Dans le contexte du conflit mondial de 1914-1918, les thèmes de la destruction et de la confrontation à la mort, de l’attachement et de la capacité à élaborer psychiquement la perte d’un objet aimé, s’introduisent comme éléments de réflexion majeurs dans la théorie psychanalytique. À cette période Sigmund Freud (1856-1939), neurologue autrichien, fondateur de la psychanalyse, entreprend d’importants travaux de synthèse et de réactualisation théorique, dans lesquels la polarisation de l’activité psychique et des comportements humains, entre narcissisme (amour de soi) et relation d’objet (amour de l’autre), occupe une place essentielle. Plusieurs ouvrages majeurs sont publiés entre 1914 et 1915 : l’amour pour soi est analysé et conceptualisé dans Pour introduire le narcissisme (Freud, 1914) tandis que les concepts d’inconscient, de pulsion, de refoulement se voient redéfinis dans la Métapsychologie (Freud, 1915). L’élaboration de « Deuil et Mélancolie » (en allemand « Trauer und Melancholie »), soutenue par la correspondance régulière que Freud entretient alors, et depuis plusieurs années, avec Karl Abraham (1877-1925, médecin, psychiatre et psychanalyste allemand) et Sándor Ferenczi (1873-1933, psychanalyste hongrois), s’achève en 1915. Le texte est publié sous forme d’article en 1917, dans la revue Internationale Zeitschrift für Ärztliche Psychoanalyse.
Un siècle après sa publication, la lecture de ce texte, « Deuil et Mélancolie », demeure actuelle à de nombreux égards ; l’analyse freudienne des troubles dépressifs et mélancoliques a fait, et fait aujourd’hui encore l’objet de nombreux commentaires et actualisations théoriques : elle apparait comme une référence essentielle, dans l’œuvre de Mélanie Klein [1] (1882-1960, psychanalyste britannique) et de Donald Wood Winnicott [2] (1896-1971, pédiatre, psychiatre et psychanalyste britannique), par exemple, auteurs quasi incontournables aujourd’hui dans la formation des psychologues, éducateurs, etc., contemporains. Par ailleurs, cet article réunit, dans une démarche synthétique et d’une grande clarté pédagogique, les concepts psychanalytiques fondamentaux dans l’étude des relations intersubjectives. La lecture de cet article offre ainsi une voie d’entrée intéressante pour toute personne souhaitant se former à la psychanalyse. Dans une démarche qui se veut à la fois synthétique et étayée par une mise en perspective critique, nous proposons de présenter les enjeux théoriques, les concepts et arguments essentiels de l’analyse freudienne de la mélancolie.
Les fluctuations de la définition de la mélancolie mettent en évidence la complexité de son analyse et de sa conceptualisation. La mélancolie se dérobe aux descriptions, elle ne se laisse pas aisément classifier dans des entités nosographiques [3]. C’est un fait caractéristique que Freud rappelle en introduction de l’analyse qu’il y consacre : « La mélancolie dont la définition conceptuelle est fluctuante, même dans la psychiatrie descriptive, survient sous des formes cliniques diverses dont le regroupement en une unité ne semble pas assuré, et parmi lesquelles quelques-unes font penser plutôt à des affections somatiques qu’à des affections psychogènes. » (Freud, 2005b [1915] : 261).
La mélancolie se manifeste comme un état de deuil mystérieux, qui semble détaché de tout point d’origine. L’évènement traumatique et jusqu’à la nature de l’objet perdu sont absents de la plainte, continuelle, du mélancolique : « On ne peut pas clairement discerner ce qui a été perdu et on doit supposer d’autant plus que le malade lui-même ne peut pas le saisir consciemment. […] La mélancolie porte, en quelque sorte, sur une perte d’objet dérobée à la conscience. » (ibid. : 48). Sans point d’origine (donc sans passé), la maladie plonge le mélancolique dans un vécu d’atemporalité ; cela se traduit par l’impossibilité de ’se raconter’, d’éprouver le sentiment d’une continuité de l’existence, et donc d’une identité subjective. Le mélancolique ressasse continuellement sa plainte sans parvenir à en saisir l’objet, figé dans un présent sans évènements.
