L’objet automobile connaît d’importantes évolutions techniques impulsées par les innovations industrielles et les volontés politiques en matière d’écologie. Les voitures deviennent de plus en plus confortables, sécurisées, écologiques et connectées. Elles deviennent à la fois plus habitables, spacieuses et accessibles du point de vue de leur conduite, notamment grâce à une conduite tendant vers l’autonomisation, mais moins intelligibles, renfermant des systèmes de pointe participant à en faire monter le prix, et dont la compréhension requiert un haut niveau de qualification. C’est pourquoi leur entretien est désormais délégué à des systèmes électroniques dont le fonctionnement échappe largement à ceux – les garagistes devenus des “techniciens”– qui les utilisent. Même la possession d’une voiture est remise en cause, par la multiplication des offres « tout compris » incluant la location du véhicule et l’ensemble de son entretien. Face à ces mutations, certains décident de s’engager volontairement et durablement dans l’usage de véhicules désuets situé à l’opposé des nouveaux impératifs mobilitaires, et qui imposent à leurs possesseurs d’en assurer eux-mêmes la maintenance. Le présent article se donne l’ambition de saisir les ressorts de telles pratiques, en questionnant les valeurs qui les sous-tendent et ce que recouvrent les nécessaires activités de bricolage et de débrouille qui leur sont liées.
Mots-clés : automobile, maintenance, émancipation, travail, communautés de pratiques
Using and maintaining a car over 20 years old : another idea of “autonomous” mobility
The automobile has undergone significant technical evolution, driven by industrial innovation and the political will to go green. Cars are becoming increasingly comfortable, safe, ecological and connected. At the same time, they are becoming more livable, spacious and accessible from a driving point of view, thanks in particular to autonomous driving, but less intelligible, containing cutting-edge systems that drive up the price and require a high level of skill to understand. This is why maintenance is now delegated to electronic systems whose operation is largely beyond the control of those who use them - garages, now ’technicians’. Even car ownership is being called into question, with the proliferation of ’all-inclusive’ offers including vehicle rental and all maintenance. Faced with these changes, some people have decided to make a voluntary, long-term commitment to the use of obsolete vehicles that are at odds with the new imperatives of mobility, and which require their owners to maintain them themselves. The aim of this article is to understand the driving forces behind such practices, by questioning the values that underpin them and what is behind the necessary DIY and resourcefulness activities associated with them.
Keywords : automobile, maintenance, empowerment, work, practice communities
Je retrouve Tony aux alentours de 10h30, dans le garage de la résidence où loge sa grand-mère et où il gare sa Peugeot 205 de 1987 sur une place réservée. Nous engageons la discussion autour de cette auto qu’il a récupérée la veille, un échange entrecoupé de silences aux moments les plus techniques de son activité. Nous commençons à entreprendre quelques menus travaux, puis à changer une par une les quatre bougies du moteur. En s’exécutant, Tony m’explique, à voix haute, la marche à suivre et les précautions à prendre. Comme à son habitude, il se veut pédagogue : il fait devant moi, m’explique ce qu’il fait, la manière dont il faut le faire (ou dont il faudrait le faire, et qui n’est pas toujours en adéquation avec ses actes). Après avoir changé deux bougies sans encombre, la troisième casse dans le cylindre. Il m’explique qu’il va falloir retirer les morceaux délicatement à la main et à la pince afin de ne pas endommager le moteur. S’il ne parvient pas à tout récupérer, il faudra sortir le moteur et démonter la culasse. Après quelques moments de tension entretenue par le silence et la concentration sur le visage de Tony, il parvient à tout récupérer. Je saisis la bougie brisée et lui affirme que tous les morceaux sont dans ma main. Après un sourire de soulagement complice, il me répond qu’il n’y a donc plus de risques. Nous venons de vivre, Tony et moi, un instant partagé d’angoisse, de concentration et de délivrance. Notes du carnet de bord du 12/01/2020
Depuis une vingtaine d’années, l’automobile vit un ensemble de mutations majeures qui tendent à en faire un objet à la fois plus confortable, plus sécurisé et plus “propre” ou écologique possible (Kaufmann, Mangin, Marchal, 2024). Ce phénomène résulte d’un certain nombre de politiques publiques nationales et européennes, plus ou moins restrictives et mises en place à cet effet : citons par exemple l’imposition légale aux constructeurs d’équiper leurs véhicules de systèmes d’ABS [1] en 2003 et d’ESP [2] en 2014, ou bien les directives plus récentes consistant à interdire les moteurs thermiques à l’horizon 2035 à l’échelle européenne ou à généraliser les Zones à Faibles Émissions (ZFE) aux grandes métropoles françaises [3]. Les innovations technologiques participent également de ces mutations. Les constructeurs proposent des habitacles toujours plus feutrés et personnalisables (choix de l’ambiance sonore ou lumineuse, par exemple), une conduite facilitée par l’automatisation qui tend de plus en plus vers l’autonomisation (calculateurs de distance, freinages anticipés, boites de vitesse automatiques, etc.) et des objets toujours plus investis de composants électroniques (électrification des moteurs, généralisation d’équipements numériques…), et ce notamment pour faire face à la concurrence et accélérer le renouvellement des équipements (Jullien, Pardi, 2015). Sous cet effet, les véhicules s’autonomisent de leur possesseur puisque s’ils deviennent davantage habitables par l’usager, ils perdent en intelligibilité, renfermant des systèmes techniques et technologiques de pointe dont la compréhension requiert un haut niveau de qualification (Dutertre, Jullien, 2019). Ce sont également les modalités de la possession automobile qui sont en train de changer, par le développement d’offres de location de longue durée qui gagnent sans cesse des parts de marché [4]. Ces dernières proposent à l’usager, moyennant un loyer fixe, de disposer d’un véhicule dont l’entretien et ses coûts sont assumés par le loueur. L’usager se trouve déchargé d’un coût économique, mais également de l’obligation de prêter attention à l’état de son véhicule et qui est supposé relever d’une charge cognitive. En un mot, la voiture deviendrait un objet plus fonctionnel : conférant une mobilité écologique, offrant l’assurance d’être en sécurité (Demoli, 2015), ou encore disponible et facile d’accès puisque les contraintes liées à sa maintenance (Denis, Pontille, 2022) mais aussi à sa conduite se trouvent désormais déléguées aux constructeurs voire à la machine elle-même. Ce faisant, l’automobile s’autonomise vis-à-vis de ses usagers qui, bientôt, n’auront plus ni à la conduire, ni à l’entretenir, ni même à la posséder.
