’équipement de duplication, nous lui préférerons ici « producteurs ».
[5] A l’image de Maxell, TDK ou BASF qui produisent des piles, des écouteurs, des batteries de voiture, etc.
[6] Entretien avec Roman, un des co-fondateurs de Tapes ; son profil sera détaillé plus bas.
[7] Parmi quelques manufactures de duplication de cassettes, nous pouvons citer Tapeline Ltd en Grande Bretagne, Headless Duplicated Tapes en Tchéquie, Duplication.ca au Canada, etc.
[8] Par exemple : A. Sergueev, « Gagner de l’argent sur la nostalgie : un ingénieur russe enregistre des albums musicaux sur cassettes et gagne 1 million de roubles par an » (en russe), 27 novembre 2019, https://vc.ru/offline/94046-zarabotat-na-nostalgii-rossiyskiy-inzhener-zapisyvaet-muzykalnye-albomy-na-kassety-i-poluchaet-1-mln-rubley-v-god ; Y. Galkina, « Comment des Pétersbourgeois ont organisé la production des cassettes unique en Russie », The Village, 19 novembre 2014, https://www.the-village.ru/people/experience/170065-kto-i-zachem-proizvodyat-kassety-v-spb (consultés le 7 janvier 2024).
[9] Dans ces conditions, et malgré nos tentatives répétées, nous n’avons pas pu obtenir plus de réponses de la part des commanditaires, mais aussi des employés de Tapes, que nous ne connaissions pas personnellement.
[10] Le nom d’origine fut GoTape, mais il a dû être changé pour des raisons que nous ne détaillerons pas ici.
[11] Complétés par nos recherches en ligne, qui ne prétendent pas à l’exhaustivité.
[12] Entretien avec Ilya, co-fondateur et directeur de Tapes (son profil sera détaillé plus loin). Cette citation, comme tous les autres extraits de nos entretiens, sont données en notre traduction.
[13] Par exemple, DDT, Zemfira, Korol i Shut, Bravo etc.
[15] Dont deux parts (100 000) revenaient à Roman – qui gagnait bien sa vie en tant qu’informaticien, et une part (50 000 chacun) revenait à Ilya et Maxime
[16] En 2024, les entrepreneurs rachètent, auprès de cette même usine, le 2e tapematic (afin de le sauver de la destruction et avoir une seconde machine de rechange) ainsi que les doubles d’autres équipements.
[17] Par exemple, plusieurs refus ont concerné des compilations de groupes de black metal ayant utilisé des croix gammées sur leur pochette et qui se sont avérés proches de milieux d’extrême-droite. Cette sélectivité quant aux commandes acceptées, guidée par un principe éthique, n’est contradictoire avec l’objectif commercial qu’en apparence. En réalité, elle peut contribuer à stabiliser un noyau de sa clientèle (le milieu DIY issu du punk) en prévenant des risques réputationnels, fût-ce au détriment de quelques clients, somme toute aléatoires et occasionnels.
[18] 20 000 roubles par mois pour Roman (équivalent de 300 euros) pour ses deux parts investies, et 10 000 par mois pour Ilya et Maxim.
[19] Le mot « service », en français, révèle parfaitement cette duplicité : « être au service de … » (ou « rendre un service ») relève d’une valeur d’aide ou de devoir civiques, alors qu’ « offrir un service (payant) » renvoie au monde de relations marchandes. En russe, « être au service de… » (byt’ na slujbe, slujit’) relève d’avantage du registre citoyen, avec une idée de protection et de devoir.
[20] Au début des années 2000, nous rencontrions encore cette opposition dans des formes très articulées au sein de la scène punk-hardcore DIY pétersbourgeoise.
[21] Né en 1980, designer professionnel, réside à Moscou, fondateur du label DIY TPBC (ayant édité des disques entre autres du groupe Dottie Danger, dont Ilya, co-fondateur de Tapes, faisait partie) puis du label black metal SlowSnowRecords.
[22] C’est une des raisons évoquées par Ilya et Roman pour expliquer qu’ils utilisent, dans leur communication, le mot « manufacture » (outre le côté original, un peu désuet et « rigolo » qu’il évoque, et l’aspect de la taille : plus petite qu’une usine).
[23] Telles que la distribution équitable de recettes, le pouvoir décisionnaire laissé aux artistes, l’attention égale portée aux différents artistes nonobstant leur renom, etc.
[24] Pour reprendre les propos de Roman dans : « GoTape, production de cassettes à Saint-Pétersbourg » [en russe], https://www.youtube.com/watch?v=68XU_cmBzIY&t=178s, consulté le 5 janvier 2024.
Zaytseva Anna, « Produire les cassettes de musique à l’ère du numérique : un marché de services DIY ? Le cas d’une manufacture à Saint-Pétersbourg », dans revue ¿ Interrogations ?, N°39 - Créer, résister et faire soi-même : le DIY et ses imaginaires [en ligne], http://revue-interrogations.org/Produire-les-cassettes-de-musique (Consulté le 21 décembre 2024).