Karl Abraham avait attiré l’attention de Freud lors de la communication qu’il avait présentée le 11 septembre 1911, à l’occasion du 3ème congrès de la Société Internationale de Psychanalyse (reprise dans : Abraham, 1965 [1912]), en relevant les similarités manifestes entre le tableau clinique de la mélancolie et cet état particulier du normal : le deuil. Freud s’était montré vivement intéressé par cette communication, sans toutefois être convaincu par ses éléments d’analyse : « Bien que vous ayez raison, écrit-il à l’auteur en mai 1915, vous n’en passez pas moins à côté de la véritable explication. » (Freud, Abraham, 1966 [1915] : 9) C’est dans une approche métapsychologique, dans l’articulation des concepts d’objet et de relation d’objet, du narcissisme, du manque et de l’identification que Freud propose alors de reprendre la démarche analogique de Karl Abraham, pour distinguer la structure et les processus psychiques caractéristiques de l’état de deuil et de la mélancolie.
La conceptualisation freudienne de la mélancolie se distingue par une démarche compréhensive, caractéristique de l’approche psychanalytique. Son affirmation est d’une incidence capitale pour la clinique : nulle maladie n’est anormale et la pathologie mentale ne relève pas d’un désordre, mais comprend et ordonne pathologiquement les éléments du ’normal’. L’exploration psychanalytique consiste donc à retrouver la valeur normale, des éléments d’un discours qui se signifie d’abord au travers le désordre, le chaos symptomatologique. De quelle vérité subjective les ’anomalies’ et ’incohérences’ du discours mélancolique constituent-elles les valeurs normales ? Normal et pathologique ne constituent pas deux réalités étrangères en psychanalyse : tout processus pathologique est supposé avoir son paradigme normal, qu’il s’agit de dégager pour accéder à sa compréhension.
L’analyse freudienne du travail de deuil s’ouvre par le repérage et la définition de ce qui constituerait l’élaboration dite ’normale’ de la perte de l’objet : le travail de deuil. Le deuil est défini comme « la réaction à la perte d’un être aimé, ou bien d’une abstraction qui lui est substituée, comme la patrie, la liberté, un idéal, etc. » (Freud, 2005b [1915] : 45). Par l’épreuve de réalité, le sujet se trouve confronté à l’évidence de la disparition de l’objet aimé ou de son substitut : « L’épreuve de réalité a montré que l’objet aimé n’existe plus. » (ibid. : 47). La mort est une perte ’sèche’, une exclusion réelle (et donc traumatique) de l’objet : le travail de deuil est celui d’un détachement rendu nécessaire, du retrait contraint des investissements fixés à l’objet. Cette élaboration ne peut se faire qu’à partir de la reconnaissance de ce qui a été perdu, et rencontre toujours des résistances : « L’homme n’abandonne pas volontiers une position libidinale, même lorsqu’il a déjà un substitut en perspective. » (ibid. : 47). Le travail de deuil doit permettre l’acceptation de cette perte de l’objet en réalité, et la réactivation des satisfactions narcissiques liées au fait d’être soi-même vivant : « Le deuil porte le moi à renoncer à l’objet, en le déclarant mort et en offrant au moi le bénéfice de rester en vie. » (ibid. : 74). Cependant « cette résistance peut être si vive que l’endeuillé se détourne de la réalité et s’accroche à l’objet par une psychose hallucinatoire de désir. » (ibid. : 47). Tel que le définit Freud, le travail de deuil doit donc établir le triomphe du respect de la réalité sur l’activité fantasmatique, conformément aux tendances normales de l’appareil psychique.