Ce contexte étant posé, on constate que l’engouement pour des véhicules récents, qui disposent d’un certain nombre d’innovations promues commercialement et politiquement comme inscrites dans la marche vers le progrès et le futur (véhicules électriques, connectés, suréquipés…) s’accompagne paradoxalement d’un regain d’intérêt pour les voitures des années 1970 à 2000 qui, par leur ancienneté, se trouvent mécaniquement exclues de ces nouveaux critères de désirabilité. En témoigne la multiplication des nouveaux médias dédiés à ces automobiles dont les caractéristiques techniques sont toujours davantage perçues comme désuètes (revues papiers ou en ligne, émissions télévisées [5], groupes de discussion sur internet…). Évoquons également les nombreux événements dédiés à la voiture de collection et qui font désormais la part belle à ces voitures [6], mais aussi les cotes financières qui ne cessent d’augmenter pour de telles automobiles [7]. Soulignons d’emblée que si un certain nombre de ces véhicules sont aujourd’hui acquis et utilisés au travers de logiques patrimoniales, d’autres répondent (au moins partiellement) à des besoins de mobilités sinon quotidiennes, au moins ordinaires (se rendre sur son lieu de travail, faire ses courses, etc.). La conjugaison de ces logiques explique d’ailleurs sans nul doute le vieillissement constant du parc automobile depuis plusieurs années, l’âge moyen des véhicules étant passé de 9,9 ans en 2016 à 10,8 en 2023 [8].
Dans la mesure où elles ont été construites il y a 20 ans ou plus, soit avant la généralisation des systèmes d’automatisation, d’aide à la conduite, mais aussi du recours au diagnostic électronique informatisé [9], ces automobiles exigent de leur possesseur une attention récurrente voire continue à leur état de fonctionnement. Pour la plupart, les alertes se réduisent à un voyant de couleur rouge ou orange n’offrant guère d’informations sur la panne à venir ou déjà survenue, et ne renferment pas la multitude de capteurs (de pression d’huile, de pression d’air dans les pneus, de température, etc.) qui abondent les véhicules construits aujourd’hui. En ce sens, ces automobiles se situent à l’opposé d’un idéal contemporain consistant à libérer l’usager de la charge (supposée) que représente leur maintenance. Plus encore, les usagers de telles voitures se trouvent désormais confrontés à des difficultés institutionnelles majeures : parce que les concessions et garages ont muté en même temps que les automobiles, ils se trouvent largement démunis face à leurs difficultés, puisque les ressources permettant d’opérer leurs entretiens se raréfient voire disparaissent. De fait, ils sont dorénavant exclus des dispositifs automobiles de leur époque et renvoyés à leurs propres ressources sociales, cognitives et matérielles. La possession et l’usage d’une voiture matériellement désuète repose donc nécessairement sur un ensemble de pratiques de contournement, de débrouille (De Certeau, 1990) et impose de « faire par soi-même » plutôt que de recourir à un circuit classique de consommation désormais inadapté.
La question se pose ainsi de savoir ce qui motive les individus à user de tels objet, au-delà du fait qu’il soit possible d’éviter des coûts économiques en développant un ensemble de pratiques de débrouillardise (Mangin, 2023a). Précisons d’ailleurs que dans le cas de certains véhicules luxueux devenus accessibles à l’achat en occasion, le coût économique de la maintenance peut être égal voire supérieur à celui d’un véhicule récent (en raison du coût des pièces devenues rares, ou lorsqu’ils imposent de recourir au soutien de spécialistes en raison d’une particularité technique inhérente au modèle). Ainsi, comment comprendre qu’un certain nombre d’individus s’engage dans une forme de mobilité en tout point divergente vis-à-vis des plus légitimes et distinctives désormais (Grossetête, 2019), mais aussi qui requiert d’y investir du temps, parfois de l’argent, des compétences et du travail ? De tels usagers expriment bien le caractère a priori contraignant à user de telles voitures : « C’est une lutte de tous les instants : il faut lui trouver des pièces, faire des pleins d’essence pas toujours bon marché [10], être prêt à dégainer sa caisse à outils, passer le diabolique contrôle technique, résister à la prime à la casse, affronter les remarques stupides de ses collègues, etc. ». (Sébastien, roule en BMW 528i E28, produite entre 1981 et 1987, revue Youngtimers n° 11). Ainsi, quelles valeurs se trouvent à l’origine de cet engagement plutôt radical dans la pratique laborieuse au long cours que représente la maintenance d’une telle voiture ?
Pour répondre à ces questions, nous mobiliserons trois matériaux issus de notre terrain de thèse de doctorat en sociologie, portant sur les ressorts de la possession d’une voiture de plus de 20 ans à l’époque contemporaine [11] (Mangin, 2022). Premièrement, nous avons procédé à une analyse de contenu thématique (Bardin, 2013) des propos rapportés par les lecteurs de la revue Youngtimers dans la rubrique réservée à cet effet. Cette revue fondée en 2010 pose la focale sur les véhicules des années 1970 à 2000 dont l’usage hybride les logiques ludiques et utilitaires. Deuxièmement, nous avons réalisé une observation participante au long cours au sein de communautés de pratiques (Wenger, 2005), c’est-à-dire dans deux rassemblements dominicaux de passionnés ordinaires (Bromberger, 2002), sur des parkings publics investis par leurs possesseurs et au-delà de toute organisation institutionnelle. Ces observations ont été complétées par des moments de bricolage plus informels autour de vieilles voitures. Troisièmement, nous avons réalisé une trentaine d’entretiens avec des usagers de telles voitures afin de saisir les discours de justification quant à de telles possessions. Ils ont été recrutés en rassemblement, par le biais de forums internet basés sur l’entraide mécanique ou par effet « boule de neige ». Précisons d’une part qu’il s’agit principalement d’hommes, bien que l’on remarque quelques femmes revendiquant, elles aussi, un attachement particulier à leur automobile (Espinasse, Bauvais, 2001) ; d’autre part qu’ils expriment leurs choix mobilitaires comme choisis et non subis. En effet, ils ne se trouvent pas en situation de précarité mais disposent presque tous d’un emploi [12]. Aussi, un certain nombre d’entre eux disposent d’un véhicule plus récent (généralement mis à disposition par leur employeur, ou bien possédé par le conjoint(e) ou un autre membre de la famille). En ce sens, si la possession d’une vieille voiture peut être stigmatisante au point de participer d’une misère de possession automobile pour certains (Cacciari, Belton Chevallier, 2020), elle relève pour d’autres, comme c’est le cas ici, d’une manière de se singulariser par une mobilité atypique et/ou de s’inscrire dans des pratiques en cohérence avec ses valeurs. Notons qu’on ne peut toutefois réfuter l’hypothèse selon laquelle, dans certains cas, des usagers retournent le stigmate de l’usage d’une vieille voiture d’occasion par des justifications alternatives et plus valorisantes (Goffman, 1963).