Cette exigence d’élaboration et de retrait des investissements libidinaux fixés à l’objet défunt, dictée par l’épreuve de réalité, constitue un travail auquel s’associe une douleur intense ; il ne peut être réalisé que progressivement. La souffrance psychique est comparable à la douleur organique, écrit Freud, « nous serons […] d’accord avec la comparaison qui nous fait nommer ’douloureux’ l’état d’âme du deuil. » (ibid. : 45). Le malade affecté par la douleur organique et par des sensations physiques intensément déplaisantes « abandonne tout intérêt pour les choses du monde extérieur, pour autant qu’elles ne concernent pas sa souffrance. Une observation plus précise nous enseigne qu’il retire tout intérêt libidinal de ses objets d’amour, qu’il cesse d’aimer aussi longtemps qu’il souffre. » (Freud, 2013 [1914] : 80). Du même point de vue économique, le travail de deuil absorbe et inhibe profondément le Moi. Le processus est similaire : tant que domine la souffrance dans le vécu de la personne endeuillée, le monde extérieur ne sera pourvu d’intérêt qu’autant qu’il se rapporte à la douleur ou au souvenir du défunt : « Nous comprenons aisément que cette inhibition et cette limitation du moi sont l’expression d’une focalisation exclusive sur le deuil, au point qu’il ne reste rien pour d’autres objectifs et d’autres intérêts. » (Freud, 2005b [1915] : 46).
La douleur psychique n’est cependant pas la seule résistance qui s’oppose au travail de deuil, à l’élaboration de la perte de l’objet. Freud en fera la remarque dans un article rédigé à la même période : « L’être cultivé adulte ne fera pas volontiers place, dans ses pensées, à la mort d’un autre, sans paraître à ses propres yeux dur ou mauvais. » (Freud, 2005a [1915] : 145). Le sentiment de culpabilité s’associe inévitablement à la représentation de la mort d’autrui, et la conscience morale (le surmoi) s’oppose ainsi à son acceptation. La période du deuil a pu être décrite comme un temps de souffrance « expiatoire », une exigence surmoïque à la mesure du désir de celui qui reste, qui vit, au-delà de la perte de l’objet aimé. Combien de temps le deuil doit-il durer ? À partir de quand, de quoi l’état de deuil peut-il cesser sans entraîner la culpabilité ? « Lors d’un décès, on a le plus souvent besoin de motifs de consolation, non pas tant pour adoucir la vivacité de sa douleur que pour avoir une excuse de se sentir consolé facilement. » (Nietzsche, 1878 : 423).
Synthétisons ici les éléments présentés par Freud constituant le travail du deuil : le Moi est inhibé et limité par la focalisation exclusive de la personne sur sa souffrance et sur l’objet perdu. La personne se désintéresse de toute activité ou pensée qui n’est pas en lien avec le souvenir du défunt. Chaque souvenir ou fantasme fixant la libido à l’objet est fortement réinvesti, et ce travail absorbe presque totalement l’énergie psychique : « chacun des souvenirs et des espoirs qui liaient la libido à l’objet est repris et surinvesti jusqu’à ce que la libido se détache de lui » (Freud, 2005b [1915] : 48). Ce surinvestissement doit permettre ’normalement’ le détachement et la levée des inhibitions qui ’paralysaient’ ainsi le Moi : « Au terme du travail de deuil le moi sera de nouveau libre et désinhibé. » (ibid. : 48).
Parvenu au terme de son analyse du travail de deuil, Freud propose de transposer ses éléments dans l’analyse de la mélancolie. Il en rappelle le tableau clinique : « psychiquement, la mélancolie se caractérise par une humeur profondément douloureuse, un désintérêt pour le monde extérieur, la perte de la faculté d’amour, l’inhibition de toute activité et une autodépréciation qui s’exprime par des reproches et des injures envers soi-même et qui va jusqu’à l’attente délirante du châtiment » (ibid. : 45). Même tableau clinique, dit-il, mêmes caractéristiques que celles qu’il avait repérées dans le travail du deuil à l’exception d’une seule : « l’autodépréciation morbide » (ibid.).
Poursuivant le raisonnement analogique, Freud cherche à situer l’état mélancolique relativement à la perte d’un objet aimé. Or dans le discours mélancolique, la nature et l’objet de cette perte semblent justement variables, confus : « on ne peut pas clairement reconnaître ce qui a été perdu » (ibid. : 45). Le malade lui-même est dans l’ignorance de ce qu’il a perdu : il n’en a pas conscience. « Ce pourrait encore être le cas, écrit Freud, lorsque la perte qui occasionne la mélancolie est connue du malade, celui-ci sachant sans doute qui il a perdu mais non ce qu’il a perdu en cette personne. » (ibid.).
La mélancolie apparait comme un état de deuil provoqué par une perte dont l’objet aurait été oublié. « Cela nous amène, appuie Freud, à reporter d’une façon ou d’une autre la mélancolie à une perte d’objet qui est soustraite à la conscience, à la différence du deuil dans lequel rien de ce qui concerne la personne n’est inconscient. » (ibid.). L’attachement à l’objet perdu, à l’origine de l’inhibition mélancolique parait donc avoir fait l’objet d’un mystérieux refoulement.
Freud s’intéresse à un autre trait, non moins énigmatique, caractéristique de l’état mélancolique : « une diminution extraordinaire de son sentiment d’estime de soi, un immense appauvrissement du moi. Dans le deuil le monde est devenu pauvre et vide, dans la mélancolie c’est le moi lui-même. » (ibid.). L’origine de la mélancolie n’est donc pas simplement à situer dans une réaction pathologique consécutive à la perte de l’objet, comme nous le laissait supposer jusqu’ici cette analogie avec le deuil, mais se caractériserait davantage comme une altération du Moi. Comment comprendre ce déplacement, la substitution opérée entre l’objet (appartenant au monde extérieur) et le Moi ?
« Il est frappant, écrit Freud, que le mélancolique ne se conduit quand même pas tout à fait comme un repentant ordinaire, qui s’accable de reproches. Il lui manque la honte devant les autres. […] Il se complaît à se couvrir de honte. » (ibid.) ; mais davantage encore, ces malades apparaissent à S. Freud comme : « extrêmement casse-pieds, comme s’ils étaient toujours écorchés et avaient dû subir une grande injustice » (ibid.). Si le mélancolique se désintéresse du monde extérieur et des objets qui le composent, s’il s’accable de reproches et dit s’estimer fondamentalement mauvais, Freud observe pourtant qu’il ne semble pas ressentir « authentiquement » la honte dont il cherche à se couvrir. Les reproches qu’ils s’adressent ne semblent pas leur être destinés ; à travers eux, affirme Freud : « Tout ce qu’ils disent de dépréciatif sur eux-mêmes se rapporte, au fond, à autrui » (ibid. : 54).
C’est une révolte contre l’objet déplacée sur une scène interne : le sujet n’étant pas parvenu à intégrer la perte de l’objet, c’est-à-dire à en détacher ses investissements libidinaux, ne surinvestit pas les souvenirs liés à l’objet (comme le réalise le travail de deuil), mais incorpore, et s’identifie lui-même à l’objet perdu. La révolte contre l’objet, qui s’exprime dans les auto-reproches et dans l’autodépréciation permanente du mélancolique trouve sa source dans le conflit d’ambivalence (amour-haine) qui caractérisait de manière sous-jacente la relation à cet objet ; ce conflit qui n’a pas pu être résolu se réactualise désormais dans la vie psychique : le Moi, qui s’identifie désormais à l’objet, constitue le représentant de l’objet décevant et s’expose au jugement sévère de l’instance critique (le Surmoi) ; « L’ombre de l’objet est ainsi tombée sur le moi, qui a pu être alors jugé par une instance spéciale, comme un objet, l’objet abandonné. » (ibid. : 56). Par ses auto-reproches et par ses insultes, le mélancolique manifeste sa haine contre l’objet : « Si l’amour de l’objet, auquel on ne peut pas renoncer alors qu’on abandonne l’objet lui-même, s’est réfugié dans l’identification narcissique, la haine s’en prend à cet objet substitutif en l’injuriant, en l’humiliant, en le faisant souffrir, et tire de cette souffrance une satisfaction sadique. » (ibid. : 54).