Tout d’abord, nous verrons que de telles pratiques expriment une réaction envers l’ordre économique marchand qui traverse la société contemporaine. Ce dernier s’incarne dans des institutions qui mettent au rebus des objets devenus trop peu rentables et qui, ce faisant, délaissent des usagers désormais contraints à développer des logiques d’autonomisation s’ils ne se convertissent pas aux nouvelles consommations. Ensuite, nous montrerons que cette autonomie s’acquiert au travers de pratiques d’entraides et d’échange développées au sein de communautés dédiées. Nous poursuivrons en décrivant la façon dont ces savoirs et savoir-faire nourrissent un travail revendiqué comme artisanal car mis au service de l’émancipation vis-à-vis de la sphère marchande. Ici, un certain type de travail traversé par la débrouille et l’intelligence de situation vient s’opposer aux tâches rationalisées (notamment aux procédures ayant cours au sein des concessions automobiles). Enfin, nous entrerons dans la boîte noire des activités laborieuses. Nous montrerons qu’elles renferment un potentiel d’émancipation en ce qu’elles supposent une démarche consistant à rendre l’objet technique davantage intelligible afin de s’en approprier la maîtrise.
L’engagement dans un automobilisme obsolète traduit le refus, de la part de nos informateurs [13], des logiques de délégation à l’œuvre dans l’automobilisme contemporain et qui serviraient des intérêts marchands. Rouler dans une voiture de plus de 20 ans suppose en effet d’user d’un outil dont on possède la maîtrise et sur lequel il est possible d’intervenir plutôt que de devenir tributaire des concessions de grands groupes automobiles. Cette rupture est nécessairement radicale dans la mesure où il devient presque impossible d’avoir recours aux professionnels de ces dernières, puisqu’ils sont devenus incapables d’intervenir sur de telles voitures. C’est ce que relate Pierre (qui roule en Volvo 340 de 1979) dans la revue Youngtimers : « Je me suis fait jeter, il y a quelque temps, de la concession Volvo d’Avignon, parce que je demandais une révision : “Une 340… mais on ne fait plus cela, on n’a plus les outils !”. Sans parler des stocks détruits par le repreneur Ford, et une prime à la casse qui a fait des ravages » (revue Youngtimers n°4). Le rédacteur en chef de la revue déplore, quant à lui, la disparition des mécaniciens indépendants au profit des grandes concessions automobiles, et dénonce l’incompétence de leurs techniciens désormais formés à intervenir sur des objets dominés par l’électronique et qui ne maîtriseraient plus les rudiments de la mécanique :
Les spécialistes à la fois talentueux et abordables ne courent malheureusement pas les rues ! Se rabattre sur le réseau officiel ? Un pari risqué ! La plupart des techniciens en place ne connaissent pas ces générations d’autos. On a déjà vu des [Citroën] 2CV vidangées à l’huile 5W30 100% synthèse, et qui se mettent à fuir inévitablement comme des paniers ! Ou encore des Mini dont le point de graissage a été superbement ignoré pendant des années ! (François, revue Youngtimers n°9).
Au sein de cette dénonciation d’incompétence se loge, à bien y regarder, une méfiance envers un système économique qui serait désormais exclusivement motivé par le profit : « Il faudrait trouver la perle rare, ce mécanicien pas forcément labellisé ISO 9001, mais capable de régler une rampe de carbu à la moustache, avec le sourire et sans vous assassiner. Ou ce carrossier, dont l’œil brille davantage à la vue d’une vieille tôle à redresser qu’à celle de votre carte bancaire ! », ajoute-il, précisant plus loin que de telles échoppes tendent à disparaître. Pour nos informateurs, rouler dans une vieille voiture est une façon de lutter pour leur autonomie et résister face à la dépendance aux systèmes techniciens que supposent les véhicules actuels. Ils soupçonnent d’ailleurs les grandes firmes automobiles d’entretenir ces dépendances à dessein, afin de s’assurer une rentrée d’argent régulière liée à l’entretien des véhicules qu’elles commercialisent : « L’entretien, tout ça, c’est des ronds ! s’exclame Yannis face à nous (40 ans, Chef d’entreprise), après nous avoir expliqué qu’il venait de troquer un SUV Volvo acheté neuf pour sa vieille Saab 900 de 1985. Faut quand-même un peu de ronds ! Alors moi, j’suis pas un pigeon tu vois ! ». C’est aussi la primauté des intérêts marchands sur ceux des automobilistes qu’exprime à nouveau la revue Youngtimers lorsqu’elle répond à Jean-François (conducteur d’une Mercedes 600SL de 1992) qui déplorait l’incompétence du concessionnaire et son incapacité à fournir les pièces nécessaires à la réparation de sa voiture :
La façon dont cette concession a géré́ le problème est symptomatique de ce qui se pratique dans les réseaux de marque dès lors qu’il s’agit de voitures anciennes et de pannes difficiles à localiser. Désormais, les coûteuses valises font office de juges de paix même si elles “racontent” des choses qui semblent n’avoir qu’un lointain rapport avec l’origine de la panne. Chaque code défaut appelle en effet théoriquement une procédure de recherche “pas à pas” rédigée en amont par les techniciens de la marque. Encore faut-il que le mécanicien le sache, qu’il soit formé pour, mais aussi que l’atelier lui laisse le temps de suivre ladite procédure. Dans la négative, on aboutit à votre situation et on finit par sortir du réseau pour se tourner vers les spécialistes du modèle(revue Youngtimers n°89).
C’est ici toute une organisation procédurale, rationalisée et décontextualisée qui est critiquée, car certes rentable mais inadaptée à la complexité des situations techniques rencontrées par les usagers.
Parce qu’ils soupçonnent les concessions automobiles d’agir selon des logiques de profit au détriment des usagers, nos informateurs développent une méfiance envers un système industriel et technique (Luhmann, 2006) qui les marginalise techniquement. Face à ce qui est ressenti comme un chantage institutionnel – se convertir à de nouvelles consommations à la fois coûteuses et indésirables, ou bien renoncer à leurs mobilités automobiles – ils s’engagent ainsi dans des mobilités subversives et empreintes de résistance. Dès lors, rouler en voiture ancienne revient à refuser de faire partie de ceux à qui « la magie d’une bonne carburation ne dit plus rien » (Flonneau, 2008 : 18) et à s’inscrire en rupture avec le monopole détenu par des systèmes experts et qui supposent également des monopoles économiques et financiers. C’est aussi revendiquer une sorte de sobriété́ face à une société́ de consommation perçue comme vaniteuse : dans les garages bardés de technologie et d’informatique des concessions implantées dans d’immenses zones périurbaines dédiées à la consommation, « On gagne en esbroufe ce qu’on perd en authenticité́, le faire-savoir l’emporte sur le savoir-faire : c’est de l’économie de vitrine. Mais tant qu’il y aura des alouettes et des miroirs… » déplorait la revue Youngtimers (n°90).