La mélancolie présenterait donc à la fois une partie du tableau clinique du deuil, et une autre liée à la régression au stade narcissique – au stade oral – de la relation d’objet. Ce sont les éléments essentiels qui structurent l’interprétation freudienne. Le « narcissisme », concept introduit à la même période dans la théorie psychanalytique (Freud, 2013 [1914]), constitue la clé de l’interprétation freudienne ; il correspond aux fantasmes, tendances qui caractérisent la relation du sujet avec le monde extérieur aux premiers temps de sa vie. L’amour de l’autre, la relation d’objet se substituent normalement à ce rapport inaugural au monde qui s’établit entièrement sur le narcissisme (le Moi est bon, tout ce qu’il goûte et apprécie du monde extérieur est incorporé à son unité ; tout ce qui est déplaisant, y compris les éléments de réalité interne, sont rejetés comme éléments étrangers). Une part de cette tendance originelle, variable suivant les individus, persiste cependant au-delà du stade de la relation d‘objet. La relation d’objet elle-même peut être caractérisée par la prédominance du type d’amour narcissique, qui s’établit essentiellement par un jeu de miroir (identification) : à travers l’autre, qui est à mon image, je m’aime. La prédominance du type narcissique se caractérise par un fort conflit d’ambivalence dans la relation à l’objet ; en tant que l’objet se dérobe, que cette identification ne peut jamais être parfaitement réalisée, l’objet est haï autant qu’aimé. Le sujet ne parvient pas à réaliser la fusion avec l’objet, littéralement à l’incorporer.
Cette orientation narcissique dans le choix d’objet constitue selon Freud une disposition à la mélancolie. L’agressivité se reporte sur l’objet substitutif qu’est devenu le moi par identification, n’ayant pu se résoudre à la perte de l’objet aimé. Se faire souffrir apporte au mélancolique une satisfaction identique à celle de faire souffrir l’objet : l’autopunition, mais également la ’torture’ de l’entourage au travers de la maladie, sont les voies d’une ’vengeance’ appliquée contre les résistances antérieures de l’objet : « l’investissement libidinal du mélancolique a connu ainsi un double destin ; il a régressé en partie au stade de l’identification, mais pour le reste, sous l’influence du conflit d’ambivalence, il a été ramené à la phase sadique qui est plus proche de lui. Seul ce sadisme vient résoudre l’énigme de la tendance suicidaire » (ibid. : 61).
Comme le deuil, la mélancolie peut être définie comme un travail d’élaboration relatif à la perte de l’objet aimé. Dans le travail de mélancolie chaque coup porté au moi, c’est-à-dire à l’objet, diminue selon Freud la fixation à l’objet et entraîne progressivement le retrait des investissements libidinaux. Par le retournement sur soi, le Moi éprouverait la jouissance d’une supériorité sur l’objet, dont il pourrait alors se détourner. Freud perçoit dans l’agitation et la « grandiloquence » maniaques, qui succèdent assez fréquemment (et cycliquement) aux troubles mélancoliques, une exaltation du Moi éprouvant le sentiment d’avoir définitivement liquidé son conflit et établi sa suprématie sur l’objet. Freud conclut ainsi par cette hypothèse clinique, suivant laquelle la manie pourrait constituer, sous des conditions favorables, une voie de résolution possible du conflit caractéristique de la mélancolie.
Incontournable aujourd’hui dans l’analyse du deuil, de la dépression et de la mélancolie, ce court article, « Deuil et Mélancolie », constitue l’une des références les plus fréquemment citées de l’œuvre freudienne (psychanalystes, psychologues, psychiatres, mais également travailleurs sociaux, enseignants, etc.). Sa construction s’établit au fil de la pensée de l’auteur, et lui confère une grande clarté pédagogique.
Par ce commentaire, nous espérons avoir fourni quelques éclairages à ceux qui s’intéressent à la conceptualisation psychanalytique de la mélancolie, et suscité l’envie d’un retour l’œuvre freudienne. À l’ère de la démultiplication des entités nosographiques en psychiatrie, matérialisée par la publication du Manuel Diagnostic des Troubles mentaux (DSM [4]) par l’association américaine de psychiatrie, et de l’influence majeure des laboratoires pharmaceutiques sur le diagnostic et l’approche des troubles psychopathologiques, la lecture de ce texte apportera des éléments essentiels à la compréhension des conflits et des mouvements d’opposition qui se manifestent depuis plusieurs années dans le champ de la psychiatrie (cf. les différents travaux et actions du mouvement « Stop DSM [5] »). La pathologisation du deuil, repérable dans la cinquième édition du DSM (2013) suscite aujourd’hui l’indignation de nombreux cliniciens.
Abraham Karl (1965), « Préliminaires à l’investigation et au traitement psychanalytique de la folie maniacodépressive et des états voisins », [1912], dans Œuvres complètes, vol. I : 1907-1914, Paris, Payot, pp. 212-226.
Cioran Emil (1987), Syllogismes de l’amertume, [1952], Folio Essais, Paris, Gallimard.
Freud Sigmund (1917), « Trauer und Melancholie », [1915], Internationale Zeitschrift für Ärztliche Psychoanalyse, 4(6), pp. 288-301.
Freud Sigmund (2005a), « Actuelles sur la guerre et la mort », [1915], dans Œuvres complètes, vol. XIII : 1914-1915, Paris, Presses Universitaires de France, pp. 127-155
Freud Sigmund (2005b), « Deuil et mélancolie », [1915], dans Œuvres complètes, vol. XIII : 1914-1915, Paris, Presses Universitaires de France, pp. 259-278.
Freud Sigmund (2013), Pour introduire le Narcissisme, [1914], Paris, Éditions In press.
Freud Sigmund et Abraham Karl (1966), Correspondance, Paris, Gallimard.
Sigmund Freud et Ferenczi Sàndor (1992), Correspondance, Tome 1 : 1908-1914, Paris, Calmann-Levy.
Klein Mélanie (2004), Deuil et Dépression, [1934], Paris, Petite Bibliothèque Payot.
Nietzsche Friedrich (1906), « Humain trop humain », [1878], dans Œuvres complètes, vol. 5, pp. 417-476.
Winnicott Donald Wood (2002), Jeu et réalité, [1975], Paris, Gallimard.
[1] Voir par exemple sur ce point Deuil et Dépression (Klein, 1934)
[2] Donald Wood Winnicott a théorisé le concept de « transitionnalité ». Voir sur ce point Jeu et Réalité (Winnicott, 1971)
[3] Nosographie : description, classification et hiérarchisation des maladies d’après leur symptomatologie.
[4] Publié par l’American Psychiatric Association, le Manuel Diagnostic des Troubles Mentaux (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) constitue un ouvrage de référence en psychiatrie, pour le diagnostic et la classification des troubles mentaux, et pour les recherches menées par les laboratoires pharmaceutiques sur les pathologies mentales. Il a été publié pour la première fois en 1952 et listait alors une centaine de pathologies. La version actuelle, le DSM-V, recense près de 300 pathologies. Largement diffusé, le DSM fait cependant l’objet de controverses importantes dans le secteur médico-social depuis la publication du DSM III en 1980, qui marqua le tournant décisif vers une approche particulièrement catégorielle.
[5] Le collectif « Stop DSM » a été fondé en 2010 par le psychiatre et psychanalyste Patrick Landman. Psychiatres, psychanalystes, cliniciens se sont réunis pour publier un manifeste s’opposant à l’application progressive, et systématique, des méthodes de l’Evidence-Based Medicine (EBM) en psychiatrie. Il prône la diversité des approches en psychiatrie, et le retour à la clinique. Plus de 3000 personnes en sont aujourd’hui signataires.
Prouvez Valentine, « Introduction à la définition conceptuelle de la mélancolie. Une lecture de l’article de Sigmund Freud, « Deuil et Mélancolie » », dans revue ¿ Interrogations ?, N°24. Public, non-public : questions de méthodologie, juin 2017 [en ligne], https://revue-interrogations.org/Introduction-a-la-definition (Consulté le 21 novembre 2024).