Dans cette manière de se mouvoir se loge ainsi une critique d’un progrès technique générant un sentiment de dépossession de son objet et des prises disponibles sur lui. Pour Yannis (cité précédemment), rouler en vieille voiture est une façon concrète de s’opposer, au quotidien, aux véhicules SUV devenus symboles d’une société de consommation (de biens, de services, d’espace…) et des déraisons de l’obsolescence programmée (Latouche, 2015) :
J’ai eu une Volvo là, ces deux dernières années, une Volvo neuve. Je l’ai bazardée, ça m’gonflait ! Qu’on s’entende, c’est très confortable, t’as moins d’soucis si j’puis dire… quand c’est neuf, t’as pas d’soucis ! Mais c’est des bagnoles bourrées d’électronique, la moindre vidange, changer un feu, un clignotant, tu peux rien faire toi-même. Ça en devient très compliqué tu vois ? Donc t’es ficelé. Alors que restaurer et entretenir une voiture comme la mienne, ça permet d’éviter de la mettre à la casse et d’en remettre une sur le marché, tu vois c’que j’veux dire. D’éviter ce marché là, du neuf tout l’temps ! Du coup, je commence de plus en plus à faire de la mécanique. Moi à la base, c’est rudimentaire. Là j’commence à toucher un peu plus, progressivement. Et avec cette bagnole-là, j’ai la satisfaction de faire les choses moi-même, et pas devoir laisser ma voiture à la concession et payer un mécanicien.
Tourner le dos aux acteurs marchands et s’en autonomiser suppose donc de développer un ensemble de compétences et d’accéder à des ressources en-dehors des institutions. Il ne s’agit donc pas de s’isoler totalement d’un principe de dépendance à autrui, mais au contraire de s’en remettre à ceux qui partagent un même refus des logiques économiques à l’œuvre dans les mobilités contemporaines et qui seront à-même de soutenir une telle démarche.
Confrontés aux limites du système institutionnel marchand, nos informateurs développent des apprentissages autonomes. Si les communautés en ligne sont particulièrement prisées des amateurs de telles voitures pour le potentiel d’entraide et de collaboration que permettent ces « foules intelligentes » (Flichy, 2010), les événements de proximité sont un lieu de premier choix où rencontrer d’autres adeptes auprès desquels développer de nouvelles aptitudes.
Les rassemblements de passionnés de voitures (qui consistent à exposer son véhicule et à observer ceux qui sont exposés) peuvent ainsi être considérés comme des sortes de forum à ciel ouvert où s’échangent de l’attention, des récits, des interactions, des compliments… Chaque visiteur peut ainsi y construire un capital social fondé sur la proximité – parfois sociale mais surtout géographique (Rénahy, 2010). C’est particulièrement ce que vient y chercher Manu (20 ans, carrossier, fils de routier, roule en Renault 19 S16) : « Ici, en fin de compte, tout le monde est mélangé́. Ça permet d’échanger, de faire connaissance, et d’apprendre des choses sur les voitures. Le but d’un rassemblement, c’est ça ». Ces événements sont ainsi les lieux privilégiés d’une sociabilité́ de proximité liée à la passion automobile, où s’échangent des ressources de différentes natures et permettant d’accéder aux contacts de personnes de confiance auprès desquelles se fournir en pièce rares ou obtenir des informations techniques de qualité.
Le rassemblement permet ainsi d’entrer en relation directe avec d’autres personnes présentes sur le parking, à partir d’interactions perçues comme plus spontanées et « authentiques » que sur internet par exemple (Mangin, 2023b). Dit autrement, si nos informateurs font désormais preuve de méfiance envers les institutions marchandes, ils travaillent à l’établissement d’une confiance inscrite dans les interactions, les lieux, les réseaux et les événements de proximité. Pour François (54 ans, cadre dans l’événementiel) pour qui il importe d’entretenir sa Ford Mustang 1965 importée de façon à la conserver à l’état d’origine afin d’en conserver « l’authenticité » (Denis et Al., 2022), il est primordial de bénéficier de l’expertise et de l’expérience d’adeptes avec qui se retrouver localement, pour éviter les relations plus impersonnelles ayant cours sur internet, et leurs potentielles déconvenues :
On se rencontre et on parle des soucis qu’on peut rencontrer. De toute façon, d’un modèle à l’autre, on retrouve les mêmes soucis hein ! C’est des vieilles bagnoles, donc c’est les amortisseurs à changer, c’est une biellette par-ci, c’est des freins… On a tous à peu près l’même langage ! Et on s’échange des adresses de fournisseurs de pièces aussi… Parce que bon, c’est vrai qu’il faut les trouver, les pièces ! Et surtout, les bonnes pièces. Parce qu’il y a quelques importateurs en France, mais il faut connaitre, parce que y’a des bons, et il y a les autres… des très chers et pas forcément fiables.
Bien qu’il s’agisse d’informateurs éloignés des situations précaires économiquement, ces logiques de réputations locales sont proches de celles qui président l’économie de la débrouille (Rosa Bonheur, 2017). Parce que l’offre et la demande se rencontrent essentiellement par le « bouche à oreille », il s’agit pour les professionnels de travailler à leur respectabilité, en fournissant des pièces et un travail jugés comme qualitatifs, mais aussi de faire preuve de sympathie en prodiguant des conseils gratuits, en travaillant à la cordialité des échanges et au respect des coûts et délais annoncés. Si le cadre n’est pas celui de « la rue » et des activités illégales, on remarque toutefois que les logiques tendanciellement attribuées à une catégorie sociale (ici l’informalité et le sens de l’honneur en milieu populaire) ne lui sont pas exclusifs, et que les « classes » sont ainsi loin d’être hermétiques culturellement parlant (Lahire, 2018).
Dès lors, l’inscription dans les événements collectifs devient une caractéristique incontournable de l’entretien d’un tel véhicule. Ils permettent d’être « dans les réseaux », au sein desquels s’échangent les meilleures opportunités, mais surtout d’accéder à un ensemble de ressources indispensables. D’abord, ils sont les premiers lieux où accéder à des compétences désormais absentes des concessions automobiles car inhérentes à des dispositifs techniques obsolètes. Théo (22 ans, Chef d’équipe, roule en Toyota Celica ST23 de 2001) nous explique ainsi : « Moi pour régler des moteurs ou des trucs comme ça, quand j’ai commencé, c’est des compétences que j’avais pas forcement. Aux rassos [rassemblements], tu rencontres des gens qui te disent “passe à la maison samedi aprèm’, on peut régler ton moteur !” ou bien qui te disent “ah mais pour telle pièce, tu peux faire ci, tu peux faire ça” ». Mathias (24 ans, en recherche d’emploi, roule en Volvo 940 de 1998) se rend, lui aussi, aux rassemblements pour y trouver l’entraide et les compétences dont il a besoin : « Plus on rencontre de personnes et plus on apprend de choses sur la mécanique. Pas le choix, on fait tout nous-même ! On apprend sur le tas, en autodidactes, et quand on n’y arrive pas, on demande : “T’as déjà̀ eu ce problème là ? - Oui tiens y’a ça, moi j’avais eu ça, essaye ça si ça fonctionne…”. Et c’est comme ça qu’on arrive à réparer nos voitures ! Il faut demander à des gens… ». Ensuite, les réseaux des rassemblements permettent d’accéder à un ensemble d’outillages dont peuvent manquer nos informateurs. En effet, un certain nombre d’outils sont spécifiques à la mécanique automobile et peuvent venir à manquer, d’autant plus lorsqu’ils sont propres à un modèle ou une marque en particulier (il est par ailleurs souvent très coûteux de s’équiper pour une seule intervention, au risque de se retrouver ensuite avec un outil inutilisé [14]). Lorsque nous avons été surpris d’entendre Tony (21 ans, ouvrier en maintenance, roulant en Nissan Bluebird Turbo de 1990) se vanter d’avoir repeint tout seul sa voiture, il nous a rétorqué « J’avais pas de pistolet à peinture, mais j’me suis démerdé pour en trouver un ! Il suffit que tu parles avec des gens ! Quand tu vas au rasso, tu finis toujours par avoir des contacts à droite à gauche ». Pour terminer, ces événements permettent d’accéder à des pièces qui peuvent s’avérer rares et chères, et qui peuvent parfois se révéler en mauvais état. Passer par les rassemblements permet ainsi de faire connaître ses besoins et de court-circuiter un réseau internet devenu central dans les échanges de seconde main. Jean (32 ans, militaire, roule en Honda Civic Sport de 2002) expliquait ainsi : « Ça te permet d’avoir des pièces moins chères, d’occasion. Ceux qui crashent leur voiture et qui revendent des pièces, ils mettent un prix sur Leboncoin mais si tu fais partie du groupe, tu l’as un peu moins cher. Parce que c’est le réseau quoi ! ».
Contourner les réseaux de distribution classique suppose ainsi de s’immerger dans des communautés moins formelles, moins concurrentielles et structurées autour de l’entraide. Pour le dire comme Pierre, pour arriver à se débrouiller « il faut partager les tuyaux avec les copains » (revue Youngtimers n°9). Soulignons que ces communautés de pratique ne sont toutefois pas hermétiques aux professionnels de l’automobile qui, sans surprise, y représentent des ressources de premier choix. On y retrouve en effet des mécaniciens qui s’y rendent par passion autant que de façon à étoffer leur réseau de clients, qui partagent une aversion pour les grands groupes automobiles et qui revendiquent une conception alternative du travail de la mécanique.
Entretenir une voiture ancienne permettrait de rompre avec une idéologie de la facilité et du délestage. Si les automobiles actuelles sont ainsi faites qu’elles nécessitent de confier leur entretien et leurs réparations à des spécialistes, la mécanique de véhicules plus anciens rend possible un entretien, exhaustif ou non, par l’usager (à condition bien-sûr qu’il en ait développé les compétences). Loin d’être une charge, ce travail relève au contraire d’un élément constituant pleinement l’expérience de l’objet, même lorsque celui-ci est usuel, et son absence peut relever d’une dépossession d’ordre technique conférant à l’homme le sentiment d’être devenu obsolète face à la qualité des outils techniques (Anders, 2002 [1956]).
De telles automobiles sont en effet facilement intelligibles, et mises en mots comme compréhensibles, dénuées de complexités : « Tu ouvres le capot et tout est là quoi ! Tout est concret », explique Charles (27 ans, ingénieur, conducteur d’une Citroën 2CV de 1988), là où la confrontation, sur la plupart des véhicules récents, avec « quelque chose qui ressemble à l’espèce d’obélisque lisse et rutilant qui fascine les anthropoïdes au début du film de Stanley Kubrick 2001 : L’odyssée de l’espace » (Crawford, 2009 : 7), c’est-à-dire un amas de caches plastiques et de dérivations alambiquées, provoque au mieux un sentiment de confusion, au pire une impression que l’essentiel nous est caché. Travailler soi-même sur sa voiture permet en effet « au moins de savoir ce qui a été fait dessus » pour le dire comme Cédric (39 ans, ancien ouvrier passé chef d’équipe et possesseur d’une Renault 19 16S Cabriolet de 1994), c’est-à-dire de parer aux déconvenues qui proviendraient d’un professionnel peu scrupuleux, tout en instaurant une importance et une gravité dans le travail réalisé par l’individu. Cette recherche d’autonomie dans l’entretien matérialise concrètement la critique du capitalisme contemporain évoquée plus tôt, et la méfiance qu’elle suppose envers les dispositifs dans lesquels il s’incarne. Lucas (22 ans, étudiant en philosophie reconverti en charpentier traditionnel, roule en Renault 4 de 1982) ne dit pas autre chose lorsqu’il nous dit : « Je l’ai achetée d’occasion, et je voulais vraiment le truc de base qui ne peut être réparé qu’avec des pièces de mécanique standard. J’avais l’impression d’échapper à la course effrénée de l’industrie, et des arnaques quoi ! En plus y’a pas du tout d’électronique, ça c’était important, je voulais aucune électronique ». Nos informateurs expriment ici un attachement à l’image du bricoleur décrit par Claude Lévi-Strauss, « apte à exécuter un grand nombre de tâches diversifiées [et qui] à la différence de l’ingénieur, ne subordonne pas chacune d’elles à l’obtention de matières premières et d’outils conçus et procurés à la mesure de son projet », pour qui au contraire « la règle du jeu est de toujours s’arranger avec les “moyens du bord”, c’est-à-dire un ensemble à chaque instant fini d’outils et de matériaux, hétéroclites au surplus, parce que la composition de l’ensemble […] est le résultat contingent de toutes les occasions qui se sont présentées de renouveler ou d’enrichir le stock, ou de l’entretenir avec les résultats de constructions et de destructions antérieures » (Lévi-Strauss, 1990 : 31).
Cette opposition à l’expertise automobile contemporaine traduit largement un désaccord avec une conception actuelle du métier de mécanicien, et plus largement du travail. Ainsi, la plupart de nos informateurs opposent l’image mythique des mécaniciens d’un « autrefois » peu défini, qui seraient des génies de la mécanique, des experts à l’expérience infinie mais au savoir-faire désormais disqualifié (Borg, 2012), portant leur bleu de travail souillé de taches de graisses noires et aux mains sales, à de supposés nouveaux exécutants en blouse blanche immaculée qui se contenteraient d’appuyer sur des boutons de façon peu ou prou automatique. Jerry (64 ans, décorateur à la retraite, conducteur d’une Golf 3 de 1993), par exemple, s’énerve ainsi : « Maintenant un garagiste il est en blouse blanche quoi ! Je trouve ça désolant, parce que la mécanique c’est de l’artisanat, des gens qui travaillent avec leurs mains, pas des gens qui travaillent avec leurs doigts sur un écran et sur un clavier ! ». Cette critique entend mettre à distance les évolutions qu’ont connues l’objet automobile et sa maintenance, et plus largement une mutation des métiers manuels qui se sont informatisés. Ainsi, le mécanicien serait devenu avant tout un informaticien : « Maintenant, c’est des mecs bardés de diplômes derrière un ordinateur qui construisent des bagnoles, c’est même plus l’homme qui crée la voiture, c’est l’ordinateur ! Moi ça me dérange, parce que j’suis puriste », renchérit-il.
Ainsi le savoir-faire technique aurait disparu au profit d’un dispositif (généralement la valise-diagnostic) auquel les firmes délèguent la prise de décision d’effectuer telle ou telle intervention : « Avant, y’avait un savoir-faire ! dit Bruno (56 ans, Éducateur spécialisé, conducteur d’une Renault 4 de 1986). Les mecs ils savaient ! Maintenant, avec une petite formation informatique pour pouvoir allumer un ordi, brancher la prise diagnostique, ils vous disent tout quoi ! ». Ces dispositifs deviennent alors le symbole non seulement de la mutation de l’écosystème automobile, mais également de grandes mutations sociales concernant le travail devenu davantage encore spécialisé : « Avec l’électronique, c’est notre civilisation qui change ! dit alors Jacques (59 ans, dentiste, qui roule en Mercedes classe A de 1999). Vous savez bien qu’avant, les voitures, les gens pouvaient les réparer eux-mêmes ! Alors que maintenant, si vous avez une voiture moderne, quasiment tout le monde est incapable de la réparer. C’est l’industrie automobile qui veut ça, tout est électronique, et tu peux rien faire ». Soulignons ici combien le passé, largement fantasmé chez nos informateurs, est reconstruit de façon à mettre en exergue leurs préoccupations présentes (Halbwachs, 1994).
Plus largement, ces discours portent en eux la revendication d’une conception spécifique du travail qui doit permettre l’habilitation ou l’émancipation, et de rompre avec l’aliénation ou la dépossession. Il s’agit d’une conception artisanale du travail qui permettrait de maitriser l’ensemble des ressorts de ses actions (Sennett, 2008), qui conférerait des marges de manœuvre et de braconnage (De Certeau, 1990), et qui éveillerait la réalisation de soi par la stimulation simultanée et complémentaire du cerveau, du corps et des mots (Clark, 1997). Elle s’oppose directement aux emplois basés sur des logiques de fructification ou de capitalisation qui mèneraient à l’aliénation de l’individu et à des désirs sans cesse inassouvis, ainsi qu’à l’effet pervers d’un confort qui modèlerait un esprit léthargique (Lochmann, 2019). C’est en effet largement la crainte, le constat, voire l’expérience individuelle d’une perte de sens au travail liée au développement des métiers du tertiaire qui s’exprime. Les propos de Yannis (déjà cité plus tôt) en rendent compte de manière saillante :
On est dans une société où les gens sont devant un ordinateur ! Ils font du marketing, du tertiaire, du je-sais-pas-quoi et y’a un moment tu sais plus rien faire d’tes mains en fait ! Tu vois, par exemple, je cultive la terre depuis bien longtemps et pour moi c’est vital. La culture de la terre c’est vital, j’en ai besoin pour mon équilibre, pour me sentir bien, j’ai besoin de savoir faire pousser des salades et des tomates, et plus je prends de l’âge, plus je vais vers ces domaines-là qui me semblent heu… primordiaux quoi ! C’est vital ! Donc plus là-dedans, plutôt que dans des délires comme des connaissances, des compétences à la con ! Comme, comme du… tous ces domaines-là, du marketing, du… tous les gens que j’rencontre qui sont à la Business School mon cul, ben voilà, ils apprennent à savoir faire de l’argent sans argent ou avec l’argent des autres, à sortir du vent en fait !
Le travail que suggèrent des automobiles plus anciennes est ainsi mis en mots comme étant « pur », en ce qu’il s’affranchit des conventions, des procédures, ainsi que d’auxiliaires techniques sophistiqués pour s’ancrer dans l’imaginaire prométhéen d’un homme viril besognant au contact de la machine (Jarrige, 2014), engagé dans un effort parfois pénible « mais plus précieux encore que l’œuvre où il aboutit, parce que, grâce à lui, [il] a tiré de [lui] plus qu’il n’y avait, [il] s’est haussé au-dessus de [lui]-même » (Bergson, 1919 : 17). Dans cet imaginaire, le bricoleur devient ainsi une sorte de démiurge en ce qu’il participe lui-même à (re)construire l’objet en s’appropriant les logiques de conception qui ont présidé au travail des ingénieurs jadis.
Pour ce faire, les individus mettent en œuvre un processus d’exploration de leur objet similaire à une démarche d’enquête (Dewey, 1993). En effet, d’une manière analogue à ce que Matthew B. Crawford mettait en lumière concernant de vieilles motos (Crawford, 2009), diagnostiquer et réparer suppose de mettre en œuvre ce que l’on pourrait qualifier de démarche de recherche. Lorsqu’il apprend à bricoler, l’individu est en réalité en train de se former à la démarche d’enquête en vue de résoudre ce qu’il a défini comme étant un problème (Dewey, 1993). Par ces mots, Jacques (déjà cité précédemment) ne nous dit d’ailleurs pas autre chose : « Le maximum de tes compétences tu les utilises, et après tu apprends. C’est de la recherche en fait, de dire “j’ai eu un problème là, alors, qu’est-ce qui… ?” ». Dit autrement, en formulant son problème, le bricoleur-enquêteur formule une problématique à élucider. Après avoir posé ses hypothèses, il explore son objet, en parcourt et en explicite les scripts (Simondon, 1989), c’est-à-dire les plans qui ont jadis présidé à sa conception (Akrich, 1987). Ce faisant, il problématise et explicite une réalité. Il tirera ensuite un certain nombre de conclusions, soit des savoirs pratiques, appropriés, réutilisables et qui constituent de nouvelles capacités à penser et à agir.
Le récit livré en entretien par Émilie (43 ans, cadre dans le domaine de la finance et conductrice d’une Ford Mustang de 1974), particulièrement admirative du travail de son père qui l’a initiée à la passion automobile, nous semble précieux pour illustrer le processus d’enquête que suppose la maintenance de vieux véhicules. Nous proposons d’en retracer les principales étapes :
« Je trouvais que mon père avait un talent fou, c’est que dès qu’il y avait un nouveau bruit il l’entendait ». Émilie exprime ici une attention particulière de la part de son père, permise par l’expérience et l’expertise de son modèle, une attention portée à ce que l’on pourrait nommer des « indices » et qui se rapproche des méthodes inductives (notamment de l’attention flottante). L’attention d’Émilie portée à cette activité, soutenue par la relation affective au père, participe dès lors d’une socialisation précoce à la voiture.« J’entendais pas toujours, mais il essayait de m’apprendre à l’entendre, à être attentive à ça en tout cas ». Émilie se trouve ici, aux côtés de son père, en situation d’apprentissage que l’on pourrait appeler une « formation à l’enquête », et qui passe par une importance donnée aux sens. L’automobile, au sens de l’objet en présence mais aussi au sens large, devient dès lors un objet marqué de la relation paternelle et des moments privilégiés vécus à deux.« Et après, lui, il savait. Neuf fois sur dix, il savait analyser ce que c’était. Moi, j’ai quelques petits trucs parce que j’ai déjà vécu des pannes, j’ai des souvenirs, j’ai des choses… J’ai ce même talent que mon père, c’est-à-dire que tu entends, tu dis “attends, il faut que je me concentre… je cherche… ah oui c’est régulier, donc c’est à la roue, donc c’est ici…” ». Émilie se met ici à formuler, comme le faisait son père avant elle, un ensemble d’hypothèses à partir d’indices qu’elle a appris à identifier, mais aussi par l’exploration de sa machine au travers de ses sens : mêlés à l’expertise de celui qui sait et l’accompagne, les sons, odeurs ou température seront autant d’indices sensoriels précieux pour déceler l’origine du problème à résoudre.« Et c’est super intéressant en fait, et heu… Et moi aussi je commence à chercher, et à entendre, et à me dire “pour moi c’est ça, et pour moi c’est ci” et en fait, on fait une enquête. Et on doit avoir un problème à la transmission, on doit avoir un problème aux roulements de roues… ». Engagée ici dans une démarche hypothético-déductive, la bricoleuse ainsi initiée pose à son tour des hypothèses qu’elle va chercher à vérifier par un travail d’exploration. Cette démarche de résolution de problème suppose ici à reconnaitre les effets de son travail sur l’objet au travers de sensations toutefois bien corporelles et vécues en son sein. Concrètement, chaque intervention sur l’objet donne lieu à une phase d’essai ou de tests, qui viendront infirmer ou confirmer la ou les hypothèse(s), et qui passent par un ensemble d’indicateurs qui permettent de tirer une conclusion. Ainsi le bricoleur (aussi conducteur pour l’occasion) porte une attention particulière par exemple au freinage de sa voiture, ou bien au bruit de son moteur, ou encore à la manière dont celui-ci réagit à une pression sur la pédale d’accélérateur.« Et après, au besoin, on peut demander à un professionnel. Mais le garagiste, il a le même raisonnement que nous en fait ! ». Dans une démarche de résolution de problèmes, le passionné va alors explorer les solutions qu’il va pouvoir mobiliser. On remarque ici, et par ailleurs, à quel point l’automobile est propice à être un objet-frontière pouvant mêler le génie de l’amateur à l’expertise du professionnel. Certains comme Manu se situent par ailleurs entre les deux : « J’ai commencé à refaire ma Renault 19 à mon centre de formation en carrosserie », nous précisa-t-il.« Il écoute, il voit le comportement. Et en fait, y’a qu’avec une ancienne qu’on peut vraiment le faire ! », conclut finalement Émilie. Car ici se révèle un point essentiel de notre démonstration : si les individus peuvent mettre en œuvre une telle démarche, c’est parce que l’objet lui-même non seulement la suppose mais aussi la permet. Or, les véhicules plus récents, qui imposent un ensemble d’outils (notamment informatiques) dont les constructeurs ont le monopole, dépossèdent leur propriétaire de telles possibilités. |
Lorsqu’ils interviennent sur leur objet, nos informateurs tentent ainsi de s’inscrire en cohérence avec l’objet tel qu’il fut pensé et conçu, de telle sorte qu’ils s’approprient un processus de construction avec lequel leur travail peut entrer en cohérence, voire en continuité. Le travail dit « artisanal » repose donc ici sur la combinaison de savoirs techniques et intellectuels issus de l’expérience (la sienne couplée à celle des autres), et qui tranche avec la rationalité d’un travail qui ne suppose que d’exécuter des procédures au travers de dispositifs incompris car insaisissables. En s’appropriant le processus de production de l’objet, en le rendant intelligible, l’individu s’affranchit du statut de consommateur contraint pour accéder à celui de décideur éclairé. C’est, nous semble-t-il, ce qu’exprime Fabrice (47 ans, enseignant-chercheur, conducteur d’une Citroën Dyane 6 de 1982) lorsqu’il insiste sur ce point : « Ta bagnole est en panne, tu interviens, et ta bagnole roule. Quand tu répares ta bagnole et qu’elle redémarre, c’est toi qui es l’acteur de ce qui est en train de se passer ».
User d’une vieille voiture au quotidien relève d’un acte qui apparaît anodin mais qui, à l’analyse, s’avère hautement symbolique. Il s’agit, par des actes ordinaires mais répétés – se déplacer, mais aussi prendre soin de son automobile – de résister concrètement à l’imposition d’outils dont les processus de fonctionnement échappent à la compréhension du plus grand nombre. Le travail de terrain permet ici de dépasser la réduction du phénomène à des explications uniquement économiques qui proclament un peu trop rapidement que conduire une vieille voiture relève forcément d’une relégation subie liée à un manque de ressources financières. Même si elle s’avère parfois économe, une telle forme de mobilité suppose un investissement coûteux, sinon économiquement (par le prix des pièces notamment, dont les cotes augmentent à mesure que les voitures se raréfient et gagnent, elles aussi, en valorisation financière) du moins en temps, en capital social, en compétence, en labeur, en attention… qui, plus qu’une charge, représentent des manières concrètes de travailler au caractère durable de l’objet et de la relation à celui-ci (Madon, 2024).
Bien que nous ne puissions pas écarter l’hypothèse selon laquelle un certain nombre d’individus sont contraints à user de voitures désuètes pour des raisons budgétaires, on ne peut nier que les informateurs rencontrés usent de telles voitures de manière choisie et conscientisée. De telles possessions entrent en cohérence avec un mode de vie relativement sobre basé sur la débrouille, l’entraide, la réparation et le soin apporté aux choses (Denis, Pontille, 2022). Elles sont mues par des valeurs contestataires envers un modèle de production perçu comme dépossédant les individus d’un certain nombre de prises sur leur environnement et de marges de compréhension et de décision sur leur propre travail – une vision critique loin d’être réservée aux seules catégories populaires.
Conduire et entretenir une vieille voiture, c’est ici refuser concrètement une idéologie de la facilité et du délestage pour renouer avec un sentiment intense de devoir être responsable de ses actes au risque d’en payer le prix fort (ici, la panne voire l’accident). C’est une manière de réinstaurer de la contingence et de la gravité dans l’acte anodin de conduire, et se réapproprier ses mobilités par la nécessité d’une attention portée à l’objet et l’obligation concrète d’en saisir les différents ressorts. « Faire soi-même » ne veut pas dire ici faire « sans les autres », mais plutôt avec ceux – d’autres automobilistes contestataires – avec qui les relations sont choisies, vécues comme conviviales, capacitantes et libératrices, contre ceux – les firmes automobiles – envers qui la confiance s’érode parce qu’ils participent à faire de l’automobile un objet étranger, de profit, voire d’aliénation. En ce sens, la conception de la transition écolomobilitaire privilégiant l’électrification et l’autonomisation des automobiles, même encombrantes et énergivores (Coulangeon et al., 2023) est vécue comme une dépossession tant matérielle que symbolique, ainsi qu’une restriction concrète des capacités à se mouvoir. Il s’agit bien de tenir à distance une certaine idée de l’autonomie, celle d’une voiture s’affranchissant de l’homme sous prétexte de l’en libérer, pour au contraire investir pleinement une relation à cet objet, une relation pensée comme habilitante et émancipatrice.
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[1] Système permettant d’éviter le blocage des roues — et donc à la voiture de déraper — lors d’un freinage d’urgence.
[2] Système permettant de corriger la stabilité́ d’une automobile lors d’un freinage d’urgence.
[3] Les ZFE sont des aires urbaines interdisant la circulation de véhicules qui dépassent un certain seuil d’émission de gaz polluants. Pour y accéder, un véhicule doit posséder sur son pare-brise une vignette Crit’Air, notée de 1 à 5 selon ses émissions, et qui atteste d’un niveau de pollution de l’air situé sous le seuil décidé pour la zone en question. La loi « Climat et résilience » adoptée en 2021 prévoit leur déploiement dans l’ensemble des agglomérations de plus de 150 000 habitants d’ici 2024, ce qui représente 45 ZFE au total.
[4] Selon les « Données sur le parc de véhicules en circulation au 1er Janvier 2022 » du ministère de la Transition Écologique et de la Cohésion des Territoires, les véhicules en location représentent désormais plus de la moitié des véhicules légers neufs mis en circulation chaque année, [en ligne]. https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/donnees-sur-le-parc-de-vehicules-en-circulation-au-1er-janvier-2022
[5] Citons, à titre d’exemple, les périodiques Youngtimers, Gazoline ou encore AutoPlus Classiques, et les émissions télévisées Wheeler Dealer ou Vintage Mecanic.
[6] Nous penserons notamment au salon annuel Rétromobile de Paris qui, jusqu’à récemment, se concentrait sur des véhicules mis en circulation avant les années 1970.
[7] À titre d’exemple, la cote d’une 205 Gti, le petit modèle sportif de chez Peugeot produit entre 1984 et 1992, est passé de 3000€ en 2010 à 25 000€ en 2024.
[8] Ces chiffres proviennent du Ministère de la transition Écologique et de la Cohésion des territoires, [en ligne]. https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/389-millions-de-voitures-en-circulation-en-france-au-1er-janvier-2023.
[9] La valise-diagnostic est un boitier informatique qu’il s’agit de brancher au système électronique de la voiture pour en sonder les éventuelles anomalies. Elle permet de détecter avec plus ou moins de précision les pièces défaillantes. Elle est devenue une étape payante quasiment systématique, préalablement à toute intervention sur une automobile, notamment pour éviter de longues investigations infructueuses.
[10] Il s’agit pour la plupart de véhicules à essence trop anciens pour recevoir du carburant « 95 E10 ». Les usagers doivent ainsi se reporter sur du « Sans Plomb 98 », davantage raffiné et donc plus coûteux.
[11] Il s’agit ainsi de véhicules du siècle dernier, qui se distinguent par une technicité plus rudimentaire que les véhicules des années 2000 et 2010 concernés par la généralisation des équipements embarqués. En ce sens, certains de ces véhicules anciens ont été acquis, appréhendés et utilisés de manière à hybrider des logiques utilitaires, ludiques et parfois patrimoniales.
[12] Ils occupent un spectre de professions situées des catégories populaires établies aux cadres et professions intellectuelles supérieurs en passant par les emplois traditionnellement classés dans les « classes moyennes ». On retrouve ainsi des ouvriers salariés ou indépendant dans l’automobile ou le bâtiment, des employés administratifs, mais aussi des cadres de l’événementiel, du BTP ou encore de la finance, ou encore professeurs d’université, des commerçants chefs d’entreprise ou des professions libérales de santé.
[13] Par l’emploi de ce terme (plutôt que celui d’« enquêtés » par exemple) nous entendons assumer une posture ethnographique qui suppose de se laisser informer par son terrain, soit d’en accueillir largement la dimension inductive.
[14] Par exemple, Jean-Louis, un ouvrier de 51 ans roulant en Renault Twingo de 1995, nous expliquait qu’une clé spécifique était nécessaire à la réalisation d’une vidange. Il l’emprunte donc régulièrement à un ami rencontré sur le rassemblement.
Mangin Gaëtan, « Utiliser et entretenir une voiture de plus de 20 ans : une autre idée de la mobilité « autonome » », dans revue ¿ Interrogations ?, N°39 - Créer, résister et faire soi-même : le DIY et ses imaginaires [en ligne], http://revue-interrogations.org/Utiliser-et-entretenir-une-voiture (Consulté le 21 décembre 2024).